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Sur la presse périodique

Marc Martin, La Presse régionale. Des Affiches aux grands quotidiens, Paris, Fayard, 2002, 501 p., ill. ISBN 2-213-61054-1

Alexandre BAILLY

Avec le récent ouvrage de Marc Martin, nous avons affaire à une somme sur la presse régionale, de ses origines à nos jours. L’auteur s’est attaché à retracer l’histoire de ces journaux qui comptent parmi les plus lus en France. Cet ouvrage répond à l’attente des historiens du livre car cette presse provinciale demeure encore peu étudiée, comme l’auteur le fait remarquer dans son introduction. Il s’agit de l’indispensable renouvellement des recherches dirigées notamment par Jacques Godechot et qui avaient permis la publication de l’Histoire générale de la presse française29.

Marc Martin s’attache à lier étroitement l’évolution de la presse régionale à la lente genèse de la condition de journaliste en province et à l’évolution de la structure de production de la plupart des quotidiens provinciaux. Selon lui, la presse régionale naît à la fin du XVIIe siècle avec les contrefaçons provinciales de la Gazette de Théophraste Renaudot (dès 1633 à Aix-en-Provence, Lyon et Rouen). Cette presse se développe timidement au cours du XVIIIe siècle avec le genre des Affiches, ensemble de petites annonces, accompagnées de fort prudents et apolitiques comptes-rendus d’Académies de province. Ces Affiches, dont les premières sont les Affiches lyonnaises (1742), sont elles aussi l’adaptation des Affiches de Paris, de l’imprimeur Boudet, lequel en détient le privilège. Elles prennent une forme proche de celle des livres proprement dits, quatre pages in-8° ou in-4°, avec un texte disposé sur deux colonnes.

L’auteur mentionne une entreprise de presse provinciale originale et directement concurrente de la Gazette, Le Courrier d’Avignon, publié en 1733. Cette parution est rendue possible par l’absence du régime courant des privilèges dans le Comtat Venaissin. Tous ces petits journaux sont produits dans des ateliers d’imprimeurs-libraires pour lesquels ils constituent une activité d’appoint. Les journalistes sont le plus souvent de modestes enseignants de collèges ecclésiastiques, des avocats des Parlements provinciaux, voire le propriétaire de l’imprimerie-librairie. Le faible essor de cette presse est dû à son prix, et une partie de la diffusion s’en fait par le réseau provincial des bibliothèques et cabinets de lecture. Les tirages moyens semblent s’élever de quelques centaines d’exemplaires pour la majeure partie des titres à deux ou trois mille pour Le Courrier d’Avignon.

Avec la période de la Révolution française s’ouvre une ère de liberté pour la presse provinciale comme pour la presse parisienne. Les débats politiques apparaissent dans les feuilles provinciales, à la faveur de la campagne des États Généraux (voir la Sentinelle du Peuple de Volney à Rennes). La condition de journaliste ne s’améliore pas pour autant, et les revenus sont loin d’être assurés : ce sont d’anciens ecclésiastiques défroqués, des avocats ayant perdu leur situation avec la suppression des Parlements (loi du 3 novembre 1789) ou des membres des professions libérales, et notamment des notaires. La suppression des corporations et des privilèges permet également la multiplication des imprimeries, dont beaucoup publient une feuille à la périodicité plus ou moins régulière et à l’existence souvent éphémère. Des journaux au contenu politiquement engagé apparaissent à côté des traditionnelles Affiches : ainsi à Grenoble, où la Société patriote lance le 1er décembre 1789 La Vedette des Alpes pour concurrencer les Affiches du Dauphiné, hostiles aux réformes politiques en cours. Le dynamisme de cette nouvelle presse ne gagne pas l’ensemble des départements (Haute-Marne, Aisne, Vosges…). Mais des titres naissent dans les centres importants d’imprimerie, comme le Journal de Rouen de Noël de La Morinière (janvier 1792) ou, toujours à Rouen, L’Observateur de l’Europe de Robert Magloire (septembre 1793).

La censure sous la Terreur n’affecte que partiellement la liberté de ton de la presse provinciale. Ce n’est qu’avec le Directoire et l’instauration d’un droit de timbre par les lois des 9 et 13 vendémiaire an VI (30 septembre et 4 octobre 1797) que l’équilibre de la presse provinciale est touché – par exemple, le prix de La Chronique d’Eure-et-Loir augmente de 43%. Une censure particulièrement vigilante à l’égard des feuilles périodiques soupçonnées de royalisme se met en place au cours du deuxième Directoire, et elle est renforcée par les dispositions prises sous le Consulat et l’Empire. Ainsi, la Correspondance de littérature, de jurisprudence, de commerce et de politique de la Côte-d’Or est-elle interdite en 1801, à la suite d’articles jugés trop favorables au pape. La création de « journaux de préfectures » dans les départements jusqu’alors dépourvus d’une presse locale, par la décision de Portalis en août 1810, a un effet parfois positif, même si toute autre concurrence est interdite. La condition de journaliste reste toujours mal assurée, et la carrière n’attire le plus souvent que de modestes enseignants ou employés de préfecture qui trouvent là une activité d’appoint. Dans le même temps, les imprimeurs ne renouvellent pas la forme des titres, ni le matériel d’imprimerie. La plupart des titres ne contiennent que des annonces et des nouvelles politiques officielles, comme avec le Journal hebdomadaire du département du Puy-de-Dôme, créé en 1805 et totalement contrôlé par le préfet.

Avec la Restauration et la Monarchie de Juillet, de grands quotidiens émergent enfin dans les plus importantes agglomérations provinciales : c’est le cas du Sémaphore, publié à Marseille par Demonchy et Feissat à partir de 1828, ou de L’Indicateur à Bordeaux avec Pierre Dubois, à partir de 1829. La condition de journaliste commence à évoluer vers un salariat à plein temps, et de véritables carrières journalistiques et politiques naissent en province : Louis Veuillot, journaliste catholique ultramontain, fait ainsi ses premières armes au journal ministériel de L’Écho de Rouen (septembre 1831). Globalement, la presse provinciale reste une presse de notables, dont les faveurs vont d’abord au pouvoir (l’Hermine de Nantes, ou la Gazette du Dauphiné). L’importance de la presse légitimiste est à noter, avec un titre comme La Guienne, fondé à Bordeaux en 1831. Une presse républicaine naît également sous la Monarchie de Juillet, avec Le Courrier de la Sarthe (1831). Elle disparaîtra avec la fin de la Seconde République. Les premières presses métalliques Stanhope font leur apparition, mais les entreprises tardent à se moderniser en raison du manque de capitaux. Les machines à vapeur ne se développeront en province qu’à partir des années 1860. La surface imprimée peut ainsi doubler, les tirages et leur vitesse augmenter. Le format passe de l’in-4° (21 x 30 cm) au petit in-folio (32 x 44,5 cm), et le tirage moyen atteint les mille exemplaires. Le développement de la presse est également lié à la constitution du réseau ferroviaire, notamment avec l’axe du PLM, et à la création des lignes télégraphiques. Enfin, la lecture des journaux provinciaux se déplace des cabinets de lecture aux cafés.

Dans la deuxième partie de son ouvrage, Marc Martin étudie le renouveau de la presse à la fin du Second Empire et au début de la Troisième République. Par la loi du 11 mai 1868, le Second Empire ouvre la porte à la pluralité de l’expression politique, en supprimant la censure préalable. Après la crise de la Commune et la période de l’Ordre moral, la presse provinciale prend enfin son véritable essor. La figure du journaliste est indissolublement liée à celle du débat politique de la Troisième République : il s’affirme comme l’auxiliaire indispensable du candidat aux élections législatives ou municipales dans les grandes villes comme dans les campagnes. La condition de journaliste tend à devenir progressivement moins précaire avec l’instauration d’une pension de vieillesse, financée par des loteries, mais il faudra attendre la loi du 29 mars 1935 pour voir la création de la carte de presse. Des associations professionnelles se mettent en place, notamment l’Association de la presse régionale départementale (1879-1882) et l’Association de la presse monarchiste et catholique des départements. La loi du 29 juillet 1881 institue la liberté de la presse, laquelle ne sera que provisoirement remise en cause durant le premier conflit mondial par la censure militaire.

À partir des années 1880, la figure du rédacteur en chef fait son apparition dans les quotidiens provinciaux : le rédacteur en chef définit la ligne éditoriale du journal et organise le travail des journalistes, reprenant ainsi une partie des charges des anciens directeurs-gérants dont le rôle se borne désormais surtout à la gestion financière. L’évolution des techniques de production est plus lente en province qu’à Paris, faute de capitaux : on adopte le grand format, tandis que les rotatives se développent après 1880 et les premières machines à composer à partir du début du XXe siècle, une dizaine d’année après Paris. Dans le même temps, le téléphone et l’automobile favorisent la collecte de l’information et la diffusion des journaux. Les tirages augmentent rapidement, comme dans le cas de La Dépêche de Toulouse (297 000 exemplaires en 1914). La presse régionale voit aussi son prix diminuer progressivement, avec la mise en place de la diffusion au numéro et la création de quotidiens à un sou (La Petite Gironde, en 1873 ou encore Le Progrès du Nord). L’amélioration du service postal à l’aube du XXe siècle permet une plus large diffusion dans les campagnes, mais les journaux sont de plus en plus tributaires des recettes publicitaires. La création de l’OJT (Office de justification des tirages) en 1922 établit un barème de publicité proportionnel à la diffusion du journal.

La période de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation est marquée par une censure très rigoureuse et par la création de journaux acquis aux vues de l’occupant ou du Régime de Vichy. La presse provinciale connaît là une de ses crises les plus graves. Dans la zone occupée, la presse est contrôlée par la Propaganda Abteilung, et, dans la zone dite libre, par le Secrétariat à l’Information, émanation du gouvernement de Vichy. Le manque de papier et l’augmentation du prix du journal expliquent la chute de la diffusion. Seuls quelques titres refusent de se soumettre aux injonctions du nouveau régime : L’Est républicain et l’Éclair de l’Est se sabordent le 14 juin 1940 face à l’avancée des troupes allemandes, La Montagne de Clermont-Ferrand cesse de paraître le 27 août 1943. Une presse résistante, au faible tirage, apparaît dès 1940 et se développe à partir de 1942-1943 : c’est le cas des Allobroges, parus dans le Dauphiné en février 1942 ou de la Lorraine, fondée à Nancy au printemps 1942. Un titre très important émerge au sein d’une presse clandestine souvent éphémère : La Voix du Nord, qui paraît à partir du 1er avril 1941 jusqu’à la Libération, constitue l’un des principaux titres de la Résistance. Le titre est toujours publié aujourd’hui.

Avec la Libération, le paysage de la presse provinciale est complètement modifié. La plupart des titres de l’Occupation ou d’avant-guerre, trop compromis, sont remplacés, de grands quotidiens provinciaux se mettent en place, avec à leur tête des directeurs qui sont aussi des personnalités politiques d’envergure nationale : Gaston Defferre à la tête du Provencal, Louis Richerot au Dauphiné libéré, la famille Hutin-Desgrées à Ouest-France, la famille Baylet à La Dépêche du Midi ou Léon Chadé à L’Est républicain. À côté d’entreprises à direction familiale se créent progressivement de grands groupes qui absorbent petit à petit les titres déficitaires : ainsi du groupe de Robert Hersant, ou encore du groupe Hachette (Jean-Luc Lagardère). Le prix de la presse régionale double entre 1957 et 1968. Les mutations techniques sont particulièrement rapides à partir des années 1970, avec le début du passage de la composition au plomb (« la saisie chaude ») à la production assistée par ordinateur (« la saisie froide »). La quadrichromie apparaît dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace dès les années 1960. Ces changements provoquent des modifications profondes dans l’organisation des entreprises : les typographes sont progressivement remplacés par des dactylographes, moins bien payées et bien moins formées, ce qui ne va pas sans déclencher des conflits dont le plus important est constitué par la grève du Parisien (mai 1975-été 1977). Le rôle de directeur d’agence départementale ou locale se trouve renforcé : le directeur reçoit les articles et propose un projet de maquette au siège du journal. Le travail du journaliste de la presse provinciale est particulièrement important, en ce qu’il dynamise la vie politique, culturelle et économique régionale ou locale. La diffusion se fait soit par les NMPP (Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne), soit par des transporteurs, soit par des porteurs et dans une moindre mesure, en raison de sa détérioration progressive, par le service postal.

L’ouvrage de Marc Martin se termine sur les perspectives d’avenir d’une presse aujourd’hui confrontée à de nouvelles difficultés : elle parvient mal à attirer le public issu de l’immigration, sa pénétration reste limitée auprès des jeunes, malgré des efforts importants d’adaptation et la modernisation des maquettes. Les rédactions n’hésitent pas à faire le cas échéant appel à des rédacteurs d’envergure nationale. Selon Marc Martin, le choix d’un style plus facile, utilisant des phrases plus courtes, se fait parfois au détriment d’une analyse et d’une réflexion qui devraient rester l’apanage de la presse écrite. Aujourd’hui, la presse régionale est lue d’abord par les retraités et par les agriculteurs, tandis qu’ouvriers, étudiants, membres des professions libérales, cadres et chefs d’entreprise semblent plus attirés par la presse nationale. Enfin, la presse régionale s’efforce de lutter contre la concurrence des nouveaux médias en créant des sites Internet (par ex. Ouest-France).

Cet ouvrage de référence est complété par un index des noms, une brève chronologie et une bibliographie faisant le point sur l’état de la recherche par périodes.

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29 Jacques Godechot, Jacques Bellanger, Pierre Guiral, Fernand Terrou, dir., Histoire générale de la presse française, Paris, PUF, 1969, 4 vol.