Roméo Arbour, Dictionnaire des femmes libraires en France, 1470-1870
Genève, Librairie Droz, 2003, 751 p. (École pratique des hautes études, Sciences historiques et philologiques, VI : « Histoire et civilisation du livre », 26). ISBN 2-600-00827-6
István MONOK
En avril 2005, les responsables des laboratoires européens de recherche en histoire du livre travaillant sur les imprimeurs, les libraires ou autres diffuseurs, les relieurs d’une ville ou d’une région (les « gens du livre ») se sont rencontrés à Lyon. À cette occasion, on a envisagé la réalisation d’une banque de données européenne commune, qui puisse devenir plus tard un système d’expertise. En Hongrie, ce travail est poursuivi depuis plusieurs années au département des Éditions anciennes de Hongrie de la Bibliothèque nationale Széchényi. Dans le cadre du programme « Clavis typographorum regionis Carpaticae 1473-1948 », on enregistre pour l’instant les données sur les typographes (imprimeurs) et sur les libraires (éditeurs). Un travail similaire a débuté sur les gens du livre à Vienne, sous la coordination de la Gesellschaft für Buchforschung in Österreich.
La grande série publiée par la maison Droz sous le titre d’« Histoire et civilisation du livre » a accueilli le volume de Roméo Arbour ici présenté, qui s’inscrit dans le même mouvement de prosopographie des gens du livre. L’expression « femmes libraires » citée dans le titre désigne toutes les femmes qui s’occupaient d’une façon professionnelle de typographie, d’édition, de reliure, de fabrication et de commerce de gravures, d’imprimés divers et de journaux musicaux. Il ne s’agit donc pas seulement des veuves des typographes décédés, même s’il est vrai que, en France comme ailleurs, les imprimeries ont été souvent héritées et tenues par des femmes. L’historiographie de ces dernières décennies a parfois privilégié une problématique « féministe », et l’on a ainsi vu fleurir les monographies sur les femmes d’affaires actives dans le domaine du livre entre le Moyen Âge et le XIXe siècle (pensons aux travaux de Beatrice Beech, de Gustave Fagniez, de Sabine Juratic, de Nicole Pellegrin et de plusieurs autres chercheurs). Natalie Zemon Davis a envisagé les femmes intervenant dans la création et la distribution des publications d’art, tandis que Dominique de Courcelles, Carmen Julian, Beatrice Beech, Sabine Juratic ou encore le regretté Michel Simonin étudiaient un certain nombre de cas mettant en scène des femmes éditeurs.
Avec son Dictionnaire, Roméo Arbour a tenté de proposer un bilan d’ensemble. L’ordre est alphabétique, à l’intérieur d’un classement chronologique justifié dans la préface : deux périodes s’opposent dans l’histoire du monde du livre du point de vue des possibilités et de l’activité des femmes, celle de l’Ancien régime (1470-1791), puis les années qui suivent jusqu’à la Commune. Les recherches systématiques ont abouti à des résultats statistiques très significatifs : cent dix-neuf noms aux XVe et XVIe siècles, six cent quarante-sept au XVIIe, neuf cent soixante-six au XVIIIe et quatre mille six cent quatre-vingt-douze (!) durant la période 1800-1870, soit un total de six mille quatre cent vingt-quatre noms. Jusqu’à la Révolution, la participation des femmes au monde du livre a suivi l’accroissement général du nombre des entreprises dans la branche, sans jamais atteindre 10% de l’ensemble. Après la Révolution, la situation change en profondeur : en 1845, la participation féminine approche des 20%, pour culminer à 34% en 1870. Ces chiffres confirment l’importance du rôle de la presse pour la diffusion de la culture auprès du plus grand nombre. Dans la préface, Roméo Arbour explique aussi les oppositions que l’on observe entre Paris et les villes de province, ce qui n’est pas surprenant, étant donné que la grande ville a favorisé le renforcement du rôle des femmes dans la société.
Pourquoi avoir privilégié la coupure de 1870 ? Il faut chercher les raisons de ce choix dans la typologie des sources. Après 1881, avec la libéralisation du régime de la presse, l’historien perd l’essentiel de ses sources d’information. Entre 1870 et 1881, la masse de la documentation administrative rend son traitement très difficile, et l’incertitude de la doctrine de l’administration elle-même rend impossible toute tentative de « pesée globale ».
Chaque article consacré à une « femme libraire » indique son nom, ses dates, son lieu d’exercice (ville et adresse précise), son métier, ses dates d’activité, des données sur son mariage et sa famille (date du mariage, nom du mari, des père, mère, frères et sœurs). Suivent des informations plus spécifiques : privilège éventuel, adhésion à une association, titre des séries ou périodiques publiés, etc. Enfin, la notice précise le nom du successeur (héritier, associé). Le dictionnaire donne d’autres éléments intéressants, par exemple sur la formation, et il précise enfin les sources disponibles (sources manuscrites et bibliographie). Il s’agit d’un travail très utile, dont les redondances éventuelles facilitent paradoxalement l’utilisation. Après les articles présentés en ordre alphabétique, le lecteur dispose d’une liste des notices par siècles, puis d’un index général.