L’énigme éditoriale de L’Amour tirannique de Scudéry, ou de l’utilité de bien connaître les imprimeurs
Alain RIFFAUD
Université du Maine
L’Amour tirannique semble défier la raison ; du moins pour celui qui veut se procurer une édition de la pièce ou établir une bibliographie des œuvres de Georges de Scudéry. Bien curieusement, il semble difficile de classer les trois éditions parues en 1639 et 1640, car les dates du privilège et des achevés d’imprimer présentent de curieuses anomalies. Il existe tout d’abord une édition in-4°, datée de 1639, dont le privilège est « Donné à Paris le dixiesme jour de May l’an de grace mil six cens trente-neuf. » Le privilège, signé par Conrart, est accordé au libraire Augustin Courbé pour sept ans. L’achevé d’imprimer, logiquement postérieur, est daté du 2 juillet 1639. Une autre édition en petit format in-12, et imposée par demi-feuille, reprend les termes du privilège trouvé dans l’édition in-4°, mais signale un achevé du 15 juillet 1639. Rien de surprenant dans cette nouvelle date. En effet, depuis 1637, et la réussite de La Mariane de Tristan L’Hermite, puis celle du Cid de Corneille, les libraires, soucieux de répondre à la forte demande et de toucher le maximum de lecteurs, avaient pris l’habitude de doubler l’in-4° original au succès attesté par un petit format bon marché. Plusieurs exemples contemporains montrent que l’in-12 était imprimé dans la foulée de l’in-4°, et sortait une quinzaine de jours après. Il en va ainsi pour Le Véritable Coriolan de Chapoton (l’in-4° vit le jour le 12 juin 1638, l’in-12 le 25 juin), ou Eudoxe de Scudéry (in-4° du 2 janvier 1641, in-12 du 18 janvier), ou bien encore La Mort de Pompée de Corneille dont l’in-4° sortait des presses le 16 février 1644 alors que l’imprimeur Denis Houssaye travaillait le 25 février sur l’in-12, comme l’atteste l’enquête diligentée par le pouvoir royal en février-mars 16441.
Le brouillage n’apparaît qu’avec une seconde édition in-4°, dont la page de titre affiche la date de 1640, tandis que le privilège propose des dates déroutantes, aussi bien pour le privilège que pour l’achevé d’imprimer. On lit en effet : « Donné à Paris le vingt-troisiesme de Febvrier, l’an de grace mil six cens trente-neuf », puis « Achevé d’imprimer le 2. jour de Febvrier 1639 ». Dès lors deux anomalies se conjuguent et plongent le chercheur dans la plus grande des perplexités. Tout d’abord la date de l’achevé d’imprimer trouvée dans cette édition est antérieure à celle du privilège. Dans les faits, un livre protégé par un privilège ne pouvait être imprimé avant que l’autorisation ne fût officiellement obtenue et dûment signée. Il n’existe d’ailleurs, dans le théâtre imprimé à cette époque, aucun exemple d’anticipation de l’impression par rapport à la date du privilège2. La deuxième anomalie réside dans l’antériorité de la date de ce privilège du 23 février 1639, par rapport à celle qui était donnée par l’édition de 1639, à savoir le 10 mai 1639. Dès lors, que penser de ces écarts, comment les interpréter, et comment résoudre l’énigme ?
Deux angles d’attaque semblent se présenter. On pourrait mettre en doute la date imprimée sur l’édition de 1640, en supposant une coquille, puis avancer l’hypothèse que cette édition in-4° remonte en réalité à 1639 et propose un premier privilège obtenu par le libraire Augustin Courbé pour la tragi-comédie de Scudéry. Il paraît possible de s’appuyer sur deux données. La date de 1640 est imprimée en page de titre par juxtaposition des chiffres romains marquant les dizaines : XXXX. Il faudrait admettre que le compositeur a oublié le I devant le dernier X. Ensuite il faudrait soutenir que le premier privilège obtenu en février 1639 aurait été rendu caduc par l’adjonction au printemps 1639 du Discours de la tragédie ou remarques sur l’Amour tirannique de M. de Scudéry dédiées à l’Académie française de Jean-François Sarasin, qui signe ce texte sous le pseudonyme de Sillac d’Arbois. C’est en effet ce qui caractérise l’édition in-4° datée de mai et juillet 1639 : tous les exemplaires existant intègrent, après les deux premiers cahiers, les vingt-quatre pages du Discours, qu’on ne trouve en revanche jamais relié dans les exemplaires de l’édition datée de 1640. Ce fait laisserait à penser qu’une première édition in-4°, de février 1639, aurait été suivie d’une deuxième, augmentée du Discours protégé par un nouveau privilège signé en mai, et complétée enfin par une troisième édition de petit format sortie juste après.
Ce raisonnement demeure néanmoins peu convaincant. Tout d’abord, le problème de l’antériorité de l’achevé par rapport au privilège n’est pas résolu, sauf à reconnaître qu’une coquille affecte l’achevé d’imprimer. Mais dès lors comment faire confiance à une impression si peu sûre ? Ensuite on ne voit pas que le libraire ait eu besoin d’un nouveau privilège pour ajouter ce qui n’est somme toute qu’un texte liminaire, et pourquoi il aurait dépensé de l’argent supplémentaire à l’acquérir pour l’ensemble de la pièce puisque le premier lui accordait le droit d’édition pour sept années. D’autres pièces de théâtre ont été rééditées à l’époque avec de nouvelles préfaces ou pièces dédicatoires sans nécessiter le renouvellement du privilège. Enfin le privilège daté de mai 1639 ne mentionne nullement le Discours de Sarasin et n’attribue les droits qu’à la tragicomédie de Scudéry, ce qui entame sérieusement l’ensemble du raisonnement. Cette première hypothèse reste donc très fragile.
Il est possible d’emprunter une autre voie. Admettons cette fois que l’édition de 1640 est bien postérieure à l’originale de 1639, et que les dates du privilège comme de l’achevé trouvées sur le dernier feuillet sont toutes deux erronées. Mais ce qui intrigue alors, c’est l’inconséquence dont aurait fait preuve le compositeur, en maintenant le même mois de « Febvrier » tout en commettant des erreurs sur les quantièmes. Et de toute manière, on n’expliquerait pas pourquoi le typographe aurait choisi ces dates sans lien avec le privilège de la précédente édition, et ce qui l’aurait incité à composer le mois de « Febvrier » plutôt qu’un autre. On se perd donc en conjectures. Il ne reste plus qu’à demeurer perplexe en avouant son incapacité à élucider la question, ou bien à s’engager malgré tout sur l’une des deux pistes avancées précédemment ; mais l’honnêteté veut alors qu’on souligne la faiblesse des arguments et le peu de clarté de l’affaire.
Jusqu’ici les chercheurs ont penché pour l’une ou l’autre hypothèse sans fournir de preuves décisives. Georges Mongrédien fut un des premiers à être confronté à la difficulté quand il établit la bibliographie des œuvres de Georges et de Madeleine de Scudéry au début des années 19303. Il prit le parti de respecter la chronologie affichée sur les pages de titre, en établissant une première édition in-4° en 1639 et une seconde en 1640 ; selon lui, une coquille aurait affecté la date de l’achevé d’imprimer dans l’édition de 1640, puisqu’il précise « lire évidemment 1640 »4 au lieu de 1639. Mais il ne fournit aucune explication et se contente de noter que les dates des deux privilèges sont différentes.
À la même époque, Lancaster évoqua brièvement le problème dans une note de sa somme sur le théâtre français du XVIIe siècle5. Sans plus d’explication, il affectait le privilège du 23 février et l’achevé du 2 février à l’édition de 1639 ; de plus il ne précisait pas que ces mentions n’apparaissent que dans l’édition datée de 1640, édition qu’il évoquait en renvoyant au catalogue de Soleinne : « In Soleinne, no 1070, is listed an ed. of 1640, probably the same as that of 1639 ». Lancaster focalisait son attention sur la curieuse antériorité de l’achevé par rapport au privilège, ce qui l’amena à formuler l’hypothèse suivante :
The fact that the privilège follow the achevé may have been made possible by the special interest Richelieu took in the play.
Il parlait ensuite d’un nouveau privilège obtenu le 10 mai 1639, justifié selon lui par l’adjonction du Discours de Sarasin :
it must have been the presence of this addition to the publication that made necessary a new privilège and a new printing.
La suggestion d’une intervention de Richelieu qui expliquerait l’antériorité de l’achevé de février 1639 paraît trop rapide et certainement hasardeuse ; en effet, on imagine mal le cardinal de Richelieu presser la publication de cette pièce pour quelques semaines seulement. Si tel avait été le cas, il aurait d’abord eu les moyens d’accélérer l’obtention du privilège, tout simplement. Enfin le Cardinal pouvait difficilement interférer dans la relation commerciale instaurée par Courbé avec son imprimeur. L’obscure officine choisie par le libraire devait être inconnue du ministre de Louis XIII. Un dernier argument permet encore d’écarter cette proposition de Lancaster. Pourquoi Richelieu aurait-il hâté l’impression de cette tragi-comédie de Scudéry alors qu’il n’était pas intervenu en 1638 pour les pièces auxquelles il avait directement participé, comme La Comédie des Tuileries ou L’Aveugle de Smyrne, ou celles de Desmarets (publiées entre 1636 et 1641), instrument direct de sa politique culturelle ? Aucune de ces œuvres ne présente un achevé antérieur au privilège accordé par l’administration royale.
Lancaster fut aussi le premier à suggérer que l’addition du Discours motivait l’obtention d’un nouveau privilège. En vérité l’invention de cette solution ne sert qu’à trouver une réponse au problème posé par les incohérences découvertes, mais ne peut convaincre dans la mesure où Lancaster ne renvoie ni à d’autres cas similaires ni à une étude qui soutiendrait son propos.
Peu de temps après, dans une thèse de l’université de Chicago6, Virginia Christian Farinholt inversait également la chronologie des éditions in-4° de L’Amour tirannique : selon le chercheur, une coquille aurait fait dater de 1640 une édition qui en réalité était de 1639. Le compositeur aurait oublié de placer le I, en avant dernière place, dans la série des dizaines qui marque la date de 1640 en page de titre. Farinholt reprenait donc une des suggestions de Lancaster et attirait à nouveau l’attention sur la présence du Discours de Sarasin qui aurait rendu nécessaire l’obtention d’un second privilège : « a new one was absolutly necessary for the copy with a long preface ». Farinholt fut le premier à regarder d’un peu plus près le texte des deux éditions in-4°. Il remarqua fort justement que l’édition datée de 1640 contenait une trentaine de coquilles qu’on ne relève pas dans celle de 1639. Cette observation l’amena à conclure que l’édition de 1640 remontait bien à février 1639 et que l’édition de mai-juillet 1639 correspondait à un second tirage corrigeant et améliorant le texte.
La conjecture semble marquée au coin du bon sens. Mais elle suppose une histoire du livre et des techniques de l’impression ordonnée par une logique fonctionnant toujours dans le sens du progrès. Or, ce n’est pas le cas. L’état défectueux de l’édition de 1640 induit non pas une mais deux possibilités, qu’il est nécessaire de prendre en considération : le processus correspond ou bien à une amélioration, ou bien à une détérioration. Rien ne permet, a priori, d’évacuer le second diagnostique. Peut-être le cas serait-il plus flagrant s’il s’agissait de la relation entre une édition autorisée et une édition contrefaite : la fraude peut se conjuguer avec l’intervention d’un imprimeur-libraire peu scrupuleux et peu soigneux qui introduirait des coquilles dans le texte. Cependant, même dans ce cas, l’évidence ne s’impose pas, car un contrefacteur peut très bien améliorer l’édition originale si le degré de compétence de son atelier est supérieur à celui qui a passé sous sa presse l’édition originale. Pour mener l’enquête, il est donc impératif de laisser ouvertes les deux voies, celle du perfectionnement et celle de la dégradation. Il l’est tout autant d’examiner la qualité des officines qui interviennent. C’est à cette aune seulement qu’il est possible de déterminer si ce qui survient relève du bénéfice ou de la perte, et de procéder au classement chronologique des éditions.
Quand Jacques Truchet procura l’édition de la tragi-comédie de Scudéry7, il pensa que Farinholt avait raison. Il retint même les deux éditions parues en juillet 1639 comme bases pour établir le texte, prétextant que ces éditions (in-4° et in-12)
offrent un texte beaucoup plus correct que la précédente [i. e. celle datée par erreur de 1640 selon lui], et elles ajoutent le Discours8.
Les différents éditeurs et chercheurs9 ne parviennent donc pas à nous persuader de la justesse de leurs analyses. Ils se contentent de distribuer les coquilles affectant les dates, sans apporter de preuves tangibles, sans élucider le problème posé. Enfin, toutes les hypothèses fournies pour L’Amour tirannique de Scudéry partagent le même défaut : elles jouent un peu le rôle de cachemisère et tiennent lieu de théories échafaudées pour l’occasion. L’éventuelle intervention de Richelieu ne tient pas, l’acquisition d’un nouveau privilège par Courbé est peu probable, la trace laissée par les coquilles ouvre la voie à deux interprétations et non pas à une seule.
Pour établir la chronologie éditoriale de cette pièce, dans le cadre du Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 166010 auquel je travaille, j’ai été amené à ouvrir à nouveau le dossier. L’incohérence des dates est troublante, et empêche tout classement sûr. Jouer aux dés ou opter pour une coquille ou pour une autre n’est nullement satisfaisant. Il est donc nécessaire de conduire une étude archéologique et de recourir aux outils de la bibliographie matérielle. La comparaison entre les deux éditions in-4° apporte déjà quelques indices intéressants. On constate en effet que les deux compositions typographiques sont similaires, ce qui suppose qu’un des ateliers d’imprimerie s’est appuyé sur le modèle que lui offrait l’édition précédente. Nous sommes en présence d’un cas typique. Le second compositeur trouve un calibrage déjà établi et peut se contenter de le reprendre : il gagne du temps en évitant l’opération qui consiste à transcrire la copie. L’attention portée aux ouvriers du livre et à leurs habitudes de travail est un critère déterminant, susceptible de favoriser l’enquête. La méconnaissance de ce facteur a contraint les chercheurs à se fier à leurs intuitions ou à avancer des explications peu crédibles. Il faut bien réintroduire dans l’enquête les mains qui sont responsables de l’état de fait.
Si l’on parvient à déterminer quel est le compositeur qui a suivi son collègue, on pourra classer les deux éditions in-4° dans le bon ordre. Le premier détail auquel il est possible de s’attacher, c’est la composition des vers sur une ou deux lignes. Généralement, dans le cas d’une nouvelle composition, à partir de la même imposition, on peut s’attendre à ce que les vers composés sur deux lignes soient le plus souvent recomposés sur une seule ligne, surtout dans le cas où un seul mot, voire la partie d’un mot, a été rejeté à la ligne suivante. Pour gagner en élégance ou en place, le typographe compositeur averti trouvait un moyen de serrer davantage sa ligne de matière. L’examen des deux in-4° de L’Amour tirannique s’avère toutefois décevant. Dans l’édition datée de 1640, on repère certes des vers qui sont recomposés sur une seule ligne, mais on en découvre aussi d’autres qui se retrouvent sur deux lignes alors qu’ils n’en formaient qu’une dans l’édition datée de 1639. L’observation ne serait pas pertinente dans ce cas. Il est vrai que les deux éditions comportent exactement le même nombre de cahiers et de pages pour le corps du texte de la tragi-comédie. Le second compositeur n’avait donc pas comme souci prioritaire de gagner de la place. Quant à l’élégance, elle fait défaut dans l’une et l’autre des éditions. Le travail ne provient pas de mains expertes et habiles, mais plutôt de celles qui exercent dans de petits ateliers où l’on ne soigne guère ce que l’on compose et que l’on passe sous la presse.
Cependant une comparaison attentive permet au moins de déceler un vestige éclairant. L’édition datée de 1640 présente des vers composés deux fois de suite, sur la dernière ligne d’une page et à la première ligne de la page suivante (pages 25/26 et 49/50). Le deuxième doublon, au feuillet H1, retient particulièrement l’attention. La découverte est précieuse car les deux vers ne présentent pas la même ponctuation. Comme cette donnée relève plutôt des habitudes des ateliers11, on se demande bien pourquoi le même vers offre ainsi deux versions différentes ; distinction d’ailleurs renforcée par le bourdon commis à l’auxiliaire avoir au début du vers en H1r°. On pourrait soutenir que les deux feuillets appartiennent à deux formes différentes (intérieure et extérieure) et que deux compagnons typographes travaillaient sur l’ouvrage. Mais il ne faut pas oublier de comparer les deux éditions in-4°. On s’aperçoit que le vers doublé en haut de H1v° en 1640 est parfaitement semblable, dans sa forme, à celui composé dans l’édition de 1639. C’est donc plus certainement la recopie systématique qui fournirait une explication satisfaisante. Le témoin que constitue ce doublon conduit l’archéologue à considérer que l’atelier qui travaille à l’édition de 1640 suit le modèle de l’édition de 1639. Mais cette unique preuve ne saurait suffire. Il faut pouvoir conclure de manière certaine.
Le deuxième indice est fourni par la pagination. Les deux éditions contiennent la même bévue : le cahier H est en effet mal numéroté puisqu’il reprend intégralement la pagination du cahier G qui précède, soit de 49 à 56. Cela suppose donc une fidélité aveugle de l’édition recomposée envers l’édition servant de modèle. La cécité renseigne sur les conditions de travail : il faut admettre que le second compositeur effectue son travail machinalement et de manière insouciante. Si tel est le cas, le terrain devient favorable au laisser-aller et à l’insertion de coquilles malheureuses. Ces erreurs seraient susceptibles d’affecter aussi bien la composition du texte que celle des deux pages du privilège, dans le dernier cahier.
Le deuxième indice vient conforter le troisième : le nombre des coquilles est bien plus élevé dans l’édition datée de 1640. L’examen de ces erreurs avait conduit Farinholt à penser que l’édition de mai-juillet 1639 suivait une première édition parue en février 1639 et la corrigeait. Conclusion trop hâtive, comme nous l’avons dit, d’autant qu’un certain nombre d’erreurs laissent à penser que le compositeur de 1640, parce qu’il recopiait systématiquement l’original de 1639, se serait révélé moins attentif au détail et aurait suivi beaucoup moins le sens du texte. La distraction pourrait expliquer les erreurs récurrentes : l’oubli d’une lettre, « trancer » au lieu de « trancher » (p. 64), ou bien l’ajout d’un caractère, « armes » au lieu de « ames » (p. 88), « comparaisons » à la place de « comparaison» (p. 62); ou encore nombre de coquilles, «ouvrage» pour «outrage» (p. 4), « peut » plutôt que « pour » (p. 11), « trouray-je » pour « trouvay-je » (p. 19), « Seroit » au lieu de « Seront » (p. 30), « de » quand il faudrait « dans » (p. 75). La négligence serait alors favorisée par la recopie mécanique d’un texte déjà calibré, et l’inadvertance serait secondée par un travail de composition relâché, effectué par des mains habituellement peu soigneuses ou peu expertes. La suggestion de Farinholt se trouverait annulée et inversée : ce serait précisément la situation de recomposition qui pourrait expliquer le mauvais état de la nouvelle édition de 1640. L’édition de 1639 serait bien l’originale. Mais, dira-t-on, la question des dates du privilège et de l’achevé ne s’en trouve pas pour autant éclaircie. Sauf que le climat de dissipation qui aurait régné dans l’atelier recomposant la tragi-comédie de Scudéry aurait pu concerner également la composition des deux pages du privilège : nous parvenons donc à la conclusion déjà formulée plus haut.
Un faisceau d’indices peut ainsi réorienter la recherche en accordant du crédit aux dates imprimées sur les pages de titre. Une première édition in-4° en 1639 aurait été immédiatement suivie d’une deuxième en petit format – comme il était courant pour une pièce rencontrant le succès –, puis par une troisième édition in-4°, en 1640, qui recopierait de manière trop confiante le modèle du premier in-4° – la facilité de la tâche encourageant la négligence. Toutefois il est impératif de passer des hypothèses et des signes convergents aux preuves indubitables.
Pour progresser, il est maintenant indispensable de nommer les ateliers d’imprimerie. Jusqu’ici les conditions matérielles n’ont pas été évoquées par les différents chercheurs. Il est vrai que l’anonymat des officines parisiennes qui passent sous leurs presses le théâtre de cette époque, et l’absence de travaux sur le sujet, amènent à faire couramment l’impasse sur les conditions de l’impression. Les imprimeurs demeurent les grands absents de l’histoire littéraire et les libraires, dont les noms s’affichent toujours sur les pages de titre, sont les seuls acteurs auxquels on se réfère parfois, en leur prêtant plus qu’ils n’entreprenaient. L’imprimeur est le chaînon oublié du processus de fabrication. Bien plus, cette méconnaissance conduit à oblitérer le circuit de production lui-même. On commente comme s’il n’existait qu’un auteur (parfois accompagné d’un éditeur) qui demeurerait central dans la mise au jour de son œuvre. En réalité les intervenants sont multiples, conservent une certaine autonomie et peuvent gripper le bon déroulement du circuit éditorial, rendant parfois difficile l’établissement de la chronologie et des responsabilités. Le lecteur actuel peut ainsi demeurer perplexe devant certains vestiges typographiques.
Les ornements trouvés dans les éditions de L’Amour tirannique permettent aisément d’identifier les imprimeurs qui ont travaillé à la pièce de Scudéry. L’édition in-4° de 1639 est sortie des presses de Michel Brunet, dont l’atelier se situait près de Saint-Séverin12 ; à l’exception toutefois des vingt-quatre pages du Discours de la tragédie qui portent le sceau de l’imprimerie des frères Jean et Nicolas de La Coste, rue Saint-Hilaire (l’actuelle rue Lanneau)13. L’édition in-12 de 1639, comme l’édition in-4° de 1640, proviennent de l’officine d’Arnould Cottinet, rue des Carmes14. Ces typographes interviennent fréquemment pour Augustin Courbé, Toussaint Quinet ou Antoine de Sommaville, les trois libraires du Palais qui détiennent la quasi exclusivité sur le marché des nouveautés théâtrales à Paris depuis le milieu des années 1630.
Mais en quoi l’identification de ces imprimeurs peut-elle nous aider ? L’examen de la production issue de ces ateliers, comme l’attention portée à leur planning de travail serviront à vérifier l’hypothèse avancée. Si l’in-4° de 1640 suivit celui de 1639, l’atelier d’Arnould Cottinet travaillait donc à la réimpression de L’Amour tirannique en 1640. La mention du mois de février trouvée sur le feuillet P4v°, curieuse et déroutante, ne serait plus anodine ; elle pourrait témoigner du mois où le travail s’effectuait. Prêtons foi à cette trace archéologique signalant le moment de la production. Cela donne tout simplement l’idée d’enquêter sur les autres travaux que pouvait mener à bien Arnould Cottinet en février 1640. Le défi paraît-il trop grand ? Comment recomposer le planning de ce petit imprimeur parisien ? Dans un premier temps, il suffit de se demander si le typographe ne passait pas sous sa presse d’autres pièces de théâtre. Mais quel serait le rapport entre la tragi-comédie de Scudéry et les autres compositions dramatiques ?
Il serait opportun par exemple de vérifier si l’imprimeur jouait avec les squelettes. Non pas qu’il faille obligatoirement un mort dans le placard pour toute bonne enquête policière ; il s’agit plus simplement d’évoquer, avec le squelette des formes, une technique qui aidait le compositeur à gagner du temps. Lorsqu’un élément de la composition pouvait être réutilisé tel quel dans la suite du travail typographique, l’ouvrier avait intérêt à le conserver. Une forme comprenait d’une part les pages15 et d’autre part le squelette, c’est-à-dire le cadre fixe avec le titre courant, la pagination, les signatures, les réclames. Quand le compositeur s’attelait à la composition d’une pièce de théâtre, il pouvait préserver tout ou partie du squelette et réintégrer dans le cadre de la forme les pages d’un autre cahier. Cette manière de procéder est souvent attestée par les coquilles défigurant tel titre courant, et qui se retrouvent de façon récurrente d’un cahier à l’autre, parce que le compositeur a voulu gagner du temps en reprenant sa ligne préfabriquée dans chaque forme utilisée.
Un autre cas se présentait qui nous intéresse tout particulièrement. Il arrivait fréquemment qu’un atelier conduise de front plusieurs travaux typographiques ou que des travaux programmés sur le planning s’enchaînent, surtout pour l’impression des ouvrages comprenant un petit nombre de feuilles, comme les pièces de théâtre. Il n’est pas rare de rencontrer le cas d’une sortie conjointe pour des pièces d’un même auteur16, ou d’une publication simultanée pour deux pièces écrites par deux dramaturges différents17. Le libraire confiait alors les deux livres au même atelier. Plusieurs lieux typographiques communs aux ouvrages étaient susceptibles de n’occasionner que de légères variations, ce qui économisait une recomposition totale : la page de titre dont on pouvait conserver l’adresse du libraire, la première page du texte avec le bandeau et la mention du premier acte et de la première scène, et surtout le privilège. En effet, il était très avantageux de conserver la page composée avec l’extrait de l’autorisation royale, et bien davantage les deux pages souvent nécessaires pour reprendre la totalité du privilège ; les modifications d’une pièce à l’autre restaient mineures, et ne nécessitaient le plus souvent qu’un simple voyage à Saint-Jacques18, comme l’on disait en argot : l’intervention de l’ouvrier se limitait au remaniement de quelques mots sur une seule ligne, avec la reprise du titre de la pièce quand l’auteur était identique. Pour deux pièces d’auteurs différents, le voyage pouvait s’avérer un peu plus long, et il fallait parfois pousser jusqu’en Germanie19. Les changements concernaient par exemple le nom de la pièce, le nom de l’auteur, le nom du secrétaire du roi, la date du privilège, celle de l’achevé… Mais au total il n’y avait guère que quelques lignes à reprendre. Il était donc astucieux de sauvegarder la composition des pages du privilège pour qu’elle soit réutilisée à plusieurs reprises pour des impressions différentes. Il suffisait de la remiser dans un coin de l’atelier, en attendant de s’en servir à nouveau.
Comme l’affaire de L’Amour tirannique naît de confusions concernant les dates du privilège, il y a tout lieu de penser qu’une erreur de manipulation a pu être commise lors de la reprise de pages déjà composées et stockées dans l’atelier. Le travail de recension que nous avons mené sur l’impression du théâtre nous permet de savoir si Arnould Cottinet imprimait d’autres pièces de théâtre en février 1640. C’était effectivement le cas. L’atelier de la rue des Carmes assurait à cette date la composition et l’impression de deux tragi-comédies de Jean Mairet, Le Roland furieux et L’Illustre Corsaire. Tout archéologue un peu curieux se précipiterait immédiatement pour découvrir la composition des pages du privilège dans ces deux éditions originales de Mairet, et manifesterait immédiatement un étonnement mêlé de satisfaction en constatant que la date du privilège obtenu par Augustin Courbé pour ces deux tragi-comédies est précisément celle du 23 février 1639 ! Et que les deux pièces de Mairet ont été achevées d’imprimer en même temps par Arnould Cottinet le 20 février 1640 ! Les dates trouvées dans la pièce de Scudéry sont donc, à quelques menus détails près, celles des pièces de Jean Mairet. L’explication tombe sous le sens : l’atelier de la rue des Carmes a réemployé la même composition pour les deux pages du privilège des trois pièces qu’il était chargé de mettre en lumière. Il suffit pour s’en convaincre de comparer le privilège imprimé dans Le Roland furieux ou L’Illustre Corsaire, et celui imprimé dans L’Amour tirannique en 1640.
L’énigme est enfin résolue : l’on constate que les compositions sont rigoureusement identiques. Le typographe a simplement opéré les modifications qui s’imposaient. Pour les deux pièces de Mairet, il lui suffisait d’intervenir sur les quelques mots du titre de la tragi-comédie, et de laisser intact l’ensemble de la composition. En revanche, pour L’Amour tirannique, l’ouvrier devait introduire des amendements supplémentaires20. Et c’est à ce stade du travail que des incidents se sont produits. Le compositeur n’a effectué qu’en partie les substitutions nécessaires. Il est bien intervenu sur la ligne où sont mentionnés le titre de la tragi-comédie et le nom de l’auteur. Puis il s’est porté sur la composition de la seconde page, pour réaménager les dates. Mais pour cette manœuvre, il a fait preuve de négligence et de précipitation certainement, car l’opération s’est soldée par un véritable pataquès. Cependant il est tout à fait possible de restituer le mouvement de son intention et le processus de son erreur. Le typographe s’est embrouillé dans les dates et n’a pas parfaitement distingué ce qu’il devait respecter et ce qu’il devait changer. La date de « mil six cens trente-neuf » relative à l’obtention du privilège devait être conservée ; ce qu’il fit effectivement. Mais l’obligation de ne pas intervenir sur ce segment a sans doute favorisé l’étourderie qui l’a conduit à oublier de convertir, juste avant, le jour et le mois. C’est ainsi que la date du « vingt-troisiesme de Febvrier » est restée inscrite, alors qu’elle aurait dû être remplacée par celle du 10 mai.
Ensuite, le compositeur devait corriger, sur la dernière ligne de la deuxième page, la date de l’achevé d’imprimer, en passant du 20 février 1640 au 2 juillet 1639. Notre typographe devait être distrait, soit par une autre tâche, soit par un bavardage intempestif avec les autres compagnons de l’atelier21, ou bien être contraint par l’urgence, ou encore se distinguer par une certaine maladresse professionnelle. C’est ainsi qu’il intervint sur la ligne de l’achevé de façon désordonnée quoique partiellement logique. Il convertit bien 1640 en 1639. Puis il s’employa à rectifier le 20. en 2. : il n’avait pour cela qu’à retirer le chiffre zéro. Cependant il ne poursuivit pas jusqu’au bout sa démarche correctrice et omit de remanier le mois. Le parcours de l’erreur est ainsi restitué avec vraisemblance dans sa totalité, et il est assez passionnant de se retrouver en février 1640, dans l’atelier d’Arnould Cottinet, juste à côté de ce compositeur distrait, gauche ou expéditif, en approchant de très près sa façon de travailler.
Néanmoins, cette proposition soulève immédiatement une objection : le compositeur aurait dû indiquer, pour l’achevé, un jour de février 1640 et non celui du 2 juillet 1639 ! La réponse est simple : il se trouve que régulièrement, dans un cas similaire de réimpression, les typographes reprennent, sans plus se fatiguer, la date déjà inscrite sur l’édition précédente. A nouveau, c’est une logique mécaniste qui prime. L’ouvrier est guidé par le calibrage et la composition à laquelle il se réfère. Il est donc normal qu’il ne se préoccupe pas toujours de réviser la date de l’achevé. Ceci étant, la remarque fournit un complément d’information. L’ouvrier recomposait bien L’Amour tirannique en février 1640, en même temps que son atelier s’occupait des deux pièces de Mairet. Le mois de février, durant lequel il travaillait, s’imposait sans nul doute à cet esprit peu attentif qui s’égara au cours de son voyage en Germanie.
La défaillance professionnelle de l’ouvrier est confirmée par la mauvaise tenue typographique de la seconde édition in-4° de la tragi-comédie de Scudéry. L’impression de l’édition originale en 1639 était déjà assez médiocre. Mais le compositeur de 1640 accumule les bévues, coquilles, bourdons, doublons, sans compter les lignes de matière qui dansent un peu trop. L’imperfection du travail de 1639 ne surprend pas, car l’atelier de Michel Brunet, un des sous-traitants à la solde des libraires du Palais, ne brille jamais par son excellence. En revanche l’officine d’Arnould Cottinet fournit généralement des ouvrages un peu plus soignés que ceux de son confrère. On pourrait alors supposer que les conditions particulières liées au planning de l’imprimeur et à la répartition des tâches dans l’atelier ont joué un rôle. Trois pièces étaient programmées en février 1640. L’atelier, dont l’enquête de 1644, déjà mentionnée, nous signale qu’il possédait quatre presses, pouvait mener plusieurs labeurs de front. Le travail typographique a peut-être été réparti en fonction de la qualification des ouvriers. La composition des deux tragi-comédies de Jean Mairet exigeait la lecture d’un manuscrit, tandis que celle de L’Amour tirannique s’appuyait sur un modèle déjà composé. La première opération, plus délicate, pouvait être confiée à des compagnons aguerris, tandis qu’un ouvrier moins expérimenté, voire un apprenti, aurait été chargé de la tâche plus facile que représentait la recomposition de L’Amour tirannique22. Quoi qu’il en soit, une main gauche exposa L’Amour tirannique à porter à jamais les stigmates de la maladresse, et mit dans l’embarras certains chercheurs quelques siècles plus tard.
Qui aurait-pu penser, au départ, que la solution du problème posé par la publication d’une tragi-comédie de Georges de Scudéry se logeait sur les feuillets de deux pièces de Jean Mairet ? Et qu’elle tenait à l’étourderie d’un compositeur de la rue des Carmes à Paris autant qu’à des conditions de fabrication pourtant coutumières à l’époque ? Seule la bonne connaissance des imprimeurs parisiens du XVIIe siècle et des méthodes de travail facilitait la comparaison entre des publications qui, a priori, ne possédaient rien en commun. L’inventaire des ornements utilisés dans les ateliers, leur attribution précise à des officines bien identifiées, de même que le repérage des habitudes typographiques des uns et des autres, favorisent la recherche sur le livre ancien, et constituent les moyens privilégiés pour des enquêtes archéologiques de détail comme pour des investigations plus larges. Ainsi, mieux armés, le bibliographe, le spécialiste du livre ancien ou l’historien de la littérature peuvent résoudre plus aisément certaines énigmes, et se soustraire aux conjectures hasardeuses. Ils se rappro-
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1 Georges Lepreux, « Une enquête sur l’imprimerie de Paris en 1644 », dans Le Bibliographe moderne, 1910, pp. 5-36.
2 Entre 1630 et 1660, nous avons répertorié toutes les éditions théâtrales, soit plus d’un millier. La date du privilège précède systématiquement celle de l’achevé, ce qui est logique, puisque qu’au moment de terminer le travail d’impression, on connaît la date à laquelle le privilège a été obtenu. L’écart va de quelques jours à quelques semaines, voire plusieurs mois, et même parfois une année. Nous n’avons relevé qu’une seule anomalie, dans la pastorale attribuée à Pierre Du Ryer, Amarillis, publiée en 1650 : l’achevé est du 22 septembre alors que le privilège est du 26 septembre ; il y a obligatoirement une erreur, car on ne pouvait pas assurer que le privilège serait obtenu le 26 alors que l’impression était achevée le 22. Il est possible que les deux dates aient été inversées, à moins qu’une coquille n’affecte l’un des deux quantièmes. Jamais on ne trouve un achevé à la même date qu’un privilège. Le cas limite est représenté par trois pièces dont le privilège remonte à la veille de l’achevé d’imprimer : Scarron, Le Gardien de soy-mesme, 1655 (P : 13.VII.55 ; A : 14.VII.55) ; Gilbert, Les Amours de Diane et d’Endymion, 1657 (P : 28.V.57 ; A: 29.V.57) ; Abbé d’Aubignac, La Pucelle d’Orléans, 1642 (P : 10.III.42 ; A : 11.III.42) ; mais pour cette dernière pièce, on sait que le libraire François Targa avait pris l’initiative d’une édition subreptice, et qu’il trouva finalement un compromis avec l’auteur qui avait protesté ; la pièce parut avec un privilège obtenu au dernier moment.
3 Georges Mongrédien, « Bibliographie des œuvres de Georges et Madeleine de Scudéry », dans RHLF, avr.-juin 1933, pp. 224-236 ; juill.-sept. 1933, pp. 412-425 ; 1935, pp. 538-565.
4 Ibid., p. 232.
5 Henry Carrington Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1932. Reprint : New York, Gordian Press, 1966, Part II, vol. 1, p. 229, note n° 10.
6 Virginia Christian Farinholt, A critical Edition of Georges de Scudéry’s « L’Amour tirannique », thèse du Départment of Romane Langages and Literature, 1936, Illinois, University of Chicago, 1938, pp. 47-54 [BnF : 8° Yf 2707].
7 Georges de Scudéry, L’Amour tirannique, éd. Jacques Truchet, dans Théâtre du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1986, vol. 2 (« La Pléiade »).
8 Ibid., p. 1407.
9 Evelyne Dutertre, dans son ouvrage sur Georges de Scudéry, Scudéry dramaturge (Genève, Droz, 1988), n’aborde pas cette question bibliographique ; toutefois, dans son tableau chronologique des pièces (p. 88), elle donne l’édition in-4° datée de 1639 comme l’originale, et reprend le privilège et l’achevé qu’on y trouve.
10 À paraître chez Droz.
11 Voir notre Ponctuation du théâtre imprimé au XVIIe siècle, Genève, Droz, 2007.
12 Il exerça à cette adresse de 1635 à 1649.
13 L’imprimerie de ces frères d’origine portugaise fonctionna de 1628 à 1666.
14 Arnould (II) Cottinet exerça de 1637 à 1662.
15 Pour imprimer une feuille d’un in-4°, il fallait imposer deux formes de quatre pages chacune.
16 Par exemple, pour les deux pièces de Jean Mairet sorties en même temps de l’atelier de Denis Houssaye, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, le 22 mai 1635, La Sophonisbe et La Virginie, on remarque que la page composée pour l’extrait du privilège a servi à deux reprises ; seule la ligne indiquant le titre a été retouchée.
17 Citons Le Couronnement de Darie de Boisrobert et L’Esprit follet de d’Ouville, mises au jour le 31 janvier 1642 par les presses du Bureau d’adresses, rue de la Calandre ; les deux pièces présentent une même composition sur les deux pages de leur privilège respectif (ā3v°-ā4r°).
18 L’expression s’appuie sur un jeu de mot et une évocation du pèlerinage bien connu. Le changement n’affectait qu’un mot défiguré par une coquille (Saint-Jacques) ou un bourdon (bâton) qui étaient les symboles des pèlerins se rendant à Saint-Jacques de Compostelle.
19 C’est-à-dire remanier légèrement le texte. Autre jeu de mot fondé sur la contraction de « allez je r’manie ».
20 Même si la quasi totalité de la composition pouvait être réutilisée telle quelle, puisque de nombreux éléments étaient communs aux trois pièces : même genre dramatique, même libraire, même durée pour le privilège, même secrétaire du roi signataire et même année pour l’obtention du privilège.
21 Martin-Dominique Fertel, dans son traité, met en garde les compositeurs contre les mauvaises habitudes : « on doit être bien attentif à tout ce qu’on fait, car si on est distrait, en chantant, en discourant ou autrement, je défie le plus habile ouvrier de faire une composition correcte » (La Science pratique de l’imprimerie, Saint-Omer, Martin-Dominique Fertel, 1723, p. 44).
22 À l’exception peut-être de la page de titre, qui se tient bien et qui ne suit d’ailleurs pas la mise en page de l’édition réalisée par Michel Brunet en 1639. Cette page de titre conserve la couleur typographique de l’atelier de Cottinet. On reconnaît sa touche particulière: le titre de la pièce et le nom de l’auteur sont assez resserrés, de façon à ne pas trop déborder par rapport au bois gravé, et de manière à ménager plus de blanc. Il suffit de comparer avec la page de titre imprimée par Brunet en 1639, qui présente des caractères plus grands. Enfin, on remarque que Cottinet préfère le raffinement d’une ligne en italique pour noter le nom de l’auteur, précaution absente chez Brunet. Il est vraisemblable que cette page de titre n’a pas été composée par notre compagnon maladroit. La bonne tenue de cette page de titre réfute d’ailleurs l’argument qui consistait à supposer une erreur dans la composition de l’année de l’édition : on notera à ce propos que la date de M. DC. XXXX. est bien centrée et que le filet au-dessus dépasse de manière égale à droite et à gauche.
23 Je remercie vivement les conservateurs des trois bibliothèques qui ont accepté gracieusement la reproduction des clichés pris sur les exemplaires de leurs fonds.