Book Title

Un « Art de mourir » du siècle des Lumières

Claire MADL

Bibliothécaire du Centre français de recherches en sciences sociales CEFRES, Prague

NdA. Ce texte est issu d’une contribution au colloque « Vita morsque et librorum historia » organisé par la Faculté pédagogique de České Budějovice (République tchèque), en septembre 2005. Nous remercions Michael Wögerbauer pour ses remarques amicales, Christian Jacques et Dorothea Walch pour leur aide lors des traductions des textes poétiques allemands

Le titre ici proposé peut sembler paradoxal. Le bonheur n’est-il pas le thème central des Lumières ? La légèreté du style une forme obligée ? Les Lumières ne sont-elles pas le temps où l’on a le plus loué la bonté de la nature ? Depuis longtemps l’ars moriendi fondateur, du XVe siècle, n’est plus imprimé1 et l’on s’applique à démontrer que les Anciens représentaient la mort non pas par un squelette effrayant mais par un jeune homme sereinement assoupi2. Dans les faits cependant, la mort est toujours dans son « ancien régime ». Si la mortalité amorce lentement sa décrûe, si la population augmente, la mort est toujours omniprésente3. Dans la littérature, le « roman noir » anglais est lu, traduit et imité (il est décrié aussi). Nous devons le livre qui sera ici présenté à un homme de ces Lumières qui dut se confronter à l’idée de sa propre mort d’une façon tout à fait aiguë. La maladie fit par deux fois irruption dans la vie du comte de Hartig4. C’est du moins la façon dont lui-même5 présente son mal, dont on se doute, au contraire, qu’il l’accompagna toute sa vie. Atteint d’une maladie pulmonaire, Hartig dut à deux reprises abandonner ses fonctions, la première fois à l’âge de 23 ans, puis à 33 ans ; il mourut à 39 ans. Les médecins ne disposant, en cette toute fin du XVIIIe siècle, de guère plus de moyens que ceux dont se moquaient déjà Molière : « purger, saigner, administrer le clystère »6, les six dernières années de la vie de Hartig semblent à l’observateur contemporain celles d’un condamné en sursis7. Hartig consacra ces derniers moments de sa vie à choisir des textes édifiants, en allemand, destinés à être imprimés après sa mort en un recueil intitulé8 Poèmes moraux et méditations qui fortifient contre la crainte de mourir, élèvent l’âme vers la religion et la vertu et qui peuvent aussi être utilisées comme prières et imploration à Dieu. Réunies par un homme du monde durant sa longue maladie et imprimées pour son propre usage et celui de quelques de ses meilleurs amis9. Ouvrage dont il sera ici question.

La vie de Hartig, cependant, ne se réduit en rien à sa maladie. Son tempérament le poussa à une activité débordante. Il est auteur de poèmes et de pièces de prose alertes, voire libertines, qu’il fait imprimer10, d’un récit de son voyage à travers l’Europe11, d’une histoire de l’agriculture12 et de moindres articles scientifiques. Il est membre puis président de la Société des sciences de Bohême13, collectionneur de livres14 mais aussi d’un cabinet d’histoire naturelle et d’instruments de physique. Il fait transformer les jardins de son château de Mimoň15, construire une villa à l’antique sur ses domaines et agrandir son palais de Prague. Ambassadeur de l’Empereur16 à la cour de l’électeur de Saxe à Dresde (1788-1794), il fréquente aussi la station thermale de Spa dont il côtoie la société cosmopolite et mène une vie souvent « dérangée » avant son mariage17, après lequel il se transforme en père modèle de quatre enfants.

Nous voudrions dans un premier temps replacer la conception du recueil de poèmes moraux dans le contexte de l’attitude et des pratiques de Hartig face à la mort (la mort en général, celle des autres et la sienne), afin de souligner la place particulière occupée en leur sein par ce livre imprimé et les pratiques mises en œuvre pour son élaboration. L’image de la mort donnée par le contenu de l’ouvrage sera ensuite ébauchée.

DE LA FASCINATION ESTHÉTIQUE À L’EXPÉRIENCE DE LA MORT

Hartig n’a pas attendu l’âge mûr pour s’intéresser à la mort, à laquelle un des premiers textes qu’il fit imprimer, ou que fit plus vraisemblablement imprimer son père, est justement consacré – Hartig avait alors 18 ans. Le Temple de la mort18 est un poème sombre dont l’inspiration est double. La première est explicitement signifiée par le complément du titre : « traduit de l’anglois ». Une version manuscrite heureusement conservée19, et portant des corrections, montre toutefois qu’il s’agit d’une pseudo traduction. Hartig adopte ici une pratique bien connue, les auteurs, notamment d’ouvrages de fiction, profitant de l’engouement pour la littérature anglaise pour rattacher explicitement leur œuvre à leur source d’inspiration et attirer le lecteur par une mention factice de traduction. Sans doute l’entourage de Hartig partageait-il ce goût de la littérature anglaise dont on trouve certains exemples dans les bibliothèques de Bohême et qui semblait le mieux représenter cette « sensibilité » de l’époque des Lumières20.

Si le texte est une pseudo traduction, il est aussi un crypto plagiat. On retrouve en effet, vers après vers, la plupart des idées et des motifs du Temple de la mort de Philippe Habert…21 Que l’on ait pris modèle chez un auteur aujourd’hui qualifié de « baroque », à l’intérieur de ce XVIIe siècle « classique », pour produire une pièce que l’on rattachait à la littérature de la sensibilité dont l’Angleterre semblait la patrie n’est pas inintéressant. Il ne semble pas non plus inutile de souligner la relativement bonne connaissance de la littérature française du XVIIe siècle que cet exercice révèle22. Dans une première partie, est décrite la vallée de la mort où s’accumulent les images tristes, réalistes et effrayantes :

RotrouHartig
Sous ces climats glacez où le flambeau du monde Dans une isle deserte ou le Ciel orageux
Obscurcit le Soleil sous l’aquilon fougueux,
Espand avec regret sa lumiere feconde, Il est une vallée objet de nos allarmes :
Dans une isle deserte est un vallon affreux, La nature oublia d’y repandre ses Charmes ;
Qui n’eut jamais du Ciel un regard amoureux. Des lugubres Cyprés symboles du Malheur,
Là sur de vieux cyprés dépouillez de verdure Environnent ces Lieux d’une Secrette Horreur:
Nichent tous les oyseaux de malheureux augure ; Leurs Rameaux depouillés de Fleur et de Feuillage,
La terre pour toute herbe y produit des poisons, Se courbent sous l’oiseau de sinistre Presage.
Et l’Hyuer y tient lieu de toutes les saisons. La Terre envenimée y produit le Poison,
Tous les champs d’alentour ne sont que cimetieres, Et l’Hiver rigoureux est la seule saison.
Mille sources de sang y font mille rivieres,D’inombrables Tombeaux couvrent les Champs arides.
Qui trainant des corps morts & de vieux ossemens,Dans des Ruisseaux de sang nagent des Corps livides ;
Au lieu de murmurer font des gemissemens.Leurs ossemens épars arretent le Courant, qui forment un Son plaintif, un long Gemissement.

Comme chez Habert, s’élève ensuite la plainte d’un amant (Lizidor chez Rotrou, Mélinte chez Hartig) ayant perdu sa bien aimée (Amaranthe puis Ammérie) et appelant à cris grandiloquents la mort de ses vœux :

N’espargne point mon sang, mais espargne mes pleurs

Repais toi de mon Sang, mais menage mes Pleurs.

Celle-ci tardant à venir, le jeune homme la dépêche de ses propres mains :

Mais c’est trop te prier, & c’est trop discourir, /Essayons si sans toy nous pourrons bien mourir.

Et bien c’est à moi même à terminer mon sort / Et je saurai mourir en depit de la Mort…

Cet exercice de jeunesse, selon la méthode pédagogique fort en usage de l’imitation, saisit un thème qui attirait sans doute le jeune Hartig, comme ses contemporains, pour ses impressions fortes semblant rehausser le goût de l’existence, en utilisant la puissance envoûtante de la mort. C’est dans une démarche esthétique analogue que Hartig aménagea dans les jardins du château de Mimoň un « mausolée », « sur la pente d’une colline, dans un bois mélancolique »23, et encore une urne à l’intérieur d’une grotte sombre et lugubre. Suivant les théoriciens des jardins en effet24, de tels monuments sombres devaient créer un contraste avec la disposition riante des autres parties du parc et provoquer successivement dans l’âme du promeneur des impressions différenciées. À Mimoň , pour appuyer l’impression que l’on veut inspirer, chaque monument, sculpture ou gloriette, porte une inscription qui délivre le message souhaité. Sur le Mausolée, c’est le thème de la mort omniprésente et imprévisible que l’on a choisi, pour ramener le promeneur vers lui-même et accentuer le caractère éphémère de ce qui est par ailleurs admiré dans le jardin :

La mort frappe ses coups en tout tems, à tout âge

Il faudra tout quitter terre, épouse, palais,

De tant d’arbres charmans dont tu chéris l’ombrage

Tu n’auras pour partage/ Que le triste cyprès.

Outre ce penchant pour le mouvement de l’âme provoqué par la pensée de la mort, Hartig connut le deuil à la disparition de certains de ses proches. Trois décès donnèrent lieu chez lui à des manifestations extérieures de son deuil. En décembre 1790 tout d’abord, sa fille Antonia mourut à Dresde de la vérole à l’âge de cinq ans. Ce deuil causa sans doute à Hartig un remord d’un type particulier, car il souhaitait la faire inoculer25. Cette mort-là du moins lui sembla évitable et il sentit sa responsabilité engagée. Pour le monument à sa fille, il fit appel à un des meilleurs sculpteurs de son temps, Franz Xaver Lederer26, lequel réalisa un monument dans l’esprit de ces nouvelles tombes où l’on cherchait à exprimer plus les sentiments des survivants, le deuil et la tristesse, que les caractères du défunt27. Le gisant, qui pourtant a tendance à disparaître de la sculpture funéraire de cette époque, renforce ici le réalisme et suggère toute l’injustice de cette mort d’un enfant. Le monument est placé dans le parc de Horní Beřkovice28, à l’arrière du château d’où il peut être aperçu de l’aile centrale ou bien lorsqu’on quitte celle-ci pour se promener dans le parc. La femme debout est alors de dos ce qui accentue la force de son expression, la pudeur d’une tristesse indicible, confère au monument un mouvement très naturel et facilite enfin l’identification avec la pleureuse par celui qui regarde le monument et le petit corps dans son linceul.

Presque au même moment, Hartig fait élever deux monuments, l’un à sa mère, l’autre à sa belle-mère, à Mimoň cette fois29. Le fait que son père, mort en 1783, n’ait pas bénéficié du même traitement semble définir ces monuments comme des manifestations d’un certain sentimentalisme naturaliste plus que comme l’expression d’une piété filiale et relève finalement d’une certaine « sacralisation des sentiments humains »30. Chaque fois, une première inscription identifie la personne en l’honneur de qui le monument est érigé ; une seconde explicite, sous forme poétique, les sentiments du survivant qui ont donné naissance au monument. Plus qu’à une volonté d’accroître la lisibilité de la sculpture31, les vers correspondent sans doute à l’expression directe et personnelle du commanditaire sous une forme en accord avec les qualités artistiques du monument. Le texte présente son auteur qui signe son acte de mémoire et la manifestation de son amour transformé par un acte créatif.

Le premier témoignage que nous ayons des réflexions de Hartig quant à sa propre mort date du 28 avril 1788, c’est-à-dire à la veille de son départ pour l’ambassade de Dresde. Il s’agit de son testament32. Le fait que Hartig souhaite régler ce souci avant son départ alors qu’il peut encore bénéficier de témoins qui lui sont proches, est proprement pragmatique. Outre les dispositions concernant ses biens, il précise la façon dont il souhaite être enterré: dans la tombe familiale de l’église paroissiale de son domaine de Vartenberk33 ou, «si la législation ne permet pas cela», auprès de son Mausolée de Mimoň. Il manifeste ainsi d’abord son attachement à un mode d’inhumation classique, puisqu’il souhaite être enterré auprès des siens, sur ses terres, dans une église. Le caveau avait été fondé par son grand-père. Hartig sait toutefois que les inhumations dans le sein des églises sont interdites depuis que l’édit de Joseph II de 1784 règlemente les pratiques funéraires. Le fait qu’il persiste à vouloir sacrifier à la tradition semble donc être en opposition aux dispositions prises par l’Empereur, opposition partagée par une grande partie de la population au sein de la monarchie des Habsbourg. On connaît les réactions suscitées à Paris par un projet de réforme similaire dû au Parlement de Paris en 176334 et concernant les mêmes décisions. D’un autre côté, Hartig souhaite se soumettre à la législation et prévoit une alternative si la solution qui recueille sa faveur n’est pas réalisable: le mausolée de Mimoň. De tombe «factice», «d’urne sans douleur»35, ce monument deviendrait le lieu personnalisé de son dernier repos et perdrait son anonymat. Notons qu’il préfère cette solution à la fondation d’un nouveau caveau familial hors l’enceinte de l’église. L’inhumation dans le caveau de l’église reste une solution d’une certaine humilité puisque seul le nom du fondateur de la tombe est indiqué. Les autres membres36 ne sont pas même mentionnés sur la pierre tombale que l’on peut toujours voir actuellement. Hartig demande ensuite, comme beaucoup de testateurs du temps, que la plus grande simplicité soit observée lors des obsèques. La formule est ici «ohne Gepräg»37 et reprend justement les termes indiqués dans l’édit de Joseph II concernant les mises en terre dans les nouveaux cimetières éloignés du cœur des villes.

Dans son second testament (1793, codicille de 1797)38, comme si l’interdiction d’enterrer dans les églises avait été levée, Hartig n’y fait plus allusion et manifeste encore sa volonté d’être inhumé dans le caveau familial de Wartenberg sans plus d’alternative. Sans doute la pratique et le temps ont-ils assoupli les dispositions prévues sous Joseph II. C’est alors au lien familial qu’est accordé le plus de valeur. Ce trait et la sacralisation de la sensibilité qu’il fait naître, la volonté de l’expression personnelle de la piété envers les défunts, l’esthétique liée à la mort, telles sont les caractéristiques des pratiques liées à la mort ici décrites et dans lesquelles va venir s’insère le projet d’édition d’un livre. Ce dernier en étend cependant singulièrement les moyens d’expression.

LE PROJET DES POÈMES MORAUX

L’usage qui consiste à introduire les ouvrages par un Avertissement permet à l’auteur ou à l’éditeur de préciser la position qu’il souhaite se donner par rapport au texte qu’il livre, qu’elle soit factice (comme dans les romans épistolaires par exemple) ou authentique. Pour nous, il nous permet de pénétrer, plus sûrement que nous ne le faisions pour les œuvres d’art, dans les processus à l’origine du texte fourni par le livre. Ici, l’« Introduction » nous apprend que Hartig avait destiné les textes à ses plus proches amis. Le livre est chargé de prolonger le lien particulier de Hartig avec ses proches, lien que la mort aurait pu rompre. Le fait que le nom des auteurs de ces textes ne figure à aucun moment dans le recueil met en valeur la personnalité de l’éditeur qui s’adresse directement à ses proches. Au-delà de tout formalisme, il semble bien que ces derniers aient été les principaux destinataires39. Cette préface est toutefois implicitement destinée à un public plus large que le cercle des amis, lorsqu’il est fait allusion à la publicité qu’eut la mort du comte :

Sa mort, et les circonstances émouvantes qui l’accompagnèrent, suffisent à susciter la compassion non seulement auprès de ses amis, auxquels ce recueil était destiné, mais aussi de la part de tout un chacun…40

Le fait que le livre soit imprimé lui permet d’atteindre en effet un plus large public. Hartig s’adresse ici de facto à son prochain et à la postérité anonyme de ses lecteurs. C’est bien un désir d’immortalité trouvé dans un autre idéal que celui de la vie éternelle des chrétiens. Diderot ne disait-il pas : « La postérité pour le philosophe, c’est l’autre monde de l’homme religieux »?41 Par ce livre, Hartig souhaite aussi faire acte d’utilité. Il le destina à être imprimé « parce qu’il souhaitait rendre ses derniers instants mêmes utiles et chers à ses proches »42. Ce dernier objectif est par ailleurs constamment affirmé au cours de sa vie, même si Hartig dut, à chaque tournant de son destin, à chaque retour de sa maladie, trouver de nouvelles voies pour l’atteindre : au service de l’État tout d’abord, en tant que président de la Société des sciences de Bohême, aux derniers moments de sa vie enfin en façonnant un livre. Il œuvre au bien commun de la manière qui lui est encore disponible, en offrant consolation à son prochain.

La mise au point d’une anthologie de textes demande une pratique de lecture qui s’apparente ici à un acte de piété. Il est clair que Hartig s’est plié lui-même à la lecture édifiante qu’il propose dans son ouvrage, et le processus est explicitement décrit dans la préface :

Comme à son habitude, il consacra ses derniers jours, les heures où ses souffrances lui laissaient quelque répit, à des occupations utiles afin, par la lecture de bons et moraux ouvrages, de se préparer à sa fin prochaine qu’il vit sans peur se rapprocher inexorablement un peu chaque jour. Il soulignait lui-même les passages qui lui semblaient les plus remarquables et ainsi naquit ce recueil…43

La forme donnée au livre, enfin, n’est pas sans importance. L’impression est tout à fait soignée et sur bon papier, avec une gravure en frontispice. Les volumes ont certainement été reliés avant d’être distribués, car les exemplaires que nous avons pu retrouver le sont tous44. Le legs de Hartig ne manque pas de qualités esthétiques. Le livre est finalement, lui aussi, au même titre qu’un « monument douloureux », un bel objet qui dure et qui a quelque chance d’atteindre l’immortalité.

Le recueil compte au total quarante-trois textes dont seuls certains ont pu être identifiés jusqu’à présent. Parmi les auteurs représentés on trouve Alexander Pope – dans des traductions de Herder et de Friedrich von Hagedorn –, Christian Fürchtegott Gellert ou encore Johann Heinrich Voss, Friedrich von Hagedorn et Ludwig Hölthy. Le titre choisi pour le recueil n’est pas unique et on le doit justement à certains des écrivains ici mentionnés45. Il rattache ainsi ce volume à l’ensemble de leurs œuvres. Souvent, c’est le fait que les textes aient été mis en musique qui nous a permis de les retrouver. Lorsqu’ils l’ont été avant que Hartig ne les choisisse, on peut imaginer que la musique joua sa part dans le choix, soit que le texte ait atteint ainsi une certaine notoriété, soit que l’expérience sensible en ait été plus marquante. Ainsi trouvons-nous des textes mis en musique par Mozart46 ou Carl Philipp Emmanuel Bach47 et, plus tardivement, par Schubert48. À la façon des ars moriendi des temps modernes, que Philippe Ariès49 nomme justement des « arts de vivre », il ne s’agit pas ici de régler le rituel du passage de la vie à trépas mais de proposer des textes à pratiquer toute la vie. On n’y mentionne pas l’agonie ni la chambre du mourant et l’on cherche à apaiser la peur de la mort.

Trois textes seulement sont en prose. L’aspect esthétique des textes est privilégié : la sensibilité de Hartig a été touchée par eux et il juge la poésie plus persuasive que des textes qui parleraient à la seule raison. Dans le courant de la poésie didactique (Lehrdichtung), dont tous les auteurs ici identifiés sont des représentants, l’esthétisation du texte semble le meilleur moyen pour atteindre une certaine efficacité pédagogique. Dans une tradition toute catholique d’ailleurs, Hartig propose une méditation « sensible » sur la mort50. Bien souvent, les textes sont à la première personne, le locuteur est le mourant, ce qui renforce la capacité de sympathie du lecteur – un peu à la façon de la pleureuse du monument de Beřkovice qui était dans la position du spectateur. On trouve aussi des textes sous forme de dialogue dont les vertus pédagogiques sont aussi bien connues. L’éditeur a lui-même bien conscience que ces textes ne sont pas des prières à proprement parler mais il propose explicitement de les utiliser comme telles, ainsi que le précise le titre. C’est sans doute pour cela que le nom des auteurs est ôté, afin qu’ils n’interfèrent pas dans la réflexion personnelle proposée.

Bien que les textes ne soient pas des prières proprement dites, de nombreux thèmes chrétiens traditionnels sont présentés dans le recueil. Il est tout d’abord proposé de s’habituer à la pensée de la mort – « Je veux penser à ma fin »51 – pour ne pas en avoir peur « Tombe, à moi chrétien, tu ne fais pas peur »52.

Hartig ne s’en tient cependant pas à des exercices de piété directement liés à la mort, mais propose des réflexions morales très générales, plus philosophiques que chrétiennes, d’une philosophie pratique à la portée de tous : sur la nécessité de bien vivre, en paix et tranquillité, se connaissant soi-même, loin des cercles mondains, à l’image des bergers, selon une image chère aux Lumières53. La vertu est louée en termes généraux54 parfois triviaux : « Agis envers chacun, comme tu souhaites qu’on agisse envers toi »55, ou en proposant une morale sociale : « Sois satisfait de ton état »56. La Bible reste une des sources de références. Un Notre Père versifié se trouve aussi dans le recueil. L’action de grâce rendue à Dieu pour ses bienfaits est le motif le plus souvent repris des textes religieux57. Celui de la vanité de la vie est également traditionnel et d’inspiration biblique. Il est toutefois traité de façon plus abstraite et exprimé « en creux » par l’aspiration à la vie éternelle. On ne trouve ainsi pratiquement pas de mention du mépris envers la vie terrestre si fortement présent dans les textes catholiques. Les thèmes du psaume Miserere58 sont absents, la Terre n’est pas le lieu de « l’ordure, souillure ou corruption »59, et ce n’est pas du péché que la mort libère. Il est proposé de se libérer soi-même du monde terrestre, de le quitter sereinement pour accéder au propre de l’homme : l’éternité. Se résigner à la mort, c’est prendre sa liberté par rapport à la vie. Or on est ici chez les stoïciens60.

La figure du Christ souffrant sa passion est présente. Ne proposait-on pas de déposer en vue du mourant le crucifix pour une méditation des derniers instants ?61 Le Christ est cependant surtout réconfortant et exemplaire pour sa résignation. Il est Celui qui a le plus souffert, le plus injustement, et trouvé la force du pardon. Sa résurrection, et celle à laquelle le chrétien est par là appelé, ne sont pas explicitement mentionnées62.

Le thème de la vie éternelle est un des plus ambigus. On trouve plusieurs professions de foi en la vie éternelle63, cette dernière apparaissant comme le propre de l’homme, son destin : « Les éternités ne sont-elles pas tout ce qui m’occupe, mon objectif ?»64 Le corps est effectivement, ce qui empêche de l’atteindre. La résurrection est évoquée de façon emblématique par la gravure placée en frontispice du recueil dont elle vient rehausser la qualité65. Or sa signification n’est pas sans ambiguïté. Certes elle représente le thème de la résurrection des morts, en leur corps même, au jour fixé et que la trompette ici annonce. Intitulée Résurrection d’une famille pieuse, cette représentation d’un salut « collectif » n’est toutefois guère courante et son fondement dogmatique semble assez douteux. Ce repli sur le noyau familial, introduit dans un thème plus souvent représenté de façon anonyme ou plus universelle, est peut-être à rapprocher des représentations de la famille en relation avec la mort à l’époque des Lumières. On connaît en France par exemple Le Fils puni de Greuze (1772) où seule la famille entoure le père mourant. La famille nucléaire reste le berceau de la vie jusque dans l’au-delà. Certains traits laïques de cette résurrection apparaissent aussi : ni croix ni autre signe religieux ne figurent sur la tombe en train de s’écrouler. Les personnages n’ont pas tous de signes marquants de piété. Le glissement, on le voit s’est opéré à la mise en image, le thème restant fondamentalement religieux. Il n’en est pas de même pour d’autres figures souvent invoquées dans le recueil pour symboliser la mort.

La tombe ou plutôt le caveau, avec sa porte ouvrant non sur le ciel mais sur les ténèbres, est tout d’abord fréquemment invoquée. C’est elle qui devient le symbole de la mort. Elle est terrible, profonde et froide66. Les textes soulignent en leurs débuts ses aspects effrayants pour terminer sur son calme et sa paix67. La nature est ensuite invoquée à plusieurs titres et, tout d’abord, pour persuader que la mort est un phénomène naturel. La nature est tantôt présentée comme le symbole de notre finitude : « Comme les fleurs des champs, toute chair sera poussière… »68 Le corps n’est d’ailleurs définitivement que poussière, plus souvent encore que cendre dont l’image antique est plus abstraite, plus symbolique que le naturalisme de la poussière. Le style se veut alors logique et désespère :

N’y a-t-il pas partout un matin et un soir / Le commencement ne contient il pas déjà sa fin ?69

ou naturaliste :

Ainsi, on ne vit pas indéfiniment, on meurt… Cette langue qui parle se raidit, ces yeux animés s’éteignent, cette bouche pâlit et devient froide…70

La nature peut cependant être aussi considérée comme symbole de l’éternité. C’est alors l’univers qui est invoqué71, la mort apaisée, dont on souhaite effacer les affres, devenant le calme, la sérénité et le repos éternel. La traditionnelle image du sommeil est toujours utilisée : la mort met fin aux souffrances terrestres dans une sorte de « douceur narcotique »72. Le calme est le thème le plus fréquent (quinze textes) pour apaiser face à la mort. Or, en fin de compte, cette image de finitude et de néant a bien du mal à être contrebalancée par les trois textes d’action de grâce et les quelques appels à une immortalité très abstraite, d’où est absente aussi bien la résurrection du Christ que celle des corps. La mort, enfin, est présentée comme un acte d’une certaine beauté. Les qualités poétiques des textes soulignent cette esthétique de la mort, qui devient un des moyens employés pour transcender l’expérience de la mort. En cela aussi le recueil s’inscrit dans les pratiques artistiques décrites plus haut.

Éperdu au sein d’une suave douleur/ Le ciel rit au-dessus de ma tombe, Né pour être poussière, / Je suis fleur, me détache et tombe…73

Certains poèmes très célèbres d’Alexander Pope se trouvent dans le recueil et rattachent ce dernier au déisme « incertain et troublé »74 de cet auteur. La pièce Le chrétien mourant à son âme et surtout la fameuse Prière universelle (1738) sont les exemples les plus explicites de cet effort pour concilier la raison et les aspirations que cette dernière ne saurait satisfaire.

Père de tout ce qui vit, et dans tous les âges, / En tous pays adoré avec peur,

Par tous les saints, les sauvages, et tous les sages, / Jéhovah ! Grand Esprit ! Seul

Dieu ! Seigneur !

Ô Première Cause, peu comprise, dit-on, /Qui limita toujours mon sens suprême,

En ceci seul que je sais qu’en toi tout est bon, / Et que je suis bien aveugle moi-même !75

Les glissements de sens, nous le voyons, demeurent quelque peu difficiles à saisir à partir des seuls textes. Si le recueil s’inscrit dans la veine de la poésie didactique et des ouvrages de préparation à la mort, la démarche de Hartig lui donne toutefois une orientation plus nette. Le projet des Moralische Gedichte est une opération de libération, de réappropriation de sa vie. Il s’agit pour Hartig de se saisir de l’irrémédiable et de transformer ce qui pourrait être perçu comme un obstacle : la mort, ici prématurée, en une expérience positive pour soi et utile aux autres, d’où le genre didactique choisi.

Mais le livre est aussi le moyen éminent de construire un lien, ici la relation avec ses descendants et ses amis. C’est de ce lien de mémoire, c’est dans le souvenir des survivants, que réside la possibilité la plus tangible d’immortalité. Hartig attend d’eux ce qu’il a lui même montré envers ses proches afin de ne pas sombrer dans le néant. Répondre au besoin d’espoir qu’induit la finitude d’une mort sécularisée est l’objectif de cet ouvrage. Le livre, objet durable, aux qualités esthétiques extérieures et intrinsèques aux textes, appelle l’immortalité de son auteur.

L’ouvrage est de plus le moyen de livrer à la postérité une certaine image de soi, ici celle du philosophe et de l’esthète menant une réflexion individuelle sur sa propre fin. Les qualités esthétiques des manifestations de cette mémoire renvoient à l’expérience sensible à laquelle elles se rapportent.

1. Page de titre de l’ouvrage édité par Franz de Paula Anton von Hartig, Moralische Gedichte… (© Département des bibliothèques de châteaux, Bibliothèque du Musée national, Prague. Photo Madl).

2. F.X. Lederer (1758-1811) : Cénotaphe d’Antonia von Hartig (1785-1790), grés, vers 1792, signé. Parc du château de Horní Beřkovice (district de Mělník, République tchèque). (Photo Madl).

3. Jan Berka (1838) : Auferstehung einer frommen Familie, Gravure en frontispice de l’ouvrage Moralische Gedichte… [F.A. Hartig éd.], Prague, Gerzabeck, 1797. (© Département des bibliothèques de châteaux, Bibliothèque du Musée national, Prague. Photo Madl).

____________

1 Sur l’Ars moriendi et ses multiples éditions et variantes : Roger Chartier, « Normes et conduites : les arts de mourir 1450-1600 », dans Roger Chartier, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1987, pp. 125-163. Les arts de mourir des XVIIe et XVIIIe siècles ont fait l’objet d’une étude systématique : Daniel Roche : « ‘La Mémoire de la mort’ Recherche sur la place des arts de mourir dans la Librairie et la lecture en France aux XVIIe et XVIIIe siècles », Annales ESC, 31, nº 1, 1976, pp. 76-119.

2 Discussion menée par Gottlob Ephraim Lessing: Wie die Alten den Tod gebildet, Berlin, Voss, 1769.

3 John McManners : Death and the Enlightenment. Changing attitudes to death in eighteenth-century France, Oxford, Oxford University Press, 1981. Le premier chapitre est consacré à cette question.

4 Né et mort à Prague (1758-1797) sur lui : Claire Madl, Une Bibliothèque des Lumières en Bohême : les livres du comte de Hartig (1758-1797), Mémoire de D.E.A., École pratique des hautes études, 2000, 2 vol. dactyl. Philippe, chevalier de Limbourg, Un Grand seigneur littérateur du XVIIIe siècle. Les éditions liégeoises du comte d’Hartig, Liège, Société des bibliophiles liégeois, 1928. [Ignaz von Cornova], Biographie seiner Exzellenz Franz Grafen von Hartig, Herrn auf Niemes, Wartenberg, Alteiche, Berskowitz etc…, Wien, gedruckt bey Ignaz Albertis Witwe, 1799.

5 Nous connaissons en effet sa courte autobiographie datée du 12 avril 1794 et rédigée à l’intention de la Société des sciences de Bohême (Königliche böhmische Gesellschaft der Wissenschaften) : Skitze der wichtigsten Ereignisse meines Lebens (Archives de l’Académie des sciences de la République tchèque, fonds de la Société des sciences de Bohême, nº inv. 375, carton 79).

6 Troisième intermède du Malade imaginaire où, dans un faux latin accessible à tous, un jeune étudiant en médecine fournit immanquablement la même réponse à ses examinateurs, quelle que soit leur question : « clysterium donare, postea seignare, ensuita purgare » ; ce à quoi répond le chœur : « bene, bene, bene, bene respondere ». Un professeur plus exigeant que les autres lance une objection, si cela n’était pas efficace ? L’étudiant : « Reseignare, repurgare et reclysterisare ».

7 Nous connaissons fort bien le détail de la maladie et des traitements appliqués à Hartig grâce notamment au journal de sa maladie : Tagesbuch meiner Gesundheit (1796-1797) (Archives de la région de Litomeˇrˇice, succursale de Zˇitenice [République tchèque], Archives de la famille Hartig, nº inv. 130, carton 12).

8 Moralische Gedichte und andächtige Betrachtungen, welche den Menschen gegen die Furcht des Todes stärken, die Seele zur Religion und Tugend erheben, und die auch als Gebete und Anruffungen zu Gott gebraucht werden können. Von einem Weltmann während einer langwierigen Krankheit gesammelt und bloss für seinen Gebrauch und einige gute Freunde zum Druck befördert, Prag, gedruckt bey Franz Gerzabeck Sohn, 1797 (1 Taf.), IV, 165 p.

9 Ill. 1.

10 Principalement, pour les monographies : Mêlange de vers et de prose par le Comte François d’Hartig (…), A Paris, chez les libraires associés : et se trouve à Liège, chez F. J. Desoer, imprimeurlibraire, à la Croix d’Or sur le Pont-d’Isle, MDCCLXXXVIII [1788], in 8°, 290 p. et Variétés, imprimé à Cythère, in 12, 102 p. [s. d., = 1789 ?]

11 Lettres sur la France, l’Angleterre et l’Italie par le Cte F. d. H., Chambellan de Sa Majesté Impériale et Royale, à Genève [Liège, Desoer], MDCCLXXXV, in 8°, 251 p.

12 Kurze Historische Betrachtungen über die Aufnahme und den Verfall der Feldwirthschaft bey verschiedenen Völkern / Franz Grafen von Hartig (…), Prag und Wien, in der v. Schönfeldschen Handlung, 1786, in 8°, 435 p. Il existe une traduction française : Observations historiques sur les progrès et la décadence de l’agriculture chez différens peuples / par Mr. le Comte François de Hartig (…), Traduites de l’allemand par Fis, -Cde. Le Roy de Lozembrune, Professeur I. et R., Vienne, chez Rudolph Graeffer et Compagnie, 1789, in 8°, 284 p.

13 Königliche böhmische Gesellschaft der Wissenschaften, fondée vers 1774, dont Hartig est le troisième président de 1794 à 1797.

14 Sa collection, conservée dans la bibliothèque du château de Mimoň, dont est aujourd’hui responsable la Bibliothèque du Musée national à Prague en République tchèque, comptait environ 10 000 volumes. Cf. Petr Mǎsek, Handbuch deutscher historischer Buchbestände in Europa. Tschechische Republik. Band 2. Schloßbibliotheken unter der Verwaltung des Nationalmuseum in Prag, Hildesheim, etc., Olms-Weidman, 1997, pp. 140-141.

15 En allemand Niemes, au nord de la Bohême.

16 Officiellement en poste de 1788 à 1794, Hartig représenta successivement trois empereurs du Saint-Empire : Joseph II (empereur de 1765 à 1790), Léopold II (1790-1792) puis François (second de ce nom empereur du Saint-Empire de 1792 à 1806, premier empereur héréditaire d’Autriche de 1804 à 1835).

17 Ainsi caractérise-t-il lui-même son mariage : « Seule la passion d’un tendre sentiment me préserva de toute débauche et d’une basse luxure. En 1783, je me mariai avec Eleonore comtesse de Colloredo » (« Allein selbst die Leidenschaften eines zärtlichen Gefühls haben mich gegen alle Ausschweiffungen und niedere Wollust geschicht ; im jahr 1783 vermählte ich mich mit Eleonore Gräfin von Colloredo »). Skitze der wichtigsten Ereigniße meines Lebens, ouvr. cité note 5, ici p. 5.

18 Le Temple de la Mort. Poëme traduit de l’anglais par le comte Fr : de H*****, imprimé à Genéve l’an MDCCLXXVI, in 8°, 13 p.

19 Bibliothèque de Mimoň, cote R 4.

20 Une des pièces les plus répandues, celle d’Edward Young, se trouve par exemple en quatre exemplaires et trois langues différentes chez Hartig : Klagen oder Nachtgedanken, Schaffhausen, 1765-1768 (Mimoň 2306) ; Klagen, oder Nachtgedanken, Braunschweig, 1768-1771 (Mimoň 2221) ; Nuits d’Young, Amsterdam, 1771 (Mimoň 4104) ; The Works of the Author of the Night-Thoughts, London, 1774 (Mimoň 1190).

21 Paris, A. de Sommaville, 1646. On ne trouve pas ce long poème dans la bibliothèque des Hartig bien qu’il ait été « longtemps admiré » : Jean Rousset, La Littérature de l’âge baroque en France. Circé et le paon, Paris, J. Corti, p. 109 et 272. Le poète Feutry donna justement à une édition de 1753 de sa traduction de la Lettre d’Héloïse à Abélard d’Alexander Pope le titre de Temple de la mort. Or cette lettre est présente chez Hartig : Lettres et épitres amoureuses d’Héloise avec les réponses d’Abeilard. Traduites librement en vers & en prose, par MM. de Bussy, de Beauchamps, Pope…, s.l., 1777.

22 Or les lecteurs de Bohême sont réputés avoir très peu accueilli le XVIIe siècle français. Il faudrait analyser les anthologies et recueils où le Temple de la mort de Habert se trouve certainement, pour en retracer la postérité.

23 « Am Abhange des Berges in einem melancholischen Wald » : cf. [Description du jardin de Mimoň, sans date] Archives de la région de Litoměřice, Žitenice, fonds de la famille Hartig, nº inv. 126, carton 11.

24 Les plus répandus dans l’entourage de Hartig étant : Christian Cajus Laurenz Hirschfeld, Theorie der Gartenkunst (5 vol.), Leipzig, Weidmann, 1779-1785, in-4°, ouvrage qui fit l’objet d’une édition parallèle en français que Hartig possédait : Théorie de l’art des jardins, Leipzig, Weidmann u. Reich, 1779-1781, mais aussi René Louis de Girardin, De la composition des paysages, Genève, Paris, Delaguette, 1777.

25 Archives de la famille des chevaliers de Limbourg : correspondance entre Hartig et J.-Ph. de Limbourg, lettre du 17 janvier 1791.

26 La commande date sans doute de 1792 : cf. Archives de la région de Litoměřice, Žitenice, fonds de la famille Hartig, nº inv. 123, carton 11, Livre de comptes.

27 Ce monument est analysé par Roman Prahl notamment dans : Umění náhrobku v Českych zemích let 1780-1830 [L’art de la tombe en Pays tchèques, 1780-1830], Praha, Academia, 2004, p. 55. L’inscription est d’un côté la suivante : « Monument douloureux érigé par un père et une Mère en souvenir de leur fille Antoinette Comtesse d’Hartig, morte l’an 1790 » ; et de l’autre côté : « Je l’ai vû dans la fleur desecher et fletrir/Son éclat disparoître, son tombeau s’ouvrir/Ignorant les regrets, la crainte et l’espérance,/Elle livre à la mort sa tranquille innocence/Son ame vole aux cieux, et ce cher monument/Recueille encore les pleurs que ma douleur répand ». Ill. 2.

28 Dans le district de Mělník, à 30 km environ au nord de Prague.

29 « Ein steinernes Denkmal mit einer marmornen Vase und vergolten Guirlanden, welches die Gemahlin des Herrn Grafen v. Hartig ihrer verewigten Frau Mutter zu Ehren setzen liess. Auf den Postamenten liesst man folgende Innschriften : « Dem Gedenken/der Gräfin v. Colloredo gebohren Gräfin v. Würben/gewidmet ». Auf den andern Seite : « Thränen bring ich dir/dar zum traurigen /Todten opfer/bitter, weinende Thränen,/das Lezte, was Liebe/dir geben,/was im Grabe dir/Kann geben ein/trauriges Herz. » Archives de la région de Litoměřice, Žitenice, fonds de la famille Hartig, nº inv. 126, carton 11. Le second monument est décrit dans la biographie de Hartig par Ignaz Cornova, Biographie seiner Excellenz (…) Graf von Hartig, Wien, 1799, p. 38 : « Ce triste monument, gage de ma douleur,/A mes yeux attendris offre encore des charmes :/Il te porte au tombeau, l’hommage de mon cœur,/Mes plaintes, mes regrets, mes soupris [sic] et mes larmes. » De l’autre côté du même monument : « Monument érigé par un fils, en tendre souvenir de sa mère Comtesse d’Hartig, née Comtesse de Kollowrath ».

30 Roman Prahl, Umění náhrobku, ouvr. cité note 26, pp. 155-159.

31 Sur le rapport du texte à l’image pour le XVIIIe siècle : Peter J. Schneemann, « Lire et parler », dans L’Art et les normes sociales au XVIIIe siècle, Paris, Éd. de la MSH, 2001, pp. 443-457, ici p. 446.

32 Archives de la région de Litoměřice, Žitenice, fonds de la famille Hartig, nº inv. 129, carton 12.

33 Aujourd’hui Stráž pod Ralskem, en allemand Wartenberg, au nord de la Bohême.

34 Philippe Ariès, L’Homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977, p. 476-484.

35 Jacques Delille sans doute dans Les Jardins (1782), cité par John McManners, Death and the Enlightenment, ouvr. cité note 3, p. 347

36 Au moins trois générations sont ici enterrées, et il faudrait certainement se pencher plus précisément sur les pratiques funéraires des deux générations de l’époque des Lumières. Le fait par exemple que le comte de Hartig ici étudié et son père aient tous les deux été francs-maçons peut avoir eu une influence sur l’absence de leur identification explicite à l’extérieur de la tombe. C’est tout du moins ce que l’état actuel du caveau suggère.

37 C’est-à-dire sans manifestation somptuaire. Il semble qu’on ne puisse traduire le mot Gepräg par « marque d’identification » car la formule « ohne Gepräg » se retrouve de même dans d’autres testaments sous la forme « ohne Gepräg und Pompe », et qu’il faille donc la rapprocher de la pompe funèbre.

38 Archives de la région de Litoměřice, Žitenice, fonds de la famille Hartig, nº inv. 129, carton 12.

39 C’est ce que laisse deviner l’analyse des exemplaires qui sont conservés et dont la provenance est déterminable. La plupart n’ont d’ailleurs pas quitté la bibliothèque familiale où l’on dénombre vingt et un exemplaires.

40 « Sein Tod, und die rührenden Umstände, die denselben begleiteten ; sind hinreichend, um nicht bloss seinen Freunden, für die er diese Sammlung bestimmt hatte, sondern Jedem Andern, alle Theilnahme zu erregen » (Moralische Gedichte, ouvr. cité, p. I de la préface).

41 Cité par Martin Papenheim, « Le Pour et le Contre. La correspondance entre le philosophe Diderot et l’artiste Falconet sur la postérité et l’immortalité », dans L’Art et les normes sociales au XVIIIe siècle, Paris, Éd. de la MSH, 2001, pp. 331-341 ici p. 333.

42 Moralische Gedichte, ouvr. cité, p. IV : « weil er wünschte, seine letzten Augenblicke noch nützlich, und den Seinigen werth zu machen ».

43 Ibid. : « immer gewohnt, den nützlichsten Gegenständen alle seinen letzten Tagen seine weniger schmerzvollen Stunden, um sich durch Lesung guter und moralischer Werke zu seinem nahen Lebens-Ende vorzubereiten, dessen unausweichliche Annäherung er ohne Schröcken täglich näher anfücken sahe. Die ihm merkwürdige Stellen zeichnete er selbst auf, und – daraus entstand diese Sammlung. »

44 Nous avons pu voir les exemplaires conservés à Prague, à Vienne et dans la bibliothèque des Hartig. Tous portent le même cartonnage clair.

45 On connaît par exemple un ouvrage de Hagedorn portant ce titre exactement – mais le contenu n’est pas repris par Hartig, à l’exception de la Prière universelle de Pope : Moralische Gedichte, Hamburg, Bohn, 1750, in-8°, 208 p. D’ailleurs ce livre ne semble pas s’être trouvé dans sa bibliothèque. Sans doute les textes ici repris circulaient-ils majoritairement sous une autre forme qu’en éditions monographiques des auteurs, dans les revues par exemple, de sorte que les sondages effectués dans la bibliothèque de Hartig auprès des préparations à la mort ont été vains. En revanche, Hartig possédait l’édition des œuvres de C.F. Gellert dont le second volume s’intitule justement Moralische Gedichte, vermischte Gedichte, geistliche Oden und Lieder, Leipzig, M.G. Weidmanns Erben u. Reich, u. C. Fritsch, 1769. Un seul de ces textes est repris par Hartig.

46 Moralische Gedichte, ouvr. cité : p. 90 : « Treue und Redlichkeit » [Fidélité et honnêteté], mis en musique par Mozart, édité sous le titre (1er vers) : « Üb’ immer Treu’ und Redlichkeit » [Applique toi à la fidélité et à l’honnêteté]. C’est ce qu’indique le Guide des éditions des Arias de Mozart publié par la bibliothèque de l’Université de Harvard (http://hcl.harvard.edu/libraries/loebmusic/ isham/guides/mozart/arias.html). La référence ne porte pas le numéro au catalogue des œuvres de Mozart.

47 Moralische Gedichte, ouvr. cité : « Sey mit deinem Stande zufrieden » [Sois satisfait de ton état], p.118 sous le titre (1er vers) « Du klagst und fühlest die Beschwerden » [Tu te plains et éprouves les peines] (1787-Wq 203/10), texte de C.F. Gellert publié dans son recueil cité note 45.

48 Ibid. : « Der sterbende Christ an seine Seele » p. 17-18, adaptation du poème d’Alexander Pope : « The dying Christian to his soul » [Le chrétien mourant à son âme], mis en musique par Schubert (Lied D 59) ou encore « Das Grab » [Le tombeau] p. 67-68, Lied D 330 « Das Grab ist tief und stille » [Le tombeau est profond et tranquille] (1er vers).

49 Philippe Ariès, L’Homme devant la mort, ouvr. cité, p. 296

50 On trouve par exemple dans sa bibliothèque un ouvrage au titre explicite, du père Avrillon, Commentaire affectif sur le pseaume Miserere, pour servir de préparation à la mort, A Paris, Chez Le Mercier père, MDCCXXXIX in-12, 352 p.

51 Moralische Gedichte, ouvr. cité : « Der Kirchhof », p. 8 « Ich will an mein Ende denken ».

52 Ibid., p. 9 « Grab, mich Christen schreckst du nicht !»

53 Ibid., « Ein Volkslied am Morgen » [Chant du peuple pour le matin] p. 92 : « Ruhig, sorglos, ohne Kummer » [Tranquille, sans souci ni peine].

54 Ibid., « Die Tugend » [La vertu] p. 63-66 : « Dir schwör’ ich ewig treu zu seyn » [À toi, je promets d’être toujours fidèle], ou encore : « Treue und Redlichkeit » pp. 90-91 « Üb’ immer Treu’ und Redlichkeit/Bis an dein kühles Grab » texte cité note 46.

55 Ibid., « Handle mit jedermann so, wie du wünschest, dass man mit dir handle » (p. 121).

56 Ibid., « Sey mit deinem Stande zufrieden » [C.F. Gellert mis en musique par C. P. E. Bach, Wq 203/10], p. 118.

57 Trois textes : « Lob der Gottheit » [Loue ton Dieu], « Empfindungen über die Göttlichen Wohlthaten » [Sentiment sur les bienfaits de Dieu], « Lob Gottes » [Louange à Dieu] qui sont librement inspirés des psaumes d’action de grâce.

58 Psaume 50 : « Pitié pour moi, Dieu, en ta bonté,/en ta grande tendresse efface mon péché,/ lave-moi tout entier de mon mal/et de ma faute purifie-moi. »

59 Avrillon, Commentaire affectif sur le pseaume Miserere, ouvr. cité note 49, pp. 83, 89 etc.

60 Un des rares livres annotés par Hartig se trouve être justement un Esprit de Sénèque (Bruxelles, Serstevens, 1713, in-12).

61 Outre Avrillon, déjà cité, Hartig disposait de l’ouvrage protestant de Charles Drelincourt, Les Consolations de l’ame fidele, contre les frayeurs de la mort avec les dispositons & les préparations nécessaires pour bien mourir, dans une édition Amsterdam, Desbordes, 1724 (1e édition 1651).

62 Moralische Gedichte, ouvr. cité : « Jesus am Kreuze, ein tröstendes Gemälde für Kranke und Sterbende » [Jésus sur la croix, peinture réconfortante pour les malades et les mourants], p. 157.

63 Ibid., « Die Hoffnung » [L’espérance], p. 99.

64 Ibid., « Beruhigung am Grabe » [Apaisement auprès du tombeau], p. 11 : « Sind nicht Ewigkeiten / Mein Beruf ? – mein Zweck ?»

65 Ill. 3.

66 Ibid., « Das Grab » [Le tombeau], pp. 67-68 : « Das Grab ist tief und stille,/Und schaudervoll sein Rand,/Es deckt mit schwarzer Hülle/Ein unbekanntes Land » [La tombe est froide et muette/Affreux est son seuil/Elle couvre d’un voile noir/Un pays inconnu]. Schubert D 330 : « Das Grab ist tief und stille ».

67 Ibid., « An das Grab » [Au tombeau] p. 72 : « Kühles Grab ! o ! wann nimmst du /Mich in deine stille Ruh ? » [Froide tombe ! Oh ! Quand me prendras-tu dans ton repos tranquille ?], p. 72.

68 Ibid., « Trost am Grabe » [Consolation au tombeau] de Johann Heinrich Voss, p. 73 : « Gleich des Feldes Blumen werde / Alles Fleisch verstäubt !»

69 Ibid., « Leben und Tod, ein Fragment » [La vie et la mort, fragment], pp. 14-16 : « Ist Morgen nicht und Abend überall ?/Schliesst nicht der Anfang schon das Ende ein ?»

70 Ibid., « Eine Betrachtung über Sterben und Tod » [Considérations sur le Trépas et la mort], p. 124 : « Also, man lebt nicht immer – man stirbt ; diese redende Zunge erstarret ; diess seelen-vole Aug’ erlöscht ; dieser Mund erbleichet und erkaltet. »

71 Ibid., « Die Unsterblichkeit » [L’immortalité], pp. 84-85 : « Siehst du Gottes Sternenschrift dort stimmern, /Die der bangen Schwermuth Trost verheisst ? » [Voix-tu au loin ce que Dieu écrit en étoiles/Qui promet la consolation à la mélancolie craintive ?].

72 L’expression est de Robert Favre, La Mort dans la littérature et la pensée française au siècle des Lumières, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1978. Cette idée apparaît par exemple dans les textes suivants : « Sehnsucht nach dem Tod » [Aspiration à la mort], p. 11 : « Wie so sanft werd ich einst ruhn !/ Süsser Schlummer, kömmst du bald ? » [Comme suave sera un jour mon repos ! Doux sommeil, viens-tu bientôt ?] ; « Der Kirchhof », p. 8 : « Stiller Kirchhof, Ziel der Leiden / Wiege meine Seele ein. » [Calme cimetière, où mes souffrances aboutissent, berce mon âme].

73 Ibid., p. 8 : « Ganz in süssem Schmerz verlohren / Lacht der Himmel auf mein Grab, / Staub zu seyn ward ich gebohren, / Ich bin Blum’, und falle ab !»

74 Paul Hazard, La Pensée européenne au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1995 (1re éd., 1963), p. 388.

75 « Universal Prayer » (1738) : « Father of all ! In every age, / In ev’ry clime ador’d, / By saint, by savage, and by sage, / Jehovah, Jove, or Lord ! // Thou Great First Cause, least understood, / Who all my sense confin’d / To know but this, that Thou art good, / And that myself am blind », dans le recueil selon une traduction de Hagedorn : « Allgemeines Gebet ». p. 114. La traduction française ici livrée a été publiée par J.G. Tollemache Sinclair, Paris, Dentu, 1884.