Bibliographia Sociniana. A Bibliographical Reference Tool for the Study of Dutch Socinianism and Antitrinitarianism, comp. by Philip Knijff, Sibbe Jan Visser, éd. Piet Visser
Hilversum, Verloren, Amsterdam, Doopsgezinde Historische Kring, 2004, 313 p., ill. ISBN 90-6550-836-8
István MONOK
Budapest
On peut assumer sa différence de nombreuses façons : de nos jours, on fait fonctionner des systèmes d’aides pour protéger les intérêts de ceux qui représentent un point de vue différent de celui de la majorité. La plus grande partie de la société est compréhensive et ouverte aux représentants d’idées minoritaires. Il existe peut-être même un « business de la différence » : il peut être économiquement intéressant de se déclarer « différent », car cela ouvre droit à certains avantages. Si la conjoncture était bien évidemment tout autre au XVIe siècle, il n’en restait pas moins possible d’assumer sa différence, et l’on sait comment l’histoire de la Réforme italienne traite de la vie des savants vivant en exil (qu’il s’agisse des monographies classiques, comme celle de Merle d’Aubigné, ou de travaux plus récents comme ceux d’Angela Bentigvolio). Ces savants non-conformistes ont souvent diffusé leurs idées en étant obligés d’aller d’un pays à l’autre, ils ont formulé des questions auxquelles ils n’avaient pas toujours de réponse et contribué ainsi au renouvellement de la réflexion en matière de théologie et de philosophie.
L’antitrinitarisme est devenu un système théologique cohérent avec le De Trinitatis erroribus libri septem de Michel Servet publié à Haguenau en 1531. La plus grande partie de ces idées est acceptée vers 1546, au colloque de Vicence (Collegia Vicentina), certaines d’entre elles restant cependant en question. Lelio Sozzini, participant au colloque, doit quitter l’Italie pour Bâle, où il retrouve des amis comme l’humaniste français Sébastien Castellion, et des compatriotes, comme Celio Secundo Curione et Berdardino Ochino. Mais ce n’était là que le début du mouvement, et leurs idées attirent de plus en plus de sympathisants à Bâle, Zurich et Genève. Fausto Soccini (1539-1604), neveu de Lelio, classe les papiers de celui-ci après son décès (1562) pour les publier. Il fait de même avec les œuvres de Castellion, disparu un an plus tard, puis il part pour Cracovie (1579) et restera en Pologne jusqu’à la fin de sa vie. C’est après sa mort que l’ecclesia minor polonaise est devenue de facto socinienne. Lorsque les sociniens polonais arriveront aux Pays-Bas en 1598 (Christoph Ostorodt et Andrzej Woidowsky), les premiers débats théologiques entraîneront une vive réaction de la part des théologiens et des autorités de Leyde.
L’introduction de l’ouvrage présente en détails l’histoire de l’antitrinitarisme (ou socianisme) aux Pays-Bas, avec la publication des principales œuvres, les polémiques majeures et le rôle des différents acteurs des ces batailles. Cependant, il s’agit d’une bibliographie, et non pas d’une histoire du socianisme des Pays-Bas. L’un des grands avantages du volume réside dans la clarté de sa structure. Le premier chapitre rend compte des publications des œuvres de l’antitrinitarisme pré-socinien aux Pays-Bas. Ce sont d’abord les titres de Castelllion, traduits en flamand ou publiés en latin (vingt-huit éditions). Celio Secondo Curione apparaît aussi (dix éditions), ainsi que Bernardino Ochino, Matteo Gribaldi et Adam Pastor (chacun avec moins de dix éditions), et, enfin, Erasmus Johannis et Servet (une édition chacun). Le deuxième chapitre donne la description bibliographique des éditions sociniennes des frères polonais : cent cinquante-quatre publications, parmi lesquelles la Bibliotheca Fratrum Polonorum, le Catechesis Rakoviensis, les Opera omnia de Sozzini, Johannes Crellius, Johannes Ludovicus Wollzogen et Samuel Przypkovius, les correspondances ou encore les œuvres en éditions séparées. Le nombre des titres en flamand démontre que ce n’était pas seulement les cercles scientifiques internationaux que les Polonais voulaient convaincre de la vérité de leurs idées théologiques, mais bien un public beaucoup plus large.
Le troisième chapitre propose un recensement de la littérature socinienne aux Pays-Bas, par ordre alphabétique des auteurs : les cent soixante-six articles bibliographiques présentent vingt-six auteurs locaux et étrangers, outre quelques textes polémiques anonymes. La liste s’ouvre avec Johannes Becius, mais on y trouve des noms beaucoup plus connus des polémiques théologiques du temps, comme Johannes Amos Comenius, Andreas Wissowatius, Daniel Zwicker ou Christophorus Sandinus. Parallèlement, nombre de théologiens locaux sympathisaient avec certains éléments de la pensée socinienne. Le quatrième chapitre détaille la bibliographie antisocinienne. Il s’agit d’un problème capital, car beaucoup de gens, surtout des étudiants, n’entendait parler de ces doctrines que par les cours des professeurs opposés aux idées de Sozzini. Des étudiants d’Europe centrale ont choisi la réfutation d’un article antitrinitaire comme sujet de mémoire, pour se préparer aux débats après leur retour : du coup, la plus grande partie des quatre cent quatorze publications ici détaillées est composée de thèses universitaires. Les professeurs les plus connus intervenant dans ces débats sont Guilielmus Amesius, Ruardus Andala, Nicolaus Arnoldi, Johannes Cloppenburch, Johannes Cocceius, Johannes Hoornbeek, Samuel Maresius et Campegius Vitringa. La réalité de l’époque se reflète dans le fait que certaines œuvres de Comenius sont classées parmi les œuvres sociniennes, et un grand nombre d’autres énuméré dans la littérature anti-socinienne.
Le cinquième chapitre porte sur la bibliographie des travaux d’historiographie, avec un point particulièrement fort à propos des recherches effectuées aux Pays-Bas. Si les travaux polonais sont aussi mentionnés, la littérature spéciale tchèque et hongroise manque en revanche complètement. Comme dans toutes les bibliographies, la lecture la plus excitante est celle des index. L’index des titres est utile, mais le plus instructif est l’index des lieux d’édition et des éditeurs. Le plus grand nombre de titres sociniens est sorti à Amsterdam, Leyde domine pour la production antisocinienne, tandis que beaucoup de titres sont donnés sans indications de lieux. Cette bibliographie constitue un complément très utile de la série bibliographique consacrée aux représentants des idées non-conformistes des XVIe et XVIIe siècles (la Bibliotheca dissidentium6).
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6 Réd. André Seguenny, Baden Baden, Valentin Koerner.