Histoire et civilisation du livre

Livres, travaux et rencontres

LTR

Guillaume Flamerie de Lachapelle, Lemaire, Panckoucke, Nisard : trois collections d’auteurs latins sous la Restauration et la monarchie de Juillet

Bordeaux, Pessac, éditions Ausonius, 2021. 550 p. (ISBN 978-2-35613-429-5)

Isabelle OLIVERO

BnF, bibliothèque de l’Arsenal

Guillaume Flamerie de Lachapelle est maître de conférences en langue et littérature latines à l’Université Bordeaux Montaigne depuis 2009. Agrégé de lettres classiques (2000-2001), il est l’auteur d’une thèse intitulée : « Clementia », recherches sur la notion de clémence à Rome, des origines à la fin des Julio-claudiens, soutenue en 2006.

Bien que le point de vue adopté soit plus, et tout à fait logiquement, celui d’un latiniste que d’un historien du livre, Guillaume Flamerie de Lachapelle s’était déjà intéressé auparavant à d’autres collections d’auteurs classiques, notamment aux livres de Tacite publiés dans la collection de Panckoucke ainsi qu’à la « Collection des auteurs latins » (dite Collection Barbou), émule des Elzevier dans la France du xviiie siècle. Ces recherches ont toutes deux donné lieu à des articles publiés dans la présente revue Histoire et Civilisation du Livre, respectivement en 2019 et en 2009.

Cet ouvrage retrace l’histoire des trois principales collections d’auteurs latins parues en France sous la Seconde Restauration (1815-1830) et sous la monarchie de Juillet (1830-1848) : la « Bibliotheca classica Latina » (1819-1832), dirigée par le latiniste et doyen de la Sorbonne Nicolas-Éloi Lemaire, dernière collection française d’envergure conçue intégralement en latin et qui tente de ressusciter la pratique des éditions variorum ; la « Bibliothèque latine-française », parue chez l’entreprenant libraire Charles-Louis-Fleury Panckoucke (le fils du maître d’œuvre de l’Encyclopédie méthodique) qui comprend deux séries – la première publiée de 1825 à 1838, la seconde, de 1842 à 1848 – et introduit une traduction française en face du texte latin ; et la « Collection des auteurs latins » (1837-1850) dirigée par le critique littéraire et professeur Désiré Nisard, qui adopte elle aussi une traduction française mais vise prioritairement un public moins fortuné de professeurs et d’étudiants, ce qui se reflète dans le format et la typographie économiques qui sont choisis.

La collection de Lemaire bénéficiera, même après sa mort, du soutien financier de l’État puisqu’elle est placée sous le patronage de Louis XVIII, puis de Charles X. Composée d’élégants volumes grand in-8, « plus maniable que l’in-4 » et qui « confère à la bibliothèque une allure plus noble et plus majestueuse que l’in-12 », elle propose dès le départ des exemplaires de luxe sur papier vélin, d’où son prix relativement élevé. La « Bibliothèque latine-française » adopte également un format in-8 mais son prix, plus modéré, vise à faire œuvre d’utilité publique et à concourir « au noble délassement des lecteurs instruits de toutes les classes de la société » (p. 72). Elle comprendra au total entre 120 et 130 volumes, soit à peu près autant que la « Bibliotheca classica Latina », bien que d’un coût inférieur de 35 %. Panckoucke mise néanmoins sur un public aisé, celui qui avait fait le succès de ses précédentes entreprises. Bien que les tirages soient modestes, les traductions proposées seront en partie reprises par l’éditeur Garnier pendant plusieurs décennies. La « Collection des auteurs latins » qui débute en 1836 incarne l’idéal de saine littérature prônée alors par son fondateur Désiré Nisard, connu pour son combat contre la littérature facile représentée selon lui par les auteurs romantiques. Il propose de faire en 25 volumes grand in-8 au lieu de 200 environ, des éditions ordinaires, une entreprise vraiment populaire ainsi qu’il l’annonce dans de nombreuses publicités : « toute la latinité à bon marché, dans un format réduit, commode à mettre dans une bibliothèque, facile à lire et à consulter ». Vendue par souscription pour 300 francs, soit 75 francs par an, il en résulte néanmoins un texte où les caractères du français sont minuscules et ceux du latin microscopiques, disposés sur une page en deux colonnes.

L’étude de chacune de ces collections est très approfondie et commence par une biographie du directeur au moment de la publication, suivie de l’étude du mode de recrutement des nombreux collaborateurs, allant des membres de l’Institut au pur amateur. Pour chacune, l’auteur analyse et compare ensuite le choix des auteurs, l’établissement du texte, la politique de traduction, le mode de commentaire ou d’annotation. Nul doute que cette analyse très fine et très fouillée que l’on retrouve aussi dans le chapitre le plus important, celui sur « l’appareil critique-exégétique » qui accompagne le texte latin (p. 255-391), et situe l’importance de ces éditions dans l’histoire de la philologie, intéressera grandement les spécialistes de la littérature latine. L’historien du livre pourra regretter que ne soit pas plus abordé l’aspect matériel de ces collections, malgré quelques illustrations mais en noir et blanc exclusivement.

Cet ouvrage est la publication du mémoire de 1536 pages faisant partie du dossier d’habilitation à diriger des recherches obtenue par Guillaume Flamerie de Lachapelle en 2018. Il en porte les traces : les annexes, sources, bibliographie et index sont très riches et occupent presque un tiers de l’ouvrage (p. 397-549, soit 152 pages), les notes sont parfois autant voire plus étendues que le texte lui-même, et le texte est agrémenté de nombreux tableaux. Il en résulte une lecture quelque peu ardue, à tout le moins très peu fluide. On aurait souhaité également une généalogie et chronologie plus claires de ces collections d’auteurs latins, d’autant qu’elles remontent au xvie siècle, comme ne manque de le signaler l’auteur dans son introduction (p. 14) et, peut-être, également une mise en contexte avec les autres collections d’auteurs classiques anciens qui existent ailleurs en Europe au même moment, telle la « Bibliotheca Teubneriana » allemande (1849), ou, plus tard, comme la « Loeb Classical Library » anglaise (1912) au xxe siècle. Celles-ci sont présentes dans l’ouvrage mais sous forme de tableaux en annexe. Il y a donc là un gisement intéressant à exploiter et qui permettrait à Guillaume Flamerie de Lachapelle de compléter utilement l’ensemble de ses travaux sur les collections d’auteurs latins. En revanche, dans sa conclusion, l’auteur ne manque pas de souligner les apports considérables légués par ces trois collections à la très célèbre « Collection des Universités de France » (ces fameux « Budé » bilingues), publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé depuis 1917 : le primat du latin, le recours privilégié à des professeurs de faculté, la volonté de proposer un texte bénéficiant des derniers apports de la science (p. 395).