Die Zarin und der Teufel : europäische Russlandbilder aus vier Jahrhunderten
réd. Hermann Goltz, Halle, Verlag der Franckeschen Stiftungen ; Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2003, 276 p., ill. (« Kataloge der Franckeschen Stiftungen zu Halle », 11). ISBN 3-931479-41-2 (Halle) et 3-515-08330-8 (Stuttgart)
Frédéric BARBIER
Sous le titre « La tsarine et le diable », voici le riche et élégant catalogue (en format à l’italienne) de l’exposition présentée à la Fondation Francke à Halle en 2003 sur les « images européennes de la Russie durant quatre siècles ». Les cinq parties sont intitulées de manière métaphorique mais quelque peu arbitraire d’après plusieurs modèles censés dominer ces représentations : 1) « l’aigle », qui a assuré le transfert de la tradition de l’Empire romain d’Orient à Moscou après la chute de Constantinople. 2) « Le séraphin », qui symbolise, pour le patriarche de Moscou, le contact (Berührung) de la Russie orthodoxe avec le ciel. Nous sommes toujours dans une logique de translatio. 3) « Le serpent », qui illustre la sagesse et la patience de la Russie se défendant contre les envahisseurs extérieurs, de l’Est comme de l’Ouest. 4) « Le coq et la poule », qui mettent en scène le couple des deux grandes puissances du Commonwealth et de l’Empire russe. 5) « L’ours et Boney » est un second couple qui illustre, à partir de sources d’abord anglaises, la lutte entre la Russie et Napoléon.
Une typologie sommaire des modèles iconographiques dominant met en évidence, d’abord, la place de l’imagerie pieuse, puis, légèrement en retrait, celle de l’imagerie d’information (surtout à partir du XVIIIe siècle). L’historien apprécie la qualité des planches, avec des représentations très détaillées de bâtiments célèbres (le palais de Kolomskoie vers 1767, p. 42-43) ou d’événements majeurs (l’inhumation du grand-chancelier Alexeevic en 1706, ou encore le banquet de 1712). Mais voici également une remarquable théorie de portraits de personnalités, dont le costume est figuré avec une grande précision (l’ambassadeur Antiochus Cantemir, p. 70-71, Lomonossov, sans oublier Catherine la Grande elle-même). À partir du XVIIIe et au XIXe siècle, nous assistons à la montée en puissance d’un troisième modèle iconographique, celui de la caricature, dont le mobile premier relève de la politique extérieure, mais qui se rattache parfois aussi à la satyre sociale (« les souris enterrent le chat », p. 59).
La fin du catalogue (p. 144 et suiv.) est essentiellement consacrée à ce genre iconographique, qui se développe avec la politique des cabinets (voir les trois grandes puissances jouant aux cartes, vers 1762-1790, pp. 144-145) et triomphe à l’époque de la Révolution française et des guerres napoléoniennes. Les dessinateurs anglais imposent dès l’époque de Catherine II un modèle stylistique qui donnera au genre une forme de plus en plus moderne (« Le rêve de Catherine », pp. 150-151). Nous sommes de plus en plus évidemment face à un phénomène de médiatisation politique : l’image devient un élément du jeu que se livrent entre elles les puissances (la Russie, mais aussi l’Angleterre, le Saint-Empire et la France) pour la suprématie européenne. Ajoutons que le catalogue, très bien illustré, permet non seulement de mettre en évidence le développement de certains motifs privilégiés (le « saut de la Grande Catherine »), mais aussi d’analyser les différentes voies selon lesquelles évolue ce qui devient alors un langage iconologique autonome (avec des personnages connus de tous, dont le principal est évidemment Boney). Le rapport changeant entre l’image et le texte est à cet égard tout particulièrement significatif.