Die Anfänge der europäischen Druckgraphik. Holzschnitte des 15. Jahrhunderts und ihr Gebrauch, éd. Peter Parshall, Rainer Schoch, avec l’aide de David S. Areford, Richard S. Field, Peter Schmidt
(catalogue d’exposition, National Gallery of Art, Washington, 4 septembre-27 november 2005 ; Germanisches Nationalmuseum, Nürnberg, 15 décembre 2005-19 mars 2006), Nürnberg, Germanisches Nationalmuseum, 2005, 371 p. (édition en anglais : Origins of European Printmaking. Fifteenth-Century Woodcuts and Their Public, Yale University Press)
István MONOK
Budapest
La Galerie nationale de Washington et le Musée national germanique se sont associés non seulement pour organiser, pour la première fois, une exposition nationale sur les arts graphiques à l’époque précédant immédiatement Gutenberg, mais aussi pour publier un superbe catalogue qui servira désormais de manuel sur le sujet. Au catalogue se joignent en outre quatre essais inédits.
Les études sur l’histoire des arts graphiques imprimés soulignent toutes le fait que l’expansion du papier en Europe s’accompagne d’un développement parallèle des xylographies portant des sujets religieux ou des cartes à jouer1. La première gravure sur bois que l’on conserve date, selon la tradition, des années 1370 et représente la Crucifixion (le « bois Protat »), mais cette production se développe le plus dans les années 1430-1460, avant que, au tournant du XVe au XVIe siècle, on ne donne, surtout en Hollande et en Allemagne, des séries d’images accompagnées de textes gravés (alld. Blockbücher). Une exposition a été organisée à Mayence en 1991 sur ces types de productions, dans le cadre d’un programme de recherche sur l’iconographie et ses usages, et les essais accompagnant le catalogue ont aussi traité de l’importance de l’image du point de vue de l’histoire de lecture2.
L’essai de Peter Marshall et Rainer Schoch constitue une brève synthèse sur les débuts de la gravure sur bois et sur cuivre (« Der frühe Holzschnitt und die Rezeption des Primitiven »). Des débats ont eu lieu dès le XVIe siècle sur la question de savoir si les images multipliées par un procédé technique appartenaient à la catégorie de l’art, ou s’il s’agissait simplement de productions artisanales très accomplies – et on sait que Vasari ne considérait pas les graveurs comme des artistes. Durant la première moitié du XVIe siècle, ces gravures (en majorité sur bois, plus rarement sur cuivre) proposent des sujets souvent non religieux et n’intéressent que peu les collectionneurs de livres. Le premier amateur à s’y être intéressé semble être Fernand Colomb. Bien que la recherche sur les débuts de la xylographie ait été entamée dès le XVIIe siècle (Karel van Mander, Joachim von Sandrart), les travaux les plus importants datent du milieu du XVIIIe siècle en France (Pierre Simon Fournier le Jeune, Jean-Michel Papillon). Par suite, l’application de ces techniques à l’art du livre connaît un nouvel essor, dont l’auteur suit les développement jusqu’aux recherches d’avant-garde qui ont marqué le XXe siècle.
Au début de son essai (« Der frühe Holzschnitt : was man weiß und was man nicht weiß »), Richard Field propose des estimations. La bibliographie établie au début du XXe siècle sur les gravures sur bois et sur cuivre du XVe siècle recense 4735 pièces, auxquelles il convient d’en ajouter quelque 500 découvertes ensuite. Si nous estimons le tirage moyen à mille, nous obtenons un total de cinq millions de documents mis en circulation – ce qui, pour l’auteur, signifie que nous percevons sans doute assez mal l’ampleur des mutations survenues pendant cette période dans le domaine de l’image et de l’écrit. Field, reprenant la périodisation proposée par Kristeller en 1905 pour les imprimés d’une seule feuille du XVe siècle (1400-1440, 1440-1470, 1470-1500), se concentre sur les quelques 80 pièces antérieures à 1440, dont cinq seulement sont conservées en deux exemplaires. Ces gravures se caractérisent par la beauté des lignes, par l’attention donnée au jeu des proportions, par l’utilisation de la couleur et par l’absence de textes.
De ce dernier point de vue, l’équilibre change profondément vers 1440, au point que les textes sont parfois près de dominer les gravures. Une partie importante de l’article présente cependant des conjectures ou pose des questions sans pouvoir y apporter de réponses, comme celle de savoir quand et où a commencé l’impression d’images sur papier ? On peut sans doute mentionner parmi les antécédents le tirage sur cire (sceau), sur peau (reliure) ou sur textile (tissu imprimé), dont nombre de pièces superbes étaient présentées à l’exposition. L’une des plus belles impressions sur du tissu de Venise, conservée à Bâle (Sittener Tapete), permet précisément de prouver que l’on essayait d’abord le tirage sur du papier avant de procéder à l’impression définitive sur tissu. En ce qui concerne la datation des premières gravures sur papier, Field se sépare des traditions bibliographiques sur plusieurs points : il pense que le « bois Protat » date du début du XVe siècle et, d’après lui, il n’est pas non plus certain que les interdictions des jeux de hasard rapportées dans certaines villes au XIVe siècle portent sur des jeux avec des cartes imprimées. La première carte à jouer imprimée sur papier que l’on connaisse remonte aux années 1440-1450. L’essai envisage ensuite le vocabulaire ancien relatif à la gravure naissante – noms de métier, outils, détails techniques –, les problèmes posés par les filigranes et les rapprochements éventuels des figures et des scènes avec des représentations provenant d’autres domaines artistiques (textile, peinture sur bois ou sur verre, sculpture, céramique) : l’objectif est toujours de savoir si les procédés sont effectivement susceptibles de désigner une impression sur papier. Field ne conclut pas, mais suggère que l’on ne peut pas parler de xylographies tirées sur papier en Europe avant le XVe siècle.
Peter Schmidt ouvre son essai (« Das vielfältige Bild : die Anfänge des Mediums Druckgraphik zwischen alten Thesen und neuen Zugängen ») par des questions : en quoi les premières gravures intéressent-elles l’histoire de la culture ? L’innovation technique qu’elles représentent anticipe-t-elle vraiment les découvertes de Gutenberg ? Une nouvelle qualité esthétique paraît-elle dans cet art aux lignes noires et blanches ? Est-ce un nouveau chapitre de l’art dit populaire ? Est-ce que les images pieuses renvoient à la nouvelle forme de la religiosité ? Est-ce que ce phénomène peut être considéré comme préfigurant les médias de masse ? L’article de Schmidt constitue une synthèse sur la recherche spécialisée, puisque la gravure doit être envisagée sous tous ces différents angles, mais l’auteur développe tout particulièrement les liens entre peinture et arts graphiques. Il a découvert une xylographie apparemment non conservée mais qui figure sur un tableau de Petrus Christus daté des années 1455 : le tableau met en scène un coupe de donateurs, et la gravure figurée en arrière-plan par le peintre, collée sur un mur, a été identifiée comme représentant sainte Élisabeth de Hongrie. Ce type d’occurrences laisse à penser que la gravure constitue alors bien un média de masse, qui touche même dans une certaine mesure le plus grand nombre.
Si Field a utilisé à plusieurs reprises les résultats de la recherche sur les filigranes, Shelley Fletcher a relevé le filigrane de chaque imprimé conservé qui en possède un, de sorte que le catalogue constitue aussi un répertoire des filigranes présents sur les feuilles graphiques imprimées au XVe siècle.
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1 Par exemple Szenteczki Csaba, Histoire et techniques des arts graphiques imprimés, Budapest, Mu˝szaki Kiadó, 2003 (en hongrois).
2 Blockbücher des Mittelalters. Bilderfolgen als Lektüre. Ausstellung (Gutenberg-Museum, Mainz 22. Juni 1991 bis 1. September 1991), éd. par la Gutenberg-Gesellschaft et par le Gutenberg-Museum, texte de Sabine Mertens, Elke Purpus et Cornelia Schneider, Mainz, Philip von Zabern, 1991.