Paris capitale des livres. Le monde des livres et de la presse à Paris, du Moyen Âge au XXe siècle
Dir. Frédéric Barbier, Paris, Paris Bibliothèques/PUF, 2007, 344 p. ISBN 2843311624
Jean-Yves MOLLIER
Saint-Quentin-en-Ynes
Conçu pour l’exposition présentée à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, ce catalogue présente en quadrichromie les deux cents pièces sur lesquelles reposait l’événement. L’ordre des parties est demeuré inchangé, afin de mettre en relief le parti pris par les organisateurs : donner à voir, de la fin du Moyen Âge à nos jours, le monde du livre parisien dans sa diversité. De ce fait, la première partie présente les derniers siècles de la vie du manuscrit avant qu’il ne cède du terrain à son concurrent, le livre imprimé. Indispensable à qui veut comprendre les mutations qu’avait enregistrées le codex du XIIIe au XVe siècle et les continuités qui le relient au livre sorti des nouvelles presses, cette section met en lumière le travail des scriptoria des grandes abbayes parisiennes de la fin du Moyen Âge. De Saint-Denis à Saint-Germain des Prés ou à Sainte-Geneviève, le mouvement de concentration des métiers du livre dans la capitale est ancien, contemporain de la naissance de l’Université et des besoins qui sont les siens en livres scolaires et religieux. Copistes, parcheminiers, enlumineurs et relieurs accompagnent le travail des libraires stationnaires, les premiers à transformer le quartier de Saint-Séverin en berceau des gens du livre. La Cité, la rue Saint-Jacques, les quais participent également de cette spécialisation antérieure à l’apparition des premiers imprimeurs.
La seconde section traite des imprimés produits entre 1470 et 1500 dans la capitale après que Guillaume Fichet et Johann Heynlin eurent introduit les nouvelles techniques et fait venir des professionnels capables de les mettre en œuvre. Les livres d’Heures et de liturgie voisinent avec les rééditions de l’Antiquité et avec les nouveaux ouvrages rédigés en français. Au total, avec 2630 incunables recensés, Paris se situe derrière la Venise d’Alde Manuce (3058) mais la publication des Œuvres de François Villon en 1489 donne à la France une remarquable édition du poète qui vient s’ajouter à celles des romans de la Table ronde, eux aussi imprimés à Paris en ces années de fondation. La troisième partie consacrée au XVIe siècle montre d’ailleurs la pénétration de l’imprimé dans la société du temps. Avec Simon de Colines, Josse Bade et Henri Estienne, on imprime en latin et en grec les grands textes indispensables aux études, mais le français est aussi à l’honneur, et les presses de la capitale l’utilisent pour les actes de l’administration, les cartes ou encore les alphabets, les canards et autres pamphlets qui annoncent l’arrivée ultérieure des journaux d’information (XVIIe siècle).
Avec la quatrième section, « La capitale et l’imprimé à l’apogée de l’absolutisme. 1618-1723 », on mesure à quel point le système politique a été nocif pour le livre puisqu’aux 25 000 éditions parisiennes du XVIe siècle succèdent à peine 17 500 éditions au XVIIe. La Réforme, les troubles de religion, la Fronde sont passés par là, renforçant le pouvoir royal dans sa volonté de tout contrôler, partant, de limiter singulièrement la diffusion de l’imprimé. La Communauté des libraires, formée en 1618, va devenir l’auxiliaire de la monarchie et d’une police de plus en plus efficace. L’impression des gazettes, la multiplication des libelles ont fait craindre le pire et, désormais, censure et privilège encadrent les professions du livre, Paris bénéficiant de sa proximité avec Versailles pour commencer à asphyxier la province et à réduire Lyon à la diffusion de l’imprimé au sud de la Loire. La cinquième partie, consacrée au siècle des Lumières, de 1723 à 1789, montre la poursuite de cette politique qui profite à la capitale, siège des académies, lieu de résidence des écrivains les plus renommés et asile des ateliers les plus performants. C’est ici que sera imprimée la première édition de l’Encyclopédie, comme l’avaient été Les Pensées de Blaise Pascal ou l’Émile de Rousseau, symboles d’une activité créatrice inscrite dans la durée.
La section, intitulée « Paris et la deuxième révolution du livre », traite ensemble la Révolution française et le XIXe siècle, l’introduction de la vapeur dans les ateliers, l’essor du journalisme, l’émergence de la culture de masse, la naissance des éditeurs et celle des entreprises d’édition, laissant à la septième et dernière section, le XXe siècle, le soin d’annoncer les ultimes révolutions de l’électronique et du numérique. C’est cette portion un peu congrue octroyée à la modernité, au changement de régime de lecture dû à l’achèvement de la réforme de l’instruction universelle qui laisse le lecteur le plus sur sa faim. Certes les choix des organisateurs s’avèrent en général justifiés et la qualité des documents reproduits est remarquable. Toutefois il eût été utile d’insister davantage sur l’originalité de Paris, par rapport à Bruxelles, Berlin, Rome ou Madrid, villes mais non capitales des livres dans leur pays. La concentration de l’édition, l’apparition de puissantes dynasties – des Dalloz, Hachette ou Plon aux Gallimard du XXe siècle – aurait mérité de plus amples développements, parce qu’elles ont façonné la vie du livre et donné à la culture française une grande part de son lustre. Métonymie de la France, Paris a attiré les intellectuels du monde entier, au XIXe comme au XXe siècle, ce que le colloque sur Paris et le phénomène des capitales littéraires avait souligné en 19849.
De même, l’absence de référence à l’impression de centaines de journaux et de milliers de livres en anglais, allemand, espagnol, italien, portugais, polonais ou russe étonne dans la mesure où, du Galignani’s Messenger des années 1815-1890 à Ulysse’s de Joyce en version originale, Paris fut une capitale mondiale des lettres et des livres. C’est là que les Britanniques et les Américains s’établirent dans la première moitié du XXe siècle, comme l’a fort bien montré Hugh Ford dans Published in Paris. L’édition américaine et anglaise à Paris. 1920-193910, là encore qu’Henri Miller fit paraître Sexus et Nabokov Lolita, sans parler de Zorba le Grec de Kazantzakis ou de tous ces romans maghrébins et africains des années 50 et 60, de Mohammed Dib à Kateb Yacine en passant par Mongo Béti et Sembène Ousmane. Le tropisme a été trop fort, trop durable pour qu’il n’ait pas laissé de traces visibles et la dernière partie de l’exposition, comme celle du catalogue, aurait dû souligner cette particularité qui n’a pas de rapports avec l’impression plurilingue de New York ou avec la présence de presses en espagnol à San Francisco. Paris capitale des livres du monde entier, selon le vœu de Victor Hugo, l’aura été pendant près d’un siècle parce que la république mondiale des lettres y avait fixé son siège11, justifiant par avance le choix de l’UNESCO après 1945.
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9 Paris, Presses de la Sorbonne, 1986, 3 vol.
10 Paris, IMEC Éditions, 1996.
11 Pascale Casanova (Paris, Seuil, 1999).