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Catalogues de libraires, 1473-1810, réd. par Claire Lesage, Ève Netchine et Véronique Sarrazin

Paris, Bibliothèque nationale de France, 2006, 632 p. ISBN 2-7177-2347-1

Sabine JURATIC

Paris

Apparus dès les premiers temps de l’imprimerie et présents dans nombre de collections publiques, les catalogues diffusés par les libraires pour faire connaître leurs éditions ou les ouvrages qu’ils proposent en vente sont restés longtemps mal connus du fait de l’absence de dépôt légal pour ce type de publications à vocation éphémère, de leur dispersion entre de nombreux fonds et de leur forme rudimentaire de modeste brochure ou de simple feuille imprimée. Bien qu’ils représentent une source fondamentale pour l’étude de la circulation commerciale de la production imprimée et pour celle des pratiques des éditeurs, ces catalogues de professionnels ont été, jusqu’à une période récente, moins soigneusement signalés que ceux des ventes de bibliothèques privées, plus attractifs pour le public des bibliophiles. Le service de l’Inventaire rétrospectif de la Bibliothèque nationale de France a entrepris de combler cette lacune et de recenser les catalogues de libraires conservés dans les différents départements de la Bibliothèque. Après la publication, en 2004, d’une première recension concernant le XIXe et le début du XXe siècle29, est paru en 2006 ce répertoire des catalogues imprimés entre 1473 et 1810.

Réalisé par Claire Lesage, Ève Netchine et Véronique Sarrazin, cet inventaire recense de façon systématique les catalogues de libraires conservés dans les collections de la Bibliothèque nationale de France et constituant une entité bibliographique indépendante. Quelques catalogues insérés par les libraires à la fin de leurs éditions sont aussi pris en compte, mais seulement de manière aléatoire. Le répertoire ne retient pas, en revanche, les catalogues de foires, ni les catalogues de ventes publiques de livres, sauf lorsqu’ils relèvent de trois catégories particulières : les ventes de fonds de librairie, les ventes de collections appartenant à un libraire ou les ventes « fictives », réunissant plusieurs collections et se déroulant dans la boutique d’un libraire « à partir d’une date donnée » (et non à une date donnée). Il s’agit alors le plus souvent pour ce professionnel d’une manière d’annoncer les livres d’occasion dont il dispose. Au total, 3240 catalogues de libraires français et étrangers, représentant plus de 4000 exemplaires, font l’objet d’une description.

Les notices, classées par ordre alphabétique des noms de libraires, reproduisent in extenso, pour chaque document, le titre du catalogue et l’adresse du libraire et indiquent le lieu et la date d’édition – ou proposent une datation pour les catalogues dépourvus de cette précision. La description bibliographique complète, avec les particularités d’exemplaires, est accompagnée de notes justifiant, le cas échéant, l’attribution et la datation du catalogue et apportant des précisions supplémentaires sur son contenu : date du permis d’imprimer, présence de commentaires du libraire ou d’indications sur les pratiques commerciales, brève analyse de l’organisation interne du catalogue et des titres mentionnés. La rigueur du recensement et la variété des informations retenues dans les notices descriptives sont mises en valeur par un jeu très complet d’index et de tables qui donne tout son prix au répertoire, en multipliant les voies d’accès aux informations. A l’indispensable table des imprimeurs-libraires par villes d’exercice viennent s’ajouter en effet d’autres outils de repérage : index des noms des personnes ou des institutions qui ont eu part au catalogue sans en être les instigatrices directes (imprimeurs, graveurs, collectionneurs, possesseurs…) ; index des matières caractérisant les ouvrages proposés (par disciplines, genres et langues), signalant les pratiques rédactionnelles et commerciales du libraire et indiquant les éventuelles marchandises autres que des livres mentionnées dans les catalogues; index des provenances et des particularités d’exemplaires; enfin, table chronologique des ventes de fonds de librairie et des bibliothèques particulières de libraires. Pour les historiens du livre, l’intérêt de ces différents index dépasse de loin leur fonction initiale d’orientation. Leur lecture favorise des rapprochements, suscite des interrogations et suggère de nombreuses pistes de recherche, sur la géographie commerciale de la librairie européenne, sur la circulation des livres de bibliophilie et des ouvrages en langues étrangères, ou sur les modalités pratiques de vente et de transport des livres, pour ne citer que quelques thèmes parmi d’autres.

Les deux introductions très éclairantes qui ouvrent le répertoire illustrent la richesse de ces possibilités d’exploitation. A partir des informations consignées dans les catalogues, Véronique Sarrazin esquisse une analyse des pratiques commerciales des éditeurs et des libraires, de leurs méthodes publicitaires et de leurs politiques de prix, tandis que Claire Lesage et Ève Netchine dressent une typologie des formes de publication rencontrées et de leur organisation. A travers la reconstitution de l’historique des collections de catalogues de la BnF, elles fournissent aussi des éléments pour apprécier la valeur représentative d’un corpus qui ne saurait, selon elles, prétendre « ni à l’exhaustivité ni même à la représentativité », mais offre une quantité et une diversité de documents suffisantes pour informer sur les usages de la librairie de l’époque artisanale. Conservé principalement dans les trois séries Q, Q10 et , toutes issues de l’ancienne section des Bibliothecarii, affectée de la lettre Q dans le système méthodique de classement introduit à la fin du XVIIe siècle par Nicolas Clément, garde de la Bibliothèque du roi, le corpus des catalogues s’est enrichi par dons ou par achats, au cours du temps, de riches collections particulières qui ont influé sur sa composition. Ainsi, le poids des collections rassemblées à la fin du XVIIIe siècle par le directeur de l’imprimerie royale, Étienne Alexandre Jacques Anisson-Duperron (plus de 7000 numéros), ou au XIXe siècle par le libraire Achille Julien (plus de 10 000 catalogues de livres avec prix) contribue vraisemblablement à accroître la part du XVIIIe siècle dans l’ensemble, puisque ce siècle compte pour plus des trois quarts des titres recensés. D’autres établissements, comme la Bibliothèque Mazarine, présenteraient peut-être des collections où les catalogues plus anciens seraient proportionnellement mieux représentés, si l’on en juge du moins par les titres déjà inventoriés dans le catalogue en ligne de cette bibliothèque. Au-delà de sa valeur intrinsèque, le répertoire des Catalogues de libraires de la BnF apparaît donc aussi comme une incitation à poursuivre ailleurs, pour compléter le recensement rétrospectif de ces documents, l’inventaire exemplaire réalisé à la Bibliothèque nationale.

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29 Catalogues de libraires et d’éditeurs, 1811-1924, réd. Jean-Philippe Adon, Muriel Soulié, Sarah Tournerie, dir. Chantal Faure, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2004, 246 p.