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HISTOIRE DES BIBLIOTHÈQUES

Deux bibliothèques oratoriennes à la fin du XVIIIe siècle : Riom et Effiat, éd. John Renwick, Lucette Pérol, Jean Ehrard, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1999, 345 p. ISBN 2-86272-171-9

Juliette GUILBAUD

Nouvelle et heureuse contribution à l’histoire des bibliothèques, en l’occurrence religieuses, cette publication propose une reconstitution de celles de deux établissements oratoriens d’Ancien Régime, le collège de Riom et la « maison » d’Effiat. Entamés il y a une quinzaine d’années, poursuivis dans le cadre d’un colloque sur le collège de Riom et l’enseignement oratorien au XVIIIe siècle (colloque organisé en 1991), ces travaux s’inscrivent également dans le vaste projet de catalogage systématique des fonds anciens de bibliothèques municipales, dont les Publications de l’université de Saint-Étienne ont déjà rendu compte depuis les années 1990 pour des villes comme Montbrison, Roanne, Saint-Chamond ou encore Saint-Bonnet-le-Château. En outre, ces recherches viennent compléter une bibliographie déjà bien fournie sur l’histoire du collège de Riom, mais dépourvue d’un ouvrage de référence sur la bibliothèque de l’établissement : une édition scientifique de son catalogue. Si la démarche de base utilisée pour l’édition-reconstitution des deux catalogues diffère, leur présentation couplée se justifie pleinement – nombre d’ouvrages de la maison d’Effiat ayant finalement enrichi la bibliothèque du collège de Riom.

C’est en janvier 1618 qu’est décidée la création du collège oratorien de Riom-le-Beau, un collège de plein exercice accueillant de deux à trois cents élèves et destiné notamment à concurrencer le prestigieux établissement jésuite de Clermont-le-Riche. Reconnus pour leur enseignement, les oratoriens se font forts de se doter d’une bibliothèque digne de ce nom, qu’éclairent les sources mises ici au jour et éditées par John Renwick. Ce dernier a su tirer le meilleur parti de plusieurs documents, tous plus ou moins incomplets (donc imparfaits), comme il le souligne lui-même (p. 13), mais dont le recoupement se révèle riche d’enseignements. Le manuscrit de base est un inventaire de 1822 (découvert en 1977 aux archives municipales de Riom), dénombrant environ deux mille sept cents titres dont seulement quelques centaines ont pu depuis être identifiés, grâce à la présence d’ex-libris, dans le fonds ancien de la Bibliothèque de Riom. S’il convient toujours d’avoir présente à l’esprit la question cruciale de l’écart entre « livres disponibles » et « livres lus », ce catalogue n’en témoigne pas moins d’une culture largement marquée par l’Ancien Régime.

Cette source se trouve complétée par plusieurs autres listes qui permettent de préciser certaines données : un deuxième catalogue de 1857 (lui aussi aux Archives municipales) ; deux exemplaires du premier inventaire de 1822 (l’un conservé à la Bibliothèque municipale, l’autre à la Bibliothèque nationale de France) ; ainsi qu’une liste composite datée du 27 pluviôse an III et regroupant les livres saisis dans le district de Riom parmi lesquels se retrouvent, outre des exemplaires d’autres provenances, des ouvrages du collège de Riom et de la maison d’Effiat. L’analyse croisée de ces diverses sources livre ainsi un instrument précieux tant aux spécialistes d’histoire religieuse qu’à ceux des bibliothèques, outil que viennent enrichir des graphiques présentant l’évolution de la bibliothèque et la répartition des titres entre ouvrages sacrés et œuvres profanes. L’historien du livre, toutefois, pourra regretter l’absence des noms d’imprimeurs (certes rarement mentionnés ou pas toujours identifiables) dans l’index au côté des auteurs, commentateurs, éditeurs et traducteurs.

Autre établissement oratorien, dont Mme Lucette Pérol propose un « essai de reconstitution » (p. 273) de la bibliothèque, la maison d’Effiat a été fondée en 1627. Devenue pensionnat au début du XVIIIe siècle, elle abrite ensuite l’École royale militaire (à partir de 1776), avant d’être fermée en 1793. Environ cent soixante ouvrages, aujourd’hui conservés à la Bibliothèque de Riom, ont pu être identifiés, par leur ex-libris, comme provenant de cet établissement. Les travaux de Mme Pérol reposent sur l’examen de listes d’ouvrages – comme celle qui fut réalisée le 27 nivôse an II, au moment de la liquidation de l’École militaire –, mais aussi des mentions de titres trouvées dans les livres de comptes des années 1778 à 1793. Si la maison n’est alors plus celle des oratoriens, on peut à bon droit penser que les ouvrages que les religieux conservaient dans leur bibliothèque n’ont pas tous (même si ce fut le cas de certains…) disparu, même au moment de la Révolution. L’intérêt majeur de ces sources, comme le souligne l’auteur du catalogue, est assurément leur indication de date (d’entrée dans la bibliothèque, d’achat), qui peut être très éloignée de celle de l’édition. L’attention portée aux livres de classe et aux livres de prix, tels qu’ils apparaissent dans les comptes, permet en outre de mieux connaître l’usage réel des divers ouvrages, et suggère, pour une fois, une moindre disparité entre les « livres disponibles » et les « livres lus ». Il arrive ainsi que l’école commande des livres anglais à Londres (1784) ou encore en langue allemande à Strasbourg (en 1779 et 1783), parmi lesquels des manuels et dictionnaires de langue, en version originale ou édition bilingue pour faciliter l’apprentissage. Certains exemplaires, enfin, précisément décrits dans l’inventaire des livres du collège de Riom (1822) et portant l’ex-libris de la maison d’Effiat, témoignent de l’heureuse destinée des ouvrages concernés. D’une bibliothèque à l’autre, ils contribuent à l’enrichissement d’un nouveau fonds et à la transmission de l’héritage culturel.