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Cécile Fabris, Étudier et vivre à Paris au Moyen Âge. Le collège de Laon (XIVe-XVe siècles)

Paris, École des chartes, 2005, 504 p. (« Mémoires et documents de l’École des chartes », 81)

Claire ANGOTTI

Le livre de Cécile Fabris est issu d’une thèse d’École des chartes dirigée par Olivier Guyotjeannin et Jacques Verger, et brillamment soutenue en 2002. Le titre choisi pour la publication « Étudier et vivre à Paris au Moyen Âge. Le collège de Laon (XIVe-XVe siècles) », très général, ne rend pas compte de la richesse et de la minutie du travail de l’auteur, lequel apporte des informations nouvelles sur le système des collèges parisiens et des hommes qui les peuplent à la fin du Moyen Âge.

L’ouvrage s’inscrit dans la continuité des travaux conduits par A. L. Gabriel et très largement renouvelés par les récentes études de Nathalie Gorochov, sur le collège de Navarre (1997), et de Thierry Kouamé, sur celui de Dormans-Beauvais (2003). Il s’appuie aussi sur les recherches portant sur l’histoire des universités médiévales, dont Jacques Verger, auteur de la préface, est aujourd’hui le spécialiste reconnu. À partir de l’étude précise d’un collège « moyen » (par opposition aux « grands » collèges que sont Navarre et Sorbonne, tant du point de vue des effectifs que du prestige intellectuel de certains de leurs membres), le collège de Laon, fondé en 1314 par Guy de Laon et Raoul de Presles, deux serviteurs de Philippe le Bel, Cécile Fabris analyse de manière magistrale ce qui fait de cette maison un collège tout à la fois banal et original. Le système des collèges accueillant des étudiants « pauvres » de l’Université apparaît avec la fondation du collège de Sorbonne dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Mais c’est le XIVe siècle qui voit le plein épanouissement de ces maisons d’accueil à Paris, comme l’illustrent les collèges de Navarre et de Dormans-Beauvais, qui forment une partie de l’élite intellectuelle ou politique du royaume. Il nous manquait une étude sur un collège « moyen », tant par la taille que par la volonté manifeste de ne remplir aucun rôle politique, se cantonnant à sa fonction primitive, celle d’une maison qui accueille les jeunes étudiants en arts de l’Université.

L’ouvrage commence par la présentation des sources : textes statutaires, documents fonciers et judiciaires, divers cartulaires permettant parfois d’avoir traces des originaux aujourd’hui perdus ou détruits lors des difficultés que connaît le collège dans la première moitié du XVe s., lors de sa réunion à Louis Le Grand en 1764 ou du fait du fractionnement du fonds lors de la Révolution. Certains documents produits à l’époque moderne (histoires, inventaires, récapitulatifs) comblent des lacunes. Mais la source essentielle pour l’histoire du collège demeure les comptes : ce sont parmi les plus anciens de tous les collèges parisiens, puisqu’ils nous sont conservés à partir de 1348. Source précieuse, même si elle est lacunaire, dans la mesure où l’on saisit non seulement les revenus qui assurent la survie du collège, mais aussi son fonctionnement (c’est là que se trouvent les rares informations sur la bibliothèque) ainsi que le réseau de relations, « d’amis » offrant des appuis et des aides aux boursiers.

La monographie de Cécile Fabris se développe ensuite en fonction de ce même plan : la première partie (pp. 25-124) s’intéresse au cadre institutionnel, la deuxième (pp. 125-230) décrit le fonctionnement quotidien du collège, et la troisième (pp. 231-304) propose une enquête prosopographique sur ses membres entre 1313 et 1480. La première partie, intitulée « Formation d’une institution universitaire » présente les temps forts de la fondation du collège de Laon, dont l’une des originalités est d’être une fondation « double »: deux collèges ont en effet été institués en 1314, celui de Laon et celui de Presles, pour accueillir les étudiants respectivement originaires des diocèses de Laon et de Soissons. Cette fondation originale, malgré l’appui du roi, est un échec, et les deux fondateurs séparent en 1324 les deux communautés. On peut ainsi considérer que ce n’est qu’en 1340 que le processus de fondation du collège de Laon est achevé, et celui-ci enfin installé dans le quartier des Écoles, dans une maison située entre la rue de la Montagne Sainte-Geneviève et la rue Saint-Hilaire. Les statuts réglant le fonctionnement interne de la maison, rédigés par le fondateur en 1327 (19 articles minutieux) reprennent les dispositions habituelles de tous les collèges parisiens. Seule originalité, c’est l’évêque de Laon qui se voit confier la charge de veiller au respect des statuts du fondateur, aidé en cela par des commissaires. Malgré l’esprit conservateur de ces statuts, scrupuleusement appliqués dans la maison jusqu’au XVIIe siècle, le collège connaît quelques transformations : à l’origine réservé à seize étudiants de la faculté des arts, il s’ouvre aux élèves des facultés supérieures, juristes, médecins et théologiens, grâce à l’adjonction de nouvelles bourses. Son fonctionnement quotidien était, comme c’est l’habitude, confié à des officiers issus de la maison même : le « maître » ou « principal du collège » secondé par un procureur, désigné chaque année, et par un prévôt semainier.

La deuxième partie, intitulée « Une maison dotée de revenus », présente une reconstitution du patrimoine du collège : maisons, terres, rentes permettant à la maison de perdurer. L’auteur dégage clairement trois périodes dans l’évolution de ce patrimoine. De la dotation primitive jusque vers 1350-1370, le patrimoine mobilier s’accroît pour l’essentiel dans le quartier des Écoles. À partir de 1370, il se diversifie, ce qui conduit le collège à avoir aussi des intérêts hors de Paris. Enfin, au XVe siècle, cette extension patrimoniale connaît un ralentissement très net, tandis que les legs en faveur de la maison diminuent en importance, tout en restant toujours nombreux. Un des apports de l’analyse des comptes révèle le sérieux et la constance des procureurs en charge des affaires financières, qui n’hésitent pas à défendre, parfois en recourant à des procédures coûteuses et complexes, les biens et les revenus de la maison. Cette analyse permet aussi de saisir la vie religieuse du collège (entretien des instruments liturgiques, achat de luminaires, gestion des rentes liées à la célébration des obits), illustrant une nouvelle fois une dimension souvent négligée des collèges parisiens : un collège est avant tout une fondation issue d’un projet charitable, et destinée à assurer le salut de l’âme du fondateur par la prière quotidienne des boursiers et par les messes célébrées en sa mémoire. Plus largement, les collèges prennent en charge la memoria universitaire et ont une activité liturgique constante, sur le modèle des couvents mendiants qui ont fourni, en quelque sorte, le « prototype » de la vie collégiale.

C’est dans cette partie que l’auteur évoque la vie intellectuelle des boursiers et présente la place des livres au sein du collège. Le bilan est maigre et, du point de vue de l’histoire du livre et des bibliothèques anciennes, relativement décevant. Les statuts du fondateur évoquent le soin à apporter aux « livres du collège » mais sans mentionner l’existence d’une véritable bibliothèque. Celle-ci est cependant attestée en 1388 dans les comptes. Son accès est limité à ceux qui en possèdent les clés, même s’il semble que certains non-boursiers aient eu la possibilité d’y pénétrer. Les comptes nous révèlent aussi que la bibliothèque possède des ouvrages, tant conservés dans des coffres qu’enchaînés à des pupitres : pour autant, il n’est pas possible de dire si le collège s’inspire du système inauguré par la Sorbonne dès la fin du XIIIe siècle et consistant à prêter aux boursiers certains ouvrages conservés dans une bibliothèque de « magasin », tandis qu’une bibliothèque de référence, aux manuscrits enchaînés, conservait les usuels indispensables au travail intellectuel des étudiants. L’auteur, comparant la taille de la nouvelle bibliothèque de Sorbonne, avec ses 38 fenêtres en 1481, avec celle de la nouvelle bibliothèque du collège construite après 1477, et qui n’en possède que cinq, en déduit qu’il ne s’agissait que d’une salle fort modeste. Quant au fonctionnement (existence de l’office de bibliothécaire, tenue d’un registre de prêts…) et au contenu de la bibliothèque, ils nous échappent très largement. Un inventaire des livres du collège, dressé à la fin du XVe siècle, est attesté mais il n’a pas été conservé ou encore identifié. Quelques dons ou legs, notamment des anciens boursiers, permettent de connaître les titres de quelques manuscrits entrés à la bibliothèque entre 1350 et 1473 (voir le tableau récapitulatif p. 214). L’auteur signale que seuls deux manuscrits nous sont parvenus, aujourd’hui conservés à la bibliothèque de la Sorbonne (Sorb. 705 et Sorb. 570), et la thèse récente de Karine Rebmeister-Klein sur les livres des « petits » collèges parisiens signale deux manuscrits copiés au collège ou par un membre du collège3 et six manuscrits appartenant à des boursiers4, sans que l’on puisse conclure que ces huit volumes ont effectivement appartenu à la bibliothèque du collège. Avec quelques mentions difficiles à interpréter, portant sur la surveillance des études, sur l’éventuelle organisation de cours dans une salle de la maison, voilà tout ce qu’il est possible de dire de la vie intellectuelle. Le bilan est certes mince : il convient cependant de ne pas oublier que, le collège étant au cœur du quartier des Écoles, les boursiers avaient sans doute la possibilité de fréquenter les bibliothèques plus fournies d’autres maisons qui jouaient parfois véritablement le rôle de « bibliothèques de l’Université » (telles les bibliothèques du collège de Navarre, du Trésorier ou de la Sorbonne).

La troisième partie de ce travail, intitulée « La communauté des boursiers », consiste en la présentation et l’exploitation des données prosopographiques rassemblées par l’auteur, malgré les difficultés posées par des sources lacunaires.

Cécile Fabris est parvenue à identifier 368 personnages appartenant à la communauté, dont l’effectif a varié de 9 à 22 boursiers. Plusieurs constatations se dégagent, sur les modalités de fréquentation du collège : 1) La durée moyenne de séjour dans la maison est brève (3 à 5 ans), surtout si on la compare à la durée des études universitaires (6 ans au minimum pour les étudiants en arts). 2) Les effectifs, en renouvellement constant, sont dominés par les artiens, qui constituent plus de 85% des membres. 3) Ce sont pourtant les boursiers supérieurs (médecins, théologiens) qui contrôlent le collège, par le biais des charges d’officiers (procureurs, chapelains). 4) Les membres du collège réussissent à achever leurs études dans des conditions convenables, par rapport au taux de réussite moyen des étudiants de l’Université, mais leurs carrières, sauf quelques exceptions parmi les médecins, restent, somme toute, assez modestes et se limitent à des canonicats. Enfin, Cécile Fabris insiste sur les amitiés et les liens de sociabilité, essentiels en cette fin du Moyen Âge, que la fréquentation du collège permet à ses membres d’obtenir : anciens boursiers, amis du collège, lointains princes et prélats, ont des liens plus ou moins étroits, mais constituent un solide réseau de sociabilités.

L’ouvrage s’achève par diverses annexes (pp. 311-448), qui complètent efficacement les tableaux ponctuant la lecture. Statuts, titres, comptes sont l’objet d’une édition solide et claire et sont accompagnées d’une centaine de notices prosopographiques. La bibliographie (pp. 456-476), classée de manière thématique, est elle aussi un instrument de travail efficace. Dans sa conclusion, l’auteur insiste sur le caractère « ordinaire » du collège de Laon : certes, la maison n’a pas formé de grandes figures de la vie politique ou intellectuelle de la fin du Moyen Âge, mais, par sa solidité, par sa volonté d’assurer coûte que coûte la pérennité de la fondation initiale et par sa gestion scrupuleuse, elle a offert à ses membres une structure ferme et des instruments de travail (plus difficiles à saisir, mais qui sont indéniables) permettant une vie quotidienne partagée entre l’encadrement pédagogique et la vie religieuse. Le caractère le plus marquant du collège concerne ses liens avec le diocèse de Laon, dont sont originaires, et où retournent pour faire carrière, la plupart des boursiers. Il ne faut pas être dupe de la modestie de ce collège : c’est dans ce genre d’établissement que sont formés de nombreux « intellectuels intermédiaires » qui constituent le tissu essentiel, et pourtant insaisissable, des gens de savoir à la fin du Moyen Âge.

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3 BmLe Mans 242 ; BnF lat. 6985, tous deux mentionnés par C. Fabris.

4 BnF lat. 3982, lat. 15365, lat. 15082, lat. 14725, Arsenal 407, Vat. Reg. Lat. 1225, dont seuls les deux premiers avaient été repérés par C. Fabris.