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Catalogues régionaux des incunables des bibliothèques publiques de France. Volume XVII, Haute-Normandie, éd. Valérie Neveu

Genève, Droz, 2003, 486 p., ill. (« École pratique des hautes études, Sciences historiques et philologiques », VI. « Histoire et civilisation du livre », 28)

István MONOK

Budapest

Le premier volume de cette monumentale série est paru en 1979 et, depuis lors, dix-sept volumes ont été édités tandis que quinze autres sont prévus. L’objet est de rendre accessible les incunables conservés dans les bibliothèques publiques françaises par le biais d’un catalogue moderne, qui corresponde aux exigences de la recherche scientifique actuelle et qui suive un système normalisé de choix et de description des volumes. Outre les bibliothèques elles-mêmes, plusieurs institutions suivantes participent notamment à l’entreprise : Centre d’études supérieures de la Renaissance (Université de Tours), École pratique des hautes études (Paris), ministère de la Culture (direction du Livre et de la lecture, Paris).

Le catalogue ici présenté porte sur la région Haute-Normandie, soit les deux départements actuels de la Seine-Maritime et de l’Eure, tous deux partie de l’ancien archevêché de Rouen. La ville même de Rouen a été le troisième centre typographique en France au XVe siècle (après Paris et Lyon) : 2850 titres sortent des presses parisiennes, 1140 des presses lyonnaises et 151 des presses rouennaises. Le premier titre publié à Rouen est le Prologue de l’entrée du roi Charles VIII en 1485. Les imprimeurs locaux visaient d’abord à satisfaire la clientèle régionale, et ils exportaient parfois, mais assez rarement, vers l’Angleterre. Après le repli de la typographie de Rouen au début du XVIe siècle, celle-ci connaît une nouvelle période de prospérité dans la seconde moitié du siècle.

Les phases de développement et de replat alternent dans l’histoire du livre comme dans celle des bibliothèques de Rouen et de sa région. La civilisation du livre est très riche en Normandie depuis le Moyen Âge : de nombreuses maisons ont été fondées par les Bénédictins, les Augustins, les Cisterciens, les Chartreux, les Capucins et les Jésuites, dont chacune a constitué une bibliothèque. Les plus importantes étaient celles de Rouen (Bénédictins, Augustins, Capucins, Jésuites), d’Évreux (Bénédictins), de Gaillon (Chartreux) et de Lyre (Cisterciens). Par ailleurs, les Huguenots ont jeté les bases, au XVIe siècle, d’une collection de livres significative, mais passée aux mains des Jésuites après l’abrogation de l’Édit de Nantes (1685). Dans le même temps se constituèrent plusieurs riches bibliothèques privées, pour lesquelles leurs propriétaires ont souvent acquis des manuscrits provenant des monastères médiévaux. La Révolution de 1789 marque une rupture dans l’histoire des bibliothèques, quand apparaissent la plupart des bibliothèques municipales qui existent encore aujourd’hui.

La plus grande partie des 613 titres catalogués dans ce répertoire se trouve logiquement conservée dans les bibliothèques municipales de Rouen, Le Havre et Évreux, et quelques exemplaires dans des bibliothèques plus petites (Le Bec-Hellouin, Bernay, Conches, Dieppe, Eu, Fécamp, Louviers, Pont-Audemer, Verneuil-sur-Avre). Le catalogue est complété par une étude précise de la géographie typographique des exemplaires décrits. Rien de surprenant si 318 incunables sont de provenance française (dont 48 imprimés à Rouen), 158 italienne et 126 allemande. Les autres viennent des anciens Pays-Bas (7), d’Espagne (3) et du Portugal (1). Un certains nombre est enluminé, et un chapitre particulier leur est consacré. L’étude des provenances permet de suivre la destinée des exemplaires : on remarque des mentions portées par Jean Budé (le père de Guillaume Budé) ou par François Vatable. Six titres proviennent de la bibliothèque personnelle du prieur bénédictin Jean Asselain (Jumièges). Les chapitres introductifs et le catalogue lui-même traitent de manière approfondie la question des reliures : il ne subsiste que quelque 20 % des reliures du XVe ou du début du XVIe siècle, mais la recherche livre un grand nombre d’informations significatives. A côté de reliures provenant d’ateliers français (en Normandie ou à Paris), on trouve des reliures de Koberger, d’autres de Strasbourg, de Fribourg-en-Brisgau et de la région de Flandre. On remarquera particulièrement une reliure dorée et à décor mosaïqué provenant de Jean Grolier. Un chapitre traite de la politique de reliure des monastères de la région au début de l’époque moderne : quelles sont les reliures conservées jusqu’à aujourd’hui, quel volumes ont fait l’objet d’une campagne de reliure postérieure à leur acquisition, etc.

Les normes de catalogage suivent celle de la collection, mais Valérie Neveu corrige, dans une liste particulière, les datations d’un certain nombre de pièces. Après les concordances et les index par lieux d’impression, par imprimeurs, anciens possesseurs, miniaturistes et relieurs, elle consacre un chapitre spécifique aux personnalités des XVIe-XIXe siècles ayant possédé un nombre significatif d’incunables repris dans le catalogue. Outre l’histoire des bibliothèques privées importantes de Haute-Normandie figure aussi dans le volume une introduction à l’histoire des bibliothèques publiques – avec l’analyse des voies par lesquelles les incunables conservés y sont entrés. L’illustration complétant cette très riche information devrait être tout particulièrement appréciée des historiens de la reliure.