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Les éditions lyonnaises de l’Histoire des deux Indes de l’abbé Raynal

Claudette FORTUNY

Ingénieur à l’Institut de recherches sur la Renaissance, l’Âge classique et les Lumières UMR 5186 du CNRS, université Paul Valéry – Montpellier III

La question bibliographique posée par l’Histoire des deux Indes (HDI) reste, aujourd’hui encore, cruciale2. Les origines actuellement connues de la quarantaine de réimpressions dénombrées de l’ouvrage entre 1772 et 17953, se trouvent pour l’essentiel hors des frontières: des provenances liégeoises et maastrichtoises4 pour environ un tiers d’entre elles ; trois réimpressions bruxelloises5, deux helvétiques6 et une britannique7. Or, des travaux récents de bibliographie matérielle viennent de nous permettre d’attribuer à des presses lyonnaises une quantité non négligeable de ces réimpressions dont la provenance restait encore hier énigmatique, de sorte qu’il devient désormais possible d’apprécier de manière plus pertinente l’histoire éditoriale de cette œuvre de l’abbé Raynal. Surtout, grâce à l’identification du matériel ornemental employé par ces ateliers lyonnais, ceux de Geoffroy Regnault, de Claude André Faucheux, de Claude André Vialon et, dans une moindre mesure, de Jean-Marie Barret, tout un pan de la production clandestine des Lumières considérée jusqu’ici comme le monopole des presses étrangères, pourrait dès lors être mis à l’actif de ces officines.

LES RÉIMPRESSIONS LYONNAISES DE L’HISTOIRE DES DEUX INDES

L’abbé Raynal publia une première édition de son ouvrage en 1770, puis une seconde en 1774 suivie d’une troisième en 1780, revues et augmentées. Imprimées à l’étranger, c’est du moins ce que l’on suppose dans l’état actuel des recherches, elles ont été chacune à leur tour interdites dès leur introduction dans le royaume8. Les contrefaçons lyonnaises de l’Histoire des deux Indes, dix réimpressions intégrales au cours de la période 1772-1780, se répartissent comme suit : six réimpressions de la première édition (une en 1772 (HDI-72), cinq datées 1773 (HDI-73a, b, c, d, e), deux de la seconde édition (une en 1774 (HDI-74) et en 1776 (HDI-76), deux issues de la troisième édition de 1780 (HDI-80 et HDI-80-84) ; il faut ajouter quatre impressions du Tableau de l’Europe (TE a, b, c, d), supplément en un volume destiné à compléter, en 1774, les volumes de la première édition9 (Fig. 1 et 2).

Comment se présentent ces réimpressions ? Leurs pages de titre indiquent toujours l’adresse de l’édition reproduite : « À Amsterdam » sans mention de libraire ni d’imprimeur, ou bien « A La Haye, chez Gosse fils », ou encore « A Genève, chez Jean-Léonard Pellet » 10. Imprimées dans le format in-12°, elles comportent le même nombre de tomes que les ‘originales’ imprimées toutes les trois dans le format in-8°. Les in-12° sont à feuilleton dedans (à la française, un cahier unique de 12 feuillets). Les papiers proviennent des moulins d’Ambert dans la généralité de Riom en Auvergne : ils sont filigranés au raisin et on peut lire les contremarques des papetiers Missonnier, Nourisson, Marcheval, Micolon, Joubert ou Douare11.

Les pratiques compositoriales des trois éditions publiées par l’auteur sont identiques : des réclames à chaque cahier, des feuillets signés jusqu’à la moitié de chaque cahier, des chiffres arabes pour la signature des feuillets. Celles des lyonnaises sont semblables aux précédentes pour les deux premiers points mais discordantes pour ce qui regarde la signature des feuillets : sont utilisés des chiffres arabes et/ou romains (Fig.1). Ce qui correspond aux habitudes des imprimeurs lyonnais au XVIIIe siècle étudiées par R. A. Sayce12 : aux XVIe et XVIIe siècle leur usage était d’employer des chiffres arabes. À partir de 1680, la plupart des livres ont des chiffres romains (pratiques parisiennes), mais on rencontre encore tout au long du XVIIIe siècle des chiffres arabes. À la fin du siècle, les chiffres arabes dominent. Les caractères typographiques proviennent de fonderies françaises. On a identifié les caractères Fournier13 pour l’imprimeur Regnault. Pour Vialon, Faucheux et Barret, on pencherait pour les caractères lyonnais de Delacolonge14, faute d’avoir pu examiner ceux fournis par les fondeurs Louis Vernange et Pierre Jean Marquet15.

La décoration est constituée par l’emploi de caractères ornés, fleuronnés, évidés pour l’impression des pages de titres et des titres de départ des livres composant chaque tome ; plusieurs types d’ornements sont utilisés : des fleurons aux titres de chaque tome, ou en cul-de-lampe à la fin des livres ; des bandeaux en tête de chaque livre ; des lettrines, des passe-partout ou de simples lettres ornées pour les premières lettres du texte ; des filets de séparation, etc. L’examen de ce matériel ornemental montre, du point de vue technique, l’utilisation de motifs d’une seule pièce, des motifs gravés sur bois (dont certains sont signés Roche, Mouet (ou Mouel ?), Gritner16), mais aussi des fontes dont l’usage devient de plus en plus fréquent à la fin des années 177017. Il montre également l’utilisation de motifs composés de vignettes typographiques assemblées. Les assemblages de vignettes typographiques ont été mis à la mode dans la décoration du livre français par les fondeurs parisiens au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, notamment par Fournier le jeune. Les imprimeurs pouvaient trouver leur inspiration parmi les nombreux modèles d’agencements proposés dans les catalogues édités par Fournier et ses confrères. L’utilisation de cette espèce d’ornements témoigne de la pénétration de cette innovation dans l’imprimerie provinciale, elle rend compte de la capacité des imprimeurs lyonnais à se mettre au goût du jour pour attirer le client. Pour mieux le tromper aussi ?

L’étude matérielle est venue éclairer la manière dont ces éditions avaient été imprimées. Elle a fait apparaître, pour neuf d’entre elles, des impressions partagées18 entre ces ateliers tout au long de la période 1772-1780 (Fig.1). En 1772, la première réimpression est partagée entre Claude André Faucheux, Claude André Vialon et Geoffroy Regnault (et un quatrième imprimeur ?). En 1773, quatre remises sous presse successives de HDI-72 sont exécutées dont trois sont réparties entre Faucheux et Vialon (HDI-73a, b et c), une autre (HDI-73d) est imprimée par Regnault (avec le concours d’un autre atelier ?). En 1774, année de la publication de la seconde édition de l’HDI, Regnault en donne, seul, une réimpression ; il imprime également le Tableau de l’Europe, et Faucheux imprimera lui aussi ce supplément. En 1776, Regnault et Faucheux réimprimeront ensemble l’édition donnée en 1774. Enfin, en 1780, ils mettront sous presse, dans le format in-12°, la troisième édition de l’HDI-80. Faucheux imprimera encore trois volumes (les tomes 4, 5 et 6 datés de 1780) d’une contrefaçon dont les trois premiers tomes, datés de 1784, sont attribuables aux presses avignonnaises de François Balthazar Chambeau19. En même temps, l’étude matérielle a mis en évidence le caractère isolé de l’édition due à Jean-Marie Barret en 1773. Sur ce point, il n’est pas inutile de préciser qu’une étude textuelle des cinq réimpressions datées 1773, signe manifeste du succès commercial et de la forte demande du moment, a confirmé la singularité de celle faite par Barret, permettant de conclure que cet imprimeur n’avait pas partie liée avec ses confrères lyonnais dans cette vaste entreprise d’impressions clandestines. L’analyse textuelle comparée a d’abord fait apparaître de manière claire que la réimpression de 1772 a utilisé le texte original de 1770 comme texte de référence et que c’est le texte imprimé en 1772 par Vialon, Faucheux et Regnault qui sert de base au groupe HDI-73a-d : non seulement le texte de 1772 omet de corriger trois fautes de l’errata qui ne sont redressées dans aucun des quatre textes de 1773, mais il introduit des variantes que reproduisent ces quatre textes, alors que l’HDI-73e de Barret prend comme référence le texte imprimé en 1770. L’étude textuelle établit aussi une filiation des textes HDI-73a-d prouvant leur parution successive, le relevé de plusieurs séries de variantes significatives témoignant d’états textuels successifs pour lesquels chaque édition introduit de nouvelles leçons que se transmettent les suivantes. Ces quatre réimpressions datées de 1773 n’étaient donc pas concurrentes ni simultanées : Faucheux et Vialon ont mis sous presse à trois reprises en prenant comme modèle l’impression précédente ; quant à Regnault, il a utilisé comme texte de base le dernier texte imprimé par ses confrères.

De la constatation de ce travail d’impression partagée sur une période de plusieurs années, on peut inférer que des relations existaient entre ces trois imprimeurs. Mais l’ouvrage de Raynal n’a pas été le seul concerné, car ce que nous avons établi a été étendu à d’autres ouvrages ‘philosophiques’ dont l’impression en plusieurs volumes a été répartie entre ces ateliers (Annexe). Serait-ce là l’indice d’un éditeur, d’un commanditaire commun à tous ces ouvrages? Cette continuité sur une décennie environ et le type d’ouvrages mis sous presse pourraient bien renvoyer à une association entre des imprimeurs et un éditeur des Lumières.

MÉTHODE D’IDENTIFICATION ET PRATIQUES LYONNAISES

L’analyse comparée du matériel typographique et ornemental a joué un rôle central dans l’identification de ces imprimeurs. Rappelons que cette méthode consiste à restituer l’origine géographique d’éditions publiées sous de fausses adresses grâce à l’attribution de leur matériel ornemental à des ateliers précis, les ornements d’éditions ‘légales’ permettant, par une comparaison fine et rigoureuse, d’authentifier ceux employés par ces mêmes ateliers dans leur production clandestine. Le principe de l’unicité des bois gravés, celui de la non unicité des fontes, les compositions significatives caractéristiques du style d’un atelier, la récurrence de ces motifs, d’un seul tenant ou bien composés, à l’intérieur d’un corpus d’éditions, sont autant de critères identificatoires20. Signalons, comme outils de toute première importance dans ce domaine, les bases de données informatisées d’ornements typographiques. Le développement et la mise à disposition sur le web de Fleuron, Vignette, Moriâne et Maguelone représentent une importante contribution à l’identification des fausses adresses21.

On souhaiterait voir se généraliser ces entreprises, tant il reste à faire pour une meilleure connaissance de l’histoire du livre et de l’édition sous l’Ancien Régime.

Les pièges et difficultés rencontrés

L’atelier des Vialon s’est révélé spécialiste de ce que je serais tentée de qualifier de contrefaçon ‘authentique’. Car si nous avons appris à accorder peu de crédit aux informations proposées par les pages de titre, nous sommes en revanche beaucoup moins méfiants pour ce qui regarde la véracité des renseignements fournis par les achevés d’imprimer, d’autant plus vraisemblables qu’ils sont accompagnés des pièces justificatives accordées et délivrées par le pouvoir royal. Or, une édition des Œuvres de Crébillon père22 dont le matériel ornemental utilise plusieurs motifs rigoureusement identiques à ceux employés par cet atelier, indiquait à l’achevé d’imprimer que les volumes sortaient « de l’imprimerie de P. Al. Le Prieur, imprimeur du Roi » et (re)produisait le privilège et l’approbation correspondants ; on pouvait faire le même constat pour une édition du Bélisaire de Marmontel23. Cette fausse piste parisienne fut heureusement confondue par la découverte de l’estampille ‘Lyon 1777’ accompagnée de la signature ‘Fromage’24 sur un exemplaire du Crébillon25. Avec cet atelier, on s’est également trouvé confronté au phénomène de la sous-traitance. Plus répandue qu’on ne le pense, cette pratique peut échapper à un examen attentif et engendrer des erreurs d’attribution. Lorsqu’un imprimeur travaille pour un confrère, le matériel ornemental qui lui est propre peut ne pas être différencié de celui qui sous-traite, or généralement c’est ce dernier qui fait apparaître son nom dans l’ouvrage. C’est ainsi qu’on peut attribuer à Jean-Marie Bruyset des ornements de Claude Vialon puisque Vialon a imprimé pour Bruyset quelques-uns des tomes des Sermons du père Bourdaloue publiés par Bruyset26. De même, Regnault père imprimant pour Regnault fils comme on le verra plus loin, on peut être tenté d’attribuer à l’atelier de Geoffroy Regnault des ouvrages édités par Gabriel Regnault, mais imprimés en réalité par Claude Vialon27. On rencontre aussi le cas de la production non signée par l’imprimeur quand Vialon travaille pour les libraires Sulpice Grabit ou Étienne Rusand28. Pour toutes ces raisons, le cas de l’imprimeur Vialon s’est avéré tout à fait déroutant. Et même énigmatique : la production signée de cette imprimerie reste confidentielle, difficile à cerner – par conséquent difficile à comparer livres en main – hors de son aire de production d’origine29. Dans les catalogues de la bibliothèque municipale de Lyon, en ligne et manuel, l’activité ‘visible’, officielle, de cet atelier apparaît exclusivement consacrée à l’impression de factums et de commandes municipales émanant d’administrations ou de communautés. En définitive, les ornements en provenance de deux brochures signées « de l’imprimerie de Vialon » ont permis de désigner nommément cet atelier30. Les bandeaux m0078 et m0081 figurent dans les Instructions sur l’usage de la houille, ouvrage réunissant par ailleurs plusieurs ornements présents dans des impressions clandestines (Fig. 3).

Avec l’officine de Regnault, on s’est trouvé confronté à un autre type de difficultés qui pourrait relever de la stratégie du camouflage. On n’a rencontré, jusqu’en 1778, aucun motif d’une seule pièce dans les éditions clandestines que nous lui avions attribuées (Annexe), comme si cet atelier réservait plus particulièrement à sa production illicite l’emploi d’ornements composés. Certaines compositions, particulièrement caractéristiques, se rencontrent dans plusieurs de ces ouvrages. Telle celle qui figure dans presque toutes les impressions de l’Histoire des deux Indes auxquelles il a participé en 1772, 1773, 1774 et en 1780 et dans De l’Homme-H4 en 1773 (m0111) ; ou encore celle présente en 1772 dans Le Bonheur-B2 et le Dictionnaire philosophique de la religion de Non-notte, en 1776 dans La Bible enfin expliquée de Voltaire, en 1778 dans le Voyage dans l’hémisphère austral de Cook et, en 1784, dans les Œuvres de l’abbé Raynal (m0123 et les variantes m0123-1, m0123-2). Il n’est pas sans intérêt de signaler que l’édition qui s’est révélée déterminante pour l’identification de cet imprimeur est une contrefaçon, celle des Oraisons funèbres d’Esprit Fléchier31. Elle possède, à la fois, des ornements appartenant au matériel avoué de Regnault dans sa production signée : deux bandeaux gravés sur bois utilisés l’un (m0125) dans les Œuvres posthumes de Glatigny32, l’autre (m0124) dans un livre d’économie rustique de Jean Bertrand33 ; et des ornements ne figurant que dans les éditions clandestines : trois bandeaux composés dans les HDI (m0103, m0111, m0112-1), un dans Le Bonheur (m0123) et des fleurons composés (m0100-1, m0104-2, m0106-1, m0126) dans les Raynal, les Helvétius et les Voltaire (Fig. 4).

L’imprimeur Claude Faucheux s’est laissé découvrir sans difficultés, puisque le matériel qu’il utilise pour décorer les ouvrages illicites se retrouve aisément dans sa production ordinaire et signée34 (Fig. 5). De même les ornements employés en 1773 par Jean-Marie Barret peuvent se rencontrer à l’identique dans des ouvrages qu’il imprime pour les Frères Périsse35 (Fig.6).

Ce que nous savons de ces imprimeurs et en quoi leur identification nous éclaire sur leur activité clandestine36 : Claude André Vialon est le fils de Pierre Vialon, maître imprimeur (1677-1747). Un de ses frères, Denis Joseph, est imprimeur-libraire, et sa sœur, Louise, est mariée à un imprimeur. Claude Vialon exercera de 1736 à 1776, rue Ferrandière à l’enseigne du « Pélican d’or ». Son fils Pierre lui succède en 1777, mais pour peu de temps puisqu’il décède en avril 1778. La veuve de Pierre semble avoir continué d’imprimer jusqu’en 1781 ou 1782. D’après le rapport que Claude Bourgelat a adressé au lieutenant général de police Sartine en 176337 – Bourgelat a occupé les fonctions d’inspecteur de la librairie à Lyon de 1760 à 1764 – cet atelier possédait quatre presses en 1763, mais n’en faisait tourner que deux et travaillait pour les libraires de cette ville.

Claude André Faucheux, actif de 1765 à 1792, est le fils de Jean Antoine Bonaventure Faucheux, imprimeur-libraire, et de Louise Vialon, sœur de Claude et de Denis Vialon. Compagnon chez son père, Faucheux fut reçu et établi imprimeur-libraire en mars 1765, après avoir acquis le fonds d’imprimerie de sa tante, Françoise Delamolière, veuve de Denis Vialon décédé en 1760. Les liens de parenté qui unissent Vialon et Faucheux nous paraissent donc pouvoir expliquer les relations établies entre ces deux ateliers en matière de partage du travail. On pourrait supposer qu’au-delà de la solidarité familiale existait entre l’oncle et le neveu une forme d’association, à moins qu’il ne s’agisse de sous-traitance. Manifestement, des rapports ont aussi existé entre Faucheux et Regnault pour se répartir ou se partager le travail d’impression de ces ouvrages, mais la nature de ces liens est plus délicate à déterminer. Geoffroy Regnault, baptisé le 17 août 1710, reçu libraire en 1743, prête le serment d’imprimeur le 27 janvier 1757. Il démissionne le 11 avril 1777 en faveur de son fils Pierre, mais aurait continué à exercer jusqu’en 1779, date à laquelle Pierre est mentionné en activité jusqu’en 1791. Selon Bourgelat, Regnault, dont l’atelier dispose de trois presses en 1763, fait partie des imprimeurs qui « mettent leurs presses en usage pour leur propre commerce », mais qui imprime « de tems en tems quelques ouvrages pour les confrères ». En 1763, à l’époque du rapport, la réputation de Regnault est, déjà, celle de fabriquer « quantité de mauvais livres en tout genre ». Par ailleurs, la correspondance des Regnault avec la Société typographique de Neuchâtel (STN) 38, 34 lettres du 11 septembre 1771 au 29 novembre 1785, fournit d’utiles renseignements sur l’activité de cette famille. Tout en constatant que l’honnêteté ne devait pas être la vertu cardinale de l’imprimeur, on y apprend, d’emblée, que la réimpression HDI-72 a effectivement une origine lyonnaise :

Je n’ai point imprimé l’histoire philosophique en 6 vol. in-12. Il est vrai que dans nos environs le livre a été imprimé, et que je m’en suis procuré mais pas en assez grand nombre pour pouvoir en céder en échange (…). Peu m’importe que vous l’imprimiez n’y prenant aucun intérêt, cet ouvrage est déjà bien répandu, très imparfait par lui-même, aussi attend-t-on quelque chose de mieux…39

On y apprend également que, le 30 septembre 1773, Geoffroy Regnault cède son fonds de librairie à son fils Gabriel, libraire depuis 176740. Au cours de cette correspondance, les Regnault apparaissent comme des fournisseurs de la STN en livres imprimés par Regnault père ou publiés par Regnault fils41. Enfin, ces lettres font état de relations commerciales entre Gabriel Regnault et le libraire parisien Charles Joseph Panckoucke42. Les travaux de Robert Darnton43, en faisant la lumière, avec le cas Duplain, sur l’activité des presses lyonnaises et leur participation à l’impression de l’Encyclopédie dans le format in-4°, ont montré Gabriel Regnault associé à Panckoucke et un des actionnaires de l’entreprise avec Clément Plomteux de Liège et Marc Michel Rey d’Amsterdam. Darnton signalait que Regnault espionnait Joseph Duplain pour Panckoucke d’après un rapport que Regnault aurait fourni à Panckoucke en décembre 1776. Toujours d’après Darnton, l’amitié entre les deux hommes aurait pris fin en juin 177944. Pourtant, nous avons trouvé, dans la correspondance de Jean Abraham Nouffer de Rodon avec la STN, une information présentant les deux hommes encore (ou faudrait-il dire à nouveau ?) liés au début des années 1780. À ce moment, Nouffer de Rodon, imprimeur et éditeur à Genève, est sur le point de s’associer avec les Neuchâtelois pour faire une réimpression de l’Histoire des deux Indes45. Il désigne Regnault comme éditeur, avec Panckoucke, de la troisième édition de l’ouvrage de Raynal :

Plomteux de Liège se proposait il y a longtems de faire une contrefaçon [de la troisième édition de l’ HDI imprimée à Genève en 1780] mais je crois qu’il s’est arrangé avec les éditeurs et qu’il y a renoncé (…) et je vous répète, Messieurs, que je crois qu’il [s’]est arrangé avec Panckoucke et Regnault sur cet objet…46

Enfin, nous avons observé que des ouvrages édités par Panckoucke sont, la même année, imprimés dans l’atelier lyonnais de Regnault père et diffusés par Gabriel Regnault. En témoignent quelques exemples. Une édition des Questions sur l’Encyclopédie de Voltaire47 qui est, en fait, une émission48 des volumes imprimés à Genève chez Cramer49 pour laquelle de nouveaux titres ont été imprimés par l’atelier de Regnault, prouve que Regnault a conclu un accord avec Panckoucke pour cet ouvrage50 qu’il se propose de fournir à la STN51. Quant au Voyage dans l’hémisphère austral et autour du monde de James Cook52, il est réimprimé deux fois en 1778 à Lyon sous la fausse adresse parisienne : tandis qu’une réimpression a été effectuée par l’atelier de Regnault seul, une autre a été répartie entre les presses de Faucheux, celles de Vialon, et celles de Regnault53. On sait par ailleurs que les Sociétés typographiques de Lausanne et de Berne renoncent, en juillet 1778, à réimprimer ce livre pour ne pas manquer à la promesse faite à Panckoucke et à son associé Regnault de ne pas contrefaire les Voyages de Cook54. Enfin, on citera l’ouvrage d’économie politique de Necker dont le succès fut considérable, 80 000 exemplaires vendus en quelques jours, De l’administration des finances de la France55. Nous avons examiné trois impressions distinctes faites par Regnault en 178456, la même année que l’édition de Panckoucke.

Compte tenu des informations et des observations que nous venons d’exposer, on est tenté d’envisager l’hypothèse de l’existence d’un réseau lyonnais d’éditions clandestines organisé autour des Regnault père et fils, avec la participation des imprimeurs Claude Faucheux et Claude Vialon et probablement d’autres ateliers occasionnels. Les relations de Gabriel Regnault et de Panckoucke pourraient bien représenter l’articulation entre l’imprimerie lyonnaise et l’Histoire des deux Indes, sachant que la participation de Charles Joseph Panckoucke à la diffusion de l’ouvrage de Raynal a été établie pour la troisième édition57. Ce qui pourrait fournir un début d’explication au fait que l’HDI dans le format in-12°, datée de 1780, imprimée par les soins de Regnault et de Faucheux, soit présentée comme le troisième format de l’édition originale imprimée à Genève dans les formats in-4° et in-8°58.

En 1997, dans un article sur le livre clandestin à Lyon au XVIIIe siècle, Dominique Varry faisait le point sur ce phénomène qu’il qualifiait de « bien réel (…) et ce tout au long du siècle ». Il estimait que si la contrefaçon était bien une spécialité lyonnaise, « la production et la diffusion du livre interdit étaient également menées à grande échelle ». Évoquant quelques affaires retentissantes d’ouvrages prohibés – parmi les ouvrages incriminés figurait la littérature philosophique avec l’exemple du Contrat social de Rousseau et celui de la production voltairienne –, il insistait sur le fait que ces affaires « ne sauraient représenter que l’écume d’une vague beaucoup plus profonde » et invitait à « démêler davantage qu’on n’a pu le faire jusqu’à présent » la réalité lyonnaise du livre prohibé et clandestin59. En réponse à cette attente, nous ne pouvons que souhaiter que les résultats de cette étude apportent leur modeste contribution afin que soient envisagés désormais, à l’éclairage de données matérielles concrètes, l’activité et le rôle de Lyon comme centre de production et de diffusion des Lumières.

ANNEXE

1767

Fléchier, Recueil des oraisons funèbres, Paris, Desaint, 12°. Regnault

Marmontel, Bélisaire, Paris, Merlin, 1766 [sic]. Vialon

1772

Helvétius, De l’Esprit-E.20, Amsterdam & Leipsick, Arkstée & Merkus, 2 vol. 12°. Faucheux

Helvétius, Le Bonheur-B.2, Londres, 8°. Regnault

Nonnotte, Dictionnaire philosophique de la religion, S.l., 4 vol. 12°. Regnault

Raynal, HDI-72, Amsterdam, 12°. Faucheux-Vialon-Regnault

1773

Helvétius, De l’Homme-H.4, Londres, Société typographique, 8°. Regnault

Raynal, HDI-73a, Amsterdam, 12°. Faucheux-Vialon

Raynal, HDI-73b, Amsterdam, 12°. Faucheux-Vialon

Raynal, HDI-73c, Amsterdam, 12°. Faucheux-Vialon

Raynal, HDI-73d, Amsterdam, 12°. Regnault

Raynal, HDI-73e, Amsterdam, 12°. Barret

Voltaire, Histoire du Parlement de Paris, Londres, 8°. Regnault

1774

Prosper Jolyot de Crébillon, Œuvres, Paris, Les libraires associés, 12°. Vialon

Helvétius, De l’Esprit-E.21 suivi du Bonheur, Amstredam [sic] & Leipsick, Arkstée & Merkus, 2 vol. 12°. Faucheux-Regnault

Helvétius, Œuvres complètes-O.1, 1-2, De l’Esprit, Liège, Bassompierre Père et Fils, 2 vol, 8°. Faucheux

Helvétius, Œuvres complètes-O.1, 3-4 De l’Homme, Liège, Bassompierre Père et Fils, 2 vol. 8°. Vialon

La Roche, Marie Sophie, Mémoires de mademoiselle de Sternheim, La Haye, Pierre Frédéric Gosse, 2 vol. 12°. Regnault

Raynal, TEa, La Haye, Gosse fils, 12°. Regnault

Raynal, TEb, La Haye, Gosse fils, 12°. Regnault

Raynal, TEc, La Haye, Gosse fils, 12°. Faucheux

Raynal, TEd, La Haye, Gosse fils, 12°. Faucheux

Raynal, HDI-74, La Haye, Gosse fils, 12°. Regnault

1775

Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, Genève, 6 vol. 8°. Regnault (pages de titre)

1776

Helvétius, De l’Esprit-E.23, Amsterdam & Leipsick, Arkstée & Merkus, 2 vol. 12°. Faucheux

Raynal, HDI-76, La Haye, Gosse fils, 12°. Faucheux-Regnault

Voltaire, La Bible enfin expliquée, Londres, 2 vol. 8°. Regnault

1777

Marmontel, Contes moraux (Œuvres1-2), Liège, Bassompierre, 8°. Vialon

Marmontel, Bélisaire (Œuvres 3), Liège, Bassompierre, 8°. Vialon

Marmontel, Poétique-2 (Œuvres 7), Liège, Bassompierre, 8°.

Faucheux

Marmontel, Théâtre (Œuvres 8-9), Liège, Bassompierre, 8°. Faucheux

Marmontel, Les Incas (Œuvres 10-11), Liège, Bassompierre, 8°. Faucheux

1778

Cook, Voyage dans l’hémisphère austral-a, Paris, Hôtel de Thou, 6 vol. 8°. Faucheux-Vialon-Regnault

Cook, Voyage dans l’hémisphère austral-b, Paris, Hôtel de Thou, 6 vol. 8°. Regnault

1780

Raynal, HDI-80, Genève, Jean-Léonard Pellet, 10 vol. 12°. Faucheux-Regnault

1784

Raynal, HDI-80/84, Genève, Jean-Léonard Pellet, 1780-1784, 10 vol. 12°. Faucheux (tomes 4,5,6 datés 1780)

Necker, De l’administration des finances de la France-a, S.l.s.n., 3 vol. 8°. Regnault

Necker, De l’administration des finances de la France-b, S.l.s.n., 3 vol. 8°. Regnault

Necker, De l’administration des finances de la France-c, S.l.s.n., 3 vol. 8°. Regnault

Raynal, Œuvres, Genève, J.L. Pellet, 4 vol. 8°. Regnault

Liste des impressions clandestines lyonnaises étudiées. Ces éditions sont documentées dans la base Maguelone <http://tango.univ-montp3.fr/MagueloneV.taf>. On a rétabli en gras le nom des imprimeurs. Les codes des éditions d’Helvétius sont ceux donnés par David Smith, Bibliography of the writings of Helvétius, Ferney Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2000.

Fig. 1 - Répartition de l'impression entre les différents ateliers

Fig. 2. Titres des éditions lyonnaises de l’Histoire des deux Indes (photographies BPU Genève, Neuchâtel, BCU Lausanne, BM Nîmes, Collections privées)

Fig. 3 Ornements utilisés par l’atelier Vialon

Fig. 4 Ornements utilisés par l’atelier Regnault

Fig. 5 Ornements utilisés par l’imprimeur Faucheux

Fig. 6 Ornements utilisés par l’imprimeur Barret

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1 Que Silvio Corsini (Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU), Lausanne), David Smith (Université de Toronto) et Dominique Varry (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (ENSSIB), Lyon) trouvent ici l’expression de mes remerciements les plus vifs pour leur aide généreuse et les encouragements qu’ils m’ont témoignés tout au long de cette recherche.

2 Notre étude s’inscrit dans le cadre des travaux bibliographiques dirigés par Cecil Courtney pour l’édition critique de l’Histoire des deux Indes en préparation à Oxford sous la responsabilité d’Anthony Strugnell.

3 Sur les éditions et contrefaçons de cet ouvrage de Raynal, voir Anatole Feugère, Bibliographie critique de l’abbé Raynal, Angoulême, 1922. Pour une mise au point plus récente de ces données, voir notamment Cecil Courtney, « Les métamorphoses d’un best-seller : l’Histoire des deux Indes de 1770 à 1820 », dans Raynal, de la polémique à l’histoire, Oxford, The Voltaire Foundation (SVEC 2000 :12), 2000, pp. 109-120.

4 Daniel Droixhe, « Signatures clandestines et autres essais sur les contrefaçons de Liège et de Maastricht au XVIIIe siècle », dans From Letter to Publication, Studies on Correspondence and the History of the Book, with the Besterman Lecture 2000, Oxford, The Voltaire Foundation (SVEC 2001 :10), 2001, pp.50-198. Voir aussi les descriptions des éditions liégeoises et maastrichtoises de l’HDI sur le site http://www.ulg.ac.be/moriane.

5 Jeroom Vercruysse, « Les impressions clandestines bruxelloises de l’abbé Raynal », dans Raynal, de la polémique à l’histoire, ouvr. cit., pp. 143-164.

6 Claudette Fortuny, « La troisième édition de l’Histoire des deux Indes et ses contrefaçons : les contributions de Genève et Neuchâtel », Oxford, The Voltaire Foundation (SVEC 2001 :12), 2001, pp. 269-297.

7 Histoire philosophique et politique (…). Nouvelle édition corrigée, À Paris, chez Lacombe, 1778, 7 vol., 8° (Bibliothèque municipale (Bm), Montpellier 610357).

8 La première, imprimée en 1770 mais introduite à Paris en mars 1772, est supprimée par un arrêt du Conseil d’État le 19 décembre 1772. La seconde, diffusée au cours de l’été 1774, est mise à l’Index le 29 août de la même année et dénoncée à l’Assemblée générale du Clergé en août et septembre 1775. La troisième, diffusée à Paris en mars 1781, est condamnée par un arrêt du Parlement le 25 mai 1781.

9 Ces contrefaçons lyonnaises sont documentées dans la base Maguelone http://tango.univmontp3.fr/MagueloneV.taf. Quelques-unes d’entre elles sont recensées par Anatole Feugère, Bibliographie critique de l’abbé Raynal, ouvr. cit., nº 32, 34, 39, 43, 47 et 67.

10 Adresses respectives des trois éditions en 1770, 1774 et 1780.

11 Raymond Gaudriault, Filigranes et autres caractéristiques des papiers fabriqués en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, CNRS Editions, 1995.

12 Richard Anthony Sayce, Compositorial Practices and the Localization of Printed Books 1530-1800, A Reprint with addenda and corrigenda, Oxford, Bibliographical Society, Bodleian Library, 1979.

13 Pierre Simon Fournier, Manuel typographique utile aux gens de lettres & à ceux qui exercent les différentes parties de l’art de l’imprimerie, Paris, Barbou, 1764-1766, 2 vol. (BmMontpellier 39857 Rés.)

14 Les Caractères et les vignettes de la fonderie du sieur Delacolonge, Lyon, 1773 (BmLyon 343058).

15 Épreuves de caractères de la fonderie de Louis Vernange, 1770 (non localisé). Les fondeurs de caractères lyonnais Delacolonge, Marquet et Vernange sont cités dans l’Almanach astronomique et historique de la ville de Lyon.

16 Graveurs probablement lyonnais d’après Marius Audin, Essai sur les graveurs de bois en France au dix-huitième siècle, Paris, Les Editions G. Crès et Cie, 1925.

17 « On sait que, dès le milieu du XVIIIe siècle au moins, des fondeurs étaient à même de fabriquer à partir d’un motif gravé sur bois une matrice en plomb dans laquelle étaient fondues de nombreuses copies » : Silvio Corsini, « Vers un corpus des ornements typographiques lausannois du XVIIIe siècle. Problèmes de définition et de méthode », dans Ornementation typographique et bibliographie historique, Bruxelles, 1988, pp. 139-158. Voir aussi : Armand Gaston Camus, Histoire et procédés du polytypage et de la stéréotypie, Paris, Baudouin, brumaire an X, 8°.

18 Ce mode de fabrication, en usage dans l’imprimerie artisanale d’Ancien Régime, rendait plus rapide la réalisation, souvent urgente, d’ouvrages en plusieurs volumes. On peut également estimer que la répartition du travail entre plusieurs ateliers permettait de diminuer les risques de contrefaçon auxquels on s’exposait en demandant à un seul imprimeur l’exécution du travail. On peut enfin penser qu’elle avait pour but de réduire les pertes occasionnées par la destruction des formes ou des épreuves lors de perquisitions.

19 Sur cette contrefaçon, on lira Gianluigi Goggi avec la collaboration de Georges Dulac, « L’édition de l’Histoire des deux Indes dont sont issus les Fragments imprimés du fonds Vandeul », dans Éditer Diderot, études recueillies par Georges Dulac, Oxford, The Voltaire Foundation (SVEC 254), 1988, pp. 89-126.

20 Sur la valeur du critère de l’ornementation dans l’identification des impressions clandestines, on consultera: Silvio Corsini, «Vers un corpus des ornements typographiques lausannois du XVIIIe siècle. Problèmes de définition et de méthode », dans Ornementation typographique et bibliographie historique, Bruxelles, 1988, pp. 139-158 et La preuve par les fleurons ?, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 1999. Daniel Droixhe, « Systèmes ornementaux : le cas liégeois », dans Etudes sur le XVIIIe siècle, 14 (1987), pp. 39-74, et « C’est le bouquet … », Gutenberg-Jahrbuch, 1994, pp. 211-228.

21 Fleuron développée par Silvio Corsini : http://dbserv-bcu.unil.ch/tango2000/todai/fleuron.taf Vignette développée par le même : http://dbserv-bcu.unil.ch/Tango2000/todai/vignette.taf Moriane développée par Daniel Droixhe : http://www.ulg.ac.be/moriane Maguelone développée par Claudette Fortuny : http://tango.univ-montp3.fr/MagueloneV.taf

22 Paris, Les libraires associés, 1774, 3 vol., 12° (édition documentée dans la base Maguelone).

23 Paris, Merlin, 1765 [sic]. Cette contrefaçon lyonnaise de la première édition « Paris, Merlin, 1767 » reproduisant trompeusement l’approbation délivrée à Paris le 20 novembre 1766, et le privilège accordé à Joseph Merlin est documentée dans la base Maguelone ; la dernière page porte « de l’imprimerie de P. Alex. Le Prieur, imprimeur du Roi ».

24 Jeanne Veyrin-Forrer, « Livres arrêtés, livres estampillés, traces parisiennes de la contrefaçon », dans Les Presses grises. La contrefaçon du livre (XVIe-XIXe siècles).Textes réunis par François Moureau, Paris, Aux Amateurs de livres, 1988, pp. 101-112 : à la suite des arrêts d’août 1777, « les défenses faites aux contrefacteurs sont renforcées, mais, à titre de mesure transitoire, les possesseurs de contrefaçons doivent les présenter à la Chambre syndicale de leur arrondissement pour être signées et estampillées. L’estampillage doit s’effectuer dans chacune des vingt Chambres syndicales du Royaume. À cette fin sont gravés autant de poinçons ovales sur lesquels apparaissent au centre un soleil, au-dessous la date 1777 et, à la partie supérieure, le nom d’une des vingt villes choisies ». L’estampille est accompagnée de la signature de l’inspecteur chargé de l’estampillage. On trouvera la reproduction de l’estampille lyonnaise dans Anne Boës et Robert L. Dawson, « The legitimation of contrefaçons and the police stamp of 1777 », Oxford, The Voltaire foundation (SVEC 230), 1985, pp. 461-484 ; voir aussi Robert L. Dawson, The French Booktrade and the ‘permission simple’ of 1777 : Copyright and Public Domain, with an Edition of the Permit Registers, Oxford, The Voltaire Foundation, 1992.

25 Exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France : Yf 4086-88, et remarqué par David Smith (université de Toronto) qui ouvrait ainsi la piste lyonnaise. Voir dans David Smith, Bibliography of the writings of Helvétius, Ferney Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2001, les éditions lyonnaises des œuvres d’Helvétius, O.1 et notes pp. 6-10, E.20, E.21, E.23, B.2 et H.4 et les planches d’ornements pp. 385, 386, 390-392 et 395.

26 Sermons du père Bourdaloue de la Compagnie de Jésus, À Lyon, chez Jean-Marie Bruyset, 1768-1772 (documentée dans la base Fleuron).

27 Gabriel François Venel, Instructions sur l’usage de la houille, À Lyon, chez Gabriel Regnault, 1775, 8° ; L’Art de désopiler la rate, À Lyon, chez Gabriel Regnault, 1775, 12° (documentées dans Maguelone).

28 Joseph Michel Servan, Discours de M. S*** dans un procès de déclaration de grossesse, A Lyon, chez Joseph-Sulpice Grabit, 1772, 12° ; Barthélemy Baudrand, L’Âme élevée à Dieu par les réflexions et les sentimens, pour chaque jour du mois, Septième édition, À Lyon, chez Étienne Rusand, 1778, 12° (documentées dans la base Maguelone).

29 Cet atelier est absent des catalogues de bibliothèques possédant un accès éditeur, à l’exception de celui de la Bibliothèque nationale de France qui signale quelques impressions dont les exemplaires se trouvent à la bibliothèque de la Part-Dieu de Lyon.

30 Reglemens et statuts proposés par les maîtres charpentiers, [Lyon], De l’imprimerie de Claude André Vialon, 1760 ; Réglemens des maitres tailleurs d’habits, À Lyon, de l’imprimerie de C. A. Vialon, 1775 (documentées dans Maguelone).

31 Recueil des oraisons funebres prononcées par Messire Esprit Fléchier Evêque de Nîmes, Nouvelle édition, dans laquelle on a ajouté un Précis de la vie de l’Auteur, À Paris, chez Jean Desaint, 1767, xviii, 256, [2] p., 12° (documentée dans Maguelone).

32 Gabriel de Glatigny, Œuvres posthumes contenant ses harangues au palais, ses discours académiques, &c, À Lyon, chez les frères Duplain, 1757 (de l’imprimerie de G. Regnault) (documentée dans Fleuron).

33 Jean Bertrand, De l’eau relativement à l’économie rustique, À Avignon et se vend à Lyon, chez G. Regnault, 1764 (documentée dans Fleuron).

34 Jean Antoine de Lasserre, L’Éloquence, poème didactique en six chants, À Lyon, chez C. A. Faucheux, 1778, 8° ; Jean Racine, Œuvres, À Lyon, chez Faucheux, 1781, 3 vol., 12° (éditions documentées dans Maguelone). René Aubert de Vertot, Histoire des chevaliers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, À Lyon, chez Faucheux, 1779 ; Claude François Nonnotte, Les Erreurs de Voltaire, À Lyon, chez Faucheux, 1779, tome 3 ; René Milleran, Le Nouveau secrétaire de la cour, À Lyon, chez Faucheux, 1780 (documentées dans Fleuron).

35 Voir dans les bases Fleuron et Maguelone Recueil des œuvres de Madame du Bocage. À Lyon, chez les Freres Perisse, 1762 (de l’imprimerie de J.-M. Barret 1764), 3 vol., 8° ; Œuvres diverses de M. Thomas, À Lyon, chez les Freres Perisse, 1763 ; Mélanges d’histoire naturelle par M. Alleon Dulac, À Lyon, chez Benoît Duplain, 1765, 6 vol. En revanche l’imprimeur qui a aidé J.-M. Barret à la réalisation de cette contrefaçon reste anonyme. Il utilise exclusivement des ornements composés (bandeaux et passe-partout), alors que Barret emploie uniquement des ornements d’une seule pièce (bandeaux, fleurons pour les pages de titre, et lettrines) bois ou fontes. La piste avignonnaise qui m’a été suggérée par Dominique Varry du fait que Jean-Marie Barret a été en société avec Jean-Joseph Niel d’Avignon, de 1767 à 1777, s’est révélée, jusqu’ici, infructueuse.

36 Les renseignements biographiques sur les imprimeurs nous ont été aimablement communiqués par Dominique Varry, à paraître dans « Gens du livre à Lyon au XVIIIe siècle » ; on lira à ce propos D. Varry, « Gens du livre à Lyon au XVIIIe siècle : quelques résultats d’une enquête prosopographique en cours », dans The Enlightenment in Europe. Les lumières en Europe. Aufklärung in Europa, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2003, pp. 287-309.

37 Léon Moulé, « Rapport de Cl. Bourgelat sur le commerce de la librairie et de l’imprimerie à Lyon en 1763 », dans Revue d’Histoire de Lyon, 1914, XIII, pp. 51-65.

38 Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel (BPUN), Archives de la Société typographique de Neuchâtel (STN), ms 1204, ff. 187 à 244 ; les ff 188-203 sont signés Regnault, il s’agit probablement de Geoffroy, le père ; les ff suivants sont signés Gabriel Regnault.

39 BPUN, ms 1204, f. 193, 22 septembre 1772.

40 Ibidem, f. 203, avis imprimé daté de Lyon le 30 septembre 1773 : « J’ai l’honneur de vous donner avis que je viens de céder à mon Fils aîné, Gabriel Regnault, tout mon fonds de Librairie ; il est chargé de la liquidation du Commerce ainsi que des recouvrements : depuis plusieurs années il le géroit ; il aura la même activité à remplir vos Commissions, & je me flatte que vous voudrez bien lui continuer votre confiance. ».

41 Ibidem, ff. 199-200 et 214 en particulier.

42 « Monsieur Panckoucke à son retour de votre ville m’a communiqué les arrangemens qu’il vient de prendre avec vous, Messieurs, au sujet de l’Encyclopédie. Il y a pris un intérêt assez considérable. Je m’y suis d’autant plus livré que j’ai présumé que l’exécution typographique chez vous serait mieux qu’à Genève et répondrait parfaitement aux trois volumes imprimés déjà » (Regnault à STN, 27 août 1776, BPUN, ms 1204 f. 218).

43 Robert Darnton, L’Aventure de l’Encyclopédie 1775-1800, un best-seller au siècle des Lumières, Paris, Librairie académique Perrin, 1982.

44 Robert Darnton, ouvr. cit., pp. 64, 78, 248 et 261.

45 Sur cette réimpression et la correspondance échangée entre Nouffer et la Société neuchâteloise, voir Claudette Fortuny, « La troisième édition de l’Histoire des deux Indes et ses contrefaçons : les contributions de Genève et Neuchâtel », art. cit.

46 BPUN, ms 1187, ff. 298-299, le 1er avril 1782, et ff. 302-303, le 15 avril 1782, Nouffer à STN.

47 Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, par des amateurs, Nouvelle édition complette, À Genève, [s. n.], 1775, 6 vol., 8°, BmMontpellier 75 587.

48 Diffusion, sous une raison sociale distincte, d’une partie d’une édition dans le cas d’une édition partagée ou d’une coédition. La page de titre est alors réimprimée (carton).

49 Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, par des amateurs, [S.l., s.n]., 1775, 6 vol., 8°, BmMont-pellier 48 886 Rés.

50 D’après Suzanne Tucoo-Chala, Charles Joseph Panckoucke & la librairie française 1736-1798, Paris, Touzot ; Pau, Marrimpouey, 1977, p. 277. Panckoucke assure la diffusion d’ouvrages clandestins qui n’ont pu être imprimés en France, comme l’édition encadrée des Œuvres de Voltaire en 40 vol. in-8° imprimée à Genève chez Cramer. Panckoucke acheta quelques ballots de cette édition pour la diffuser en France.

51 « Je vous fournirai (…) voltaire volume par volume pour les questions » (Regnault à STN, BPUN, ms 1204, f. 214).

52 À Paris, Hôtel de Thou, 1778, 5 vol., 4°, traduit de l’anglois [par Suard], BmMontpellier 15 859.

53 Voir dans Maguelone les ornements de ces deux réimpressions, en 6 tomes, 8°, sous l’adresse « À Paris, Hôtel de Thou, 1778 », conservées l’une à Lausanne, l’autre à Montpellier.

54 BPUN, ms 1222, Bérenger à STN, 28 juillet 1778, information aimablement transmise par Silvio Corsini.

55 [Paris, Panckoucke], 1784, 3 vol., 8°.

56 Ces trois réimpressions sont documentées dans la base Maguelone.

57 Panckoucke achète sa part de la troisième édition à la veille de la condamnation de l’ouvrage d’après S. Tucoo-Chala, ouvr. cit., p. 281 ; voir aussi Gianluigi Goggi, « Les contrats pour la troisième édition de l’Histoire des deux Indes », Dix-huitième siècle, nº 16, 1984, pp. 261-277.

58 Dans un prospectus que nous avons trouvé relié au tome 1 d’un exemplaire de la troisième édition de l’Histoire des deux Indes, À Genève, chez Jean-Léonard Pellet, 1780, in-4°, conservé à la bibliothèque Poniatowski, Kiev, Académie des Sciences d’Ukraine : Reg. III, c, 82. Le problème posé par cette impression de 1780 dans le format in-12° et son rapport avec celles dans les formats in-4° et in-8° a été étudié par G. Goggi dans un document de travail non publié : « Une précision qui s’impose : l’édition in-12° de l’HDI 1780 ».

59 Dominique Varry, « Le livre clandestin à Lyon au XVIIIe siècle », La Lettre clandestine, nº 6, Paris, 1997, pp. 243-252.