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Maria Mannelli Goggioli, La Biblioteca Magliabechiana. Libri, uomini, idee per la prima biblioteca pubblica a Firenze

Firenze, L. S. Olschki, 2000, XVI-222 p., 12 p. de pl. (« Monografie sulle biblioteche d’Italia », 9). ISBN 88-222-4858-9

István MONOK

Les recherches italiennes d’histoire du livre rencontrent des difficultés spécifiques. En effet, depuis la fondation de l’imprimerie de Subiaco, une énorme masse d’ouvrages a été publiée. La simple énumération bibliographique suppose de très vastes recensements, s’appuyant sur plusieurs instituts spécialisés. L’histoire des bibliothèques est également complexe. Dans toutes les villes italiennes, nous trouvons des collections laïques et ecclésiastiques dont les volumes nous ramènent aux plus anciens siècles de la culture imprimée. La série « Le grandi bibliotheche d’Italia » (Firenze, Nardini) a essayé de donner un aperçu des plus grandes collections, mais il faudra encore des décennies pour découvrir méthodiquement les innombrables collections particulières. Une entreprise similaire à celle réalisée en France pour proposer un tableau de l’histoire des bibliothèques28 reste encore à réaliser en Italie (et, ajoutons-le tout de suite, en Allemagne aussi).

La série rédigée par Piero Innocenti – dont nous présentons ici le neuvième volume – a été entreprise en 1954, avec la présentation de la bibliothèque du monastère de San Marco de Florence. Le programme semble avoir privilégié volontairement la présentation historique des bibliothèques qui n’appartiennent pas aux collections les plus célèbres d’un point de vue que l’on dirait touristique, par exemple la Biblioteca Medicea Laurenziana, la Casanatense, l’Angelica, l’Estense ou la Marciana, et nous pourrions en citer d’autres. Dans les volumes déjà publiés, nous trouvons aussi des bibliothèques qui ont perdu leur ancienne autonomie : la Biblioteca Nazionale Vittorio Emanuele, la Corsiniana, la bibliothèque de la ville de Trente (Biblioteca Communale di Trento), la bibliothèque San Domenico à Bologne, la bibliothèque San Tommaso à Naples, la bibliothèque municipale de Gênes ou encore la bibliothèque universitaire de La Sapienza.

Les spécialistes peuvent être surpris d’entrée par le titre du volume. En effet, la monographie de Berthold Louis Ullmann et de Philip A. Sradler sur les collections des Medicis et sur la bibliothèque de San Marco, parue voici trois décennies29, affirmait dès le titre que cette dernière était la première bibliothèque « publique » de Florence, bibliothèque ouverte dès 1444 avec l’exergue « ad utilitatem hominum sempiternam ». La Biblioteca Magliabechiana n’a ouvert ses portes au public de la ville qu’en 1747, et pourtant Maria Mannelli Goggioli parle à son tour de la première bibliothèque publique de Florence (ce que le sous-titre précise). On sait que certaines bibliothèques ont été ouvertes à un cercle étroit de lecteurs à l’époque de l’humanisme et de la Réforme : les recherches françaises (« vers les bibliothèques publiques ») et allemande (« Vorformen der öffentlichen Bibliothecken ») interprètent le phénomène comme la « forme introductrice » des futures « collections publiques », et placent au milieu du XVIIIe siècle les débuts de l’histoire des bibliothèques publiques au sens actuel. Nous sommes explicitement dans ce schéma.

Le livre de Maria Mannelli Goggioli est d’autant plus intéressant qu’il développe l’épithète de « public », par rapport à son environnement politique et social spécifique et, du point de vue de l’histoire des bibliothèques, sur la base d’un exemple concret. Dans la période comprise entre la mort d’Antonio Magliabechi (1714) et l’ouverture de la bibliothèque (1747), plusieurs événements importants se sont en effet produits du point de vue de l’histoire du livre en Toscane. L’idée de rendre les bibliothèques publiques, autrement dit de les rendre accessibles aux moins fortunés – ceux qui ne pouvaient pas se constituer de collections privées –, n’est pas liée au seul nom de Magliabechi, à Florence non plus. Le Florentin Francesco Marucelli, mort en 1703 à Rome, avait jeté dans son testament les bases d’une fondation pour les pauvres et prévu d’ouvrir sa bibliothèque au public de sa ville : le classement de la bibliothèque Magliabechi et sa préparation en vue de son ouverture poseront de façon évidente le problème de l’unification des deux ensembles. Anton Francesco Marmi, qui a été chargé de l’exécution du testament d’Antonio Magliabechi, est mort en 1736, et il a offert à son tour ceux de ses livres qui ne figuraient pas dans la collection Magliabechi. Le fonds s’enrichit aussi à la mort du bibliothécaire, Giovan Luigi Tozzetti (1746). Le livre de Maria Mannelli Goggioli présente en détail les négociations qui se sont déroulées pour l’unification des deux grandes bibliothèques (Magliabechiana, Marucelliana) et qui, en fin de compte, n’ont pas abouti (la Biblioteca Marucelliana est aujourd’hui encore une collection autonome à Florence).

Le volume présente in extenso en appendice les documents les plus importants, notamment les différents testaments et le projet visant à l’unification des bibliothèques.

L’ouverture d’une bibliothèque au public pose le problème de son accessibilité, problème compliqué du fait de l’existence de la censure ecclésiastique au XVIIIe siècle : l’Église contrôlait non seulement la publication et le commerce des livres, mais aussi la lecture. C’est pourquoi le quatrième chapitre présente l’histoire de la censure en Toscane : l’auteur y analyse les règlements d’interdiction, etc., en vigueur entre 1736 et 1743 concernant les imprimeries et les éditeurs, et aussi les possibilités de la lecture éventuelle de livres interdits.

Les bibliothèques ne sont pas simplement des collections, mais aussi des institutions offrant un certain nombre de services. Il ne suffit pas d’avoir une masse de livres et de manuscrits, il faut aussi disposer d’un bâtiment adapté et d’un personnel compétent, notamment pour assurer une bonne protection des livres. Ce problème de fonctionnement relevait de la ville de Florence, ce qui peut expliquer que la question de l’ouverture de la bibliothèque n’ait été réglée qu’après plusieurs décennies. De plus, Marucelli et Magliabechi voulaient réellement que les plus pauvres puissent fréquenter la bibliothèque : les charges qui en découlaient (distribution du pain aux pauvres) étaient donc d’autant plus lourdes pour la ville. En 1861, la Biblioteca Magliabechiana a été réunie à la Bibliothèque nationale. La collection désignée aujourd’hui comme celle de la Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze a été créée par l’intégration à cet ensemble de la Biblioteca Palatina dei Lorena en 1885. En revanche, la Biblioteca Marucelliana est restée une entité autonome.

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28 Histoire des bibliothèques françaises, vol. I-IV, Paris, Promodis, 1989-1990, 4 vol.

29 The Public library of Renaissance Florence. Niccolo Niccoli, Cosimo de’ Medici and the Library of San Marco, Padova, 1972 (« Medievo e Umanesimo », 10).