Book Title

Maria Gioia Tavoni, Percorsi minimi. Biblioteche pubbliche e private in età moderna

Bologna, Pàtron, 2006, 260 p. (« Collana di archivistica, bibliografia e biblioteconomia », 8)

Françoise WAQUET

Paris

Tullio De Mauro faisait entrer dans le diagnostic assez sombre qu’il portait en 2004 sur la culture des Italiens l’état de la lecture publique dans ce pays. Au passage, il dénonçait la situation des bibliothèques universitaires, donnant l’exemple de Rome où, « dans un milieu pourtant privilégié, avec de grandes bibliothèques de conservation, si l’on veut accéder rapidement à un livre, le seul moyen est de l’avoir à la maison »17. De ce contraste entre de très riches bibliothèques de conservation (pour la plupart, des bibliothèques historiques) et une politique de lecture publique (au sens large) qui est loin d’être satisfaisante, le livre de Maria Gioia Tavoni donne la clef. Il rassemble quatorze articles qui, publiés entre 1987 et 2006, fournissent, sur des modes divers, un panorama du monde des bibliothèques italiennes. L’auteur sait de quoi elle parle, et doublement : avant d’enseigner l’histoire du livre à l’université de Pise, puis à celle de Bologne, elle a dirigé la Bibliothèque municipale de Faenza. Ces articles peuvent se grouper en deux catégories : les uns relèvent de l’histoire particulière d’une bibliothèque ou d’un fonds de bibliothèque ; les autres donnent à voir l’histoire générale des bibliothèques italiennes, surtout dans sa dimension institutionnelle.

De la première catégorie relèvent les articles consacrés à des bibliothèques locales : la Bibliothèque publique de San Miniato, la Bibliothèque de SS. Salvatore à Bologne, la Bibliothèque « Niccolò V » du séminaire épiscopal de Sarzana, la Bibliothèque « L. A. Muratori » de Comacchio, la Bibliothèque civique de La Spezia. Maria Gioia Tavoni reconstruit l’histoire de ces institutions, une histoire qui offre souvent des traits communs : l’initiative privée d’une personne ou d’une société, la part des dons, legs et saisies (à commencer par les fonds des couvents supprimés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle) dans la stratification des collections, les tiraillements entre des exigences multiples, et donc une vie faite de hauts et de bas. Ces articles offrent aussi un enseignement de méthode : alors que l’on ne dispose pas toujours de catalogues ni d’inventaires, la reconstitution des fonds historiques passe par ces autres sources que sont les marques de provenance et la correspondance des bibliothécaires – deux sources ici astucieusement utilisées.

Un second groupe d’articles est consacré aux bibliothèques de la péninsule en général ou d’une région particulière. Il montre la richesse de nombre d’entre elles, héritières de grandes collections princières, religieuses ou privées. Il retrace les errements, depuis l’Unité italienne, pour mettre en place une politique de lecture : des projets aussi grandioses que peu suivis d’effets, des tiraillements entre institutions, l’incidence des événements politiques, sans compter les problèmes consécutifs aux destructions de la Seconde Guerre mondiale. Il met en contraste ces phénomènes avec le nombre et la taille de bibliothèques privées, dans un pays où la bibliothèque publique moderne peina à s’imposer. Il rappelle aussi l’importance d’initiatives locales ou régionales qui, si elles sont à saluer, soulignent les lacunes de l’État central et laissent voir des tendances centrifuges. D’où le retard de l’Italie en matière de lecture publique, et ce ne fut pas faute d’argent. Tout cela justifierait pleinement le pessimisme de Tullio De Mauro. On le tempérera à la lecture des deux articles portant sur les bibliothèques d’Émilie-Romagne, et sur les bibliothèques universitaires à Bologne (plus de cent) : ils montrent non seulement la richesse de ces institutions, mais encore l’aggiornamento qu’elles ont opéré pour le plus grand profit des lecteurs.

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17 La Cultura degli Italiani, a cura di Francesco Erbani, Bari, Laterza, 2004, pp. 26-34 (cit. : p. 32).