Trois publications lyonnaises
Michael Twyman, L’Imprimerie. Histoire et techniques, trad. de l’anglais par Bernadette Moglia, Lyon, ENS Éditions, 2007, 118 p., ill. ISBN 978-2-84788-103-5/Michael Twyman, Images en couleur. Godefroy Engelmann, Charles Hullmandel et les débuts de la chromolithographie, Lyon, Musée de l’imprimerie, Panama Musées, 2007, 127 p., ill. ISBN 978-2-7557-0286-6/Histoire de l’imprimé, réd. Alan Marshall, Sheza Moledina, Lyon, EMCE, 2008, 118 p., ill. (« Des objets qui racontent l’histoire »). ISBN 978-2-35740-000-9
Frédéric BARBIER
Nouans-les-Fnes
La création d’un Musée de l’Imprimerie à Lyon a été décidée par une délibération Conseil municipal en date du 29 avril 1957, de sorte que l’institution peut fêter en 2007 ses cinquante ans d’existence, même s’il s’est un temps agi d’une existence plutôt virtuelle23. Chargé de l’organisation du nouveau Musée et de la constitution des collections, Maurice Audin (1895-1975) réussit à s’attacher le soutien d’Henri-Jean Martin, conservateur en chef des bibliothèques de la Ville à partir de 1963. L’établissement ouvre ses porte en 1964, dans l’Hôtel de la Couronne, ancien siège des prévôts et échevins de Lyon, au cœur de la presqu’île. Le bâtiment, superbe, idéalement placé, abrite non seulement un remarquable musée historique (très riche par exemple pour ce qui concerne les bois gravés24), mais aussi une bibliothèque accessible aux chercheurs25 et, depuis le rachat d’une partie du matériel de l’ancienne imprimerie Audin (1987), un atelier vivant. Le Musée est en pleine restructuration depuis quelques années, et mène une politique active fondée à la fois sur des expositions et animations de grande qualité, sur la réorganisation de la présentation permanente et sur un remarquable effort de publication26. Les trois ouvrages ici trop rapidement présentés entrent dans ce dernier cadre.
Michael Twyman avait publié en 1998, dans les collections de la British Library, un petit manuel sur l’histoire technique de l’imprimerie, et c’est cet ouvrage que le Musée de l’imprimerie donne aujourd’hui en traduction française. Le propos privilégie l’histoire technique et s’organise en quatre temps. D’abord, un chapitre général, sous le titre «Qu’est-ce que l’imprimerie?», constitue une synthèse originale sur les principes de base de la technique : à la « préparation » des « marques à imprimer » (non seulement les formes typographiques, mais aussi tout ce qui relève de la gravure) succède la « multiplication », autrement dit le processus de reproduction lui-même. Le second chapitre présente la technique de « la production manuelle », d’abord en Extrême-Orient, puis en Europe, avec l’invention de la typographie en caractères mobiles. L’attention est portée aux objets : si Gutenberg souhaitait d’abord reproduire ce qui existait déjà, à savoir le manuscrit rubriqué, voire le manuscrit décoré d’initiales peintes (pensons au Psautier de Mayence), les difficultés techniques et les problèmes de coût ont rapidement amené à privilégier le noir et blanc. La Bible de Robert Estienne, en 1527-1528, montre que la nouvelle grammaire de la page et du livre est désormais parfaitement au point.
Alors que le changement technique reste relativement limité tout au long de l’« imprimerie d’Ancien Régime », le chapitre 3 présente la vague d’innovations qui se développe au XIXe siècle. Rejoignant les idées de Rudolph Schenda27, l’auteur privilégie ici non pas le processus même d’innovation – tel qu’il avait été détaillé, par exemple, dans l’Histoire de l’édition française –, mais le rôle de l’image comme produit susceptible d’une diffusion de plus en plus large : la lithographie d’abord, puis le bois de bout et les différents autres procédés, notamment ceux liés à la photographie. C’est encore le marché qui impose la mise au point de nouveaux caractères typographiques destinés à la publicité – et dont se moquera Charles Nodier dans son Roi de Bohême (1830). Le quatrième et dernier chapitre traite des évolutions qui s’imposent au XXe siècle, qu’il s’agisse de l’offset, de la photocomposition et surtout de la « révolution numérique ». Une bibliographie sélective de cinq pages complète ce très élégant et utile petit manuel.
Michael Twynman vient aussi de publier, exactement sous la même forme, un ouvrage consacré à l’histoire de la chromolithographie, technique spectaculaire mais peu connue à laquelle le Musée de l’imprimerie de Lyon a consacré une très belle exposition en 2007-2008 (« Couleurs : les prouesses de la chromolithographie »)28. Le terme lui-même a été employé pour la première fois en 1837, mais les recherches visant à mettre au point une technique efficace pour imprimer par la lithographie mais en couleurs remontent à la décennie 1810 en Allemagne, en Angleterre et en France (avec un personnage comme l’imprimeur Émile Simon à Strasbourg). Elles aboutissent d’ailleurs dans certains cas à des prises de brevets, et sont soutenues, à partir de 1829, par la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. Le prix proposé par celle-ci est enfin remis à l’imprimeur mulhousien Godefroy Engelmann en 1837. Le chapitre consacré à Engelmann est particulièrement bien documenté et intéresse l’histoire de l’innovation en général, voire celle des transferts techniques entre l’Allemagne (surtout Munich), la France et l’Angleterre (avec Hullmandel à Londres).
Le principe de la chromolithographie se fonde sur la combinaison des trois couleurs primaires (jaune, rouge, bleu) et du noir pour constituer un nuancier, et sur l’emploi de quatre pierres parfaitement repérées et successivement imprimées. La production, qui commence en France par des albums artistiques très soignés, s’oriente bientôt vers un tout autre domaine, très vaste mais particulièrement difficile à cerner pour l’historien : il s’agit des éphémères, cartes de visite, étiquettes, publicités de toutes sortes, couvertures de livres, etc. En Angleterre, l’ouvrage le plus spectaculaire est le Picturesque architecture in Paris, Ghent, Antwerp, Rouen, etc., de Thomas Shotter Boys, donné à Londres en 1839 et dont Michael Twynman présente un certain nombre de reproductions remarquables (pp. 71-83). En manière de postface (pp. 95-121), l’auteur évoque les développements de la chromolithographie, avant tout pour la publicité, jusqu’au début du XXe siècle. En définitive, voici un élégant manuel qui attire avec bonheur l’attention sur une technique et sur des productions qui ont occupé une place importante dans le domaine de l’imprimé à l’époque de l’industrialisation, mais qui étaient méconnues et qui restent toujours relativement mal conservées aujourd’hui. L’ouvrage, richement illustré, est complété par un index des noms de personnes et des titres d’ouvrages.
Le troisième titre dont nous traiterons n’est pas une nouvelle « histoire du livre », mais bien une Histoire de l’imprimé – et la nuance fait précisément sens. Le terme même de « livre » reste trop souvent inutilement discuté, notamment dans les milieux des « sciences de l’information », alors que les historiens savent bien, depuis Febvre et Martin, que l’histoire du livre inclut dans son propos toutes sortes d’objets qui ne sont évidemment pas des livres – à commencer par28 http://www.imprimerie.lyon.fr/imprimerie les journaux, les canards, les éphémères, les imprimés publicitaires de toutes sortes, les tracts, etc. Gutenberg se finance d’abord en imprimant des indulgences, le premier catalogue imprimé de livres – une simple feuille – daterait de 1469, et la production de plus en plus massive de petites « pièces », certes moins prestigieuses que celle des livres, n’en occupe pas moins une place croissante et n’en joue pas moins un rôle décisif dans l’équilibre financier de nombre d’imprimeries. Le statut dominant du livre est déjà contesté au XVIIIe siècle, avec la montée en puissance de la presse périodique, tandis que le XIXe siècle pourrait être décrit non pas comme celui du « triomphe du livre », mais bien de la paperasse, des formulaires et de l’omniprésence de l’imprimé sous des formes si modestes – par exemple l’étiquette d’une bobine de fil – qu’on ne le remarque même plus.
Avec son petit opuscule, l’équipe du Musée de l’imprimerie s’emploie à rétablir utilement cette perspective trop souvent perdue de vue. Une quarantaine d’articles permet de passer en revue, en suivant la chronologie, les multiples formes que prend le paradigme de l’imprimé au cours des siècles, de « L’image multipliée » pré-gutenbergienne (les xylographes) et de « La carte à jouer » au paradoxe actuel d’une révolution des nouveaux médias plus « gourmande d’imprimés » que jamais. Si les monuments de l’histoire du livre font évidemment l’objet d’une présentation, à commencer par la Bible à 42 lignes et par l’Encyclopédie, l’accent est très largement mis sur ces productions trop généralement négligées par les présentations plus classiques : la musique imprimée, le catalogue commercial, le faire-part ou encore le menu. Nombre de formules heureuses font mouche auprès du lecteur : la proclamation, c’est « la communication à sens unique », l’impression pour les aveugles, c’est « la connaissance au bout des doigts », tandis qu’avec le papier monnaie, les assignats et surtout les effets de commerce, « le papier devient valeur ». Par cette présentation astucieuse, l’ouvrage suggère le principe selon lequel c’est bien, en dernière analyse, le marché qui impose son fonctionnement à la branche et qui définit les produits qu’il est susceptible d’employer. Si l’on ajoute que les pièces ici présentées constituent comme le squelette de l’exposition permanente du Musée et que leur description fournit donc un guide pour la visite de celui-ci, on conçoit que les auteurs de cette Histoire de l’imprimé élégante et très richement illustrée ont réussi la gageure de combiner avec bonheur un travail au contenu scientifique indiscutable, et un manuel propre à initier le plus large public au domaine particulier non pas du livre, mais – de l’imprimé.
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23 Hélène-Sybille Beltran, « Le Musée de l’imprimerie de Lyon », dans HCL, 2, 2006, pp. 279-288, ill. (et la bibliographie). Le Musée a un site sur Internet : http://www.imprimerie.lyon.fr/imprimerie/
24 Maurice Audin, Les Peintres en bois et les tailleurs d’histoire. A propos d’une collection de bois gravés conservée au Musée de l’imprimerie et de la banque, Lyon, Musée de l’imprimerie et de la banque, [s.d.]. Pour les XVIIe et XVIIIe siècles, un travail excellent a été récemment consacré par Marie-Félicie Pérez et ses collaboratrices (Sylvie Martin-de-Vesvrotte et Henriette Pommier) aux graveurs, éditeurs et marchands d’estampes à Lyon. Il s’agit du Dictionnaire des graveurs-éditeurs et marchands d’estampes à Lyon aux XVIIe et XVIIIe siècles, et Catalogue des pièces éditées, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2002, 170 p., ill. (ISBN 2-7297-0690-9).
25 Le catalogue en est intégré au catalogue collectif de la Bibliothèque municipale de Lyon : http://sbibbh.si.bm-lyon.fr/. Outre une Réserve précieuse de quelque cinq cents volumes, la bibliothèque du Musée s’est notamment enrichie par l’acquisition d’une partie de la collection du libraire éditeur parisien Jean-Baptiste Baillière (1797-1885 : cf. supra).
26 Rappelons la très belle exposition présentée en 2002 sur Le Romain du Roi, et qui a donné lieu à un catalogue devenu lui-même ouvrage de référence non seulement pour l’histoire du livre, mais aussi pour l’histoire politique du règne de Louis XIV dans ses dimensions culturelles et artistiques (Le Romain du Roi. La typographie au service de l’État, 1702-2002, Lyon, Musée de l’imprimerie, 2002). Le Musée est également l’une des chevilles ouvrières de l’Institut d’histoire du livre qui fonctionne à Lyon.
27 Rudolf Schenda, « La lecture des images et l’iconisation du peuple », trad. Frédéric Barbier, dans RFHL, Genève, Droz, 114-115, 2002, pp. 13-30, ill.
28 http://www.imprimerie.lyon.fr/imprimerie/