Antonio Castillo Gómez, Entre la pluma y la pared, una historia social de la escritura en los siglos de oro
Madrid, Ediciones Akal, 2006, 303 p. (« Akal Universitaria. Serie Historia moderna »). ISBN 84-460-2061-0
Françoise WAQUET
Paris
Il est apparu opportun de signaler dans une revue qui, principalement consacrée à l’imprimé, n’ignore pas le livre manuscrit, un ouvrage qui porte entièrement sur l’écriture. Antonio Castillo Gómez donne à voir l’importance que l’écriture manuscrite et gravée conserva dans l’Espagne des XVIe et XVIIe siècles. Il ne s’agit pas ici de considérer l’écrit comme source d’information ni comme témoignage littéraire ou philologique. C’est l’histoire sociale de l’écriture et des écrits qui intéresse A. Castillo Gómez et, dans l’étude sociale de cette technologie de la communication, il a pris pour exemple un certain nombre de cas et de lieux qui relèvent du privé et du public. L’accent est résolument mis sur les aptitudes et les pratiques – qui écrit ? comment et pourquoi ? –, ainsi que sur l’appropriation des écrits ainsi produits – par qui ? comment et où ?
L’ouvrage, extrêmement documenté (il y a 24 pages de bibliographie), se compose de quatre sections. La première porte sur des écritures quotidiennes – lettres et livres de mémoire. La seconde traite des écritures carcéraires et donne à voir une large typologie d’écrits : les pauvres billets que le prisonnier tente de faire sortir de sa cellule, les suppliques en forme des condamnés, les graffiti qui sont demeurés sur les murs des prisons, etc. La troisième partie est consacrée à des écritures féminines, de la conquête de la plume par les mystiques au repli vers le manuscrit lorsque l’Inquisition oppose à une femme qui avait écrit un livre de prières et de méditations chrétiennes : « Mulierem in ecclesia docere non permito ». La quatrième section s’intéresse à la publication de l’écrit : sa divulgation orale aussi bien que l’affichage de documents publics ou de pasquinades, mais aussi les inscriptions de tous ordres placées sur des murs, des places ou des monuments pour informer, avertir ou commémorer, pour provoquer le respect, le rire ou l’indignation. Si l’on retrouve là un certain nombre des questions désormais classiques posées par les historiens de l’écriture et de la lecture, elles n’en sont pas moins renouvelées par le choix de situations originales ou vues sous des angles nouveaux, et par un grand souci du détail concret et révélateur.
L’ouvrage d’Antonio Castillo Gómez atteste de la place que l’écrit conserve dans une civilisation qui a trop rapidement été étiquetée comme « civilisation de l’imprimé », et il souligne les fonctions multiples et parfois uniques que l’écrit continua à remplir. En donnant à voir des écrits produits par des milieux qui n’appartenaient pas à l’aristocratie du sang ou de l’esprit, il met le focus sur des gens bien plus modestes qui manièrent l’écrit de mille façons. Il ne faudrait cependant pas que l’on en arrivât à en savoir plus sur les pratiques d’écrire des gens des rues que sur celles des gouvernants et des lettrés, et qu’en considérant l’écrit comme « naturel » dans ces milieux-ci, on finît par ignorer la place, les fonctions, les usages qu’il eut là aussi. Antonio Castillo Gómez pourrait bien écrire l’ouvrage qui nous manque sur l’histoire sociale des pratiques écrites des bureaucraties et des savants à l’époque moderne.
Je concluerai en signalant la revue de parution semestrielle Cultura escritta & Sociedad dont Antonio Castillo Gómez est le directeur (le premier numéro est paru en septembre 2005), ainsi que le site du SIECE (Seminario interdisciplinar de estudios sobre la cultura escrita) de l’université d’Alcalá de Henares (www2.uah.es/siece), que l’on consultera avec profit sur les questions relatives à l’histoire de l’écriture et de la lecture. Ce sont là deux initiatives qui démontrent la qualité et le dynamisme que ces études ont aujourd’hui en Espagne.