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Jean Delinière, Weimar à l’époque de Goethe

Paris, L’Harmattan, 2004, in-8°, 307 p. (« Allemagne d’hier et d’aujourd’hui »). ISBN : 2747562581

Greta KAUCHER

C’est à travers la figure emblématique de Johann Wolfgang Goethe (1749-1832), sa correspondance, ses documents d’archives imprimés et les études consacrées à cette haute personnalité, que Jean Delinière, professeur honoraire de littérature et de civilisation allemandes, se propose de faire découvrir la vie intellectuelle et culturelle de l’« Athènes du Nord ». Le duché de Weimar fut un haut lieu de l’esprit mais aussi un très riche et important centre littéraire et artistique de l’Allemagne à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècles. L’auteur fusionne les données dans son livre en essayant de maintenir un équilibre entre les aspects géographiques, socio-démographiques, politiques et culturels.

Johann Wolfgang Goethe passa cinquante-sept ans de sa vie dans cette ville et y joua un rôle majeur qui laissa une trace ineffaçable. Ce fut le couple princier Carl-August de Saxe-Weimar (1757-1828) et Louise de Hesse-Darmstadt (1757-1830) qui l’invita à séjourner à Weimar à partir de 1775. Carl-August est le fils de la duchesse Anna Amalia, la nièce de Frédéric II de Prusse. Femme d’esprit et musicienne, elle est surtout connue par son salon spirituel pourvu d’une très riche bibliothèque. Le prince Carl-August, qui eut une indéfectible admiration pour Goethe, fut toujours très proche de lui. Il honora le poète de la charge de conseiller secret et lui laissa une grande autonomie et une entière liberté de décision. Grâce à l’action de Goethe, Weimar connut un essor considérable. Il fit de son théâtre l’un des foyers les plus dynamiques de la vie culturelle, dont l’impulsion décisive avait été donnée par la duchesse Anna Amalia. Sous la direction du poète, le jardin botanique de la ville s’est enrichi d’une véritable structure et il prit une orientation scientifique stable.

L’ouvrage de Jean Delinière aborde la période allant de 1775 à 1832 à travers cinq parties et de nombreux sous-chapitres14. Il brosse un tableau riche et documenté de la ville où l’on perçoit en filigrane la grande figure de Goethe ainsi que celle d’autres personnalités de l’âge d’or de l’intelligentsia à Weimar, telles que Wieland, Herder, Schiller, Kraus ou Napoléon, dont le passage éclair a durablement marqué la cité. Un des volets de l’étude de Jean Delinière est consacré à la découverte du néo-classicisme15 dans le duché après le voyage de Goethe en Italie, et aux conséquences de la présence napoléonienne. Le dernier volet concerne la grandeur puis la décadence de Weimar, les difficiles réformes et leurs conséquences sociales.

Cet ouvrage, de façon assez romancée et toutefois exacte, donne à voir la ville de Weimar avec une multitude de petits détails qui font revivre à chaque instant les anciens fastes de cette vie passée. Jean Delinière se permet quelques libertés et il passe à plusieurs reprises du XVIIIe au XXIe siècles afin de resituer chaque élément dans la ville et son contexte, de sorte que le lecteur – s’il est familier de Weimar – se sentira tout à fait in situ. L’auteur nous fait suivre le développement des événements chronologiquement pas à pas et les illustre de pertinentes allusions aux documents de l’époque. L’un des plus grands mérites de cet ouvrage réside dans la volonté de son auteur de bâtir une fresque monumentale où chaque détail prend sa place et éclaire les grands faits qui marquent l’histoire de la ville et de ses hommes illustres. Un index onomastique facilite la consultation de l’ouvrage, ainsi qu’une bibliographie de sources imprimées et d’études.

Jean Delinière manque toutefois d’une méthode historique et tout au long de son ouvrage, on le sent aux prises avec l’histoire, de sorte qu’il cède trop volontiers à la forme romanesque. Il est aussi à déplorer que les citations ne soient pas suivies de notes de référence aux documents, laissant parfois les lecteurs dans l’incapacité d’en retrouver l’origine. L’auteur se laisse quelquefois emporter par un élan de subjectivité qui nuit au fait historique et il semble aller trop avant dans des appréciations qui demeurent fort personnelles. L’ensemble de l’ouvrage est rédigé dans un style assez soutenu, néanmoins certains écueils stylistiques sont loin d’être élégants. Quelques appréciations historiques souffrent d’un raccourci chronologique maladroit, de même que des comparaisons comme « les copistes (les machines à écrire de ce temps) » (p. 172). Une certaine économie de moyens typographiques nous semble malvenue, comme par exemple p. 171 une référence bibliographique dans le corps même du texte, et non pas en bas de page.

Cet ouvrage s’ajoute à la très riche bibliographie déjà existante sur ce sujet. Malheureusement, il s’apparente davantage à une compilation qu’à une réflexion novatrice et originale et risque donc de décevoir les spécialistes à la recherche d’un éclairage nouveau ou de documents inédits. Néanmoins il peut apporter des éléments intéressants pour un large public français ne maîtrisant pas l’allemand.

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14 Pourtant, la façon dont certains titres sont libellés nous paraît ne pas s’accorder avec la hauteur que réclame le sujet, par exemple : « Femmes, femmes, femmes… » (p. 107).

15 À propos de la maison néo-classique du parc que Goethe fit construire, l’auteur a une remarque étonnante : « Cette fantaisie qui nous paraît d’un goût quelque peu douteux aujourd’hui » (p. 160).