Louis Faivre d’Arcier, Histoire et géographie d’un mythe : la circulation des manuscrits du De excidio Troiae de Darès le Phrygien (VIIIe-XVe siècles)
Paris, École des chartes, 2006, 539 p. (« Mémoires et Documents de l’École des chartes », 82)
Marie-Hélène TESNIÈRE
Paris
L’histoire culturelle du Moyen Âge avance à petits pas : s’il est aujourd’hui relativement aisé d’évaluer le succès d’une œuvre en comptabilisant les manuscrits conservés dans les bibliothèques ou signalés dans les inventaires, il est beaucoup plus difficile de retracer l’histoire de leur transmission et des usages de leur lecture. L’étude des sources a longtemps été considérée comme le moyen privilégié d’aborder de tels sujets ; elle supposait des lectures encyclopédiques dont le résultat n’apparaissait de manière déterminante qu’au soir d’une vie de recherches. L’évolution des techniques permet aujourd’hui d’aborder l’histoire des textes de manière plus frontale, et ce n’est pas le moindre mérite de cette thèse que de proposer une méthode parfaitement au point en cette matière.
Bien que l’auteur s’en défende à plusieurs reprises, une telle étude, qui suppose la consultation de près de 170 manuscrits (dont de courtes notices sont proposées), peut apparaître comme les Prolégomènes à une édition de texte. Pourtant l’auteur n’aborde pas le texte dans une démarche philologique classique, mais il étudie en quelque sorte la matérialité des ensembles qui le transmettent et à partir desquels par cercles concentriques il se rapproche du texte : d’abord le manuscrit comme recueil de textes, dont certains sont toujours associés au De excidio Trojae quand d’autres ont une existence autonome. Puis les caractères externes de la présentation du texte, c’est-à-dire l’illustration, les subdivisions, les titres et les annexes (prologue, épître, etc.). Enfin, les omissions communes et les variantes de noms géographiques et de noms de personnes sélectionnés dans des passages de moindre « intérêt », ceux où l’attention du copiste ne peut que se relâcher. Ainsi les manuscrits se regroupent-ils en plusieurs familles dont l’auteur suit l’évolution chronologique et la dispersion géographique. Recueils, titres, découpage des textes, autant de directions de recherche auxquels on s’intéresse encore trop peu. C’est la multiplication de telles études qui permettra un jour d’écrire la véritable histoire intellectuelle du Moyen Âge. En attendant le présent ouvrage peut à juste titre servir de convaincant modèle.