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Une affiche publicitaire au XVIIIe siècle : les volets de la librairie Girardet

Caroline CALAME

Conservateur à la Fondation des Moulins souterrains du Col-des-Roches

Je ne suis qu’un Petit Libraire des rives d’un petit Village comme Le Locle1

SAMUEL GIRARDET ET SA LIBRAIRIE

Les montagnes neuchâteloises et le village du Locle commencent à être connus du public cultivé en 1758, grâce à l’enthousiasme de Jean-Jacques Rousseau. Dans sa Lettre à Mr d’Alembert sur les spectacles, le philosophe fait part de son admiration pour ce petit pays, où les habitants allient l’ingéniosité technique à des mœurs agréables et un esprit cultivé :

L’hiver surtout, tems où la hauteur des neiges leur ôte une communication facile, chacun renfermé bien chaudement, avec sa nombreuse famille, dans sa jolie et propre maison de bois qu’il a bâtie lui-même, s’occupe de mille travaux amusans, qui chassent l’ennui de son azile, et ajoûtent à son bien-être. Jamais Menuisier, Serrurier, Vitrier, Tourneur de profession, n’entra dans le pays ; tous le sont pour eux-mêmes, aucun ne l’est pour autrui ; dans la multitude de meubles commodes et mêmes élégans qui composent leur ménage et parent leur logement, on n’en voit pas un qui n’ait été fait de la main du maître. Il leur reste encore du loisir pour inventer et faire mille instrumens divers, d’acier, de bois, de carton, qu’ils vendent aux étrangers, dont plusieurs même parviennent jusqu’à Paris, entre autres ces petites horloges de bois qu’on y voit depuis quelques années. Ils en font aussi de fer, ils font même des montres; et, ce qui paroît incroyable, chacun réunit à lui seul toutes les professions diverses dans lesquelles se subdivise l’horlogerie, et fait tous ses outils lui-même.

Ce n’est pas tout : ils ont des livres utiles et sont passablement instruits ; ils raisonnent sensément de toutes choses, et de plusieurs avec esprit. Ils font des syphons, des aimans, des lunettes, des pompes, des baromètres, des chambres noires ; leurs tapisseries sont des multitudes d’instrumens de toute espèce, vous prendriez le poêle d’un Paysan pour un attelier de mécanique et pour un cabinet de physique expérimentale. Tous savent un peu dessiner, peindre, chiffrer ; la plûpart jouent de la flute, plusieurs ont un peu de musique et chantent juste. Ces arts ne leur sont point enseignés par des maîtres, mais leur passent, pour ainsi dire, par tradition. (…) Je ne pouvois non plus me lasser de parcourir ces charmantes demeures, que les habitans de m’y témoigner la plus franche hospitalité. Malheureusement j’étois jeune : ma curiosité n’étoit que celle d’un enfant, et je songeois plus à m’amuser qu’à m’instruire. Depuis trente ans, le peu d’observations que je fis se sont effacées de ma mémoire. Je me souviens seulement que j’admirois sans cesse en ces hommes singuliers un mélange étonnant de finesse et de simplicité qu’on croiroit presque incompatibles…

À la suite de Rousseau, bien d’autres visiteurs remarqueront ce goût pour l’instruction et la lecture, fruit des longs hivers, peut-être, mais aussi d’une éducation protestante où la lecture de la Bible joue un rôle essentiel. La pratique de la musique a d’ailleurs la même source, une des grandes distractions entre amis et en famille étant de chanter des psaumes, comme le note aussi Rousseau :

Un de leurs plus fréquens amusemens est de chanter avec leurs femmes et leurs enfans les pseaumes à quatre parties…2

Dans ce terrain apparemment fertile pour la culture de l’esprit, Samuel Girardet arrive en cette même année 1758. De son précédent parcours, nous savons peu de chose. Il est né en 1729 à Königsberg, en Prusse orientale. Il a une formation de relieur, mais plus tard, il évoquera la « tres chétive éducation que j’ai reçu dans mon jeune âge »3. Son immigration en Pays de Neuchâtel, également terre du roi de Prusse, n’est pas surprenante. Elle l’est d’autant moins que Le Locle est le lieu d’origine de sa famille. Samuel Girardet ouvre aussitôt un commerce de libraire-relieur. Deux ans plus tard, il épouse Marie-Anne Bourquin, qui lui donnera dix enfants.

Le succès n’est pas au rendez-vous, puisqu’il demande au Conseil d’État neuchâtelois, en 1767, la permission de faire une loterie de ses livres, vu son état de pauvreté. L’année suivante, il acquiert néanmoins la « maison du Verger » pour loger sa famille et tenir boutique. Située à l’entrée du Locle, sur une route de passage, la maisonnette convient bien au commerce. Le libraire peut exposer aux fenêtres ses marchandises les plus attrayantes. Mais cet achat pèse lourdement sur le budget familial, comme en témoigne cette lettre : « Je me trouve actuëllement environné de plusieurs dettes Rongeantes que ma Batisse m’a attirée… »4 Malchance supplémentaire, les années 1770-1771, période de mauvaises récoltes ne favorisent pas la vente de livres : « Mon négoce tombe de même que ma profession, les livres sont regardé comme la bouë aujourd’hui… »5 À tel point que Girardet envisage de quitter la région. Le maire du Locle l’encourage à persévérer, et, pour améliorer ses finances, Girardet prend son ballot de colporteur et parcourt avec courage des lieues, d’une foire à l’autre, pour un gain parfois bien maigre.

Seule établie au Locle, la librairie de Samuel Girardet n’est pas, comme on pourrait l’imaginer, une échoppe rurale uniquement consacrée à la vente d’almanachs et à la reliure de Bibles usagées. Décidé à distribuer des ouvrages récents, le libraire entre en contact avec la Société typographique de Neuchâ-tel en 1769.

Fondée par quelques notables neuchâtelois en juillet-août 1769, la Société typographique de Neuchâtel cumule les activités d’éditeur, d’imprimeur et de libraire en gros. Comme éditeur, elle se consacre surtout à la contrefaçon de textes littéraires, philosophiques ou politiques, d’origine essentiellement française, et parfois prohibés. Elle les distribue dans l’Europe entière grâce à un vaste réseau de correspondants, et cette activité lui rapporte de substantiels bénéfices. Mais elle produit aussi des textes inédits, comme Mon bonnet de nuit6 de Louis-Sébastien Mercier, un des auteurs à succès du XVIIIe siècle, ou des pièces de théâtre du même. Elle s’est aussi illustrée dans le domaine encyclopédique, en rééditant au format in-quarto l’édition parisienne de La Description des arts et métiers, augmentée d’importantes additions. Les activités de la Société typographique nous sont bien connues, puisque ses archives ont été presque intégralement conservées. Déposé à la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel, ce fonds est une mine d’informations sur le travail d’une imprimerie, mais aussi sur la vie intellectuelle au siècle des Lumières. Il se compose de livres de comptes, de registres d’atelier et de quelque 25 000 lettres provenant de 2300 correspondants (auteurs, imprimeurs, clients…) établis dans plus de 450 localités européennes, avec les copies des réponses.

Pour Girardet, la S.T.N. sera plus qu’un partenaire, une fenêtre ouverte sur l’Europe éclairée. Par le biais des achats à la S.T.N. ou des échanges conclus avec elle, il peut amener dans les montagnes neuchâteloises, la meilleure, mais aussi la plus brûlante des littératures. Dès sa première lettre, il exprime avec clarté de quelle sorte d’ouvrages il entend disposer :

Si c’est q[uel]q[ue] chose d’agréable, d’utile ou bien qu’il y ai du nerveux & de la sagacité de jugement, en un môt ce qu’on appelle du bon, vous pourés en ce cas m’adresser jusqu’à 100 ex[em]p[laire]s. J’entend en fait de brochures qui ne seront pas de haut prix en parlant d’un tel nombre…7

Le Catalogue général des livres françois qui se trouvent chez Samuel Girardet, Libraire & Relieur au Locle est imprimé dès 1769 par la S.T.N. À côté d’auteurs classiques (Corneille, Fénelon, Érasme…), il propose les travaux de scientifiques du temps (Valmont de Bomare, l’abbé Pluche, Charles Bonnet), mais aussi des titres d’auteurs à la mode, comme Swift, Lesage, Voltaire, Rousseau, et Marivaux. Le modernisme des fonds n’est cependant pas sans danger : en 1767 déjà, Girardet, accusé d’athéisme et d’irréligion, est menacé d’arrestation par le Conseil d’État, mais la justice du Locle refuse d’appliquer la sentence. Deux ans plus tard, il publie un article dans la Feuille d’avis de Neuchâtel pour se défendre contre les calomnies.

En 1775, Girardet acquiert une partie des fonds des imprimeurs bâlois Pistorius, dont il distribuait déjà les éditions. Cet achat lui assure un fonds de commerce important et lui permet de se livrer à d’intéressants échanges. Ses commandes à la S.T.N. prennent dès lors de l’ampleur :

J’ai fait des échanges considérables avec tous mes correspondant, j’esperre que vous vous assortirés aussi de q[uel]q[ues] douz[aines] de chaque sorte. C’est les fond des Pistorius de Basle que j’ai acquis, tandis que j’ai encore à en échanger Profités en…8

Par ailleurs, sa situation financière s’améliore quelque peu : en 1776, il possède un cheval pour porter ses ballots. Mais les années difficiles ne sont pas terminées, et elles ne le seront jamais. La vente de livres dans les montagnes neuchâteloises ne va pas toujours de soi, et Girardet de se plaindre de ces horlogers et autres petits négociants, plus soucieux de chiffres que de lettres :

Non Messieurs au lieu d’augmenter il faudrait diminuer de prix avec vos marchandises du tems. Car certes nos Montagnards comencent a ne plus acheter de ces sortes de livres (…). Ils aiment mieux des livres blancs, tout blancs afin d’acheminer à voir clair dans leurs affaires et de régler leur comptes…9

Il aime son métier et le pratique de son mieux, tiraillé parfois entre les nécessités de sa vie – nourrir cette « fourmillière d’enfans qu’il a plû a Dieu de me donner »10 – et un certain idéalisme, qui le pousse à vendre de « bons » livres. Ainsi, un jour de février 1783, demande-t-il crûment à la S.T.N. :

«Quel nouveau avés vous qui vaille la peine de s’en meller pour y gagner sa vie?» Mercantilisme qui suscite en lui quelques remords, car il se reprend le mois suivant : « Je veux dire q[uel]q[ue] chose de bon et ou j’y puisse me plaire a vendre y aïant q[uel]q[ue] chose à gagner en même tems dont aussi le débit soit coulant et aille vitte…11 »

Pour résumer, il tient à « pourvoir le Moral, l’Édifiant & l’Utile pourvû que cela ne soit de nature a devenir Garde Boutique… »12 Il est loisible de se demander ce qu’il entend par « édifiant », quand on sait qu’il fait commerce d’ouvrages éminemment athées. Toujours est-il que sa liberté d’esprit a des limites. Un beau jour, il commande à la S.T.N., apparemment en toute innocence, L’Ile de Cythère, Le Temple de Vénus et Thérèse philosophe – avec les gravures ! Les directeurs de la S.T.N. ne lui épargnent certainement pas leurs commentaires. Girardet répond – avec une dignité qui n’exclut pas l’ironie :

Reçevés en mes très humbles remerciement aussi bien que pour l’airs qu’il vous plait me donner à l’occasion de les 2 livres que vous qui en êtes Connoisseurs només libertins, Dieu me garde de négocier tels livres…13

LES ÉDITIONS DE GIRARDET

Samuel Girardet travaille aussi comme éditeur. Sa première production, en 1760, est un recueil de passages de l’Écriture sainte. Viendront ensuite des ordonnances militaires, recueils de lois et cantiques. Malgré ses difficultés financières, il parvient à éditer au moins un livre par an à partir de 1772. En 1775 paraît sa première édition des Psaumes, lecture incontournable chez les Réformés. Ouvrage de petit volume et donc de prix accessible, Les Psaumes sont présents dans les plus modestes demeures. Girardet et ses successeurs n’en donnent pas moins de onze éditions. En 1776, avec L’Abrégé de l’histoire sainte de Jean-Frédéric Ostervald14, le libraire entame un genre qu’il fera sien : les ouvrages éducatifs, à connotation plus ou moins religieuse. La Nouvelle méthode d’enseigner les enfans de Paleyra15, La Suite de la Nouvelle méthode d’enseigner les enfans16, La Nouvelle méthode d’enseigner l’ABC17, Les Histoires de la Bible de Jean Hubner seront éditées par lui à plusieurs reprises18. De même encore que des ouvrages de piété comme La Voie étroite de Richard Lucas19 et La Nourriture de l’âme de Jean-Rodolphe Ostervald, ce dernier publié cinq fois par le libraire et ses descendants…20 Sortent aussi de chez Samuel Girardet des compilations assez surprenantes combinant manuel d’orthographe, règles de civilité, contes moraux, extraits de l’Écriture Sainte et résumé d’histoire neuchâteloise… On voit dans sa correspondance que Girardet fait imprimer par la S.T.N. des passages de livres appartenant à sa famille, tels Le Secrétaire du cabinet ou La Science des personnes de cour, d’épée et de robe21. Il insère à l’occasion ces extraits – consistant surtout en règles de savoir-vivre – dans ses recueils, parfois avec un titre générique comme par exemple le Recueil de différentes pièces propres à inspirer aux jeunes gens l’amour et la pratique de la vertu (1780)22. Ces manières de « mélanges » fournissent à leurs lecteurs tout ce qui peut être utile à leur vie quotidienne : il ne faut pas oublier qu’à l’époque, les livres se vendent en feuilles, c’est-à-dire non reliés, ce qui permet au relieur ou à l’acheteur toutes les combinaisons possibles.

Samuel Girardet ne possède pas de presse typographique. Il confie à des imprimeurs comme la S.T.N. l’impression de ses éditions. Il dispose en revanche d’une presse en taille-douce, étant l’un des rares éditeurs neuchâtelois à produire des ouvrages illustrés. La rétribution de graveurs coûte alors fort cher au point de dépasser les moyens de la plupart des éditeurs (une maison de l’importance de la S.T.N. n’a édité que peu de gravures originales), mais Girardet n’a nul besoin d’en engager puisqu’il en a trois à domicile. Trois de ses fils, en effet, Abraham (1764-1823), Alexandre (1767-1836) et Abram-Louis [sic] (1772-1821), font preuve de réels dons artistiques. Dans un premier temps, leur père s’interroge, puis les laisse suivre leur propre voie, les orientant cependant vers la gravure plutôt que la peinture. Dès lors, il s’implique de tout cœur dans leur réussite, notamment celle d’Abraham :

Car il faut Dieu aidant ou que cet enfant devienne q[uel]que chose, ou bien je périrait plustôt et duse je y emploïer tout mon avoir et tout le gain qu’entre nous tous nous pourrons faire…23

En effet, Abraham se révèle particulièrement précoce. De 1778 à 1779, il compose une série de 466 gravures en taille-douce (34 cm) retraçant l’histoire biblique. Bien entendu, il s’est inspiré de gravures déjà existantes et certaines scènes, surtout parmi les premières, font preuve d’une relative maladresse mais, pour un garçon de quatorze à quinze ans, l’ensemble reste une incontestable réussite. Sous forme de planches in-folio, chacune regroupant généralement trente-deux gravures, les 466 figures sont d’abord jointes à l’édition de La Bible d’Ostervald, réalisée en 1779, par la S.T.N. Mais, en raison de leur succès, Girardet décide bientôt d’en donner une édition séparée. Le format est cette fois un in-octavo, chaque page comportant huit gravures avec les légendes en regard. Les directeurs de la S.T.N. apportent leur contribution en vérifiant l’orthographe, ce dont Samuel les remercie le 4 février 1781 :

Je ne doute pas qu’avec l’aide de Dieu et vôtre secours je ne parvienne à faire parroitre un ouvrage au Public lequel ouvrage ma painé et mis a la torture 3 années sans interruption jusqu’à me faire perdre la vuë…24

Tant d’efforts ont leur récompense : dès novembre 1781 le libraire a placé 800 exemplaires de l’Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, représentée en 466 figures en taille-douce, avec deux cartes25. Dès lors, les trois fils prêtent leur burin aux éditions paternelles : Abraham grave le frontispice des Psaumes (1777) et celui de la Nourriture de l’âme (1780), puis les illustrations du Nouveau Testament (1782), de la Suite de la nouvelle méthode d’enseigner les enfans (1785-1786), de la Nouvelle méthode d’enseigner l’ABC (1786) et de la Nouvelle méthode d’enseigner les enfans de Paleyra (1792). Alexandre illustre l’Histoire de la Bible (1784), l’Abrégé chronologique de l’histoire du Comté de Neuchâtel et Valangin (1787, en collaboration avec Abraham), la série des Serments réciproques (1787) et le frontispice de L’Art de bien vivre et de bien mourir (1788)26. Moins présent dans les productions familiales, Abram-Louis grave les cuivres des Étrennes (1795 et 1796) et du Nouveau Recueil de traits intéressants, historiques et moraux (1795)27. Dans les années 1780, les deux aînés vont étudier la gravure à Paris, et Abraham s’y établit définitivement à partir de 1802, se faisant connaître en gravant la Transfiguration de Raphaël28. Alexandre rentre à Neuchâtel en 1792 et travaille comme professeur de dessin, mais il souffrira de troubles mentaux. Après quelques temps, Abram-Louis revient lui aussi au pays, mais souffre comme son frère de dérèglement cérébral. Les trois frères ont constitué un important œuvre gravé représentant notamment des sites neuchâtelois. Ils ont aussi exploité des thèmes allégoriques et bibliques, et donné des reproductions de peintures célèbres.

L’œuvre de son fils aîné est à l’origine du seul instant de colère dont témoigne la correspondance de Samuel Girardet. Un jour de mars 1783, le libraire installe aux Verrières son étal de colporteur. Une femme vient, qui demande le prix d’une Bible illustrée par Abraham. Mais, à ce moment surviennent deux pasteurs qui, critiquant l’ouvrage, font manquer la vente. La fatigue du trajet, le manque à gagner, le mépris témoigné à l’œuvre de son fils jettent Samuel dans une juste fureur :

Le grand Dépit me prit. Je me mit à dire : « Sacré double de chien, Messieurs les habillé de noir, allés vous en loin de mon banc et laissé moi faire ma foire. Je trouve malhonnêtte à vous, Messieurs, de venir détourner des acheteurs de mon banc, tandis que je suis en marchés avec eux. Croïés-vous qu’en prenant peine à venir braver le tems de neige horrible come il fait, par les plus facheux chemins, je sois venu me transporter ici au péril de ma vie, pour ainsi dire, pour au lieu d’ici travailler, être à enfiler des perles, ou a entendre autour de moi vos claboderies (…). Et moi je trouve, Messieurs, que vous êtes des vilains & des malhonnettes, il est malhonette à vous, qui par vôtres prébande avés vôtre pain tout cuit, de venir me nuire en foire franche & publique »…29

Hormis cet épisode, le caractère de Samuel Girardet semble ordinairement pacifique, modeste et honnête. Sa correspondance fait état d’un grand souci de probité :

Mon Grand Livre, c’est celui de ma conscience, mon Journal, c’est celui de tacher à continuër d’ettre honnet[e] homme…30

L’éducation représente pour lui la valeur suprême, peut-être parce que lui-même n’en a guère bénéficié. En conséquence, il fera tout son possible pour que ses enfants soient convenablement instruits :

Je ne désirerai rien au monde que de pouvoir leur fournir à chacun une éducation parfaite, et dussè-je les laisser sans bien quelconque, vu que j’estime l’éducation pour un bien le plus sur et certain que je puisse leur procurer…31

Lui-même se défiera toujours de sa connaissance de la langue française, même si son écriture et son orthographe sont correctes :

Je suis natif à 400 lieu dans le nord et sans principe de nôtre langue française…32

Malheureusement, sa vue se détériore à partir de 1801, au point qu’il devient bientôt complètement aveugle et cède son commerce à ses enfants. Arrangement est pris entre les parents et les enfants, excepté Alexandre, déjà mentalement diminué : moyennant une rente viagère de 48 louis d’or « neufs » par an, Samuel et Anne-Marie Girardet remettent à leurs héritiers la maison du Verger et ses dépendances, le fonds de commerce et les outils, outre un dépôt situé à La Chaux-de-Fonds, le tout estimé à 18 815 louis. Compte tenu des difficultés du début, c’est là un joli résultat.

Retiré aux Plans, près de La Sagne, Girardet s’éteint en 1807. Frédéric (1776-?), Charles-Samuel (1780-1863), Charlotte (1760-?) et Julie (1769-?), cette dernière veuve de Philippe-Henri Brandt, reprennent le commerce de librairie en 1802, publiant sous l’adresse de « Girardet Frères & Sœurs ». Ils ouvrent aussi un cabinet de lecture, concrétisant l’un des rêves de leur père. Riche de quelque 3000 titres, ce cabinet littéraire est le premier connu au Locle. Puis, leurs frères ayant choisi d’autres carrières, Charlotte et Julie se retrouvent seules. Elles continuent à éditer des ouvrages à l’adresse de « Girardet sœurs », puis de « Charlotte Girardet et Veuve Brandt ». Vers 1815, après la mort de sa mère, Samuel-Henri Brandt (1793-1852) travaille aussi avec sa tante. Il continuera de 1820 à 1840, à la fois comme éditeur (à l’adresse de « Samuel-Henri Brandt-Girardet ») et comme propriétaire du cabinet littéraire.

LES VOLETS DE LA LIBRAIRIE GIRARDET

Pour connaître la vie et l’activité du libraire loclois, nous n’avons jusqu’ici recouru qu’à une seule source : sa correspondance avec la S.T.N. Du 5 août 1769 au 17 décembre 1785, Samuel Girardet adresse à celle-ci 208 lettres, pour commander des livres ou donner des instructions concernant l’impression de ses propres éditions. Mais il se sent en confiance avec les directeurs de la Société et n’hésite pas à leur parler de sa famille, ou à leur demander des conseils. Bien lui en prend, puisque ceux-ci, en recommandant ses deux aînés à des graveurs parisiens, leur permettront de faire carrière. Pour nous, cette correspondance est donc précieuse à double titre : comme information sur le caractère et la vie de Samuel Girardet, mais aussi sur son négoce et plus largement sur la vie intellectuelle des montagnes neuchâteloises.

Mais, pour aborder le commerce de Girardet, nous disposons encore d’un document exceptionnel : les volets33 de sa librairie. Ces planches de bois, qui ont la particularité de porter les titres de trente et un livres proposés par le libraire, lui servaient tout simplement d’affiche publicitaire. L’idée en soi n’a rien d’extraordinaire. Notre époque n’a pas inventé la publicité, et tous les commerçants disposaient d’affiches ou de planches peintes pour attirer les clients. Des objets périssables, sans valeur, voués au recyclage ou au feu. Ce qui est remarquable, dans notre cas, c’est que ces volets ont été conservés. Ils sont restés à leur place, sur le mur de la maison du Verger, jusqu’en 1869, soit pendant près d’un siècle, simplement couverts d’une couche de peinture blanche qui les a protégés. Puis, cette même année 1869, ils entrent dans les collections du musée du Locle. Ces collections ayant subi divers aléas, personne ne s’est jusqu’ici vraiment intéressé à cet étonnant témoignage du passé. De forme tout à fait banale, les volets sont composés de planches de sapin : chacun mesure environ 105 centimètres de hauteur sur 58.5 centimètres de largeur, et ils ont conservé leurs gonds ainsi que le crochet de fermeture. Les inscriptions ont été portées à l’intérieur, de façon à être visibles quand on ouvre les volets, et protégées lorsqu’ils sont clos. Les trente et un titres sont peints sur un fond gris, en caractères noirs, sauf les premières lettres de certains mots, qui apparaissent en rouge. Les volets sont encore en fort bon état et leurs inscriptions tout à fait lisibles.

Ce document présente un très grand intérêt : il nous apprend tout d’abord quels livres distribue la librairie Girardet, renseignement qui nous est confirmé par la correspondance avec la S.T.N. Mais les volets nous disent aussi quels titres le libraire considérait comme assez attractifs pour les porter à la devanture de sa boutique à titre de publicité. Ils nous donnent donc un précieux aperçu des goûts littéraires des habitants des montagnes neuchâteloises.

Pour dater les volets, nous ne disposons d’aucun indice externe, et seuls les ouvrages qu’ils mentionnent peuvent nous fournir des indications. Comme, dans la majorité des cas, nous ne savons pas avec certitude de quelle édition il s’agit, il nous faut raisonner avec une grande prudence. Nous pouvons avancer avec certitude que les volets ne peuvent être antérieurs à 1781, voire 1782 : ils mentionnent en effet les Figures de la Sainte Bible (c’est-à-dire l’Histoire du Vieux et du Nouveau Testament (…) en 466 figures) et Le Nouveau Testament, tous deux édités par Samuel Girardet et illustrés par Abraham. Or ces deux ouvrages ne paraissent qu’en 1781 et 1782. Le terminus ad quem se révèle plus difficile à déterminer, même si quelques indices permettent de l’estimer. Comme il se doit, ces volets vantent d’abord les productions familiales, et nous y lisons les titres suivants: La Nourriture de l’âme (1780) et Le Nouveau Testament (1782), deux titres de Samuel, illustrés par Abraham, Le Tableau du Philosophe Cébès (1780), coédité par Samuel, La Sainte Bible (1779), éditée par la S.T.N. avec les illustrations d’Abraham, Les Figures de la Sainte Bible (1781) et Le Manuel moral (1778), édité par la Société typographique de Moudon et contenant aussi une gravure d’Abraham… En revanche, nous n’y voyons pas La Suite de la nouvelle méthode d’enseigner les enfants de Paleyra. Illustré par Abraham et édité par Samuel en 1785 et 1786, ce titre constitue un autre point fort de la production familiale. Également absente, La Nouvelle méthode d’enseigner l’ABC, éditée en 1786 par le père, toujours illustrée par le fils aîné, ainsi que les Représentations des serments réciproques, gravées par Alexandre et éditées en 1787. Si elles sont pertinentes, ces absences nous conduisent à supposer que les volets ont été réalisés avant 1785.

Un autre indice vient à l’appui de cette datation. Il s’agit de L’Histoire philosophique & politique des établissemens & du commerce des Européens dans les deux Indes de l’abbé Raynal, un des ouvrages les plus polémiques mentionnés sur les volets. Publié une première fois en 1770, l’ouvrage connaît deux autres éditions. La plus étendue, celle de 1780, sera condamnée l’année suivante par le Parlement de Paris, tandis que son auteur, décrété d’arrestation, choisit l’exil. Rien n’établit autant la célébrité d’un livre que ce genre de sanction. Profitant de cet essor, la S.T.N. publie L’Histoire philosophique et politique en 1783 – mais prudemment sous la fausse adresse « À Neuchâtel et à Genève, Chez les Libraires associés »34. On peut supposer que Girardet l’a proposée au public cette année-là, ou du moins peu après. Passé le début des années 1780, les éditions de Raynal se font rares, ce qui laisse supposer que la vogue des Deux Indes est terminée, du moins en Suisse. Pour conclure, et en retenant tous ces indices, la facture des volets se situerait entre 1782 et 1785.

Les titres des trente et un livres sont généralement mentionnés dans une version abrégée, telle que les désignait sans doute le langage courant. Le nom de l’auteur n’apparaît qu’à sept reprises : Büsching, Ostervald, Raynal, Prideaux, Nardin, Cébès et Toussaint. On ne pouvait s’attendre, bien entendu, à trouver un nom d’auteur pour la Bible ou les Psaumes. Quant à L’Histoire de Charles XII, il faut supposer que son attribution à Voltaire allait de soi. Mais le parti pris de nommer l’auteur des Mœurs et non celui du Tableau philosophique paraît aléatoire et peu explicable. Aucune précision bibliographique telle lieu et date d’édition, nom de l’éditeur n’apparaît. Rien ne nous permet donc de savoir de source certaine quelles éditions Samuel Girardet proposait à ses clients. Seule la logique nous permet d’émettre quelques suppositions. Le catalogue de 1769 donne des indications, mais incite aussi à la prudence en nous montrant que le libraire dispose souvent d’éditions différentes d’un même titre.

Sur ses volets, il propose en premier lieu les titres édités par lui-même, évidemment le plus avantageux sur le plan commercial. Viennent ensuite les éditions Pistorius dont il possède le fonds. En 1775, il dit avoir acheté à ceux-ci de nombreux exemplaires des ouvrages suivants : Traité des sources de la corruption, Tableau de la conduite du chrétien, Devoirs des comunians, Traité contre l’impureté, Psaumes et Histoire des Juifs, tous titres que l’on retrouve sur les volets – avec le Vrai Piétisme par Pierre Roques. Pour les titres publiés par la S.T.N., voici le Cours abrégé de géographie historique de Frédéric-Samuel Ostervald (3e édition, circa 1769)35, la Sainte Bible (1779) et l’Histoire philosophique & politique des établissemens & du commerce des Européens dans les deux Indes (1783). Quant à ce qui provient d’autres maisons d’édition, Girardet peut se le procurer auprès des éditeurs ou par le biais de la S.T.N. : la Géographie de Büsching, par exemple, est une production de la Société typographique de Lausanne (1776 à 1782), comme le confirme une annonce que Samuel Girardet a fait passer dans la Feuille d’avis de Neuchâtel en octobre 1776.

LE NÉGOCE DE SAMUEL GIRARDET36

Les trente et un titres présents sur les volets ne constituent pas, de toute évidence, la totalité du fonds de Samuel Girardet. Son catalogue de 1769 et sa correspondance avec la S.T.N. prouvent que de nombreux autres ouvrages passent par sa boutique. Il s’agit donc d’un choix, et d’abord d’un choix pratique : on ne peut ni repeindre, ni changer ses volets tous les jours, donc les titres proposés doivent être disponibles, pour éviter la rupture de stock. Mais le choix est aussi commercial : l’éventail des titres doit pouvoir séduire chaque client, autochtone ou voyageur, passant devant la maison du Verger. Les textes religieux (Sainte Bible, Nouveau Testament, Psaumes et Histoire du Vieux et du Nouveau Testament (…) en 466 figures) demeurent de toute évidence très appréciés. Géographie et histoire sont bien représentés avec quatre titres : Géographie d’Anton-Friedrich Büsching, Cours abrégé de géographie historique ancienne & moderne (1757)37 de Frédéric-Samuel Ostervald, Histoire des Juifs & des peuples voisins (1722)38 de Humphrey Prideaux, et Histoire de

Charles XII (1731). Il faut peut-être adjoindre à cette série le titre de l’Histoire des deux Indes.

Sont également présents des ouvrages à caractère éducatif. Le Nouveau secrétaire du cabinet, contenant des lettres sur differens sujets (1739) et le Nouveau secrétaire de la cour, contenant des lettres familières sur toutes sortes de sujets (1723) sont des manuels de correspondance, et la Science des personnes de cour, d’épée et de robe (1752) de Chevigny est un manuel de savoir-vivre. Plus spécialisée, la Science parfaite des notaires, ou le Parfait notaire (1682) de Claude de Ferrière et La Nouvelle maison rustique, ou Économie générale de tous les biens de campagne (1700) de Louis Liger enseignent tout ce qu’il faut savoir de la vie à la campagne, avec certains aperçus juridiques. Le côté éducatif est, on le sait, une des spécialités des éditions Girardet.

Mais ce sont les ouvrages de morale – ou plus largement de réflexion sur l’homme – qui occupent l’essentiel de la surface des volets, non sans un étonnant éclectisme. Les grands classiques (L’Imitation de Jésus-Christ, le Voyage d’un chrétien vers l’Éternité bienheureuse (1678-1684), de John Bunyan ou encore le Tableau du philosophe Cébès) voisinent en effet avec les modernes écrits des Ostervald père et fils, les Arguments et réflexions sur les livres et les chapitres de la Sainte Bible (1720), le Traité des sources de la corruption (1699), le Traité contre l’impureté (1707) et le Catéchisme ou Instruction dans la religion chrétienne (1702) de Jean-Frédéric Ostervald, ainsi que la Nourriture de l’âme (1761) et les Devoirs des communians (1744) de Jean-Rodolphe Ostervald. Les écrits d’auteurs catholiques, comme le Traité du vrai mérite de l’homme considéré dans tous les ages & dans toutes les conditions (1734) de Charles Le Maître de Claville et le Poète des mœurs, ou les Maximes de la sagesse (1772) – version christianisée de L’Émile, par l’abbé Blanchard – côtoient ceux de ministres protestants : le Prédicateur évangélique, ou Sermons pour les dimanches et les principales fêtes de l’année (1735) de Jean-Frédéric Nardin, La Consolation de l’âme fidèle contre les frayeurs de la mort (1651) de Charles Drelincourt, le Tableau de la conduite du chrétien qui s’occupe sérieusement du soin de son salut (1721) de Pierre Roques, ou encore l’anonyme Manuel moral. De plus, toutes ces œuvres édifiantes voisinent avec les opus scandaleux d’athées confirmés tel Les Mœurs de Toussaint et le Tableau philosophique de Borde.

Plusieurs remarques s’imposent à nous. Tout d’abord, il faut souligner l’importance de l’achat du fonds Pistorius : six des trente et un titres émanent de leurs éditions, cinq si l’on considère le fait que les Psaumes ont aussi été imprimés par Girardet. La reprise de Pistorius a véritablement permis à Girardet de développer son négoce. À noter aussi l’absence de romans, d’autant plus que Samuel Girardet en fait volontiers commerce. Il commande entre autres à la S.T.N. Tristam Shandy, le Voyage sentimental, les Malheurs de l’inconstance, tandis que son catalogue propose Robinson Crusoë, Le Diable boiteux, Le Doyen de Killerine, la Vie de Marianne et le Paysan parvenu… Cette absence s’explique peut-être par le fait que le roman est encore considéré comme un genre mineur et très lié à la mode. Cet article périssable ne mérite peut-être pas de figurer sur des volets destinés à durer. Mais le plus étonnant reste pour nous l’absence de préjugés que révèle le choix des titres. Tout voisine avec son contraire, le religieux avec l’athée, le protestant avec le catholique, le récent avec le moins récent… Faut-il y voir la marque d’un esprit éclairé, estimant que toute pensée mérite au moins l’examen, quitte à la rejeter plus tard ? Ou, plutôt, celle de l’habile commerçant faisant profit de tout ?

Il faut encore constater que les démêlés de Girardet avec le Conseil d’État pour athéisme et irréligion ne l’ont pas incité à la prudence. Son « affiche » présente au public plusieurs titres qui eurent maille à partir avec la censure. Comme nous l’avons vu, l’Histoire philosophique & politique des établissemens & du commerce des Européens dans les deux Indes est condamnée en 1781 par le Parlement de Paris. Son impression à Neuchâtel causa aussi quelque émotion, puisque Frédéric-Samuel Ostervald, un des directeurs de la S.T.N., se vit réprimander par le Conseil d’État en 1782. Longtemps attribué à Voltaire, le Tableau philosophique du genre humain depuis l’origine du monde, jusqu’à Constantin (1767) est en réalité l’œuvre de Charles Borde, connu à l’époque pour ses écrits antireligieux ou érotiques. Suspect de saper les bases du christianisme, il sera prohibé. Seul ouvrage de François-Vincent Toussaint à connaître le succès, les Mœurs (1748) est considéré comme le premier livre décrivant une morale naturelle, libre de toute croyance et de tout culte – même si Grimm le trouvait rempli de lieux communs mille fois ressassés. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage est condamné au feu par le Parlement l’année même de sa parution. Enfin, bien que rédigée sans aucune intention irrespectueuse, l’Histoire de Charles XII de Voltaire choque, en raison de la simplicité du ton utilisé pour parler d’un souverain. L’imprimeur fera un séjour à la Bastille. Quant aux ouvrages de Jean-Frédéric Ostervald qui nous paraissent aujourd’hui l’orthodoxie même, leur volonté de concilier la foi avec la raison des Lumières suscite à l’époque la désapprobation puis la condamnation de Berne.

On pourrait objecter que Samuel Girardet, établi en terre neuchâteloise, sujet du roi de Prusse, n’a pas à se soucier des censures française ni bernoise. C’est oublier la situation particulière du Pays de Neuchâtel. Neuchâtel a été propriété de seigneurs français jusqu’en 1707 et, même si ce temps est révolu, la France reste une puissante voisine. Quant à Berne, cité réformée, elle est liée à Neuchâtel par un traité de combourgeoisie datant de 1406, et exerce volontiers son influence sur sa plus faible alliée. À de nombreuses reprises, la France et Berne se plaindront auprès des autorités de la publication à Neuchâtel d’ouvrages jugés scandaleux pour des raisons politiques ou religieuses. Sous la pression, le Conseil d’État peut être amené à prendre des mesures relativement sévères, de sorte que l’activité de Samuel Girardet n’est nullement anodine.

Dans l’histoire intellectuelle des montagnes neuchâteloises, Girardet joue un rôle clé. Région ouverte sur le monde en raison du commerce d’horlogerie et de dentelles qu’elle entretient avec toute l’Europe, en raison aussi des voyageurs qu’elle reçoit fréquemment – attirés qu’ils sont par le miracle horloger –, les Montagnes sont prêtes à accueillir le discours philosophique et scientifique des Lumières. Grâce à ses relations avec la S.T.N., et sans doute aussi avec d’autres maisons d’édition, et grâce à son intelligence du marché du livre, le libraire loclois met ce discours à portée de son public. Homme cultivé, large d’esprit, il sait faire les bons choix et amener dans sa région les ouvrages qui font vibrer le siècle des Lumières. Si, comme le dit une citation connue, « Neuchâtel était jadis le lieu où l’on imprimait les ouvrages politiques et philosophiques les plus hardis. C’est de là que la lumière s’est répandue dans tout le monde »39, nul doute qu’elle ait trouvé un relais efficace dans les montagnes neuchâteloises… grâce au négoce de Samuel Girardet.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

Correspondance de Samuel Girardet avec la S.T.N. (5 août 1769-17 décembre 1785), Archives de la S.T.N., B.P.U. de Neuchâtel.

(ordre chronologique)

Auguste Bachelin, « Les Girardet : une famille d’artistes neuchâtelois », Musée neuchâtelois, 1869-1870.

René Burnand, L’Étonnante histoire des Girardet, artistes suisses, Neuchâtel, La Baconnière, 1940.

Léon Montandon, « Samuel Girardet, ses ancêtres, sa boutique », Musée neuchâtelois, 1949.

Pierre-Yves Tissot, Autrefois chez les Montagnons (…) : les débuts de l’édition et de l’imprimerie dans les Montagnes neuchâteloises (jusqu’en 1848), Travail de diplôme présenté à l’Association des bibliothèques et bibliothécaires suisses, La Chaux-de-Fonds, 1978.

Michel Schlup, Trésors de l’édition neuchâteloise, Hauterive, Attinger, 1981.

Anne Reymond, « Le libraire Samuel Girardet et ses relations commerciales avec la Société typographique de Neuchâtel : 1769-1777 », dans Aspects du livre neuchâtelois, Neuchâtel, B.P.U., 1986.

Robert Darnton, The Corpus of clandestine literature in France, 1769-1789, New York, London, Norton, 1995.

Robert Darnton, The Forbidden best-sellers of Pre-Revolutionnary France, New York, London, Norton, 1995.

Patrice Allanfranchini, « Les frères Girardet, graveurs », dans Biographies neuchâteloises, tome 1, Hauterive, Attinger, 1996.

Caroline Calame, « Samuel Girardet, libraire », dans Biographies neuchâteloises, tome 1, Hauterive, Attinger, 1996.

Caroline Calame, Une affiche publicitaire au XVIIIe siècle, les volets de la librairie Girardet, Nouvelle revue neuchâteloise, nº 73, printemps 2002 (catalogue de l’exposition organisée en 2002 au Musée du Locle).

Michel Schlup, éd., L’Édition neuchâteloise au siècle des Lumières : la Société typographique de Neuchâtel (1769-1789), Neuchâtel, B.P.U., 2002.

1. La « Maison du Verger », domicile des Girardet, détruite en 1954.

2. Samuel Girardet, eau-forte et burin d’Abram-Louis Girardet.

3. La Sainte Bible qui contient le Vieux et le Nouveau Testament […], Cinquième édition, Soigneusement revue & corrigée, A Neuchatel : de l’Imprimerie de la Société typographique, 1779. Éditée par la Société typographique de Neuchâtel, cette édition de la Bible d’Ostervald comporte généralement les 466 gravures bibliques d’Abraham Girardet.

4. Le Nouveau secretaire du cabinet, contenant des lettres sur differens sujets. […], Nouvelle édition, Revûe, corrigée et augmentée, A Paris, Chez Theodore Legras, Grand’Salle du Palais, à l’L Couronnée, 1739 (Bibliothèque nationale de France). Les enfants de Samuel Girardet possédaient une édition de cet ouvrage.

5. Jean-Baptiste Blanchard, Le Poète des moeurs, ou les Maximes de la sagesse […], A Namur, Chez J.-F. Stapleaux, [1772], 2 vol. (Bibliothèque nationale de France). Dans cet ouvrage, Blanchard tente de christianiser L’Émile et les principes d’éducation de Rousseau.

6. Les volets de la librairie Girardet, au Locle, vers 1780-1785, Musée d’histoire du Locle.

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1 Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel (ci-après BPUN), ms. STN (Société typographique de Neuchâtel) 1157, Samuel Girardet à la Société typographique de Neuchâtel, 8 octobre 1775.

2 Jean-Jacques Rousseau, Lettre à Mr. D’Alembert sur les spectacles, [s.l., s.n.], 1758.

3 BPUN, ms. STN 1157, Samuel Girardet à la Société typographique de Neuchâtel (ensuite STN), 7 septembre 1769. Toutes les autres notes renvoyant au même manuscrit, nous signalerons simplement les dates des correspondances citées.

4 Samuel Girardet à la STN, 22 août 1770.

5 Samuel Girardet à la STN, 24 novembre 1770.

6 Louis-Sébastien Mercier, Mon bonnet de nuit, Neuchâtel, Imprimerie de la Société typographique, 1784, 2 tomes (I et II) en 1 vol.

7 Samuel Girardet à la STN, 5 août 1769.

8 Samuel Girardet à la STN, 8 octobre 1775.

9 Samuel Girardet à la STN, 7 août 1782.

10 Samuel Girardet à la STN, 2 août 1772.

11 Samuel Girardet à la STN, 5 février et 9 mars 1783.

12 Samuel Girardet à la STN, 16 juillet 1783.

13 Samuel Girardet à la STN, 8 octobre 1775.

14 Jean-Frédéric Ostervald, Abrégé de l’Histoire sainte et du Cathéchisme, par J.F.O’, pasteur de l’Église de Neufchâtel, Nouvelle éd., corrigée et augm. de quelques prières, et du pseaume 119 tout en musique…, Au Locle, chez Samuel Girardet, libraire, 1776 (Bibliothèque de la Ville du Locle (BVL) 73).

15 Paleyra, Nouvelle méthode d’enseigner les enfans, Contenant la première partie de la nouvelle méthode, pour apprendre à bien lire et à bien orthographier, par Paleyra…, Au Locle, Chez Samuel Girardet Pere, libraire, 1792, 3 part. en 1 vol. (BPUN ZR 916).

16 Paleyra, Suite ou seconde partie de la Nouvelle méthode figurée pour apprendre à bien lire & à bien orthographier, par Paleyra…, Au Locle, chez Sam. Girardet pere, Libr., 1792 (Musée d’histoire du Locle (MHL) AC 52).

17 Nouvelle méthode d’enseigner l’A.B.C. et à épeller aux enfans, En les amusant par des figures agréables et propres à leur faire faire des progrès dans la lecture et l’écriture presque sans maître, Au Locle, chez Samuel Girardet, libraire, 1786, 2 part. en 1 vol., illustrations d’Abraham Girardet (BPUN ZR 804. Le Musée d’histoire du Locle possède également une édition de 1789).

18 Jean Hubner, Histoires de la Bible, tirées du Vieux et du Nouveau Testament pour l’instruction de la jeunesse, par Mr. Jean Hubner. Ouvrage par souscription avec 104 gravures en tailles douces gravées par Alexandre Girardet, Au Locle, Chez Samuel Girardet, Libraire, 1784 (MHL AC 49). Les descendants de Samuel en donneront d’autres éditions en 1817 et 1830.

19 Richard Lucas, La Voye étroite, ou le Chrétien aspirant à la régénération qui mène au salut…, Au Locle, chez Sam. Girardet, Père, lib., 1795, 6 part. en 1 vol., illustrations d’Abram-Louis Girardet (Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds).

20 Jean-Rodolphe Ostervald, La Nourriture de l’âme, ou Recueil de prières pour tous les jours de la semaine, pour les principales fêtes de l’année, et sur différens sujets intéressans. On trouvera aussi une Harmonie de la Passion (…). Le tout précédé d’un Traité de la prière par J’ R’ O’, pasteur de l’Eglise Françoise de Bâle, Au Locle, Chez Samuel Girardet, Libraire, 1780, frontispice d’Abraham Girardet (Musée d’histoire de La Chaux-de-Fonds 1117). Samuel Girardet en donne une autre édition en 1786 et ses descendants en 1818, 1823 1826 et 1829.

21 Le Nouveau secretaire du cabinet, contenant des lettres sur differens sujets. Avec la manière de les bien dresser. Les complimens de la langue françoise, Les Maximes et Conseils pour plaire et se conduire dans le monde, Nouvelle édition, Revûe, corrigée et augmentée, À Paris, Chez Theodore Legras, Grand’Salle du Palais, à l’L Couronnée, 1739 (Bibliothèque nationale de France).[Chevigny], La Science des personnes de cour, d’épée et de robe, Du sieur de Chevigni…, VII. Edition. Par M. de Limiers, Docteur en Droit, Membre de l’Académie des Sciences et des Arts de Bologne, À Amsterdam, Chez Zacharie Chatelain, 1729 (Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne). Ces éditions ont été retenues parce que chronologiquement proches de la vie et de l’activité de Samuel Girardet. Nous ne savons pas quelles éditions le libraire possédait précisément.

22 Recueil de différentes pièces propres à inspirer aux jeunes gens l’amour et la pratique de la vertu, [S.l., s.n., 1780] (MHL AC 48). Il s’agit d’un recueil composé de divers textes moraux dont Le Tableau du philosophe Cébès, ou L’image de la vie humaine, avec Le Théatre moral en vers, tirés du poëte Horace, par le sieur Otho Venius, À Bâle, chés les Freres de Mechel. Se vend au Locle chés Samuël Girardet, Libraire, 1780.

23 Samuel Girardet à la STN, 30 septembre 1781.

24 Samuel Girardet à la STN, 4 février 1781.

25 Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, Représentée en 466 figures en taille-douce, avec deux cartes, Chez Samuel Girardet, Libraire au Locle, 1781, illustrations d’Abraham Girardet (BPUN ZR 716).

26 L’Art de bien vivre et de bien mourir. Ouvrage des plus importans et des plus nécessaires, pour tous ceux qui désirent de parvenir par une sainte vie à une mort heureuse, 13e éd. corrigée et augmentée de plusieurs versets de psaumes pour la consolation des malades et des mourants, Au Locle, chez Samuel Girardet, libraire, 1788, frontispice d’Alexandre Girardet (BPUN ZR 723).

27 Nouveau recueil de traits intéressants, historiques et moraux ; propre à former le cœur de la jeunessse…, À Neuchâtel, chez les Frères Girardet, lib., Au Faubourg ; et au Locle, chez S. Girardet, libraire, [1795], illustrations d’Abram-Louis Girardet (Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds, HR 16).

28 La Transfiguration, d’après l’œuvre de Raphaël, dessiné par Dutertre, gravé à l’eau-forte et au burin par Abraham Girardet, 1806 (40 4427,3 cm).

29 Samuel Girardet à la STN, 30 mars 1783.

30 Samuel Girardet à la STN, 12 avril 1777.

31 Samuel Girardet à la STN, 22 août 1770.

32 Samuel Girardet à la STN, 4 février 1781.

33 Ces volets appartiennent au Musée d’histoire du Locle, dont les fonds sont déposés à la Fondation des Moulins souterrains du Col-des-Roches, Le Locle (Suisse).

34 Guillaume Thomas Raynal, Histoire philosophique & politique des établissemens & du commerce des Européens dans les deux Indes. Par Guillaume-Thomas Raynal, À Neuchâtel, & à Genève, Chez les Libraires Associés [i.e. Société typographique de Neuchâtel], 1783, 10 volumes (Bibliothèque publique et universitaire de Genève, S 11090).

35 Cette édition est celle proposée par le catalogue de 1769.

36 Les dates données ici sont celles des premières éditions de ces titres. Samuel Girardet en vendait de plus récentes, du moins dans la plupart des cas.

37 La première édition portait le titre de Cours élémentaire de géographie ancienne et moderne et de sphère avec les réponses, Neuchâtel, Sinnet, 1757. Ouvrage à succès, le manuel de géographie de Frédéric-Samuel Ostervald a été constamment réédité sous des titres différents jusqu’au milieu du XIXe siècle.

38 Date de la première édition en français. La première édition anglaise est de 1716-1718.

39 Jean-Pierre Brissot, Le Patriote français, 28 octobre 1790.