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Les sceaux de formules incantatoires imagées du taoïsme et du bouddhisme et l’origine de l’imprimerie

ZHANG Zhiqing

Directeur du département des livres rares et des collections spéciales à la Bibliothèque nationale de Chine

Par l’invention de l’imprimerie, la Chine a apporté une grande contribution à la civilisation mondiale. Les milieux scientifiques se passionnent toujours pour déterminer l’origine de l’imprimerie, pour laquelle on a formulé de nombreuses hypothèses : l’imprimerie serait née sous la dynastie des Han (206 av. J.-C.- 220 ap. J.-C.), sous celle des Jin (265-420), pendant les Dynasties du Nord et du Sud (420-589), des Sui (589-618) ou des Tang (618-907), pendant les Cinq dynasties (907-960) ou sous la dynastie des Song (960-1279). Les historiens ont donc fait des hypothèses couvrant plus de huit cents ans, du IIe au Xe siècle, sur la base d’imprimés retrouvés ou d’interprétations de documents historiques.

En se fondant sur les imprimés retrouvés, on ne peut douter de l’apparition de l’imprimerie sous les Cinq dynasties et sous les Song. Par contre, les témoignages écrits et les imprimés faisant défaut, son invention sous les Han, sous les Jin ou sous les Dynasties du Nord et du Sud est sujette à caution, voire difficile à soutenir. Dans les dix dernières années, trois aspects de la naissance de l’imprimerie ont été étudiés. Premièrement, l’étude de témoignages imprimés particuliers, par exemple ceux de la dynastie des Tang, ou encore de la version imprimée d’un sutra bouddhique (Ra’smi-vimalavi ’suddha-prabha¯ na¯ma- dha¯ran.¯ı su¯ tra) retrouvé dans la pagode de S’akyamuni en Corée du Sud.

Deuxièmement, les études sur la chronologie de l’imprimerie, qui ont donné naissance à une série d’ouvrages tels que Zhongguo yinshua tongshi (Histoire générale de l’imprimerie chinoise) de Zhang Shudong, ou que Gudai banyi tonglun (Aperçu général sur les imprimés par xylographie de l’Antiquité) de Li Zhizhong. Troisièmement, l’étude sur les éléments de la naissance de l’imprimerie sur le plan de la société, de l’économie, de la culture, de la religion, de la technique et de l’art.

D’après le professeur Li Xingcai, il faut rester fidèle à la vérité historique en analysant les sources sur l’imprimerie, et il semble vain de vouloir assigner une date précise à son apparition2. Avec des études et des descriptions précises sur le contexte de l’origine de l’imprimerie, on pourrait compléter des pages blanches et avoir enfin une chronologie et la période de naissance de l’imprimerie. Cette manière de procéder pourrait nous aider à donner des précisions sur son origine. Étant donné que les imprimés les plus anciens sont surtout des incantations bouddhiques et des images de bouddhas, je traiterai ici de l’influence des sceaux de formules incantatoires imagées taoïstes et bouddhiques sur l’origine de l’imprimerie.

INFLUENCE DES SCEAUX RELIGIEUX SUR LA NAISSANCE DE L’IMPRIMERIE

L’emploi des sceaux dans un contexte religieux remonte au taoïsme qui est né sous la dynastie des Han de l’Ouest (206 av. J.-C.-8 ap. J.-C.), le sceau étant un objet couramment utilisé dans les rituels et les techniques occultes taoïstes. Les sceaux taoïstes servirent d’abord de symboles qui avaient le pouvoir de communiquer avec les divinités, ainsi que l’atteste l’histoire du maître des techniques occultes Luanda, nommé « général des Cinq bénéfices qui communique avec les dieux » par l’empereur Wu (règne 141-87 av. J.-C.) des Han. Les annales du Shiji (Mémoires historiques) notent en effet que l’empereur Wu, inquiet que l’eau du Fleuve ne s’asséchât et que l’or n’arrivât pas à la capitale, dépêcha Luanda. Après plus d’un mois, Luanda obtint quatre sceaux d’or : celui du Général du Ciel, du Général de la Terre, du Général de la Grande communication, du Général de la Voie céleste… Celui qui porte le sceau de la Voie céleste est considéré comme la divinité céleste de la Voie de l’empereur3. De nombreux sceaux de la dynastie des Han avaient cette fonction de pouvoir communiquer avec les divinités, comme celui de la Divinité de l’empereur Wu de la Grande montagne (Dashan Wudi shenxian yin)4, celui des Quatre communications de la porte céleste (Tianlü sitong)5, celui des Cycles de la Terre et du talisman du Ciel (Tianfu dijie zhi yin), etc. 6

Ces sceaux avaient aussi le pouvoir d’anéantir les démons. Parmi les objets archéologiques du taoïsme de la dynastie des Han, il existe un grand nombre de sceaux tels que ceux de la Divinité Jaune, de l’Empereur du Ciel (fig. 1), etc., qui sont des sceaux d’anéantissement et de soumission. Selon Wang Yucheng, il subsiste cinquante-deux sceaux de ce type, que l’on peut diviser en quatre catégories : les sceaux de la Divinité Jaune (vingt-deux) ; les sceaux de l’Empereur du Ciel (quinze) ; les sceaux associant la Divinité Jaune et l’Empereur du Ciel (six) ; les divers sceaux taoïstes (neuf) 7. Un sceau de la Divinité Jaune conservé au Musée du Palais comporte sur le dos l’inscription : « sceau pour tuer les démons ». Les sceaux de l’Empereur du Ciel étaient aussi employés pour l’exécution des démons.

Sous les dynasties du Nord et du Sud, les sceaux de la catégorie de la Divinité Jaune et de l’Empereur du Ciel avaient en effet comme but de protéger contre les maléfices et de guérir des maladies : ces fonctions sont par exemple indiquées parmi d’autres dans le chapitre 17, « Ascensions et traversées » [Dengshe], du Maître qui embrasse la simplicité [Baopuzi] de Ge Hong (283-343). Les écrits taoïstes décrivent avec précision l’usage de ces sceaux, qu’il n’est pas utile ici de détailler.

Les sceaux rituels taoïstes ont connu une grande évolution des Han aux Tang, influençant ainsi directement la naissance de l’imprimerie.

1) La matière des sceaux religieux est passée progressivement du bronze au jade, à la pierre, au bois, et une grande quantité de sceaux en bois est apparue sous les dynasties des Sui et des Tang. Les sceaux de ce genre de la dynastie des Han sont tous en bronze, et ils ont la même forme que les sceaux officiels des dynasties des Han et des Jin. Les sceaux en bois ont très probablement été créés entre la dynastie des Han et celle des Jin8. Dans le chapitre 8, « Suishi fengsu bu baisuo » (Fêtes calendaires et coutumes) du Shiwu jiyuan (Origine des objets), il est noté :

Le Complément au Livre des Han (Xu Hanshu) dit : Au solstice d’été, le Yin est en bourgeon, on craint que les plantes n’arrivent pas à maturité. Avec une corde vermillon on attache des sceaux en bois de pêcher que l’on fixe sur les portes. C’est pourquoi à l’époque des Han, le cinquième jour du cinquième mois, on décore les portes avec des sceaux de cinq couleurs et des cordes vermillon, afin d’arrêter les calamités et les mauvais souffles.

Le même ouvrage, au chapitre « Xianfu » (Talismans ficelés), cite encore un propos de Liu Zhao (dynastie des Liang, 502-557) : « Les sceaux en bois de pêcher ont été à l’origine faits sous les Han ».

L’ouvrage de Ge Hong de la Dynastie des Jin Orientaux (317-420), le Maître qui embrasse la simplicité décrit ainsi les sceaux en bois :

Ce talisman est porté par le Vieux seigneur [Laozi divinisé], c’est le sceau des esprits et des divinités du serpent, du tigre et du loup. Il faut les graver sur une plaque en bois de jujubier de deux pouces, on lui fait des révérences et on le porte sur soi, il est d’une efficacité divine.

Les citations ci-dessus prouvent bien que des sceaux en bois existaient déjà à cette époque. Pendant les dynasties des Sui et des Tang, les sceaux en métal ne pouvaient plus suffire aux demandes dues au développement du panthéon taoïste et à la vénération du taoïsme par la famille impériale. Il est en effet difficile d’agrandir la surface des sceaux en métal pour graver plus de choses, tandis qu’avec ceux en bois on peut sculpter non seulement des caractères mais aussi des images, d’où la production importante de sceaux rituels en bois. Le « Jingji zhi » du Suishu (« Traité bibliographique » de l’« Histoire des Sui ») décrit de cette manière les sceaux taoïstes :

Si on fait un sceau en bois sur lequel on grave le soleil, la lune et les astres, et si on le prend en main en inspirant, puis en « imprimant » sur les maladies, dans la plupart des cas, on obtient la guérison9.

Le « Liyi zhi » (Traité des rituels) du même ouvrage mentionne le sceau de la « Maîtrise des mécanismes secrets » (Dushe wanji yin) :

Il est fait en bois, long d’un pied et deux pouces, large de deux pouces et cinq fen, sur le dos il a une poignée en forme de nez longue de neuf pouces et d’un pouce d’épaisseur, large de sept fen.

À l’époque des Sui et des Tang, les sceaux rituels en bois apparaissent le plus fréquemment dans les sources taoïstes. Le bois le plus prisé était le bois de jujubier frappé par la foudre. On faisait les sceaux de la Dame céleste (Tiannü)10, de la « Destruction des démons » (Shagui shenyin), de la « Convocation des divinités » (Zhao guishen yin)11, du Soleil, de la Lune, du Vent, etc. 12 On faisait aussi en bois d’érable (feng) les sceaux du « Retour du vent » (Huifeng yin)13. Le manuscrit de Dunhuang Pelliot chinois 3811 mentionne le « Sceau authentique du Dragon » en style sigillaire (Longzhuan zhenyin) et le « Sceau divin du Dragon » en style sigillaire (Longzhuan shenyin), qui sont tous deux en bois de poirier. Plus tard le poirier et le jujubier sont devenus les deux types de bois utilisés dans l’imprimerie.

2) La surface des sceaux s’agrandissant, les caractères sur les sceaux sont devenus plus nombreux. Les sceaux taoïstes de la dynastie des Han ont un diamètre de 3 cm environ, tandis que ceux de la dynastie des Tang font 5-6 cm. Les caractères sur les sceaux de la dynastie des Han sont au maximum de neuf, comme le montre l’exemple du sceau de l’Empereur du Ciel et de la Divinité Jaune (Huangshen yuezhang Tiandi shen zhi yin)14, ou encore celui d’un sceau démonifuge, conservé comme le précédent au Musée du Palais de la Cité interdite15. Dans l’ouvrage Qizhai guyin cun (Sceaux anciens du Qizhai) de Shang Chengzuo, un sceau en bronze des Han comprend sur une face les caractères « Sceau de la Divinité Jaune » (Huangshen yuezhang) et sur une autre vingt caractères, signe que l’on allait déjà vers une augmentation du nombre de caractères. Un sceau en bronze des Jin comprend douze caractères16. Ge Hong mentionne dans un passage du Maître qui embrasse la simplicité cité plus bas, un sceau de la Divinité Jaune avec cent vingt caractères, la largeur du sceau étant de quatre pouces17. Pendant la dynastie des Tang, on a des grands sceaux, comme par exemple le sceau du Seigneur-empereur Taiwei (Taiwei dijun yin) d’un pouce et deux fen de longueur ; le « sceau divin de l’annihilation des démons de l’empereur du Nord » (Beidi diyi shagui shenyin) de trois pouces de longueur, large de deux pouces et un fen ; le « Sceau de Tianpeng » (Tianpeng yin) de trois pouces de longueur, large de trois pouces et un fen. Celui de la Dame céleste mesure un pied et il fallait l’emballer dans un sac en brocart et le mettre dans un coffret en bois18. Les documents de Dunhuang présentent aussi de nombreux exemples de sceaux taoïstes avec leurs dimensions.

Afin de bien tenir les grands sceaux, les « boutons » des sceaux des Han et des Jin en forme de tortue, de nez, de tuile, de grenouille, d’anneau et d’animaux se sont transformés en autant de formes de poignées aux époques Sui et Tang19. L’agrandissement de la surface et l’augmentation des mots sur les sceaux sont les éléments les plus importants qui ont conduit à la naissance de l’imprimerie, en particulier les sceaux rituels signalés chez Ge Hong et dans l’ouvrage taoïste Shangqing liujia jitao mifa (Méthode secrète de la Pureté suprême pour évoquer les six [esprits] jia du cycle sexagésimal) qui, indirectement, sont déjà des petites planches gravées.

3) La technique de la gravure progresse pas à pas. Les sceaux rituels taoïstes des dynasties des Han et des Jin et les sceaux des fonctionnaires sont identiques : en général, il s’agit de caractères en creux, dans le style des scribes ou dans le style sigillaire, très ordonnés et faciles à déchiffrer. Parmi eux, les sceaux de la catégorie de l’Empereur du Ciel sont gravés en creux, leur forme est frustre, tandis que par la suite les sceaux taoïstes des dynasties des Sui et des Tang sont de jour en jour plus mystérieux (ou talismaniques). Les sceaux recensés dans les documents de Dunhuang sont en général gravés en relief, leur forme est zigzagante comme un fil de soie ; certains comportent des dessins de constellations, ce qui les rend difficiles à décrypter, mais la technique de gravure est de toute évidence très élevée. On peut maîtriser à cette époque des formes de caractères et des dessins compliqués, ce qui prouve que la technique de gravure sur planche est, sous les Sui et les Tang, parvenue graduellement à maturité.

4) Le passage des cachets d’argile aux sceaux en couleur. Les Han portaient leur sceau à la ceinture et lorsqu’ils en avaient besoin, ils les apposaient sur de l’argile : c’est une caractéristique de l’usage des sceaux à une époque, qui est aussi celle de l’utilisation des livres sur fiches de bambou. Des Han aux Jin, le papier et le tissu sont graduellement devenus les supports des livres, mais les sceaux rituels ont conservé principalement leur emploi sur argile. Dans le chapitre « Ascensions et traversées » du Maître qui embrasse la simplicité, Ge Hong dit :

Autrefois, ceux qui entraient dans les montagnes portaient à la ceinture le sceau de la Divinité Jaune (Huangshen yuezhang zhiyin), dont la largeur était de quatre pouces et qui comportait cent vingt caractères. Avec des cachets en argile on marquait l’endroit où l’on résidait à une distance de cent pas dans les quatre directions, et ainsi loups et tigres n’osaient pas pénétrer à l’intérieur [de cette enceinte]. Si en marchant on voyait des traces fraîches de tigre, on “imprimait” dessus à l’endroit du sceau, le tigre partait ; si on “imprimait” à l’envers, le tigre revenait. En portant ce sceau [en entrant] dans les montagnes et les forêts, on ne craignait ni les loups, ni les tigres. Non seulement il pouvait faire fuir les loups et les tigres, mais de plus, si on rencontrait dans les montagnes des temples et des autels de mauvaises divinités buveuses de sang qui pouvaient provoquer heurs et malheurs, avec un cachet d’argile, on coupait sa route et la divinité [néfaste] n’avait plus de pouvoir. Auparavant, il y avait dans l’eau sous une pierre une grande tortue qui était le plus souvent dans les eaux profondes, et les gens à cause de cela lui avait donné le nom de la Tortue de l’abysse ; cette créature pouvait faire des sortilèges, et rendait malades les passants. Dai Bing, qui était un prêtre taoïste de la région de Wu, la vit par hasard. Avec son sceau il fit une centaine de cachets d’argile ; à l’aide d’un bateau, il les jeta dans l’abysse. Longtemps après, une grosse tortue de plus d’une toise flotta sur la surface de l’eau sans plus bouger, alors Dai Bing la tua et les malades furent guéris.

Ceci montre l’usage particulier que l’on faisait des sceaux, même s’il s’agissait de sceaux de quatre pouces. Objectivement parlant, cette manière de procéder empêchait le passage du manuscrit à l’imprimé. Mais les vieilles méthodes dont parle Ge Hong avaient évolué des Jin orientaux (317-420) aux Dynasties du Nord et du Sud : les sceaux apposés ont commencé à connaître la couleur. La Bibliothèque nationale de Chine conserve un manuscrit de Dunhuang, datant des Jin orientaux intitulé Za apitan xinlun (Traité du cœur du Samyukta abhidharma, BD1471120). Ce manuscrit comporte au verso le sceau de la commanderie de Yongxing en rouge (fig. 2). Le manuscrit Jieyuan (Les causes des défenses, BD00072) de 458 possède une impression de sceau à l’encre noire21. Le passage du cachet d’argile au sceau en couleur est d’une très grande importance pour l’apparition de l’imprimerie par xylographie. Dans les documents de Dunhuang, on trouve des sceaux à l’encre rouge ou noire, une manifestation du développement de ce système.

5) Passage des sceaux avec une seule face gravée à des sceaux en série. Pendant la dynastie des Han, les sceaux rituels à deux faces sont apparus. Le Qin Han Nan Bei chao guanyin zhengcun (Sceaux officiels des dynasties Qin, Han, du Nord et du Sud) de Luo Fuyi, le Wei Jin shijing shi guxi yinjing (Images des sceaux anciens des dynasties des Wei et des Jin) de Zhou Jimu et le Qizhai guyin cun (Sceaux anciens du Qizhai) de Shang Chengzuo recensent cinq sceaux des catégories de la Divinité Jaune et de l’Empereur du Ciel. Parmi eux, le sceau de la Divinité Jaune comprend sur la partie inférieure et supérieure vingt-quatre caractères. Dans la période des Jin orientaux, le sceau rituel à six faces est créé, comme le sceau en bronze retrouvé dans la tombe M29 de Dantu (province du Jiangsu) et sur lequel sont gravés vingt-deux caractères : c’est une manière pratique de rassembler plusieurs sceaux en un. Après les Sui et les Tang, les sceaux rituels taoïstes en série sont apparus, comme celui des Six marqueurs Wu (les six binômes sexagésimaux incluant le marqueur Wu), ou encore celui des Cinq phases (métal, eau, bois, feu, terre) avec autant de faces gravées associant à chacune des phases le dessin d’une constellation22. L’apparition des sceaux en série rend possible leur usage pour une seule image et a frayé un nouveau chemin pour l’apparition de l’imprimerie avec plusieurs planches.

Des Han aux Tang, les sceaux rituels taoïstes ont changé de matière, leur format s’est agrandi, les couleurs sont apparues et ils ont été conçus en série, autant de changements qui sont parvenus à maturité sous les dynasties des Sui et des Tang. Ces éléments sont des conditions nécessaires du passage des sceaux à l’imprimerie, ou ils peuvent à tout le moins donner une date possible pour la naissance de l’imprimerie.

Les sceaux rituels taoïstes ont eu une influence incontestable sur la diffusion du bouddhisme, notamment sur le tantrisme. Selon le bouddhisme tantrique, il y a trois ésotérismes : l’ésotérisme corporel, avec le positionnement des mains et du corps (les mudra) ; l’ésotérisme des paroles (les mantra : formules incantatoires ésotériques) ; l’ésotérisme des représentations mentales : les visualisations. Dans le tantrisme originel, l’enseignement du maître au disciple ne se fait qu’oralement, sans écrit. Mais lorsque cette tradition parvient en Chine, elle y subit l’influence du taoïsme et son enseignement ne se limite plus à l’oralité : incantations et images de bouddha sont gravées sur papier, sur tissu, etc., et les sceaux, les talismans et les incantations sont associés à l’initiation. Dans Daojiao xingdou fuyin yu Fojiao mizong (Les sceaux et talismans du taoïsme et le tantrisme bouddhique), le Taiwanais Xiao Dengfu a étudié en détail l’influence du taoïsme sur le tantrisme du point de vue des cultes aux astres et de l’usage des écrits talismaniques, des incantations et des sceaux. Sur la base de plus de deux cents documents retrouvés à Dunhuang et de vingt et un ouvrages des Jin aux Song inclus dans le Taishô (Canon bouddhique), notamment ceux du bouddhisme tantrique traduits par Amoghavajra (Bukong, 705-774), Xiao Dengfu a montré que les noms des étoiles tels que ceux des cinq planètes, des vingt-huit étapes célestes, du Boisseau du Nord et du Sud, ainsi que leurs noms secrets étaient très proches de ceux employés par le taoïsme. Et dans les sutras bouddhiques cités ci-dessus, les théories du cycle de naissance et de disparition du faible et du fort, de la correspondance entre le ciel et la terre, les techniques de longue vie et d’extermination des démons provoquant les maladies, ont toutes subi l’influence du taoïsme.

Wang Ka, en comparant les sept versions bouddhiques et taoïstes du Yisuan jing (Livre de l’augmentation du capital-vie), a montré très clairement que les ouvrages bouddhiques s’inspiraient des livres taoïstes23. Les sceaux, les formules incantatoires et les talismans font partie de la ritualisation religieuse et le tantrisme dans ses rituels s’est servi du taoïsme pour y intégrer sceaux, incantations et talismans. À Dunhuang, on trouve le « Sceau de vajra Kumara [enfant foudre-diamant] qui exauce les souhaits » (Jingang tongzi suixin yin) dans le recueil bouddhique des Sceaux talismaniques du Bodhisattva Guanyin (Guan shiyin busa fuyin, S. 2498) ; une série de douze sceaux dans les Sceaux talismaniques du Bodhisattva Guanyin et autres Vénérés du monde (Guan shiyin ji Shizun fuyin, P. 3874) ; une autre de huit sceaux dans le Bukong juansuo shenzhou xinjing (Sutra du cœur de la dharani Amoghapasa ; T. 1094, vol.20). D’après les études de Hu Fuchen, Wang Yucheng et Wang Ka, cela est lié étroitement à Amoghavajra et à ses traductions chinoises de deux textes bouddhiques, réalisées après l’ère Kaiyuan (713-748) des Tang. Les matériaux des sceaux sont le bois de santal violet et blanc, leur dimension va d’un à deux pouces, et ils portent les noms d’Amitabha (le Bouddha du Paradis de l’ouest), de Sakyamuni, d’Avalokitesvara, des rois célestes et des porteurs de foudres, etc. La forme des talismans sur les sceaux et leur mode de production s’inspirent du taoïsme. Le tantrisme bouddhique en récupérant les sceaux rituels taoïstes est d’une extrême importance pour l’origine de l’imprimerie : le tantrisme a appris du taoïsme la manière de faire les sceaux et en diffusant massivement les images de bouddhas et les formules incantatoires a donné lieu à l’impression par planches gravées.

INFLUENCE DE L’IMPRESSION D’IMAGES RELIGIEUSES SUR LA NAISSANCE DE L’IMPRIMERIE

Le taoïsme au début était opposé au culte des idoles, de sorte que l’on ne connaît que très peu d’effigies taoïstes avant les Dynasties du Nord et du Sud. À partir de ces dynasties, puis sous celles des Sui et des Tang, le taoïsme a subi l’influence du bouddhisme en ce qui concerne la fabrication des images. Le chapitre 2 « Zaoxiang pin » (Fabrication des images) de l’ouvrage taoïste Dongxuan lingbao sandong fengdao kejie yingshi (Règles pour la pratique du taoïsme selon les écrits des Trois Cavernes24) indique que l’on faisait six sortes d’images, dont celle du Vénérable céleste de l’Origine, de Laozi divinisé, des divinités de l’empyrée, etc. Mais actuellement il ne subsiste qu’une centaine d’effigies des Six dynasties et des Tang, ce qui prouverait que cette fabrication n’a pas été prise en grande considération. Les sceaux rituels eux-mêmes ne comportent pas d’images, il n’y a que des dessins de talismans et de constellations.

Ce n’est pas la même chose pour le bouddhisme, dans lequel le culte des images occupe une place très importante. Après avoir reçu l’influence du taoïsme pour les sceaux rituels, on a gravé sur les sceaux des images de bouddhas, que l’on apposait en vue de rechercher le bonheur. Dans les Yunxian sanlu (Notes éparses sur les immortels des nuées), Feng Zhi de la fin des Tang (fl. : 904) présente Xuanzang (VIIe siècle) distribuant des images imprimée de Samantabhadra aux quatre coins du monde, en très grande quantité25. Cette narration, dont la datation est controversée26, relate, selon Li Zhizhong, des faits proches de la réalité27 : aux environs de 645, les images de bouddhas étaient déjà omniprésentes. Bien que le Yunxian sanlu ne mentionne pas s’il s’agit d’impression par apposition ou frottage, il est certain qu’imprimer de telles images supposait un niveau technique élevé28.

On peut avoir une idée de la technique d’impression par apposition de sceaux des images bouddhiques dans les documents de Dunhuang. Dans le Tang Song shiqi diaoban yinshua (L’imprimerie xylographique sous les dynasties des Tang et des Song) de Su Bai, on trouve les images suivantes : 1. impression d’images du Bouddha un pied posé sur le genou (sceaux) ; 2. impression d’images du Bouddha assis (sceaux) ; 3. impression d’illustrations de la Terre pure de l’Ouest (sceaux) ; 4. impression d’images du Bouddha (planches de bois) 29. La Bibliothèque nationale de Chine conserve le Za apitan xinlun (BD14711V), qui comprend des impressions de sceaux à l’encre noire pour servir à l’édification des disciples. Les illustrations de la Terre pure de l’Ouest comprennent de nombreux personnages, les dessins y sont complexes, et sont identiques aux frontispices des livres bouddhiques imprimés. En ce qui concerne les images isolées imprimées, nous conservons une image de Guanyin commanditée par le gouverneur de Dunhuang Cao Yuanzhong en 947, la même année une autre de Vaisravana et de Ksitigarbha, ainsi que d’autres incluses dans des dharanis. Pour les frontispices, il existe celui du Sutra du Diamant de 868. Tous ces documents sont d’une extrême importance pour l’impression par planches gravées.

INFLUENCE DES TALISMANS ET DES FORMULES INCANTATOIRES TAOÏSTES ET BOUDDHIQUES SUR L’APPARITION DE L’IMPRIMERIE

Les autres formes utilisées dans les rituels taoïstes sont les talismans et les incantations. Les premiers sont écrits et les seconds oraux, et ils vont généralement de pair. Selon les ouvrages taoïstes Yunji qijian (Les sept fiches de l’étui nuageux, 1007) 30 et Taishang Laojun shuo yisuan shenfu miaojing (Livre de l’augmentation du capital-vie énoncé par le Très-haut Vieux seigneur), les talismans sont d’authentiques symboles célestes, ils viennent du grand néant et ceux qui les portent peuvent éliminer les calamités, obtenir le vrai Tao et atteindre la Capitale céleste. Les éléments des talismans ont généralement des formes d’éclairs ou de constellations dans un style sigillaire ; ils sont sinueux et « plein de mystères ». L’écriture des talismans elle-même requiert l’usage d’encre et de papiers de couleurs différentes représentant les différentes directions. Les matières employées pour écrire les talismans comportent en plus du papier, le bois, le bambou, la pierre, le jade et les métaux. Il existe aussi des talismans gravés sur des épées, des miroirs, ou encore tatoués sur le corps. Certains avalent ou portent les talismans sur eux, alors que d’autres les jettent dans l’eau, les enterrent, les collent ou les gravent. Nous n’allons pas ici détailler l’usage des talismans31, mais seulement retenir ceux qui sont gravés sur bois, jade et plaques de métal. D’après le chapitre « Ascensions et traversées », le Maître qui embrasse la simplicité nous apprend :

Les cinq talismans ci-dessus sont tous portés par le Vieux seigneur lorsqu’il entre dans les montagnes. On les écrit avec de grands caractères en rouge sur des planches en bois, qui donnent l’impression de remplir complètement la planche, et on les met sur la porte ou dans les quatre directions, sur le bord des routes principales, à l’endroit où l’on réside, à une distance de 50 pieds et les démons des montagnes s’éloignent. On peut aussi mettre les talismans sur les poutres et les colonnes. D’une manière générale, pour ceux qui habitent dans les montagnes ou les forêts, ou qui y vont temporairement, si on les utilise, aucune créature n’osera les attaquer. On lie ensemble trois talismans sur une planche de bois.

Il faut que la planche en bois de pêcher soit assez large pour contenir trois grands caractères en rouge. Sous la dynastie des Jin orientaux, on combine les talismans et les sceaux en bois pour former des sceaux talismaniques. Lorsque nous avons évoqué ci-dessus les sceaux rituels en bois à l’aspect mystérieux et ressemblant aux dessins de constellations, il s’agissait précisément des sceaux talismaniques. Les plaques en métal étaient largement utilisées par les taoïstes. Le troisième chapitre du Dongzhen taishang shuo zhihui xiaomo zhenjing (Écrit véritable de la sagesse qui annihile les démons) précise :

Au 1er mois de l’année, on écrit un talisman en vert sur papier blanc, on s’agenouille face au Nord et on l’avale. Ensuite, on grave l’écrit sur une plaque d’or de 9 pouces de longueur, de 4 pouces de largeur et de 0,3 pouce d’épaisseur pour réprimer les divinités néfastes des montagnes et des fleuves et avoir en main les véritables esprits des Cinq pics sacrés32.

À côté des talismans gravés sur planche, on écrit les sutras de cette façon. Au début des Tang, le livre taoïste Dongxuan lingbao Sandong fengdao kejie yingshi33, dans son troisième chapitre intitulé « Écriture des sutras » (Xiejing pin), explique qu’il y a douze règles de production des œuvres : gravure sur fiches d’or ; gravure sur plaques d’argent ; écriture sur pierre plate ; écriture sur bois ; écriture sur soie ; écriture à la laque ; écriture en caractères d’or ; écriture en caractères d’argent ; écriture sur fiches de bambou ; sur paroi ; sur papier ; sur feuilles d’arbre34. Les quatre premiers types de support impliquent obligatoirement la gravure.

Les sceaux talismaniques taoïstes ont exercé une grande influence sur le bouddhisme tantrique des Dynasties du Nord et du Sud et des Tang. La traduction en chinois du Foshuo beidou qixing yanming jing (Sutra dit par le Bouddha sur les sept étoiles du Boisseau du Nord et la prolongation de la vie ; T. 1307, vol. 21) par le moine Boluomen, celle du Longshu wuming lun (Traité des cinq sciences de Nagarjuna ; T. 1420, vol. 21), celle d’Amoghavajra du Foshuo Jinpiluo tongzi weide jing (Sutra dit par le Buddha sur la vertu puissante du jeune Kumbhira ; T. 1289, vol. 21] et d’une dizaine d’autres ouvrages ont visiblement subi en cette matière l’influence du taoïsme35. De nombreux talismans d’origine taoïste apparaissent aussi dans les ouvrages bouddhiques de Dunhuang ; à ce sujet, en dehors des trois sutras cités plus haut (S 2498, P 3874, P 3835), une dizaine d’autres sont de la même veine36. L’utilisation des sceaux talismaniques, qu’ils soient avalés, portés, immergés, enterrés, tatoués, relève de la tradition taoïste.

Dans certains tombeaux de la dynastie des Tang (618-907), les dharanis tantriques qui accompagnent les morts sont le reflet de l’influence de la pratique propitiatoire et d’expulsion des maléfices du taoïsme. Les dharanis, ou « paroles véritables », sont très largement employées dans le tantrisme. À l’époque des Tang, la récitation des dharanis s’est « talismanisée », c’est-à-dire que l’on a commencé à les porter sur la tête, aux bras, dans des bracelets, etc., une coutume taoïste reprise par le bouddhisme. Il y a ainsi des exemples à l’époque des Tang où les dharanis sont placées dans les bracelets, dans le soutien du menton, des tuyaux en bronze, ou encore mis sous l’oreille droite du défunt. Par exemple, les dharanis issues des fouilles archéologiques de la rue Fenghao à Xi’an étaient placées dans une boîte avec un bracelet. De même, celles trouvées à l’université du Sichuan étaient placées dans un bracelet sur le bras du défunt. Le Dabao guangbo louge shanzhu mimi tuoluoni jing (Sutra de la dharani secrète et établie dans le bien de la tour grande et précieuse ; T. 1005, vol. 19), traduit en chinois par Amoghavajra, explique que les bodhisattvas ne se détourneront jamais de ceux qui lisent les dharanis, les récitent, les portent sur eux, les mettent dans des livres, dans des bracelets, etc. Dans la traduction en chinois de Baosiwei († 721) du Fo shuo suiqiu jide dazizai tuoluoni shenzhou jing (Sutra sur la dharani de Mahapratisara ; T. 1154, vol. 20), on explique que, portées sur le bras, ces dharanis permettront à leurs détenteurs d’être protégés par les rois-dragons. Si on les copie selon les rites et qu’on les accroche sur le corps, on ne connaîtra aucune affliction, toutes les frayeurs seront éliminées et tout sera bénéfique. Dans des buts de propagation de la doctrine, les dharanis du tantrisme chinois se sont fortement éloignées de leur origine indienne de pures psalmodies.

Le bouddhisme tantrique s’est très largement répandu pendant la dynastie des Tang grâce à son adaptation aux coutumes chinoises. Les dharanis accompagnaient fréquemment les morts. On a ainsi découvert à Xi’an des dharanis fabriquées au Sichuan ; sur les dharanis produites par la famille Bian de Chengdu il est écrit : « Incantation imprimée pour la vente ». Le graphisme des dharanis est beaucoup plus travaillé que celui des sceaux talismaniques du taoïsme. Elles comportent des formes complexes et diversifiées en chinois et en sanskrit, des dessins de mudra, des images de bouddhas, etc. Cette complexité fait penser que production et diffusion sont facilitées par le recours à un procédé d’impression : d’où l’apparition de dharanis imprimées par xylographie.

Dans son chapitre sur le développement de l’imprimerie xylographique pendant les Tang et les Cinq dynasties37, Su Bai a analysé la chronologie de six dharanis retrouvées dans des tombeaux des Tang à Xi’an, Zhenjiang (Jiangsu), Fuyang et Wuwei (Anhui) en fonction des critères suivants : le sanskrit apparaît avant le chinois ; au début, la disposition de la dharani ne permettait pas une lecture continue, laquelle n’est possible que dans un deuxième temps ; les figures du pourtour ont d’abord été en grand nombre et variées, elles ont ensuite laissé leur place à des dessins de mudra. Dans un article récent38, Ma Shichang a lui aussi décrit et étudié systématiquement des exemples de dessins, de dessins avec motifs imprimés et d’imprimés de dharanis (fig. 3 et 4), dont nous donnons, dans le tableau suivant, un aperçu exhaustif :

OrigineTypeEcritureFormatDate 39
Turfan 72TAM188dessin à l’encre noire sur papiersanskrit disposition en cerclenon précisé712-755
Turfan 72TAM189dessin en couleur sur papiersanskrit disposition en cerclenon précisé712-755
Banlieue ouest de Xi’andessin en couleur sur papiersanskrit disposition en cerclenon précisé745 ou 755
Musée des Beaux-Arts, Univ. Yaledessin sur soie en couleursanskrit disposition en cercle21,5 x 21,5 cm745-758
Rue Fenghao, banlieue ouest de Xi’andessin sur soie en couleursanskrit disposition en carré4,5 x 2,4 cm742-755, ou fin dynastie Tang
Usine de moteurs, banlieue ouest de Xi’anmanuscrit et imprimé sur papiersanskrit disposition en carré4,5 x 4,2 cmVIIIe siècle ou début dynastie Tang
Usine de machines, banlieue ouest de Xi’anmanuscrit et imprimé sur papiercaractères chinois disposition en carré35 x 35 cmVIIIe siècle
Fengxi, Xi’anmanuscrit et imprimé sur papiersanskrit disposition en carré32 x 28 cmVIIIe siècle (probablt impression avec quatre planches)
Université du Sichuan, Chengduimprimé sur papiersanskrit disposition en carré31 x 34 cmIXe siècle
Tombeau des Tang, Fuyangimprimé sur papiersanskrit disposition en carrénon préciséIXe siècle (probablt impression avec quatre planches)
Bourg de Sanqiao, Xi’animprimé sur papiersanskrit disposition en carré39 x 31 cmIXe siècle
Vente aux enchères, Bogu zhai, Shanghaiimprimé sur papiersanskrit disposition en cerclediamètre 23,5 cmDynastie des Tang
Shijiawan, banlieue est de Luoyang40imprimé sur papiersanskrit disposition en cercle à l’intérieur, en carré à l’extérieur38 x 29,5 cm926
Pagode du monastère Ruiguang, Suzhouimprimé sur papiercaractères chinois disposition en cercle44,5 x 36,1 cm1001
Pagode du monastère Ruiguang, Suzhou41imprimé sur papiersanskrit disposition en carré25 x 21,2 cm1007
Fonds Stein, Dunhuang, Brit. Libr.imprimé sur papiersanskrit disposition en cercle40 x 30 cm env.980
Fonds Pelliot, Dunhuang, Musée Guimetimprimé sur papiersanskrit disposition en cercle à l’intérieur, en carré à l’extérieur37,7 x 31,8 cmFin Xe siècle

Les dessins reflètent véritablement l’aspect primitif des dharanis, et ceux découverts dans les régions occidentales en représentent les caractéristiques au début de leur diffusion. L’analyse des images ci-dessus montre que les dharanis disposées en cercle de Turfan sont des caractéristiques locales. La librairie Sam Fogg, dans son catalogue de vente d’imprimés provenant de l’Ouest de la Chine, a présenté une dharani disposée en cercle écrite sur la porte d’un meuble à livres, pour démontrer que les dharanis disposées en cercle sont une forme très ancienne. À l’apogée des Tang, l’existence de dharanis avec du sanskrit disposé en carré doit être la conséquence de l’imprimerie, car la technique d’imprimerie à ses débuts n’était pas en mesure de transposer une écriture circulaire. Certains textes imprimés ont dû recourir à l’adjonction de dessins à la main, ce qui montre qu’on ne pouvait pas encore réaliser toute une dharani sur une planche gravée. Su Bai a suggéré que les dharanis de Fengxi à Xi’an et de Fuyang ont été gravées sur quatre planches différentes, en raison des différences d’intensité de l’encre, et il est très probable qu’il s’agisse d’apposition et non de frottage. Sous les Cinq dynasties et au début de la dynastie des Song, la technique de l’imprimerie a atteint sa maturité, ce qui a permis d’imprimer des dharanis en cercle et de retrouver de cette manière l’aspect des premiers temps de leur diffusion.

Il est à noter qu’en dehors des dharanis imprimées en carré ou en cercle, on possède aussi des rouleaux imprimés, tels que les sutras découverts en 1906 à Turfan et datés de la fin du VIIe-début du VIIIe siècle, ainsi que celui de la même époque, produit en Chine mais retrouvé en Corée42. On doit aussi mentionner les dharanis du million de petites pagodes datées de 770 environ et conservées au Japon, pays qui, en matière d’impression, a subi l’influence de la Chine. Les sutras de cette catégorie ont été principalement conservés dans des petites pagodes ; ils avaient adopté la forme des livres en rouleau de cette époque : comme par exemple dans le cas du Wugou jingguan da tuoluoni jing (Sutra sur la grande dharani de la lumière immaculée ; T. 1024, vol. 19), dont les feuilles mesurent 55,7 cm de long ; les planches n’étaient pas très hautes, mais très longues. Les études les plus récentes au Japon sur ces dharanis montrent que l’on gravait sur une grande planche différentes sections des dharanis et qu’après l’impression on les découpait en autant de « petits textes ».

Les imprimés du début des Tang prouvent que les différents types de xylographes ont probablement des origines différentes, et que l’une de celles-ci vient du développement des sceaux, en passant de l’apposition au frottage. Une autre origine est plus complexe, elle est probablement le résultat de plusieurs éléments, dont l’influence de la religion sur le développement de l’imprimerie par xylographie : c’est ce que suggèrent les planches gravées de talismans et d’incantations taoïstes qui ont influencé la production imprimée des sutras bouddhiques. Mais cette dernière hypothèse demande encore à être étayée de preuves tangibles.

1. Sceaux de l’Empereur du Ciel de la dynastie des Han (Wang Yucheng, Les objets liturgiques du taoïsme, Cahier no 6, publication bilingue du centre EFEO de Pékin, Paris, Pékin, EFEO, 2004, ill. 14)

2. Za apitan xinlun, BD14711, avec sceaux à l’encre rouge au verso ; reproduit avec la gracieuse autorisation de la Bibliothèque nationale de Chine.

3. Dhāranī retrouvée dans la banlieue est de Luoyang, 926 ?

4. Dhāranī retrouvée à la pagode du monastère Ruiguang, Suzhou, 1007 ?

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1 Traduction de Huang Junyan, révisée par Alain Arrault.

2 Li Xingcai, «Zhonghua yinshua tongshi xu (jiexuan) – an da yinshua shiguan xuanxie Zhonghua minzu yinshua keji cong gu zhi jin fazhan de lishi » [Introduction à l’Histoire générale de l’imprimerie [passages choisis] – pour l’écriture de l’histoire du développement des sciences et techniques de l’imprimerie en Chine du point de vue de l’histoire de l’imprimerie], dans Guangdong yinshua [L’imprimerie au Guangdong], 1998, 3.

3 Sima Qian, Shiji [Mémoires historiques], «Xiaowu benji » [Biographie de l’empereur Wu], Pékin, Zhonghua shuju, 1959, vol. 2, p. 463.

4 Luo Fuyi (1905-1981), Qin Han Nan-Bei chao guanyin zhengcun [Sceaux des dynasties Qin, Han, et du Nord et du Sud, 221 av. J.-C.-589 ap. J.-C.], Pékin, Wenwu chubanshe, 1987, chap. 5, collection du Musée du Palais.

5 Wu Shifen et al., Fengni kaolüe [Examen des sceaux sur argile], chap. 7 (un fac-similé de l’ouvrage a été imprimé à Pékin, Jinghua yin shuju). De ces sceaux il n’existe plus que l’empreinte sur argile.

6 Luo Fuyi, Qin Han Nan-Bei chao guanyin zhengcun, ouvr. cit., chap. 3 et 5.

7 Wang Yucheng, Daojiao fayin lingpai tan’ao [Sur les sceaux et les bâtons de commandement taoïstes], Pékin, Zhongjiao wenhua chubanshe, 2000, pp. 12-14.

8 Par exemple, en 1925, un sceau en bois a été excavé d’un tombeau de la dynastie des Han en Corée du Nord. Voir la Description générale des sceaux [Yinzhang gaishu] de Luo Fuyi, cité par Li Zhizhong das Gudai banyin tonglun [Discours sur l’impression dans l’antiquité], Pékin, Zijincheng chubanshe, 2000, p. 16.

9 Suishu [Histoire des Sui], « Traité bibliographique », Pékin, Zhonghua shuju, 1973, vol. 4, p. 1093.

10 Voir dans le Daozang [Canon taoïste], Shangqing liujia qidao bifa DZ584 (pour ce texte voir la notice dans Kristofer Schipper et Franciscus Verellen éd., The Taoist Canon. A Historical Companion to the Daozang, Chicago, London, University of Chicago Press, 2004, p. 1241).

11 Voir le Daozang, Taishang yuanshi tianzun shuo beidi fumoshenzhuo miaojing DZ1412, chapitre 5, qui prescrit du bois frappé par la foudre (leipi mu) pour l’un, et de jujubier rouge (chi caomu) pour l’autre. Pour ce texte tardif, voir Schipper et Verellen éd., The Taoist Canon, ouvr. cit., pp. 1189-1191.

12 Il est encore question des bois similaires à ceux cités ci-dessus, même si cette fois ils sont appelés bois d’érable frappé par la foudre (leipi fengmu) et jujubier (caomu), dans le Daozang, Huangdi taiyi bamen rushi bijue DZ587 (Schipper et Verellen éd., The Taoist Canon, ouvr. cit., p. 761).

13 Encore en jujubier et érable selon le Daozang, Kuigang liusuo bifa DZ582 (Schipper et Verellen éd., The Taoist Canon, ouvr. cit., p. 1240).

14 L’ouvrage Ren’an ji gu yincun (Sceaux anciens de la collection de Ren’an [surnom de l’auteur]) de Wang Jishu (1728-1799) en présente un. Voir aussi un autre cas dans l’ouvrage collectif du département d’histoire de l’université du Jilin sur les sceaux et les sceaux impériaux, Jilin daxue cang gu xiyin xuan [Choix de sceaux anciens conservés à l’université du Jilin], Pékin, Wenwu chubanshe, 1987, et encore Luo Fuyi, Qin Han Nan-Bei chao guanyin zhengcun, ouvr. cit., chap. 3 et 5, qui note quatre exemplaires ; ibid., chap. 5.

15 Il s’agit d’un sceau d’extermination des démons intitulé Guo bei shi zi tian yan sha gui zhang qui compte également neuf caractères ; ibid., chap. 5.

16 Sugawara Ishiro, Chugoku jiin shûkyô [Recueil de sceaux chinois], Tôkyo, Nigensha, 1997, chap. 15, sceaux privés des Han, Wei et des Dynasties du Nord et du Sud, n. 1416.

17 Shi Daoxuan (596-667), Guang Hongming ji [Recueil élargi d’écrits sur la propagation et le rayonnement de l’enseignement du Buddha], chap. 8, « Sibu congkan », 1919-1922.

18 Voir des prescriptions encore plus détaillées dans le Daozang, Shangqing liujia qidao bifa DZ584 (Schipper et Verellen éd., The Taoist Canon, ouvr. cit., p. 1241).

19 Wang Yucheng, Daojiao fayin lingpai tan’ao, ouvr. cit., p. 37.

20 T. 1552, vol. 28 : 1552 est le numéro du texte dans le Canon bouddhique (Taishô ; ici et plus bas : T. pour Taishô) ; les éditeurs remercient Françoise Wang-Toutain pour son aide pour l’identification et la traduction des titres bouddhiques.

21 Voir BD14711, p. 6 et pour BD00072, p. 4 de l’ouvrage : Li Qining éd. et al., Zhongguo guojia tushuguan cang Dunhuang yishu qingpin xuan [Choix de documents et objets de Dunhuang conservés à la Bibliothèque nationale de Chine], Pékin, Département des livres rares et des collections spéciales de la Bibliothèque nationale de Chine, 2000.

22 Wang Yucheng, Daojiao fayin lingpai tan’ao, ouvr. cit., p. 6.

23 Wang Ka, Dunhuang daojiao wenxian yanjiu [Étude des documents taoïstes retrouvés à Dunhuang], Pékin, Zhongguo shehui kexue chubanshe, 2004.

24 Selon un spécialiste japonais, ce texte daterait de la fin du VIe ou du début du VIIe siècle. Daozang, Dongxuan lingbao sandong fengdao kejie yingshi DZ1125 (Schipper et Verellen éd., The Taoist Canon, ouvr. cit., pp. 451-453).

25 Édition de l’ère Longqing (1567-1573) du Yunxian sanlu de Feng Zhi, chap. 5, cité par Li Zhizhong, « Tang Xuanzang diaoyin puxian xiang kaopan » [Sur les images bouddhiques imprimées de Xuanzang des Tang], Gudai banyin tonglun, ouvr. cit., pp. 28-30.

26 Paul Pelliot, dans son ouvrage posthume, Les débuts de l’imprimerie en Chine (Paris, Imprimerie nationale, 1953), relève que le Yunxian sanlu se présente comme un ouvrage du début du IXe siècle mais qu’en réalité il s’agit d’un faux dû à Wang Zhi qui a vécu au XIIe siècle et passe pour citer des ouvrages qui n’ont jamais existé (N.d.e.).

27 Ibid.

28 Li Zhizhong estime même que « l’impression d’effigies est beaucoup plus compliquée que celle des livres du point de vue technique. L’impression des livres d’abord, les effigies imprimées à la suite, d’abord le plus simple puis le plus difficile, voilà ce qui devrait être l’ordre normal ». Ibid., p. 28.

29 Su Bai, Tang Song shiqi de diaoban yinshua [L’imprimerie xylographique sous les dynasties Tang et Song], Pékin, Wenwu chubanshe, 1999, pp. 120 à 122, illustrations de 2a à 3a.

30 Daozang, Yunji qiqian DZ1032, chap. 45, « Miyao juefa ». Sur ce texte, voir la notice dans Schipper et Verellen éd., The Taoist Canon, ouvr. cit., pp. 943-945.

31 Pour une analyse détaillée, voir Xiao Dengfu, Daojiao xingdou fuyin yu Fojiao mizong [Les sceaux et les talismans du taoïsme et le tantrisme bouddhique], Taipei, Xinwenfeng, 1993,

32 Daozang, Dongzhen taishang shuo zhihui xiaomo zhenjing, DZ1344. Sur ce texte, voir la notice dans Schipper et Verellen éd., The Taoist Canon, ouvr. cit., pp. 590-591.

33 DZ1125, voir note 22.

34 Wang Ka, Dunhuang daojiao wenxian yanjiu, ouvr. cit., p. 20.

35 Xiao Dengfu, Daojiao xingdou fuyin yu Fojiao mizong, ouvr. cit., p. 195.

36 Ibid., pp. 195-196.

37 Su Bai, Tang Song shiqi de diaoban yinshua, ouvr. cit., pp. 1-11.

38 Ma Shichang, « Dasui qiu tuoluoni manyuluo tuxiang de chubu kaocha » [Étude préliminaire sur les dharanis de Mahapratisara illustrées], Tang yanjiu [Études sur la dynastie des Tang], 10, 2004, pp. 527-581.

39 En dehors des datations données dans certaines dharanis, les autres sont celles proposés dans l’article de Ma Shichang, cité ci-dessus.

40 Fig. 3.

41 Fig. 4.

42 Sur ce sujet, voir l’ouvrage de Li Zhizhong cité plus haut, Gudai banyin tonglun, ouvr. cit., pp. 30-43.