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« Le miracle hollandais » : le rôle des libraires hollandais aux XVIIe et XVIIIe siècles

Otto S. LANKHORST

En 1729 Charles de Montesquieu visite Amsterdam. La beauté de la ville le ravit :

Les rues d’Amsterdam sont belles, propres, larges. Il y a de grands canaux avec des rangées d’arbres. Dans les grandes rues de la Ville, les barques viennent devant les maisons. J’aimerois mieux Amsterdam que Venise : car, à Amsterdam, on a l’eau sans être privé de la terre. Les maisons sont propres en dedans, et proprement bâties en dehors, égales ; les rues, droites, larges ; enfin, cela fait une des plus belles villes du monde.

Il continue ainsi son journal de voyage : « C’est un beau spectacle que la Bourse. Je crois bien qu’il y tient 8 ou 10 000 ames. Elles est pleine à ne pouvoir s’y remuer »…1 Montesquieu reprenait plus ou moins ce que Louis Moréri avait écrit dans son Grand dictionnaire :

Les rues d’Amsteldam sont belles, grandes & extrémement propres. (…) Les places, les Temples, les Edifices publics, tout y est tres-magnifique. (…) La place où les Marchands s’assemblent, qu’on nomme ordinairement la bourse est encore un lieu extrèmement agreable & magnifique. On y voit sans cesse des Marchands de toutes les parties du monde. La diversite de leurs habits & de leur langage, ne plaît pas moins que la richesse & la beauté du lieu…2

La problématique du « centre » et de la « périphérie », appliquée au monde du livre néerlandais pendant l’Ancien Régime, appelle particulièrement l’attention sur la Bourse3. La Bourse d’Amsterdam constituait alors vraiment le centre de la République des Provinces-Unies. Un autre voyageur français, Pierre Sartre, qui visite Amsterdam en 1719 décrit la Bourse ainsi :

Là on est sûr de trouver tous les jours des peuples de toutes les nations du monde ; là on finit toutes les affaires imaginables, et il n’y a point de jours qu’on n’en traite pour plusieurs millions…4

La Bourse d’Amsterdam était le centre financier et commercial de la République des Provinces-Unies. Des libraires s’installaient dans ses alentours pour profiter du va et vient des marchands. Une gravure des années 1660 nous montre quelques boutiques de libraires devant la Bourse : à droite, celle d’Abraham Wolfgang, et à gauche, celle de Johannes Colom avec l’enseigne « In de Vurige Colom » (= À la colonne de feu)5. Une autre gravure de 1715 nous montre les magasins des libraires François l’Honoré et Jacques Desbordes, « devant de la Bource d’Amsterdam »6. L’installation des libraires dans les alentours de la Bourse illustre bien combien la librairie internationale hollandaise dépendait de l’essor du commerce international de la République des Provinces-Unies. La navigation et la flotte hollandaises ont contribué de manière décisive à la réussite économique de la République. Le commerce maritime hollandais impliquait la nécessité de disposer d’un grand nombre d’ouvrages nautiques et d’atlas. Amsterdam devient au XVIIe siècle le siège principal de la cosmographie et de la cartographie. La librairie hollandaise a d’abord suivi les traces du succès international des commerçants hollandais.

L’expression de « miracle hollandais » traduit d’abord l’essor général de la République des Provinces Unies au XVIIe siècle, mais cette expression ne désigne pas moins la réussite internationale de ses libraires. Au XVIIe siècle, des contemporains utilisent déjà le terme de « miracle » pour qualifier la prospérité de la République7. Deux exemples : Joseph-Juste Scaliger intitule l’un de ses poèmes « Hollandiae Miracula »8 et William Temple, l’ambassadeur du Royaume-Uni à La Haye, commence ses Observations upon the United Provinces of the Netherlands (1673) en disant que la République des Provinces-Unies est devenue « the Envy of some, the Fear of others, and the Wonder of all their Neighbours… »9 Herman De la Fontaine Verwey (1903-1989), le grand historien néerlandais du livre, a introduit l’expression de « miracle hollandais » pour désigner également le succès de la librairie hollandaise. Dans sa leçon inaugurale, prononcée en 1954, Fontaine Verwey, premier professeur d’histoire du livre à l’Université d’Amsterdam, constate que, malgré le travail louable des amateurs, l’histoire du livre était encore resté presque « terra incognita »10. Deux ans plus tôt, en France, Lucien Febvre a employé cette même expression de « terra incognita » pour situer l’histoire du livre :

Non que fassent défaut les travaux d’érudition, dignes de tout éloge, (…) mais l’exploitation de ces richesses n’est pas faite par les historiens. L’histoire de l’Imprimerie n’est que trop rarement intégrée à l’histoire générale.

Febvre regrettait le désintérêt manifesté à l’égard de l’étude du livre, aussi bien par les historiens « littéraires » que par ceux de l’économie ou de la religion11. Avec L’Apparition du livre (1958), Henri-Jean Martin commence à combler cette lacune pour la France. Quelques années plus tard, Herman de la Fontaine Verwey fait de même pour les Pays-Bas en publiant « Het Nederlandse boek. Een cultuurhistorische schets » (= Le livre néerlandais. Une ébauche historique et culturelle). Dans ce texte, il emploie l’expression de « miracle hollandais » pour résumer la thèse selon laquelle les libraires hollandais, au XVIIe siècle, imprimaient à peu près la moitié de la production mondiale12. Bien sûr, en appliquant le mot de « miracle » au domaine livresque, Fontaine Verwey se situe dans la tradition qui apparente l’invention de l’imprimerie à un miracle. Cette attribution à une inspiration divine est un lieu commun, déjà cher aux humanistes. Écoutons, par exemple en 1533 François Rabelais, dans la lettre que Gargantua écrit à son fils Pantagruel, étudiant à Paris :

Les impressions, tant élégantes et correctes, en usance, qui ont esté inventées de mon eage par inspiration divine…13

Deux siècles plus tard le bibliographe Prosper Marchand commence son Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’imprimerie (1740) en disant : « C’est avec beaucoup de Raison, qu’on a regardé l’Imprimerie comme un riche Présent du Ciel »14. Le frontispice nous montre ce cadeau divin :

L’Imprimerie descendant des Cieux, est accordée par Minerve et Mercure à l’Allemagne, qui la présente à la Hollande, l’Angleterre, l’Italie, & la France, les quatre premières Nations chés les quelles ce bel Art fut adopté.

En 1685, Adrien Baillet avait écrit dans son livre Jugemens des savans sur les principaux ouvrages des auteurs à propos du succès des libraires hollandais :

Il semble que le Compas de Plantin [la boutique de Plantin, établie à Leyde en 1583] ou plûtost la Sagesse divine leur ait inspiré une adresse particulière pour mesurer toutes choses dans leurs editions…15

Miracle ou non, l’omniprésence des livres hollandais et des libraires hollandais reste en tous cas étonnante. Pour s’en persuader, il suffit de considérer deux exemples de ce vaste réseau international que les libraires hollandais ont construit au cours de leur période de gloire. Le premier est donné par un prospectus des œuvres complètes du poète et historien écossais George Buchanan, que le libraire Johannes Arnoldus Langerak de Leyde avait l’intention de publier par voie de souscription en 1724. La liste des libraires chez qui on peut souscrire aux Opera omnia de Buchanan en deux volumes compte au total 131 noms dans 65 villes d’Europe : 53 dans la République, 29 dans les pays allemands, 14 en France, 16 dans le Royaume-Uni, 3 en Italie, 8 en Suisse et 8 dans les Pays-Bas Espagnols…16 Le second exemple de ce réseau de libraires tissé à travers toute l’Europe est une simple annonce dans la Gazette d’Amsterdam de Pieter de Hondt, célèbre libraire de La Haye. De Hondt faisait savoir dans la Gazette du 24 avril 1750 qu’il allait vendre aux enchères la collection du comte de Wassenaar Obdam. Le catalogue de la vente venait d’être publié et les intéressés pouvaient le trouver :

à Londres, Édimbourg, Paris, Vienne, Hambourg, Francfort, Leipzig, Dresden, Berlin, Zürich, Berne, Bâle, Lausanne, Genève, Hanover, Copenhague, Wolfenbuttel, Breslau, Gotha, Gottingue, Manheim, Munich, Bayreuth, Augsbourg, Nuremberg, Ratisbonne, Wetzlar, Mayence, Lisbonne, Rome, Florence, Venise, Milan, Turin, Parme, Gênes, et dans les autres principales villes de l’Europe chez les Libraires…17

Quatre questions se posent concernant la position dominante de la République des Provinces-Unies dans le commerce du livre aux XVIIe et XVIIIe siècles : 1) Quelles sont les circonstances qui ont provoqué ce miracle hollandais ? 2) Peut-on parler d’un modèle hollandais ? 3) Comment et à quel moment la République a-t-elle perdu son rôle de centre de l’édition ? 4) Enfin, quelles étaient les réactions d’autres pays envers le succès des libraires hollandais ?

QUELLES SONT LES CIRCONSTANCES QUI ONT PROVOQUÉ LE MIRACLE HOLLANDAIS ?

Plusieurs circonstances expliquent la rapidité avec laquelle la République des Provinces-Unies acquit la prépondérance dans le monde de l’édition : la présence en nombre d’« hommes du livre », le taux élevé d’alphabétisation et le climat de tolérance. L’arrivée de nombreux immigrants réfugiés des Pays-Bas méridionaux joua un rôle important dans le développement de la librairie hollandaise, car, parmi eux, figuraient de nombreux typographes. Les autorités espagnoles ne permettant aucun écart de doctrine, la censure était sévère dans les provinces du Sud. Anvers, qui au XVIe siècle, avait pris la relève de Venise dans le monde du livre, perdit peu à peu cette place dès le début du XVIIe. La province de Hollande et particulièrement les villes de Leyde et d’Amsterdam lui succèdent alors. Les réfugiés des Pays-Bas du Sud ouvrent en outre le chemin à d’autres immigrants, séduits par le climat libéral de la République. L’abbé Raynal écrit dans l’Histoire philosophique et politique des Établissements & du Commerce des Européens dans les deux Indes :

C’est aux dépens de l’Europe entière, que la Hollande a sans cesse augmenté le nombre de ses sujets. La liberté de conscience dont on y jouit, & la douceur des loix, y ont attiré tous les hommes qu’opprimoient en cent endroits l’intolérance & la dureté du gouvernement…18

Autre élément important pour l’essor du commerce du livre : le haut niveau d’alphabétisation dont jouissait la République. En ville comme à la campagne, l’important réseau scolaire et pré-professionel établi dès le XVIIe siècle garantissait un vaste potentiel de lecteurs. Déjà à la fin du XVIe siècle, le voyageur italien Guicciardini était frappé par le grand nombre de personnes qui étaient capables de lire et d’écrire :

La plupart des gens ont quelque commencement de Grammaire, & presque tous, voire iusques aux villageois sçavent lire & escrire…19

Un observateur français, François Michel Janiçon, écrivait encore, en 1729 :

… La Liberté y [= la République] fait fleurir les Arts & les Sciences. C’est dans cette vue que l’on entretient plusieurs Universités, & un nombre infini d’Ecoles dans les Villes, & jusques dans les moindres Villages, où les Habitans ont grand soin de faire instruire leurs Enfans…20

Le manque de sources sérielles pour la période des XVIIe et XVIIIe siècles ne permet malheureusement pas de préciser dans quelle mesure les différentes couches de la société pouvaient lire et écrire. On ne dispose de chiffres détaillés qu’à partir de 1813, date à laquelle 75 % des hommes et 60 % des femmes étaient en mesure de signer leur acte de mariage. Pour la période antérieure, nous ne disposons de chiffres détaillés que pour Amsterdam, seule ville qui exigeait systématiquement depuis 1578 la signature des futurs époux lors de la publication des bans. Le pourcentage des hommes qui apposent leur signature passe de 57 % en 1630 à 85 % en 1780, tandis que, pour les femmes, les chiffres sont de 32 % (1630) et 64 % (1780). L’analphabétisme est plus élevé parmi les catholiques que parmi les calvinistes et les luthériens21. Il faut ajouter que la librairie internationale bénéficie du soutien de la librairie dite « nationale ». L’infrastructure nationale était excellente, l’imprimerie était d’un haut niveau technique et fournissait des produits divers de bonne qualité : atlas, cartes, livres nautiques, livres scientifiques, mais aussi gazettes, pamphlets et livres de chansons.

Le climat de tolérance particulier aux Provinces-Unies constitue le troisième élément important à l’origine du succès de la librairie hollandaise. L’autonomie traditionnellement assurée dans les domaines de l’administration locale et dans les affaires religieuses a pour conséquence le fait que les autorités nationales et régionales (États Généraux et États Provinciaux) s’immisçaient peu dans les affaires de librairie et de presse. Par suite de l’absence de censure préventive, on ne pouvait réagir contre une publication qu’après sa parution, en général trop tard pour faire interdire la distribution de l’ouvrage incriminé. La demande d’un privilège était facultative, et les libraires ne choisissaient cette possibilité que dans un petit nombre de cas et pour se protéger des contrefaçons. Les contemporains se rendaient parfaitement compte du fait que la liberté de la presse comptait pour beaucoup dans le succès de la librairie hollandaise. Le lieutenant de police de Paris, Nicolas-Gabriel La Reynie, écrivait autour de 1670 dans un mémorandum :

La liberté qu’on s’est donné en Holande d’imprimer indiferament des livres sur toute sorte de suiets ; pour toute sorte de sectes ; pour et contre tous les etats, et contre les plus eminentes personnes de l’Europe, a beaucoup aidé au grand commerce des livres qu’on y a fait depuis quelques années…22

Pierre Bayle faisait l’éloge de la liberté de la presse dans la préface de ses Nouvelles de la République des Lettres (1684) dans les termes suivants :

Elle [la République] a même un avantage qui ne se trouve en aucun autre Païs ; c’est qu’on y accorde aux Imprimeurs une liberté d’une assez grande étenduë, pour faire qu’on s’adresse à eux de tous les endroits de l’Europe, quand on se voit rebuté par les difficultez d’obtenir un Privilège. (…) Nos Presses sont le refuge des Catholiques, aussi-bien que des Reformez…

Presque un siècle plus tard, le libraire amstellodamois Marc-Michel Rey décrivait ainsi la situation de la liberté de la presse en Hollande dans une lettre au géographe Julien à Paris :

Nous n’avons ni censeur, ni examinateur, ni visite ; chacun recoit sa marchandise chez soi, sans être visitée et il n’est pas au pouvoir du Magistrat de visiter ou de faire une dessante chez un bourgeois (tout libraire, imprimeur, taille doucier ne peuvent l’etre sans etre bourgeois). Il faut beaucoup de formalités pour faire cette dessante, et des choses très graves pour engager a la faire. Ainsi sont elle très rare, et les punitions ne sont que pécuniaire (…). Nous avons cependant des loix, mais que personne n’observe (je parle toujours librairie). Il est defendu d’imprimer et vendre des livres contre la religion dominante, contre le gouvernement, les satyre personelle, livres obscenes, mais ceux qui sont dans ce gout prennent leur precautions…23

La librairie hollandaise n’a pas manqué de profiter du commerce international de la République. À l’intérieur du pays, grâce aux excellents moyens de transport, les livres pouvaient facilement être expédiés, et il en était de même à l’étranger, les marchands hollandais disposant partout de bonnes structures commerciales. Lorsqu’au début du XVIIe siècle les relations entre le monde latin et le monde germanique furent interrompues, les libraires hollandais s’imposèrent tout simplement comme intermédiaires obligés dans le commerce du livre. Ils continuaient d’aller à Paris et également de visiter les foires de Francfort, de telle sorte que les livres d’Allemagne et d’Angleterre entrent en France par la Hollande. Reinier Leers, par exemple, conclut en 1694 un contrat avec la Bibliothèque du Roi à Paris, d’après lequel il devait fournir à cette institution

des Livres de Hollande, d’Angleterre et d’Allemagne, en échange de plusieurs exemplaires des Estampes et Livres de figures, appartenans à Sa Majesté24.

PEUT-ON PARLER D’UN MODÈLE HOLLANDAIS ?

Le colloque international de Sherbrooke en 2000 a permis de présenter trois modèles du fonctionnement de la librairie : les modèles français, allemand et anglais25. Que peut-on dire du modèle hollandais ? Quatre éléments essentiels peuvent être distingués dans le modèle hollandais. 1) La structure décentralisée de la librairie ; 2) Le climat de liberté à l’intérieur de la République et une autonomie relative pour la corporation des libraires ; 3) La confraternité parmi les libraires ; 4) La formation professionnelle des libraires.

La structure politique du pays était décentralisée. La République était en fait une union de sept provinces indépendantes. Les États de chaque province étaient souverains, les États Généraux formant une espèce de conférence permanente des représentants des provinces. Écoutons l’abbé Raynal à propos de la décentralisation :

Les sept provinces composent une espèce d’heptarchie, dont les membres sont trop indépendans l’un de l’autre. Dans la république, chaque province est souveraine ; dans les provinces, les villes ne sont point sujettes. Alliances, paix, guerre, subsides, rien ne se fait que par les États-Généraux ; & ceux-ci ne peuvent rien, sans le consentement des États-Provinciaux, ni cette assemblée, sans la délibération des villes…26

La structure de la librairie hollandaise était également décentralisée. Les Pays-Bas du Nord n’ont pas de vrai centre géographique. Bien sûr, des boutiques de libraires se concentraient à Amsterdam autour de la Bourse, mais il y avait d’autres centres du monde livresque dans d’autres villes : à Leyde, autour de l’Université, à La Haye à l’intérieur et autour de la « Grande Salle », à Rotterdam, dans le Hoogstraat. On ne trouve pas non plus de libraires dominant le monde de la librairie hollandaise : à côté des libraires les plus célèbres, comme les Elsevier et les Blaeu, d’autres exerçaient leur métier à un niveau à peu près semblable, tels Abraham Wolfgang, la famille Janssonius, la famille Hackius ou encore Jean Maire. La structure décentralisée entraînait à la fois une multiplication des officines et une certaine spécialisation, un phénomène qui stimula la diversité et la richesse de la librairie.

Nous avons déjà signalé les retombées favorables du climat de liberté propre à la République des Provinces-Unies pour la librairie. Les libraires étaient organisés en guildes locales : à l’origine, les métiers du livre étaient affiliés à la guilde des peintres, mais toutes les villes eurent bientôt leur propre guilde de libraires. La première fut celle de Middelbourg en 1590, puis celle d’Utrecht (1599), suivie de Haarlem (1616), Leyde (1651), Amsterdam (1662), Rotterdam (1669) et enfin La Haye (1702). Chaque guilde avait son propre règlement, qui différait d’une ville à l’autre dans le détail mais qui, pour l’essentiel, était partout semblable. Dans la République, l’organisation du commerce du livre ne dépendait donc pas de l’administration centrale mais des guildes locales. En général, une certaine confraternité régnait parmi les libraires, qui déterminaient eux-mêmes leurs usages et pratiques professionnels et réglaient les conflits éventuels dans le cadre des guildes. La confraternité se manifestait aussi par les compagnies plus ou moins temporaires créées pour imprimer des ouvrages coûteux. Les ventes entre libraires (à distinguer des ventes publiques) étaient des endroits privilégiés pour régler les affaires mutuelles. En 1710, cinquante-quatre libraires signaient une convention, visant notamment les contrefaçons27.

Les libraires respectaient tant bien que mal l’usage qui faisait du détenteur du manuscrit original ou de l’édition à partir de laquelle on imprimait, le possesseur du droit de copie. Celui-ci pouvait être établi par un privilège valable pour une période de quinze ans. Mais un tel privilège n’était demandé que pour une partie infime de la production. En général, les libraires se contentaient d’annoncer la parution imminente de tel ou tel ouvrage dans une gazette. La confraternité entre libraires leur faisait respecter cet usage du droit de copie, ce que les contemporains n’ignoraient pas, comme le montrent les deux exemples suivants. Lorsque Matthieu Marais offrit au libraire Reinier Leers une copie des Avantures de Télemaque de Fénelon, Pierre Bayle répondit au nom du libraire :

Mr Leers et moi aussi, Monsieur, vous sommes très obligés d’avoir songé à lui par rapport à une copie plus complète du Télémaque, mais il ne peut profiter de cette faveur, á cause des égards, qu’il doit garder pour le libraire de La Haie, qui a imprimé déjà deux fois cet ouvrage…28

Voltaire non plus n’ignorait pas la pratique des libraires hollandais :

Sitôt qu’un livre est imprimé à Paris avec privilège, les libraires de Hollande s’en saisissent, et le premier qui l’imprime en Hollande est celuy qui en a le privilège exclusif dans ce pays là, et pour avoir ce droit d’imprimer ce livre le premier en Hollande il suffit de faire annoncer l’ouvrage dans les gazettes. C’est un usage établi et qui tient lieu de loy…29

La confraternité entre libraires est caractéristique du climat de concertation propre aux Provinces Unies au dix-septième siècle. Récemment, deux historiens néerlandais, Willem Fryjhoff et Marijke Spies, ont défini la République comme une société où les relations horizontales mettant en évidence la répartition des pouvoirs, furent plus importantes que les relations verticales exprimant leur monopole : la négociation, et non pas l’ordre y était la modalité dominante entre les intéressés30. Dernière remarque à propos de cette confraternité : les libraires catholiques et protestants appartenant à une autre confession que les réformés faisaient partie de la corporation à égalité, il n’était en rien question de discrimination ou de participation de second plan. Amsterdam, notamment, jouait un rôle important dans le commerce de livres de prières et de liturgie pour les catholiques des Pays-Bas espagnols, et au delà, pour le commerce international du livre catholique en général31. Bien sûr, il ne faut pas croire qu’il n’y avait ni conflits ni concurrence entre libraires, et l’histoire de la librairie néerlandaise contient de piquantes anecdotes de libraires qui font saisir des exemplaires des confrères. Ainsi, à Rotterdam, pendant la nuit du 2 mars 1654, Pieter van Waesberghe envahit, assisté par une bande de copains, la boutique de son confrère Johannes Naeranus pour confisquer toute l’édition de la Gazophylace de la langue francoise et flamende de Caspar van den Ende32. Dans la même ville, en 1704, Leers se référa à son privilège pour le Dictionaire de Furetière pour s’appropier 200 exemplaires du Dictionnaire de Trévoux que Jean Louis de Lorme avait fait venir de France33. Mais ces conflits entre libraires sont plutôt des exceptions. En général, il régnait une atmosphère de coopération et de concertation, extrêmement salutaire pour le développement de la librairie.

Le quatrième élément essentiel pour la réussite de la librairie hollandaise est le haut niveau de formation des libraires. Quiconque aspirait à s’établir comme libraire devait apprendre le métier pendant quatre ans en étant inscrit comme élève au sein de la corporation. Les contrats rédigés en vue d’un tel apprentissage stipulaient les droits et les obligations des candidats, et mentionnaient souvent les voyages d’apprentissage. Un certain Jan Daniel Beman est engagé comme élève chez Caspar Fritsch et Michael Böhm (successeurs de Reinier Leers à Rotterdam) pour une période de six ans. Pour les trois premières années, le père de l’apprenti doit payer 200 florins par an pour la nourriture et le logement. Selon le contrat Jan Daniel doit entreprendre un voyage à Paris et un autre à Francfort aux frais de son père, les autres voyages éventuels étant aux frais de Fritsch et Böhm34. Ces voyages étaient importants pour s’initier au commerce international, et les fils de libraires, destinés à continuer l’officine familiale, étaient souvent envoyés en voyage à l’étranger pour acquérir de l’expérience. Un exemple significatif est celui de Pieter Blaeu qui sillonne l’Europe entre 1660 et 1663 et visite successivement Florence, Vienne, Francfort, Paris, Lyon, Genève et Bâle35. L’opinion du savant français Jean Chapelain qui qualifiait en 1652 les Elzeviers « de simples marchands d’ancre et de papier » est exagérée36. En général, les libraires hollandais actifs dans le commerce international se distinguaient par de solides connaissances professionnelles et générales. Les membres de la famille Elzevier et Blaeu, Adriaen Vlacq, Reinier & Arnoud Leers, François Halma, Rudolf Wetstein, Jean Frédéric Bernard et Marc-Michel Rey (pour ne citer que les plus importants) jouaient avec dignité leur rôle dans la République des Lettres. Un de ces libraires, Pieter Blaeu, était présenté par Antonio Magliabechi comme un « giovan garbatissimo, cortessimo, bellissimo, e molto intelligente »37.

À la fin du XVIIIe siècle, le modèle décentralisé de la librairie hollandaise commença à changer : Amsterdam devint le vrai centre éditorial du pays, le commerce en commission commença à se développer et les libraires provinciaux distribuèrent de plus en plus leurs ouvrages par l’intermédiaire de leurs collègues d’Amsterdam. Après la dissolution des corporations locales, les efforts d’organisation nationale aboutirent en 1815 à la création de l’Association pour la défense des intérêts de la Librairie.

COMMENT ET À QUEL MOMENT LA RÉPUBLIQUE A-T-ELLE PERDU SON RÔLE DE PREMIER CENTRE DE L’ÉDITION EUROPÉENNE ?

Un premier déclin se manifeste autour de 1680, lorsque plusieurs imprimeurs de renommée internationale disparaissent de la scène : Jean Blaeu en 1673, Daniel Elzevier en 1680, les Steucker et Jansson van Waesberghe en 1681. Selon certains contemporains, le déclin aurait déjà commencé en 1672, avec l’incendie de l’imprimerie de Jean Blaeu. Selon notamment certains pasteurs reformés hollandais, cette brusque fin du « miracle » avait sa source dans un scandale, à savoir l’impression de livres catholiques sur les presses de Blaeu. La nouvelle de l’incendie fut même rapportée dans la Gazette d’Amsterdam, phénomène exceptionnel dans un temps où la presse accordait moins d’attention qu’aujourd’hui aux nouvelles sensationnelles :

L’Imprimerie de Monsr. Blaeu, la plus belle qui fust tres-asseurement dans le monde, & l’un des plus riches ornemens de céte Ville, fust consumé entierement par le feu Mardi dernier sur les trois heures du matin. Il n’y a ici personne qui n’ait pris beaucoup de part à une si grande perte, par la consideration du merite particulier de Monsr. Blaeu, connu de toute l’Europe, & par celle de l’excellence des Ouvrages qui estoient sous la Presse. (…) Tous plaignent son infortune, & sont allez lui en temoigner leur douleur38.

En 1680, les noms célèbres des décennies passées (Blaeu, Elzevier, Janssonius) avaient donc perdu leur éclat et leurs officines étaient fermées. La librairie hollandaise entrait dans une phase transitoire. En 1680, lors d’un voyage en Hollande, le librairie parisien Denis Thierry rapporte à Paris au lieutenant de police Nicolas de La Reynie : « tous les libraires de Hollande à la réserve de Blaeu sont tous faibles et mal établis »39. De jeunes libraires commencent pourtant à « monter », tels Pieter van der Aa et Jordaen Luchtmans à Leyde ; Abraham de Hondt, Adriaen Moetjens, Meyndert Uytwerf à La Haye ; Hendrik Wetstein à Amsterdam et Reinier Leers à Rotterdam. L’arrivée des huguenots dans la République, après 1680, donna un nouvel essor à la librairie, lorsque des libraires français, comme Jean-François Bernard, François Changuion, Henry Desbordes, les frères Huguetans ou encore Pierre Mortier s’y installèrent. Cette deuxième période d’essor se termine vers le milieu du XVIIIe siècle, le déclin définitif commençant vers 1730-1740 et s’intensifiant dans les décennies suivantes.

Les causes en sont d’ordres divers, à la fois politique, économique et culturel. Du point de vue politique, les autorités changent d’attitude quant à la censure. En France, la censure des livres devient moins sévère après 1750, alors que, en Hollande, les autorités religieuses et politiques tentent au contraire de juguler le climat libéral. Économiquement, la librairie hollandaise se heurte d’autre part à une concurrence de plus en plus forte, et pas uniquement en France : Bouillon, Neuchâtel, Kehl, Liège, Maestricht, Dresde exigent leur place dans l’édition de livres français. Cette concurrence est difficile à éviter, surtout à cause du coût élevé de la main d’œuvre dans la République des Provinces-Unies. Mais les changements culturels à l’intérieur de la Hollande sont pour beaucoup dans le déclin de l’édition hollandaise. La production des livres français en Hollande n’avait jamais été uniquement destinée à l’étranger : il existait aussi au sein même de la République des Provinces-Unies, un large public pour les livres, périodiques et gazettes en langue française. Ce public comprenait non seulement des huguenots réfugiés, mais encore des gens de lettres du crû. Mais au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le français perdit beaucoup de son importance pour les lecteurs hollandais.

QUELLES FURENT LES RÉACTIONS D’AUTRES PAYS FACE AU SUCCÈS DE LA LIBRAIRIE HOLLANDAISE ?

Les plaintes des auteurs à propos des libraires hollandais sont bien connues. Ce sont les éternelles plaintes des auteurs à propos d’éditeurs qui ne payent pas leurs dettes, ne répondent pas aux lettres, ne font rien si ce n’est s’enrichir sur le dos des auteurs. Prosper Marchand appelle cela les « Plaintes continuelles des Gens de Lettres concernant les Abus de l’Imprimerie »40. Deux exemples suffiront pour situer le phénomène. Pierre Bayle cite dans son Dictionnaire historique et critique Daniel Vossius qui disait

qu’il n’y a point de païs au monde, où il soit plus difficile qu’en Hollande de trouver des Imprimeurs, excepté dans ces deux cas : l’un, si l’Auteur paie tous les frais de l’impression : l’autre, si la Copie est un Ouvrage de querelle, ou de bagatelle ; car il n’y a rien qui se vende mieux que les Livres de cette nature41.

Et Diderot de confirmer : « Le libraire de Hollande imprime tout ce qu’on lui présente, mais ne donne point d’argent »42. On trouve nombre d’autres témoignages analogues, tout comme de réactions critiques face aux publications impies et licencieuses imprimées en Hollande. Adrien Baillet dresse en 1685 un bilan sévère relatif aux imprimeurs hollandais dans son Jugemens des sçavans sur les principaux ouvrages des auteurs. Après en avoir fait l’éloge, il ajoute :

C’est domage que quelques-uns d’entre [les imprimeurs hollandais] se soient si fort deshonorez sur tout en ces dernieres années, en foüillant leurs presses d’une infinité de libelles, nez pour détruire le repos de l’Eglise, & de l’Etat, l’honnesteté Chrestienne & civile, & la reputation des personnes utiles au Public43.

Les autorités des pays étrangers ont souvent protesté contre la publication de certains ouvrages, pamphlets et gazettes dans la République des Provinces-Unies. Tous ceux qui protestaient contre l’insolence des libraires et des expéditeurs hollandais savaient, cependant, d’avance que leurs protestations n’auraient pas de résultats directs, la structure particulariste de la République empêchant toute action efficace. Les ambassadeurs s’adressaient au Grand Pensionnaire pour transmettre les plaintes de leurs gouvernements. Le Raadspensionaris, ou Pensionnaire, servait d’interlocuteur aux ambassadeurs pour discuter des affaires internationales et bilatérales, pour échanger des informations secrètes, lancer des propositions ou entamer des pourparlers en sous-main44, et les ambassadeurs français à La Haye mentionnent fréquemment de tels entretiens dans leurs correspondances hebdomadaires au secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Cependant, ni le Pensionnaire, ni les États Généraux, ne pouvaient faire grand’chose contre les libraires et les gazetiers, puisque ceux-ci dépendaient uniquement des Magistrats des villes. Dans une lettre à Louis XIV de juin 1666, le comte d’Estrades explique les procédures suivies en Hollande au sujet des protestations contre un gazetier d’Amsterdam qui avait écrit

contre les intérêts de Votre Majesté et contre sa personne (…). L’ordre étant, qu’après une plainte le Magistrat ordonne à celui qu’on accuse de comparoître dans la Maison de Ville, on lui expose la plainte qu’on fait de lui, & s’il ne se justifie pas, on le condamne par une Sentence. Ce sont les Privilèges des Villes ; car les États Généraux sur un tel fait ne peuvent qu’écrire au Magistrat d’Amsterdam de faire justice d’un tel sur une telle plainte45.

Autre exemple de cette impuissance des autorités centrales : en 1699 l’ambassadeur de France, de Bonrepaux, s’était plaint auprès du Pensionnaire de la publication en Hollande d’un traité de Pierre Jurieu qu’il considérait comme scandaleux envers la France. L’ambassadeur rapporte à son ministre à Paris :

J’en ay dit un mot au Pensionnaire qui est très fâché de la licence que ces auteurs se donnent. Il fait renouveller tous les mois la deffense que les États Généraux ont faites à tous les libraires d’en imprimer mais ce dernier fait bien voir ou qu’ils ne sont pas les maistre de l’empescher ou que ces deffences ne se font pour ainsy dire que par manière d’acquis46.

Souvent d’accord avec les plaintes reçues, le Pensionnaire ne manquait pas d’assurer les ambassadeurs de sa bonne volonté, mais il ne disposait d’aucun pouvoir pour contraindre les Magistrats des villes à agir contre les libraires et les gazetiers. Lors d’une conversation avec l’ambassadeur de France La Ville, le Pensionnaire Antonius van der Heim déclare :

D’ailleurs la méthode, que d’autres gouvernemens pratiquent quelques fois avec utilité, d’ouvrir les lettres aux bureaux des postes, n’est point en usage icy, surtout dans les villes commerçantes47.

À côté des réactions critiques, les éloges pour le haut niveau et la beauté de l’art typographique des imprimeurs hollandais ne manquent pas. Adrien Baillet dit de la boutique des Elzevier :

Il n’y a point de boutique d’où il soit sorti de plus beaux livres ny en plus grand nombre. (…) Ce n’est point sans raison qu’on les considere encore comme la perle des imprimeurs, non seulement d’Hollande, mais encore de toute l’Europe48.

Et même Voltaire, dont on ne connaît que trop bien les conflits avec ses libraires hollandais, doit admettre qu’« on imprime très bien dans ce pays-là »49. Le haut niveau des impressions hollandaises engage les libraires étrangers à faire venir artisans et fournitures de la République. En 1640, Sublet de Noyers, administrateur de l’Imprimerie Royale à Paris, demande à Henri Brasset, secrétaire de l’ambassade à La Haye, de chercher des ouvriers et imprimeurs (au moins quatre pressiers et quatre compositeurs) qui seraient d’accord pour venir mieux gagner leur vie à Paris50. D’autres artisans et mêmes des presses entières quittèrent la République pour Saint-Pétersbourg après la visite de Pierre le Grand en Hollande. L’Université de Göttingen parviendra pour sa part à engager le libraire Abraham Van den Hoeck.

Les réactions au « miracle » de la librairie hollandaise ne sont pas uniquement critiques ou élogieuses et, çà et là, on trouve aussi l’expression d’une jalousie à peine déguisée. La France notamment considère avec envie l’essor économique que l’exportation des livres apporte à la Hollande. Un mémorandum datant de 1670 environ et dû probablement à la plume de Nicolas-Gabriel La Reynie, lieutenant de police à Paris, constate que les Hollandais tirent depuis quelques années « des sommes considerables de ce Royaume par les impressions qu’ils y envoyent »51. Au début du XVIIIe siècle, les autorités françaises tentèrent de mettre fin au commerce d’échange entre Reinier Leers, libraire à Rotterdam, et le Cabinet du Roi (Leers fournissait des livres de Hollande en contrepartie d’estampes du Cabinet de Roi). Désormais, les commandes de livres étrangers faites par le Cabinet du Roi devraient passer par Charles Rigaud, et non plus par l’intermédiaire d’un libraire étranger52. Mais, après trois ans à peine, il fallut bien revenir sur cette décision et faire appel de nouveau à Leers pour se procurer les livres. Vers 1750, le contrôle de la presse devint moins sévère en France, en partie du fait d’intérêts économiques. Selon le Mémoire sur la Gazette d’Hollande de Malesherbes de 1757, la Gazette constituait « une branche de commerce actif que nous accordons aux étrangers »53. Et en 1766 J.A. de Serionne écrit dans Les Intérêts des nations de l’Europe :

On reproche à la France d’avoir mis elle même des bornes à l’industrie Nationale en ce genre, en génant trop l’imprimerie, & d’obliger les François à payer les productions de leur cru, l’Esprit de leurs propres Auteurs, aux autres Peuples54.

Au moment où la Révolution française apporte à la France la liberté de la presse, le commerce international du livre a déjà perdu toute son importance en Hollande. Les libraires hollandais sont peu à peu devenus, dit Pierre Gosse jr, libraire à La Haye, « les colporteurs des libraires étrangers »55. Pendant la Révolution française, en 1792, le marquis de Condorcet répond à une délégation venue chercher à Paris de l’aide pour chasser le stadhouder Willem V. Il remet en mémoire l’importance et le succès passés de la librairie hollandaise. Les sources du miracle hollandais, qui viennent de se tarir, sont à présent révélées :

Plusieurs secrets dans les arts contribuaient à vous enrichir, et ces secrets sont aujourd’hui révélés ; votre imprimerie, votre librairie française étaient une source d’opulence que l’établissement de notre liberté vient de tarir56.

Les magasins des libraires François l’Honoré et Jacques Desbordes « devant de la Bource d’Amsterdam ». Frontispice de : J.P. Ricard, Les Loix et les coutumes du change des principales places de l’Europe, Amsterdam, Estienne Roger, 1715.

J.-P. Richard, Les Loix et coutumes du change des principales places de l’Europe, A Amsterdam, aux dépens d’Estienne Roger, 1715 : gravure du frontispice, représentant les librairies de François L’Honoré et de Jacques Desbordes devant la Bourse d’Amsterdam.

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1 Charles de Montesquieu, « Voyage de Gratz à La Haye », Œuvres complètes, vol. 1, Paris, Gallimard, 1949, pp. 544-874, ici p. 869 (Bibliothèque de la Pléiade).

2 Louis Moréri, Le Grand dictionnaire, tome 1, Lyon, J. Girin et B. Rivière, 1681, article ’Amsteldam ou Amsterdam’, pp. 233-234.

3 Ce texte est la version revue et augmentée d’une conférence donnée en juin 2001 lors du colloque « Centre and periphery in the world of the book 1500-2000 », tenu à Prato (Italie) et organisé par le professeur Wallace Kirsop (Monash University, Australie).

4 P. Sartre, Voyage en Hollande fait en 1719, Paris, Lechevalier, 1896, p. 27.

5 « De Amsterdamse Beurs vóór 1660 ». Gravure faite par ou d’après P. H. Schut, et publiée dans Ph von Zesen, Beschreibung der Stadt Amsterdam, Amsterdam, Marcus Wilhems Doornik, 1664.

6 J. P. Ricard, Les Loix et les coutumes du change des principales places de l’Europe, Amsterdam, Estienne Roger, 1715, front.

7 K.W. Swart, The miracle of the Dutch Republic as seen in the seventeenth century. An inaugural lecture delivered at University College London 6 November 1967, London, Lewis, 1969.

8 Le poème « Hollandiae Miracula » est cité dans : M.Z. Boxhorn, Toneel ofte beschryvinge der steden van Hollandt, Amsterdam, J. Keyns, 1634, p. 33. Scaliger écrivit un autre poème sous le titre de « De mirandis Bataviae » et publié dans J.-J. Scaliger, Opuscula varia antehac non edita, Paris, H. Beys, 1610, p. 294. A. Bruzen de la Martinière inséra la traduction française de ce poème dans son Grand dictionnaire géographique et critique, tome 4-2, La Haye, Amsterdam, Rotterdam, P. Gosse, R.-C. Alberts et P. de Hondt, 1732, p. 170, article Hollande.

9 W. Temple, Observations upon the United Provinces of the Netherlands, éd. by G. Clark, Oxford, Clarendon Press, 1972, p. 1.

10 H. de la Fontaine Verwey, De Wereld van het boek. Rede uitgesproken ter aanvaarding van het ambt van bijzonder hoogleraar in de wetenschap van het boek en de bibliographie aan de Universiteit van Amsterdam op 10 mei 1954, Haarlem, Tjeenk Willink, 1954, p. 6.

11 L. Febvre en présentant l’article de H.-J. Martin, « L’édition parisienne au XVIIe siècle. Quelques aspects économiques », dans Annales ESC, 7 (1952), p. 309, note 1.

12 H. de la Fontaine Verwey, « The Netherlands Book. An historical sketch », dans W.Gs. Hellinga, Copy and print in the Netherlands. An atlas of historical bibliography. With introductory essays by H. de la Fontaine Verwey and G.W. Ovink, Amsterdam, Federatie der werkgeversorganisaties in het boekbedrijf, 1962, pp. 1-68, ici p. 29. Une version néerlandaise est parue sous le titre « Het Nederlandse boek. Een cultuurhistorische schets », dans W. Gs. Hellinga, Kopij en druk in de Nederlanden, Amsterdam, Federatie der werkgeversorganisaties in het boekbedrijf 1962. En 1979, les chapitres sur les XVIIe et XVIIIe siècles ont été reédités sous le titre : « Het Hollandse wonder », dans Boeken in Nederland. Vijfhonderd jaar schrijven, drukken en uitgeven, [Amsterdam], Koninklijk Verbond van Grafische Ondernemingen, 1979, pp. 46-64 ; et en 1997 dans H. de la Fontaine Verwey, Uit de wereld van het boek. Vol. IV : Boeken, banden en bibliofielen, ’t Goy-Houten, HES-Uitgevers, [1997], pp. 27-68.

13 François Rabelais, Pantagruel, chapitre VIII.

14 Prosper Marchand, Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’imprimerie, La Haye, veuve Le Vier et Pierre Paupie, 1740, p. 1. Marchand précise en note : « C’est une Pensée, qui s’est fort naturellement présentée à l’Esprit de divers de ses Panégiristes ». Il cite entre autres le poème avec lequel Henri Estienne commençait son Artis Typographicae Querimonia de illiteratis quibusdam Typographis, propter quos in Contemptum venit : « Ille ego, quae quondam Caelo ut delapsa colebar ».

15 Adrien Baillet, Jugemens des sçavans sur les principaux ouvrages des auteurs, tome II-1, Paris, A. Dezallier, 1685, p. 75.

16 Le prospectus est conservé à la National Library of Scotland, Advocates Library, 1.8 (40).

17 Gazette d’Amsterdam, 1750, no 32 (24 avril).

18 [G.T.F. Raynal], Histoire philosophique et politique des Établissements & du Commerce des Européens dans les deux Indes, La Haye, P. Gosse, Fils, 1774, tome premier, pp. 316-317.

19 L. Guicciardini, Description de tout le Païs-Bas, Anvers, G. Silvius, 1567, p. 34.

20 F.M. Janiçon, État présent de la République des Provinces-Unies, et des païs qui en dependent, La Haye, J. van Duren, 1729, tome I, p. 12.

21 En 1780, il y a 21 % d’analphabètes parmi les catholiques contre 13 % chez les calvinistes et 14 % chez les luthériens (pour les femmes, ces chiffres sont respectivement de 47, 31 et 35 %). A. M. van der Woude, « De alfabetisering », Algemene geschiedenis der Nederlanden, vol. 7, Haarlem, Fibula-Van Dishoeck, 1980, pp. 157-163.

22 Ce mémorandum est publié par H. Bots comme annexe de son article : « De Elzeviers en hun relatie met Frankrijk », dans B. P. M. Dongelmans, P. G. Hoftijzer, O. S. Lankhorst, éd., Boekverkopers van Europa. Het 17de-eeuwse Nederlandse uitgevershuis Elzevier, Zutphen, Walburg Pers, 2000, pp. 165-181, ici p. 177.

23 M.-M. Rey à Julien, 31 octobre 1765, BnF, mss. fr. 22130, f. 312, publiée par I. H. van Eeghen, De Amsterdamse boekhandel, 1680-1725, tome III, Amsterdam, Scheltema & Holkema NV, 1965, p. 22.

24 Troisième registre des livres acquis pour la Bibliothèque du Roy, BnF, Archives du Département des manuscrits, Ancien Régime, n° 20, p. 3.

25 J. Michon, J.-Y. Mollier, éd., Les Mutations du livre et de l’édition dans le monde du XVIIIe siècle à l’an 2000. Actes du colloque international Sherbrooke 2000, Saint-Nicolas (Québec) / Paris, Les Presses de l’Université Laval / L’Harmattan, 2001, notamment pp. 19-72 les contributions de J. Raven, F. Barbier et J.-Y. Mollier.

26 [G.T.F. Raynal], ouvr. cit., tome VII, p. 231.

27 La pièce originale de la convention n’est pas conservée. Le texte fut publié en 1853 dans le Week-blad voor den boekhandel, 3 (1853), n° 24, pp. 99-100. Une traduction française se trouve parmi les dossiers de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de Paris conservés à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris (BhvP), mss C.p. 4001 : « Convention volontaire des libraires des villes d’Amsterdam, Leide, Rotterdam, La Haye, Utrecht, &c. ».

28 P. Bayle à M. Marais, 7 sept. 1699, P. Bayle, Œuvres diverses, La Haye, Pierre Husson [et alii], 1727-1731, t. IV, p. 782.

29 Voltaire à l’abbé Bonaventure Moussinot, 4 novembre 1737 (Best. D 1384) : Voltaire, Correspondence and related document, éd Th. Besterman, vol. IV : July 1736-January 1738, Genève, Institut et Musée Voltaire, 1969, pp. 392-394, ici p. 393 [= The completed works, vol. 88].

30 W. Frijhoff, M. Spies, 1650. Bevochten eendracht, Den Haag, SDU Uitgevers, 1999. Trad. anglaise : 1650. Hard-won unity, Assen / Basingstoke, Van Gorcum / Palgrave Macmillan, 2004.

31 L. P. Leuven, De Boekhandel te Amsterdam door katholieken gedreven tijdens de Republiek, Epe, Hooiberg, 1951.

32 A. van Mameren, « De Gazophylace. Het drukkersconflict tussen Pieter van Waesberghe en Johannes Naeranus », H. Bots, O.S. Lankhorst, C. Zevenbergen, éd., Rotterdam bibliopolis. Een rondgang langs boekverkopers uit de zeventiende en achttiende eeuw, Rotterdam, Gemeentelijke Archiefdienst, 1997, pp. 23-61, ici pp. 23-24.

33 Archives Nationales, La Haye, Archives des États Généraux, n° 3353, f. 436v°. Leers affirmait que l’impression du Dictionaire de Furetière lui avait coûté près de 60 000 florins.

34 Archives Municipales de Rotterdam, Oud Notarieel archief, n° 2004/39 : 8 mars 1714.

35 A. Mirto, H.Th. van Veen, éd., Pieter Blaeu : Lettere ai Fiorentini Antonio Magliabechi, Leopoldo e Cosimo II de’ Medici, e altri, 1660-1705, Amsterdam / Maarssen, APA Holland University Press, 1993.

36 B. Bray, éd., Soixante-dix-sept lettres inédites à Nic. Heinsius, ’s-Gravenhage, Nijhoff, 1965, p. 165 : lettre de J. Chapelain à N. Heinsius, 14 juin 1652 : « ce sont des vilains comme les autres et (…) ils regardent plus à leur propre profit sordide qu’à la satisfaction des gens d’honneur (…). C’est qu’ils n’ont aucune teinture de lettres et que ce sont de simples marchands d’ancre et de papier. Les Aldes, les Estienne, les Plantins n’en useroient pas ainsy… »

37 A. Mirto, H. Th. van Veen, ouvr. cit., p. 53.

38 Gazette d’Amsterdam (Swoll), 1672, n° 8, jeudi 25 fevrier : « D’Amsterdam le 25 Fevrier ».

39 BnF, mss, Joly de Fleury 2510, f. 125.

40 Prosper Marchand se plaint dans l’Avertissement de son Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’imprimerie de ce que le livre paraisse avec retard : « mauvais Procédé tout-à-fait propre à confirmer les Plaintes continuelles des Gens de Lettres concernant les Abus de l’Imprimerie ».

41 P. Bayle, Dictionaire historique et critique, quatrième édition, Amsterdam et Leyde, P. Brunel [et alii], 1730, article Daniel Pareus, remarque C.

42 D. Diderot, Voyage de Hollande, éd. J.Th. de Booy et M. van Strien-Chardonneau, dans Œuvres complètes, tome XXIV, Paris, Hermann, 2004, p. 137. Pour des plaintes semblables, voir J. Vercruysse, Voltaire et la Hollande, Genève, Institut et Musée Voltaire, 1966, pp. 141-145.

43 A. Baillet, ouvr. cit., tome II-1, pp. 75-76 : « Imprimeurs d’Hollande ».

44 Pour le rôle du Grand Pensionnaire dans le régime de la République des Provinces-Unies, voir : G. de Bruin, Geheimhouding en verraad. De geheimhouding van staatszaken ten tijde van de Republiek (1600-1750), ’s-Gravenhage, SDU, 1991, p. 331.

45 Lettres, mémoires et négociations de monsieur le comte d’Estrades, t. IV, Londres 1743, p. 305 : « Lettre du comte d’Estrades au Roi, le 3 juin 1666 ». Voir ce qu’Abraham de Wicquefort écrit trois ans plus tard de La Haye au Ministère des Affaires Étrangères à propos de l’interdiction de La Gazette d’Amsterdam de Swoll : « … les Estats des provinces sont souverains chez eux : tellement qu’il n’est pas au pouvoir des Estats généraux de faire arrester ou punir un homme icy à La Haye, et mesme les Estats d’Hollande sont obligés de laisser aux magistrats de villes la connoissance de tous les crimes qui se commettent par un bourgeois, pour estre jugés en dernier resort et sans appel ». Archives du Ministère des Affaires Étrangères, Paris, Correspondance politique de Hollande, vol. 89, fol. 19.

46 Ivi, vol. 182, fol. 204v° (1er sept. 1699). Il s’agissait du Traité historique contenant le jugement d’un Protestant sur la Théologie mystique…

47 Ivi, vol. 435, fol. 255r-256v° (19 avril 1740).

48 A. Baillet, ouvr. cit., tome II-1, p. 81 : « Jugement des principaux imprimeurs ».

49 Lettre de Voltaire au comte Aleksandr Romanovich Vorontsov, 22 avril 1767 (Best. D 14136) : Voltaire, Correspondence and related documenents, éd. Th. Besterman, vol. XXXII : April-December 1767, Banburry, Voltaire Foundation, 1974, p. 69-70, ici p. 69 [= The Complete Works, vol. 116].

50 H. Bots, ouvr. cit., ici p. 176.

51 S. de Noyers à H. Brasset, 15 juin 1640, publiée dans het Boek, 3 (1914), pp. 441-442.

52 O. S. Lankhorst, Reinier Leers, uitgever en boekverkoper te Rotterdam (1654-1714). Een Europees ’libraire’ en zijn fonds, Amsterdam/Maarssen, APA Holland Universiteits Pers, 1983, p. 113.

53 P. Rétat, « Les gazetiers de Hollande et les puissances politiques. Une difficile collaboration », Dix-Huitième siècle, 25 (1993), pp. 319-335, p. 329.

54 J. A. de Serionne, Les Intérêts des nations de l’Europe, Leyde, Élie Luzac, 1766.

55 P. Gosse jr. et D. Pinet à Ch.-J. Panckoucke, 5 mai 1769 (Bibliothèque publique et universitaire, Genève, mss Suppl. 148, f° 48).

56 Condorcet, « Adresse aux Bataves », Condorcet, Œuvres, t. 12, Paris, F. Didot frères, 1849, pp. 137-148, ici p. 146.