Qu’est-ce qu’un livre ? Qu’est-ce que l’histoire du livre ? Points de départ et perspectives
Jean-Dominique MELLOT
Conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France, chargé de conférences à l’École pratique des hautes études
DE LA PROBLÉMATIQUE DE LA DÉFINITION À CELLE DU REGARD HISTORIQUE
Le réflexe normal, face à la première des questions posées (« Qu’est-ce qu’un livre ? »), c’est de recourir à un dictionnaire de langue de référence. Pourtant, en France et ailleurs, se tourner vers ce type d’ouvrage lorsque l’on cherche à définir ce qu’est le livre, c’est s’exposer à une lourde déception. En règle générale, les définitions que l’on y trouve, outre leur européocentrisme flagrant, présentent en effet plusieurs défauts majeurs aux yeux des chercheurs. Certaines, sur lesquelles je passe, tendent encore à accréditer l’idée que le livre a toujours été imprimé, voire broché ou relié1. La plupart des autres font fi de l’évolution qui a mené l’objet livre à sa forme actuellement considérée comme classique en Occident. Dans le Petit Robert de la langue française, par exemple, on pouvait lire jusqu’à une date récente : « Assemblage d’un assez grand nombre de feuilles portant des signes destinés à être lus »2. Or non seulement le livre a pu par le passé prendre d’autres formes (tablettes d’argile, stèles de pierre, rouleaux de papyrus, tablettes de cire, feuilles de végétaux, étoffes, etc.), mais il peut aujourd’hui même se présenter sous l’aspect d’un enregistrement numérique (cédérom par exemple), lisible sur écran.
Il apparaît donc que l’on ne peut chercher à définir sérieusement ce qu’est le livre sans faire appel à ce que l’on sait de l’histoire de l’objet et de son environnement matériel et humain. C’est-à-dire, dans le cas de l’Occident : dans quelles circonstances se sont succédés ou ont coexisté des supports livresques tels que tablettes d’argile mésopotamiennes, rouleaux de papyrus du Bassin méditerranéen, puis codices du monde romain et au-delà, manuscrits et ensuite imprimés au moyen de caractères mobiles de métal, pour aboutir de nos jours au livre imprimé et broché en série, voire aux éditions numériques ; comment des techniques d’inscription, de calligraphie puis d’impression (artisanale et enfin industrielle) ont permis de matérialiser telle et telle forme d’écriture sur ces supports successifs ; comment surtout ces évolutions ont répondu à des besoins matériels ou intellectuels et ont conditionné des pratiques…
Pour atteindre ces résultats, il a fallu et il faut toujours faire intervenir des disciplines et des sciences auxiliaires de l’histoire comme l’archéologie, la papyrologie, la codicologie, la paléographie, l’histoire de la typographie, etc., dont chacune apporte sa pierre suivant les périodes et les géographies concernées. Mais, au-delà de ces approches cloisonnées et à dominante technique, il est apparu que l’on devait aussi et surtout envisager le livre, dans le temps long de son existence, suivant la perspective la plus large et la plus globale qui soit, en interrogeant ses usages sociaux, les enjeux économiques et politiques induits et les pratiques culturelles associées.
UNE « PROTOHISTOIRE DU LIVRE »
Cette forme d’approche, large et pluridisciplinaire, est aujourd’hui caractéristique de l’histoire du livre. C’est elle qui façonne notre regard sur le livre à travers les siècles. C’est elle aussi qui inspire depuis quelques décennies une foule de recherches sur l’univers du livre (manuscrit et surtout imprimé) et son articulation avec les autres médias. Ainsi l’histoire du livre telle qu’elle s’est affirmée en Occident nécessite-t-elle un aperçu qui soit à la fois historique et épistémologique.
L’Ancien Régime européen, à défaut d’histoire du livre3, a vu naître d’abord un intérêt certain pour l’histoire de l’imprimerie à caractères métalliques mobiles, cet « art divin » (selon l’expression de l’époque), dont on a très tôt – dès le début du XVIesiècle – commémoré l’« invention » par Gutenberg4. Témoin de cet intérêt l’Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’imprimerie (La Haye, 1740), histoire érudite due à une figure de la « République européenne des lettres » du début du XVIIIe siècle, le libraire protestant français Prosper Marchand, réfugié en Hollande. Parallèlement, on voit se développer à la même époque l’attrait bibliophilique des éditions incunables (autrement dit nées au berceau de l’imprimerie, avant 1501), qui jusque-là étaient souvent qualifiées péjorativement de « gothiques ». Cette nouvelle curiosité stimule les travaux de bibliographie savante et notamment l’élaboration du premier répertoire d’incunables, dû au Britannique Michael Maittaire (Annales typographici ab artis inventae origine…, La Haye, Londres, 1719-1741). Puis, au cours du XVIIIe siècle, l’héritage imprimé humaniste de la Renaissance retient à son tour l’intérêt des amateurs et des érudits. La Révolution française, quant à elle, exalte Gutenberg comme le premier artisan de la diffusion des Lumières en Europe et identifie l’imprimerie au « flambeau de la Liberté » des peuples. Le XIXe siècle, en revanche, va inspirer une historiographie souvent plus érudite mais moins universaliste : en Europe, l’histoire de l’imprimerie et de ses premiers monuments vient alors illustrer l’affirmation des identités nationales – le cas est particulièrement net en Allemagne, ainsi que l’a bien montré Frédéric Barbier5. Mais le XIXe siècle voit aussi bibliothécaires, libraires, collectionneurs et érudits se lancer dans des travaux de bibliographie savante solides6 et qui font nettement progresser la description et la connaissance des éditions, pour les XVe et XVIe siècles principalement. Toutes avancées dont l’histoire du livre actuelle peut être, partiellement, considérée comme l’héritière.
Parmi ces travaux relevant de ce qu’on peut appeler la « protohistoire du livre », deux champs plus ou moins interpénétrés se détachent donc : celui de l’histoire technique et professionnelle (typographie et arts graphiques) et surtout celui de la production imprimée des siècles d’or de la renaissance des lettres en Occident, les XVe et XVIe siècles7. Autant dire que ce type d’histoire était d’abord l’affaire de spécialistes, de professionnels ou d’amateurs du livre tels que libraires, bibliothécaires et bibliophiles. Lesquels avaient certes un accès aisé aux volumes (à la différence de la plupart des universitaires, en France du moins), mais travaillaient en marge de l’histoire officielle et de la reconnaissance académique. L’histoire littéraire et l’histoire intellectuelle, alors fondées exclusivement sur l’étude des œuvres et des auteurs consacrés et non sur une approche de l’ensemble de la production livresque ni encore moins de l’objet livre, allaient se satisfaire longtemps de cette situation de déconnexion.
L’APPARITION DU LIVRE : GESTATION ET ÉMERGENCE D’UNE DISCIPLINE AUJOURD’HUI CHOYÉE
En revanche, à partir du début du XXe siècle, l’ouverture de l’histoire à la sociologie8 et la montée en puissance des concepts de « sciences humaines » et d’« interdisciplinarité », vont contribuer à créer de nouvelles attentes. Celles-ci, comme l’a bien rappelé Frédéric Barbier dans sa postface à la nouvelle édition (1999) de L’Apparition du livre – se font jour dans la mouvance de la Revue de synthèse historique, revue fondée en 1900 par Henri Berr (1863-1954) et à laquelle collabore activement Lucien Febvre (1878-1956), mais aussi au sein de la collection « L’Évolution de l’humanité » qu’ils animent tous deux dès la décennie 1910. Avec Febvre naît le projet d’explorer la dimension culturelle de la sociologie historique, et en particulier le concept d’« histoire des mentalités » qui connaîtra au cours du XXe siècle le succès que l’on sait. Lucien Febvre, dans cette perspective, est persuadé qu’il y aurait beaucoup à tirer d’une histoire du livre dépassant le champ de l’érudition. Une histoire du livre qui permettrait d’appréhender une époque en approchant au plus près l’ensemble de son offre de lectures, et non seulement ses œuvres devenues classiques. Mais en attendant, rien n’émerge encore et Febvre s’indigne :
L’histoire du livre, terra incognita. Non que fassent défaut les travaux d’érudition (…). Mais (…) l’histoire de l’imprimerie n’est que trop rarement intégrée à l’histoire générale. Des historiens « littéraires » peuvent encore disserter à longueur de journée sur leurs auteurs sans se poser les mille problèmes de l’impression, de la publication, de la rémunération, du tirage, de la clandestinité, etc., qui feraient descendre leurs travaux du ciel sur la terre…9
Autrement dit, ceux qui alors sont censés être les historiens de la culture se désintéressent de l’un de ses fondements majeurs, à savoir le livre, parce que, comme le dira plus tard Henri-Jean Martin, ils y voient un « objet sans problème sinon sans histoire ». Cette situation ne fait que conforter Febvre dans le projet d’entreprendre un ouvrage fondateur sur l’histoire du livre qui viendrait prendre une place de choix dans la collection « L’Évolution de l’humanité » – où il a d’ailleurs été programmé dès 1912. En dépit de son enthousiasme pour ce nouveau chantier, Febvre, très sollicité par ailleurs (il dirige à partir des années 1930 l’Encyclopédie française et assure avec Marc Bloch la paternité des Annales), va devoir sans cesse en différer la réalisation. Faute de pouvoir mener seul le projet à bien, il cherche un collaborateur spécialiste, qu’il va trouver, au début des années 1950, en la personne d’Henri-Jean Martin, jeune bibliothécaire issu de l’École des chartes (promotion 1947) et alors en poste à la Réserve des livres imprimés de la Bibliothèque nationale. D’emblée, Febvre et Martin sont d’accord sur le but visé et les moyens à mettre en œuvre : il s’agit de tirer profit des acquis de l’érudition et de la bibliographie accumulés autour du livre (qu’H.-J. Martin connaît bien et dont il mesure les limites), mais de les intégrer dans le champ beaucoup plus large d’une « histoire sociale du livre », le tout en s’appuyant autant que possible sur le recours à la statistique et aux méthodes quantitatives alors en plein essor. Le pari est relevé entre 1953 et 1958 avec l’élaboration puis la publication de L’Apparition du livre, dont le plan a été tracé par Febvre (décédé en septembre 1956, près de deux ans avant la parution) et la rédaction assurée par Martin. Initialement, l’ouvrage devait comprendre deux volumes bien distincts et complémentaires, « Le Livre, cette marchandise » et « Le Livre, ce ferment ». Comme le résumera plus tard Henri-Jean Martin10,
la rédaction du premier ne posait pas trop de problèmes en ces années 1950 : l’acquis érudit était considérable en ce domaine et (…) l’histoire économique et sociale proposait une problématique. En revanche, la réflexion sur les communications n’était pas même à ses débuts et Febvre lui-même ne put esquisser que le début du plan de ce second volume, dont le tiers seulement fut rédigé (…) et inséré dans (…) la première partie.
Et il est vrai qu’il manquait encore un certain nombre d’outils conceptuels pour mener à bien de façon pleinement satisfaisante l’étude de ce que Lucien Febvre appelait « l’action culturelle et l’influence du livre ».
Tel quel – et malgré son titre critiquable (de fait, on y traite non pas de l’apparition du livre mais de celle du livre imprimé) –, cet ouvrage répondait pourtant à plus d’une attente. On a relevé à juste titre qu’il n’a pas suscité en France l’intérêt immédiat de la communauté universitaire. Peu de comptes-rendus lui ont été consacrés lors de sa parution. Toutefois, il a très tôt retenu l’attention d’historiens chartistes et de professionnels des bibliothèques. Ceux-ci y ont vu une chance et l’espoir d’une dynamique nouvelle pour leurs propres travaux : désormais, selon le mot du chartiste Charles Samaran (1879-1982), l’histoire du livre s’inscrivait « dans le cadre infiniment plus vaste de l’histoire de la civilisation »11.
Si L’Apparition du livre n’était pas d’emblée consacrée comme un classique de l’historiographie française, une « histoire globale du livre » émergeait bel et bien. Et elle avait tout pour séduire d’autres chercheurs à l’étranger, notamment dans le monde anglophone où les problématiques de la bibliographie matérielle avaient déjà réconcilié histoire littéraire et bibliographie érudite. Dès 1962, des traductions anglaise et espagnole étaient publiées, suivies d’éditions italiennes (1977, 1983) et japonaise (1985). L’histoire du livre avait en quelques années gagné ses lettres de noblesse. Discipline reconnue et autonome, elle était bientôt justiciable en France d’un enseignement particulier, tout d’abord à l’École pratique des hautes études (où la conférence d’Histoire et civilisation du livre est créée en 1963) et à l’École nationale des chartes, puis progressivement dans le reste du monde universitaire. Discipline neuve, elle mobilisait un faisceau d’approches historiennes aussi bien techniques qu’économiques, sociales, intellectuelles, culturelles ; elle permettait d’investir sans cesse de nouveaux « territoires » de recherche et suscitait à ce titre la curiosité et l’enthousiasme de générations d’étudiants à partir des années 1960 et 1970.
MATURITÉ, APPROFONDISSEMENTS, RENOUVELLEMENTS
En multipliant ses centres d’intérêt (de la production à la diffusion et à la réception du livre, notamment), ses méthodes, ses sources, ses périodes et ses géographies de référence, l’histoire du livre ne perdait cependant pas de vue l’idéal d’une histoire globale, d’une histoire « totale » lue à travers le prisme du livre. C’est cette exigence qui a inspiré d’abord une Histoire de l’édition française, publiée sous la direction d’Henri-Jean Martin et Roger Chartier entre 1982 et 1986 en 4 volumes, puis différentes entreprises similaires en Espagne, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Australie, etc., et ensuite dans la même ligne une Histoire des bibliothèques françaises (1988-1992, 4 vol.) et un Dictionnaire encyclopédique du livre (international mais centré principalement sur la francophonie ; 3 vol. prévus, 2 parus en 2002 et 2005)12. En synthétisant et en vulgarisant ses acquis, en levant les cloisonnements inhérents à toute spécialisation, en se remettant constamment en question13, l’histoire du livre a su, dans les dernières décennies, démontrer ses capacités à relever les défis d’une exigence permanente de dépassement.
Cette dynamique est loin de prendre fin avec les grandes entreprises évoquées à l’instant. Celles-ci ont au contraire joué et jouent toujours un rôle de tremplin et de stimulant pour de nouvelles recherches ou pour des remises en perspective. Parmi d’autres, un certain nombre d’approfondissements sont engagés, sur des questions aussi diverses et essentielles que l’histoire européenne des pratiques de lecture, de la réception et de l’appropriation des textes (courant de recherche impulsé par Roger Chartier) ; la réappréciation du statut du livre à travers une relecture des constructions institutionnelles censées encadrer sa production ; le renouveau des études statistiques (depuis que l’informatisation et la mise en réseau des catalogues de bibliothèques patrimoniales ont été réalisées) ; la collaboration croissante avec les historiens de la presse périodique, mais aussi avec les codicologues et les spécialistes des manuscrits, aujourd’hui plus en phase avec les problématiques de l’histoire du livre imprimé ; le rapprochement prometteur esquissé en direction de l’histoire littéraire, grâce à la sociologie de la littérature et des textes, à l’exploitation de concepts tels que le « paratexte » ou la « manifestation » [des auteurs, des éditeurs] et aux apports de la bibliographie matérielle. De même, des champs plus traditionnels de l’histoire du livre et de l’imprimerie, tels que l’histoire de l’innovation technique et l’histoire sociale des métiers du livre et de la presse, ont-ils commencé d’être revisités pour les XIXe et XXe siècles… Toujours soucieux d’élargir les perspectives, H.-J. Martin lui-même, depuis sa grande thèse Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (Genève, 1969, 2 vol.), n’a cessé de prêcher d’exemple : en défrichant de nouveaux territoires par ses travaux sur la morphologie historique du livre et sur les logiques de la « mise en texte » du Moyen Âge au XVIIe siècle14, en appelant aussi la communauté des historiens du livre à cultiver les vertus du comparatisme15, ou encore en s’efforçant dans Histoire et pouvoirs de l’écrit de replacer l’histoire du livre à travers les âges dans une interrogation plus large sur l’écriture et la communication sociale16.
HISTOIRE DU LIVRE ET HISTOIRE DES COMMUNICATIONS ET DES MÉDIAS : QUELLE ARTICULATION ?
À travers cet ouvrage tout particulièrement s’est exprimée l’une des préoccupations majeures et toujours actuelles du fondateur de l’histoire du livre, celle de rappeler – je le cite – que « l’histoire du livre constitue, après tout, un aspect de l’histoire des communications »17. Et H.-J. Martin d’en appeler de ce fait à « un débordement de la stricte histoire du livre vers une réflexion historique plus générale sur les rapports entre communication et société »18. La démarche est louable et même indispensable depuis la Galaxie Gutenberg de McLuhan19. Et le fait que Frédéric Barbier, historien du livre, soit précisément le coauteur d’une Histoire des médias de Diderot à Internet20 et aborde largement la problématique des concurrences médiatiques dans son manuel d’Histoire du livre21, doit nous rassurer sur les capacités qu’a l’histoire du livre à intégrer ces questionnements.
Mais il n’est pas non plus inutile de rappeler que le livre, imprimé ou manuscrit, n’a jamais été placé, au cours de sa longue existence, en situation de « monopole médiatique »22. L’un des défis fondamentaux qu’ont eu à relever les historiens du livre dans leur quête d’histoire totale a justement été de chercher à déterminer la « part du livre » et son influence dans une société donnée23 – faisant ainsi écho aux préoccupations fondatrices de L’Apparition du livre. Même à l’époque où on le dit « triomphant »24 (fin XVIIe-début XIXe siècle), en effet, le livre règne sur une société où l’oralité est dominante et où, même en Occident, une partie considérable de la population est encore analphabète. Quant aux lisants, leur premier accès à l’écrit se fait le plus souvent à travers des médias manuscrits ou imprimés porteurs de messages courts (billets, avis, faire-part, formulaires, affiches, feuilles périodiques ou nouvelles à la main, chansons, libelles…). Écrits que les historiens du livre qualifient certes de « non-livres », mais dont ils ne négligent ni l’importance sociale ni le poids quantitatif bien que ces supports n’aient été que très minoritairement conservés. Il ne faudrait pas oublier non plus que cette « cohabitation médiatique » séculaire a pu se muer très tôt en concurrence en temps de crise politique. En France durant la Ligue (1589-1593), la Fronde (1648-1653), puis surtout la Révolution, on observe très nettement que la production de livres est submergée par une marée de libelles, de brochures et de feuilles d’information. Pendant la Révolution française, cette concurrence médiatique devient même idéologique: nombre de journalistes et de chefs de file politiques proclament en effet que le livre, « article d’Ancien Régime », instrument d’une élite aristocratique et cléricale condamnée, doit désormais faire place aux périodiques et aux brochures d’information « démocratiques » accessibles à tout citoyen25. Bien qu’elles n’aient pas donné lieu à une lecture aussi politisée, les vagues successives de nouveaux médias caractéristiques des deux derniers siècles, qui ont permis d’accélérer et de massifier la circulation des informations sous toutes ses formes, ont été généralement interprétées comme des concurrences de plus en plus menaçantes pour l’hégémonie supposée26 du livre ou pour sa vie même.
Dans des sociétés de plus en plus alphabétisées et consommatrices, celle-ci s’en est-elle pour autant trouvée atrophiée ? Il ne semble guère, à première vue. Les XIXe et XXe siècles ont été marqués, en Occident en particulier, par une croissance vertigineuse de la production et de la consommation du livre imprimé. Au point qu’à l’heure actuelle on peut même dire qu’il ne s’est jamais autant produit et vendu de livres à travers le monde. Jamais non plus le livre n’a bénéficié d’un public universitaire aussi nombreux et captif. Jamais il n’a été aussi présent auprès des jeunes enfants, à l’école ou en dehors d’elle. Jamais les bibliothèques n’ont proposé et prêté autant de livres…27 Il est vrai pourtant que le public, sollicité par d’autres loisirs culturels, consacre souvent de moins en moins de temps à la lecture de livres, et que le chiffre d’affaires global du secteur de l’édition reste modeste – en France, il n’en a pas moins été multiplié pratiquement par six en un demi-siècle tandis que la production faisait plus que quadrupler en nombre de titres28. De plus, ce secteur, en Occident, se retrouve aujourd’hui majoritairement entre les mains de grands groupes de communication (audiovisuel, presse, télécommunications, publicité, services, divertissement…). Or, pour de tels groupes, le livre, malgré une importance symbolique certaine, n’est qu’une activité secondaire, bien moins rentable, bien moins perméable à la manne de la publicité et bien moins stratégique en termes de « médiacratie » que la télévision, la radio, ou même la presse écrite, cette dernière pourtant en nette perte de vitesse dans nos sociétés. Mais cette situation d’intégration médiatique du livre, voire d’inféodation médiatique apparente, doit-elle peser sur notre approche scientifique au point que l’on se demande, comme H.-J. Martin un jour de doute29 :
Est-ce qu’il y a encore une place pour l’histoire du livre ? L’histoire du livre doit-elle rester une discipline autonome ou s’intégrer à une histoire (…) et à une réflexion sur les communications qu’il faudra bien développer un jour ?
AUJOURD’HUI : RETOUR SUR LE LIVREET NOUVEAUX ENJEUX DE SON HISTOIRE
L’histoire du livre est-elle autrement dit soluble dans l’histoire des communications et des médias, de même que l’édition de livres serait promise à se fondre dans la stratégie capitalistique des grands groupes de communication qui la contrôlent ? En ce qui me concerne, je vois pour le moment à cet « alignement » de la discipline histoire du livre sur le destin supposé du livre un certain nombre d’objections de taille dont je souhaiterais livrer au moins une partie. Tout d’abord du côté de l’histoire même des communications, censée dans cette optique prendre en charge voire absorber l’histoire du livre. Les spécialistes de la communication et des médias font certes constamment référence à Gutenberg30 : Régis Debray, par exemple, dans son Cours de médiologie générale (Paris, 1991), a fait un sort au livre, à l’imprimé et à ce qu’il appelle la « graphosphère » suivant son système de classification des médias. Toutefois, ces spécialistes n’ont jusqu’à présent développé qu’une approche historique limitée, ne remontant que rarement au-delà du XIXe siècle, peu attentive aux évolutions du livre et souvent superficielle quant aux leçons à tirer des médias-objets eux-mêmes. Envisageant avant tout la mécanique des médias de masse et l’impact d’informations, de messages brefs et liés à une actualité, ils ont eu tendance à laisser de côté le livre, voire à le regarder sous l’angle fixiste d’une sorte d’« archéologie des médias ». Pourquoi ? Parce que les contenus et l’inscription de celui-ci dans le temps sont complexes, ses chiffres de tirage relativement modestes, sa diffusion plus lente, l’investissement de son contenu par la publicité très difficile et son influence sur la collectivité fort délicate à évaluer dans le court terme, par rapport aux audiences des grands médias audiovisuels, aux ventes de la presse quotidienne ou aux connexions à tel ou tel site Internet.
Or ce constat d’inadéquation nous amène à une autre série d’objections liées à la problématique de la définition évoquée en tête de cet exposé. Si l’on peut en effet identifier ce qu’est et a été l’objet livre, en Occident et ailleurs, au cours des siècles, il reste à cerner ce qui fait sa spécificité intellectuelle, voire son caractère irréductible, dans le concert des moyens de communication et dans l’univers de l’écrit particulièrement. De fait, tout écrit n’est pas livre. Le contenu d’un livre, objet porteur d’un certain nombre de signes comme tout écrit, n’est cependant pas réductible à un unique message ou à un ensemble de données et d’informations isolables et décomposables comme celles auxquelles l’univers informatique nous a habitués. Il forme un tout, une unité structurée à laquelle aucune partie ne doit en principe manquer pour qu’il puisse produire tout son sens. Il en résulte que composer un livre, de même que lire un livre, suppose un effort d’une certaine durée, effort d’attention et de concentration s’appliquant à un « assez grand nombre de feuilles » (selon la formule volontairement vague de la définition lexicographique), ou en tout cas à un support d’une longueur non négligeable. La lecture d’un livre (quel que soit son genre) est, au moins pour un adulte contemporain, un exercice généralement solitaire, silencieux et suivi ; si cet effort va rarement permettre une mémorisation exacte, il peut en revanche laisser une trace durable dans l’imagination ou la conscience de son lecteur et favoriser ainsi la réflexion ou la mise à distance du contenu. En tant que tel, le livre apparaît investi d’une mission de mémorisation mais aussi de distanciation vis-à-vis de l’immédiat. Ce média abstrait et distant ne prend sens que s’il est approprié à travers l’acte de lecture (acte généralement long et individualisé), mais il permet en même temps d’accéder à une dimension collective à travers l’exercice de mémoire qu’il implique. Il appartient ainsi, rappelle H.-J. Martin en citant le philosophe Karl Popper (1902-1994)31, à un « troisième monde » culturel, dont chaque
volume qui reproduit un récit ou un discours (…) se révèle destiné à maîtriser le temps [et] est dès lors détenteur de valeurs symboliques et sacralisantes…32
Avant d’admettre que le livre soit placé sur le même plan que les autres médias, et que l’histoire du livre soit intégrée à celle des communications, ne faut-il donc pas se poser la question de ce qu’implique sa spécificité ? Ne faut-il pas, en raisonnant (pour le moment) par l’absurde, se demander par exemple ce que perdraient nos sociétés si le livre ainsi défini, instrument à la fois de la constitution de la conscience collective et de l’indépendance d’esprit de tout un chacun, venait à disparaître de notre univers culturel ? Plusieurs utopies du XXe siècle, notamment deux d’entre elles particulièrement brillantes et visionnaires, à savoir Le Meilleur des mondes (Brave New World) d’Aldous Huxley (1932) et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (1953), ont exploré cette éventualité33. Or il est intéressant de relever que toutes deux se sont placées dans l’hypothèse de sociétés qui, à l’image des sociétés occidentales actuelles, sont déjà complètement alphabétisées, où l’écrit et les médias de masse de toutes sortes sont omniprésents, mais dont seul le livre a été délibérément banni. Qu’on le persécute par l’autodafé, comme dans Fahrenheit, ou qu’on en inspire dès l’enfance une haine réflexe comme aux habitants du Meilleur des mondes, le but poursuivi est bien le même. Le livre est perçu dans les deux cas comme le lieu de formation par excellence de la réflexion solitaire, de l’esprit critique, des «idées générales » (chez Huxley), des débats et controverses, des « pensées inutiles » et irréalistes (chez Bradbury). Pour toutes ces raisons, il est jugé antisocial et présente un risque majeur pour des sociétés dont la stabilité, l’uniformité, l’asservissement au bonheur matériel et au consumérisme dépendent entièrement du conditionnement et de la « prédestination sociale ». Ces best-sellers de l’anticipation nous ont donc avertis de ce à quoi pourraient aboutir les évolutions présentement à l’œuvre sous nos yeux, au moins en Occident. Priver (brutalement ou graduellement) de livres une société développée et alphabétisée, c’est la rendre disponible pour une foule d’informations, de modèles et de messages à caractère prescriptif ou publicitaire ; c’est la maintenir sur un horizon collectif d’immédiateté, de volatilité et d’oubli accéléré (pensons à l’image du « sable dans le tamis » chez Bradbury) ; c’est en un mot lui retirer les armes et les repères dont elle dispose pour éviter l’aliénation par la « contrainte positive » chère à Huxley.
Et je voudrais à ce propos rapporter ici une anecdote qui me semble bien illustrer les enjeux en présence. Il y a un peu plus de vingt ans, un journaliste cherchant lors d’une interview télévisée à embarrasser François Mitterrand lui avait demandé ce qu’il entendait quant à lui par le mot fréquemment galvaudé de « liberté ». Le président français lui avait alors fait cette réponse, qui en avait décontenancé plus d’un à l’époque : « Pouvoir lire, un livre, une heure ou deux par jour, il n’y a pas pour moi de plus grande liberté. » Le message était fort : il nous rappelait que la liberté, comme la lecture d’un livre, est un choix et un effort d’abord personnels et solitaires – choix et effort d’autant plus difficiles à assumer pour un homme public surexposé, au milieu du « bruit » médiatique et du trop-plein de la vie politique –, mais que cet exercice silencieux, lent, intime34, comme hors du monde réel, pouvait nous rendre paradoxalement plus concernés par ce monde, et qu’il nous permettait d’accéder par là à une forme supérieure de liberté à travers la conscience collective35.
À cela on peut objecter à juste titre que le livre a su se faire aussi par le passé le vecteur de la propagande, ou de la pensée et de la religion uniques. De nos jours, pourtant, face aux flux croissants de messages, de slogans et d’informations éphémères, face à la confusion grandissante entre information, communication, publicité et divertissement, il apparaît surtout comme le garant de la distance critique, de l’indépendance d’esprit et de goût, de la portée d’une culture, et pourquoi pas comme le rempart d’un nouvel humanisme face à l’aliénation et au consumérisme. « Aujourd’hui plus que jamais, la culture livresque est un enjeu énorme »36, a déclaré récemment H.-J. Martin, à qui ce renforcement tendanciel du statut culturel du livre n’a certainement pas échappé. Il me semble que nous sommes d’autant plus convaincus de l’importance de cet enjeu au terme de ce tour d’horizon. Mais reconnaissons alors qu’il serait d’autant plus dommage que l’histoire du livre, en Occident et ailleurs, se trompe d’objet. Pour cette discipline pionnière et encore jeune, ce serait une erreur que de négliger à la fois l’actualité et la portée du livre, de se laisser enfermer dans une « archéologie des médias » et se désintéresser de la nouvelle situation de défi de notre XXIe siècle. Situation où, on le voit bien, le livre, pour continuer à assurer sa mission, à être « ce ferment », tend d’autant plus à cultiver ses différences et sa spécificité, dans sa forme comme dans ses contenus, vis-à-vis du reste de l’environnement médiatique. Et non à se fondre complètement dans les contraintes qui régissent l’univers des communications contemporaines et leur consommation.
Or cette forme d’intérêt, cette capacité à repenser le champ de la recherche pour y intégrer des situations et des problématiques neuves qui importent à l’histoire des sociétés, sans pour autant perdre de vue l’objet-livre et ses mutations, n’est-ce pas là le message principal de l’histoire du livre telle qu’elle s’est constituée en Europe il y a près d’un demi-siècle ? Frédéric Barbier nous le rappelle dans sa postface à L’Apparition du livre : pour que l’histoire du livre puisse tenir ses promesses, il lui faut continuer de
centrer l’étude sur le média lui-même, mais sans exclusive37 d’école, de période ni de méthode. En bref, faire du livre, au sens plein du terme, un objet d’histoire38.
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1 Le basique Petit Larousse illustré (Paris, Larousse, 2000, p. 601) propose ainsi les définitions suivantes : « 1. Assemblage de feuilles portant un texte, réunies en un volume relié ou broché. Volume imprimé considéré du point de vue de son contenu. » On trouve les mêmes définitions dans le Grand Larousse universel (Paris, Larousse, 1995, 15 vol.).
2 Cependant Le Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (nouv. éd. du Petit Robert de Paul Robert, texte remanié et amplifié sous la dir. de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2004, p. 1503) se montre plus nuancé. Il parle bien lui aussi d’« assemblage d’un assez grand nombre de feuilles portant des signes destinés à être lus », mais introduit la variante : « ou long support souple roulé, dans l’Antiquité ».
3 Voir notamment sur ce point Henri-Jean Martin, « Comment on écrivit l’histoire du livre », Le Livre français sous l’Ancien Régime, Paris, Promodis – Éd. du Cercle de la Librairie, 1987, pp. 11-28.
4 Encore que la paternité de cette invention lui ait été fermement contestée ici et là : en Alsace, par exemple, les chroniqueurs lui ont longtemps préféré l’imprimeur de Strasbourg Johann (Jean) Mentelin (1410 ?-1478) ; aux Pays-Bas et dans plusieurs pays voisins (dont l’Angleterre au moins jusqu’à la fin du XVIIe siècle), on a tenu jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle pour Laurens Janszoon Coster, imprimeur à Haarlem, avant que l’antériorité de Gutenberg ne soit établie de façon incontestable.
5 Frédéric Barbier, L’Empire du livre. Le livre imprimé et la construction de l’Allemagne contemporaine (1815-1914), Paris, Éd. du Cerf, 1995.
6 Relevons, dans le cas de la France, les travaux de figures emblématiques appartenant toutes aux mêmes milieux (bibliothécaires et bibliographes, libraires, collectionneurs) : Antoine-Alexandre Barbier (1765-1825), Jacques-Charles Brunet (1780-1867), Joseph-Marie Quérard (1797-1865), Antoine-Augustin Renouard (1765-1853) puis Philippe Renouard (1862-1934), Henri Baudrier (1815-1884), Anatole Claudin (1833-1906), Paul Delalain (1840-1924)…
7 Cf. la postface de Frédéric Barbier à la nouvelle édition de L’Apparition du livre de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin (Paris, Albin Michel, 1999), notamment pp. 545-546.
8 « L’histoire n’est pas l’accumulation des événements de toute nature qui se sont produits dans le passé. Elle est la science des sociétés humaines », résumera Marc Bloch (1886-1944) en citant Numa-Denis Fustel de Coulanges (1830-1889) dans « Pour une histoire comparée des sociétés européennes », Revue de synthèse historique, t. XLVI, 1928, pp. 15-50.
9 Extrait de la note introductive de Lucien Febvre à l’article d’Henri-Jean Martin, « L’édition parisienne au XVIIe siècle : quelques aspects économiques », Annales ESC, 1952, p. 309.
10 H.-J. Martin, article « Histoire du livre » du Dictionnaire encyclopédique du livre, sous la dir. De P. Fouché, D. Péchoin, P. Schuwer et la responsabilité scientifique de J.-D. Mellot, A. Nave, M. Poulain, Paris, éd. du Cercle de la Librairie, 2002 → (t. II, 2005, pp. 476-478).
11 Charles Samaran, « Sur quelques problèmes d’histoire du livre [long compte rendu de L’Apparition du livre] », Journal des savants, avril-juin 1958, pp. 57-72.
12 Jean-Dominique Mellot, « Un grand chantier dédié au livre et ses « coulisses » : le Dictionnaire encyclopédique du livre (DEL) », dans Revue française d’histoire du livre, 116-117, 2002 (Genève, Librairie Droz), pp. 349-361.
13 Voir en particulier à ce propos Roger Chartier, « De l’histoire du livre à l’histoire de la lecture : les trajectoires françaises », Histoires du livre, nouvelles orientations. Actes du colloque des 6 et 7 septembre 1990, Göttingen, sous la dir. de H. E. Bödeker, Paris, IMEC-éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1995, pp. 23-45.
14 Mise en page et mise en texte du livre manuscrit, sous la dir. d’H.-J. Martin et J. Vezin, Paris, éd. du Cercle de la Librairie-Promodis, 1990, et H.-J. Martin et collab., La Naissance du livre moderne, XVIe-XVIIe siècle : mise en page et mise en texte du livre français, Paris, éd. du Cercle de la Librairie, 2000.
15 H.-J. Martin, « Pour une histoire comparative du livre. Quelques points de vue », Histoires du livre, nouvelles orientations…, ouvr. cit., pp. 417-432.
16 H.-J. Martin, avec la collab. de B. Delmas, Histoire et pouvoirs de l’écrit, Paris, Librairie académique Perrin, 1988 (nouv. éd., Paris, Albin Michel, 1996 ; trad. anglaise sous le titre : The History and power of writing, Chicago-London, University of Chicago Press, 1994). « [Ce livre] est aujourd’hui pour moi une étape dans mon effort pour me dégager de l’histoire du livre imprimé avec ce qu’elle comporte de partiel, pour élargir les horizons », a pu dire de lui son auteur dans Les Métamorphoses du livre : entretiens avec Jean-Marc Chatelain et Christian Jacob, Paris, Albin Michel, 2004, p. 227.
17 H.-J. Martin, article « Histoire du livre », Dictionnaire encyclopédique du livre, ouvr. cit., t. II, p. 478. Réflexion reprise, développée et nuancée dans H.-J. Martin, Les Métamorphoses du livre…, ouvr. cit., pp. 215-216 : « … il faudrait replacer l’histoire du livre période par période (…) dans le cadre du système global de la société correspondante. Peut-être serait-ce même là l’essentiel. Cette réflexion ne pourrait être strictement historique. Elle devrait faire appel aux spécialistes des diverses sciences humaines mais aussi aux neurophysiologues… ».
18 Extrait d’une interview accordée à Laurence Santantonios pour le périodique Livres Hebdo, nº 545, 20 février 2004, p. 76.
19 Herbert Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, the making of typographic man, London, Routledge & K. Paul, 1962 (trad. française sous le titre : La Galaxie Gutenberg face à l’ère électronique : les civilisations de l’âge oral à l’imprimerie, Paris, Mame, 1967).
20 F. Barbier, C. Bertho-Lavenir, Histoire des médias : de Diderot à Internet, Paris, Armand Colin, 1996 (3e éd. rev. et complétée, ibid., 2003). Dans l’introduction de cet ouvrage, la problématique de l’articulation de l’histoire du livre avec celle des médias, en particulier, est explicitement envisagée, et sous un angle critique stimulant : « Des questions du type « la fin du livre… ? » sont au moins mal posées, qui appelleraient une mise en place et une réflexion plus scientifiques : qu’est-ce que le média livre (qu’il faudrait distinguer de l’imprimé en général) apporte (…) ? Quelles sont les spécificités des nouveaux médias, dans quelle mesure ceux-ci s’insèrent-ils dans une histoire qui leur préexiste nécessairement mais qu’ils contribuent à dépasser… ?»
21 Frédéric Barbier, Histoire du livre, Paris, Armand Colin, 2000, 2e éd., ibid., 2006.
22 « Hier comme aujourd’hui, observe à juste titre Daniel Roche, le livre n’est jamais seul, (…) il prend place dans un système général d’information où [sous l’Ancien Régime] l’oralité demeure dominante » (« Le livre : un objet de consommation entre économie et lecture », Histoires du livre, nouvelles orientations…, ouvr. cit., pp. 225-240, notamment pp. 226-228).
23 Voir pour le cas de Rouen, deuxième ville du royaume de France et principal centre éditorial provincial au XVIIe siècle : Jean-Dominique Mellot, L’Édition rouennaise et ses marchés (v. 1600-v. 1730) : dynamisme provincial et centralisme parisien, Paris, École des chartes (diff., Paris, H. Champion ; Genève, Droz), 1998.
24 Cf. le tome II de l’Histoire de l’édition française, sous la dir. d’H.-J. Martin et R. Chartier, Paris, Promodis, 1984 : Le Livre triomphant, 1660-1830.
25 Voir notamment sur ce point Jean-Dominique Mellot, Élisabeth Queval, Véronique Sarrazin, « La liberté et la mort ? Vues sur les métiers du livre parisiens à l’époque révolutionnaire », Revue de la Bibliothèque nationale, nº 49, automne 1993, pp. 76-85.
26 Parmi d’autres et dans le cadre français, cf. Le Livre : la fin d’un règne, de Fabrice Piault, Paris, Stock, 1995.
27 Sur ces questions, voir par exemple pour un point de vue centré sur la France et l’Europe Où va le livre ?, sous la dir. de J.-Y. Mollier, 2e éd., Paris, La Dispute, 2002, et Laurence Santantonios, Tant qu’il y aura des livres, Paris, Bartillat, 2005.
28 Passant de 12 000 titres en 1955 à quelque 55 000 en 2004.
29 En conclusion d’une interview accordée en juin 2004 à Anne-Marie Bertrand et Martine Poulain pour le Bulletin des bibliothèques de France, t. 49, nº 5, 2004, pp. 21-23.
30 Voir par exemple le colloque De Gutenberg ao terceiro milénio : actas do Congresso internacional de comunicação, 6, 7 e 8 de abril 2000, Lisboa, coord. J. A. dos Santos Alves, Lisboa, Universidade autonoma de Lisboa, 2001, dont l’ouverture à l’univers du livre et de la presse s’est toutefois révélée remarquable, avec en particulier la conférence d’Elizabeth L. Eisenstein, « Old media in the new millenium » (pp. 141-150).
31 Karl R. Popper, La Connaissance objective, trad. de l’anglais, Bruxelles, éd. Complexe ; Paris, Presses universitaires de France, 1978 (1re éd. anglaise, 1972 ; nouv. éd. française, Paris, Flammarion, 1998).
32 H.-J. Martin, article « Livre », Dictionnaire encyclopédique du livre, ouvr. cit., t. II.
33 Il est à noter qu’une autre grande œuvre d’anticipation de la même époque, 1984 de George Orwell (1949), sans envisager l’exclusion radicale du livre, met toutefois clairement en scène sa marginalisation, dans un univers où le libre exercice de la pensée même est proscrit.
34 Rappelons ici avec Philippe Ariès (« Pour une histoire de la vie privée », Histoire de la vie privée, dir. P. Ariès et G. Duby, Paris, éd. du Seuil, t. III, 1986, pp. 7-19) que « c’est précisément la diffusion de la lecture silencieuse, instaurant un rapport intime et secret entre le lecteur et son livre, qui a permis l’affirmation de la notion même de « privé » ».
35 Un autre plaidoyer pour la liberté de la lecture, particulièrement inspiré, nous est proposé par exemple dans Comment Pinocchio apprit à lire d’Alberto Manguel (Lausanne, Bibliothèque cantonale et universitaire, 2003), ce dernier auteur par ailleurs d’une stimulante Histoire de la lecture (Arles, Actes Sud, 1998 ; 1re éd. anglaise, London, Harper Collins publ., 1996).
36 Extrait d’une interview accordée à L. Santantonios pour Livres Hebdo, art. cit., 20 février 2004, p. 76.
37 Dans « Le comparatisme comme nécessité heuristique pour l’historien du livre et de la culture » (Histoires du livre, nouvelles orientations…, ouvr. cit, pp. 433-449), F. Barbier développe cette caractéristique fondatrice et fondamentale de l’histoire du livre : « … Il ne peut y avoir par exemple une histoire économique de l’imprimerie-librairie qui s’opposerait à une histoire socioculturelle des livres et à une ethno-histoire des lectures. La cohérence nécessaire de l’objet (…) doit être conservée dans la démarche méthodologique de la recherche, qui ne doit négliger aucune voie d’approche. Dès lors que notre objet privilégié, ici le livre ou, plus largement, la chose imprimée, est dans le même temps une « marchandise », un « ferment », un symbole, un objet matériel, etc., il fonctionne comme le point de convergence de logiques multiples et entremêlées – économique, socioculturelle, politique, artistique, etc. – et dont aucune ne peut être a priori rejetée par le chercheur ».
38 L’Apparition du livre, postface à la nouvelle édition (Paris, Albin Michel, 1999), p. 579.