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Jacques Le Rider, Malwida von Meysenbug (1816-1903). Une Européenne du XIXe siècle

Paris, Bartillat, 2005, 606 p., ill. ISBN 2-84100-362-0

Frédéric BARBIER

Nouans-les-Fnes

Malwida von Meysenbug est une figure omniprésente de l’histoire des intellectuels européens du XIXe siècle, figure que l’on connaissait sans la connaître, mais à laquelle Jacques Le Rider, spécialiste de Wagner et de Nietzsche, vient de consacrer l’étude de fond qui faisait jusqu’à présent défaut. La présentation est classique et très claire, puisqu’il s’agit d’une biographie suivant l’ordre chronologique, mais l’éventail des questions successivement abordées illustre la richesse d’une vie qui fait connaître à Malwida tout ce qui compte dans l’Europe intellectuelle de son temps, des frères Grimm au groupe réuni autour des Monod ou encore à Nietzsche.

Nous sommes à l’origine dans un milieu de huguenots, les Rivalier (puis Rivalier von Meysenbug), installés à Kassel, où le père est fonctionnaire du prince. La Révolution de 1830 détruit le petit monde confortable dans lequel Malwida avait passé son enfance. À Detmold à compter de 1832, elle découvre, par le biais du fils du pasteur Althaus, les idées politiques des libéraux démocrates. La mort de son père, en 1847, et la situation financière très difficile dans laquelle elle se trouve alors, la poussent à rompre définitivement avec sa famille. Nous la retrouvons à Francfort en 1848, où elle assiste aux séances du Parlement et se lie à un certain nombre de figures de la démocratie ou du socialisme, tout en orientant de plus en plus sa réflexion vers les problèmes de l’éducation, et notamment de l’éducation des jeunes filles. Son choix sera dès lors de ne pas se consacrer à une « idée abstraite », mais bien à un « idéal » concret et qui mette en action ses principes.

Successivement à Hambourg (1850-1852), puis à Londres (1852-1859), la jeune femme, désormais pratiquement coupée de sa famille, travaille dans différentes institutions d’éducation ou comme précepteur privé, et s’attache de plus en plus à la cause de l’éducation et à celle du féminisme. Elle devient une familière des exilés politiques réfugiés dans la capitale anglaise, et notamment de Mazinni et d’Alexandre Herzen. Elle est un temps chargée de l’éducation des enfants de ce dernier, tout en s’orientant de plus en plus vers l’écriture et la presse engagée. A Londres, Malwida a vu brièvement Richard Wagner en 1855, mais elle va le retrouver plus longuement à Paris à partir de 1859, alors qu’elle accompagne Julia Salis Schwabe et Richard Cobden. Elle profite de son séjour pour rencontrer tout ce que Paris compte d’intellectuels et d’artistes, de Mignet, Victor Cousin, ou encore Ernest Renan à Jules Michelet, sans oublier Émile Ollivier, Rémusat, Jules Simon et Odilon Barrot – et Richard Wagner, avec lequel s’ouvre une longue amitié.

Brouillée avec la famille Herzen, Malwida se tourne de plus en plus vers l’écriture, entreprenant la rédaction des Mémoires d’une idéaliste, dont le premier volume ne sortira pourtant à Genève, dans l’imprimerie russe d’Alexandre Herzen, qu’en 1869. Suivent des années d’errance à travers l’Europe, entre la Suisse, la France et l’Allemagne, mais où l’Italie s’impose de plus en plus comme le lieu de séjour privilégié, d’abord à Florence, puis à Rome. Jacques Le Rider consacre très judicieusement un chapitre entier à la figure de Gabriel Monod (1844- 1912), ancien élève de l’École normale supérieure, où il est un condisciple du futur éditeur Félix Alcan, agrégé d’histoire, et installé lui aussi à Florence en 1865. Monod y rencontre Malwida, avec laquelle il correspond assidûment, et surtout Olga Herzen, qu’il épousera en 1873. Friedrich Nietzsche est l’un des familiers du petit groupe – et les aperçus relatifs à l’économie du livre sont ici largement présents, Nietzsche appréciant Monod à titre personnel, mais voyant aussi en lui un intermédiaire potentiel susceptible de faire connaître ses livres au public français.

Si, sur ce point, Nietzsche sera déçu, Monod se fera en revanche l’introducteur des livres de Malwida en France, en préfaçant une nouvelle édition des Mémoires d’une idéaliste (1900). Trois ans plus tard, c’est lui qui publiera la nécrologie de Malwida dans le Journal des débats, puis qui prononcera un discours à sa mémoire, sur sa tombe à Rome, le 1er avril 1904. Deux autres chapitres sont encore consacrés par Jacques le Rider à deux autres figures majeures de l’univers de Malwida, Nietzsche lui-même, mais aussi le jeune Romain Rolland. Enfin, l’ouvrage comprend une précieuse et très précise « Chronologie biographique et bibliographique » et un index nominum qui en font réellement un instrument de travail.

Avec ce Malwida von Meysenbug, Jacques Le Rider fait brillamment œuvre d’historien des cultures, ainsi que des sociologies et des pratiques culturelles. Il nous introduit avec la plus grande précision à un milieu omniprésent dans l’histoire intellectuelle du temps, mais sur lequel le chercheur français ne disposait trop souvent que d’informations éparses. Tandis que le média, le livre et l’imprimé, se rencontre partout au fil des pages, nous sommes conviés dans l’intimité de quelques-unes des dernières grandes figures d’« Européens », pour reprendre la formule rendue célèbre par Stefan Zweig, à une époque où la montée des nationalismes et la Guerre de 1870 déplacent le plus profondément la conjoncture de l’Europe « possible ». L’ensemble du travail de Jacques Le Rider s’inscrit ainsi dans une problématique dont c’est peu de dire qu’elle reste d’actualité aujourd’hui15.

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15 Signalons que Jacques Le Rider vient également de publier une traduction de Theodor W. Adorno, La Psychanalyse révisée, traduction qu’il a fait suivre de son essai L’Allié incommode (Paris, Éditions de l’Olivier, 2007, 109 p.).