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QUELQUES PUBLICATIONS CROATES SUR L’HISTOIRE DU LIVRE ET DE LA CIVILISATION

István MONOK

[Sto tisucu] 100 u 1000. Najznamenitije hrvatske knjige u proteklom tisucljecu. Nacionalna i sveučiližna knjẍđnica, Zagreb, prosinac 2000.–siječanj 2001. Katalog izložbe. Izložba je i prilog proclavi 550-te obljetnice rođenja Marka Marulića i 500-toj obljetnici Judite, prvoga auktorskog epa na hrvatskom jeziku, Zagreb, Bibliothèque nationale, 2000, 220 p.

La Bibliothèque nationale et universitaire croate a organisé une exposition sur l’histoire du livre croate à l’occasion du 550e anniversaire de la naissance de Marko Marulić (Marcus Marulus, 1450-1524), le représentant peut-être le plus marquant de l’humanisme croate. Un autre anniversaire important était aussi célébré à cette occasion : Marcus Marulus, qui écrivait surtout en latin, a terminé en 1501 son épopée écrite dans le style de Virgile : l’histoire de Judith, tirée de la Bible, et rédigée en croate, marque la naissance de la littérature croate. Cependant, le livre n’a été publié pour la première fois qu’en 1521.

Dans l’exposition, les cent Croatica considérés comme les plus importants ont été présentés en langues latine, allemande, française et, évidemment, croate. Le catalogue propose, à côté de la brève biographie des cent auteurs, la reproduction des pages de titre de leurs œuvres les plus considérables. Il s’adresse expressément au public croate d’aujourd’hui : du point de vue des étrangers, il aurait été plus clair si les œuvres y avaient été classées par ordre chronologique, et non pas alphabétique des noms d’auteur. Le lecteur non croate ne cherche pas par exemple Janus Pannonius à la lettre « C » (Ivan Česmički), un choix qui montre que l’objectif des organisateurs n’était pas de proposer une exposition de l’histoire du livre croate, mais de faire apparaître l’ancienneté de la culture (et du livre) croates, et ainsi de souligner l’unité culturelle de la Croatie d’aujourd’hui. L’absence presque complète des rapports avec l’Italie est pareillement incompréhensible si l’on veut présenter les œuvres maîtresses de la culture croate (le volume ne cite en tout et pour toute qu’un dictionnaire croate-italien).

L’idée était pourtant excellente : à travers cent auteurs et œuvres majeurs, on peut mettre en évidence les grandes lignes de l’héritage culturel écrit d’un peuple. C’est surtout le public étranger s’intéressant à ce thème qui aurait besoin d’une traduction du catalogue en italien et hongrois, puisque ces peuples sont les premiers à être intéressés par un bilan de la culture croate.

Drei Schriften – Drei Sprachen. Kroatische Schriftdenkmäler und Drucke durch Jahrhunderte. Ausstellung in der Staatsbibliothek zu Berlin Preussischer Kulturbesitz, 26 April-8 Juni 2002, éd. Anca Nazor, Josip Bratulić, Mirko Tomasović, dir. Josip Stipanov, Zagreb, Erasmus naklada, 2002, 263 p.

Le catalogue de l’exposition croate organisée d’abord à la Bibliothèque de l’État à Berlin est un vrai travail de professionnels11. Sa structure semble à première vue complexe, mais on s’y habitue vite et son emploi devient bientôt confortable. La description de chaque œuvre d’art exposée et son image se trouvent éloignées l’une de l’autre, le texte de présentation et l’illustration étant reliés par un système de renvois. À côté de ce code, une lettre signale le type d’écriture du document : glagolitique, cyrillique ou latin.

L’alphabet glagolitique a été utilisé par les Croates du XIe au XXe siècle mais, à partir du début des temps modernes, son utilisation est limitée au monde de l’Église. Il apparaît actuellement dans les matières scolaires et on cherche à le vulgariser à nouveau. Les monuments de l’écriture cyrillique sont aussi connus depuis le XIe siècle : les Croates ont utilisé ce type d’écriture jusqu’au début du XIXe siècle dans les documents publics, mais aussi privés. Aujourd’hui, seule la minorité serbe l’utilise en Croatie. Des monuments linguistiques (épigraphiques) en écriture latine subsistent du IXe au XIIe siècle, mais cette écriture n’a été utilisée que dans les documents administratifs et ecclésiastiques. À partir du XIVe siècle, l’alphabet latin s’est également répandu pour les textes en croate, et, au début du XIXe, il s’impose comme l’alphabet usuel. Les œuvres littéraires écrites en croate sont nées en Croatie en écriture latine et c’est dans cette écriture qu’elles ont été publiées.

Radoslav Katičić traite des cadres historiques et institutionnels de la vie et de la littérature culturelles croates (Der kroatische Kulturraum und seine Literatur12). Son texte est un aperçu efficace et concis du thème, vu de l’intérieur. Après l’Empire romain, le cadre dans lequel cette littérature et cette culture sont nées et ont pu se développer a été assuré par un État slave, par le début du christianisme, puis par l’État hongrois. Une phrase très importante de l’auteur explique que la fondation de l’évêché de Zagreb a ouvert une nouvelle orientation culturelle et que l’attachement culturel des territoires se situant au nord de Zagreb a pris une autre voie que pour ceux du sud :

C’est à la fin du onzième siècle, lorsque la dynastie hongroise des Arpad a reçu l’héritage de la couronne de Croatie-Dalmatie, (…) qu’a été créé l’évêché de Zagreb. Un centre nouveau de culture littéraire est ainsi apparu dans l’espace croate, avec une influence d’autant plus forte que les régions septentrionales du pays ont dès lors reçu la culture écrite médiévale dans une proportion bien supérieure à ce qui se passait jusque-là (p. 18).

Observation qui n’est pas reprise dans les autres parties de l’étude, ni à travers l’exposition. L’accent est plus mis sur l’Empire romain que sur les neuf siècles durant lesquels Croates et Hongrois ont eu une destinée commune : un choix d’autant plus regrettable que l’on souhaiterait réellement savoir comment l’opposition sud-nord (sans oublier les territoires de la région de Zala, inclus dans le banat croate) est interprétée par les experts croates de l’histoire de la civilisation.

Wolfgang Kessler étudie l’influence de la culture et de la langue allemandes sur les Croates, du point de vue allemand (Zu den kulturellen Beziehungen zwischen dem deutschsprachigen Raum und den kroatischen Ländern13) – les « pays croates » ici désignés étant la Dalmatie, la Croatie et la Slavonie. L’aperçu présente chronologiquement les éléments historiques du rapport entre les deux cultures, dont l’un des plus importants réside dans l’existence d’une population urbaine allemande en Croatie et dans des habitudes culturelles des nobles et bourgeois croates proches de celles des Allemands. Les villes sont devenues « plus croates » seulement dans la deuxième moitié du XIXe siècle, de sorte que la prégnance allemande a été longue et très sensible dans les goûts culturels. On regrettera que l’étude de Kessler ne fasse aucune allusion au phénomène, en tous points analogue, se rapportant à l’italien. L’influence allemande, considérable pour certaines périodes, se manifeste aussi à travers l’institution de la peregrinatio academica. Certains auteurs d’origine croate comptaient parmi les écrivains européens les plus connus : au XVIe siècle, un Matthias Flacius Illyricus s’impose ainsi comme le représentant le plus qualifié de la théologie luthérienne. L’auteur conclut sur le rôle médiateur de la minorité allemande de Croatie, avant de présenter les ateliers typographiques croates ayant existé en Allemagne.

Du point de vue de l’histoire du livre, il faut surtout signaler les études d’Anica Nazor. Une première contribution, un point sur « L’écriture glagolitique » (Die glagolitische Schrift), présente l’histoire de la littérature croate manuscrite, puis celle des livres glagolitiques imprimés. La formation de cette écriture se rapporte à l’activité des deux apôtres slaves, Cyrille et Méthode (ce dernier mort en 885). L’auteur distingue trois principaux groupes de sources : 1) vieux slave et byzantin, 2) traductions des œuvres élémentaires de la culture latino-italienne (surtout littérature morale), et 3) œuvres issues d’une transmission littéraire tchèque aux XIVe-XVe siècles (nommée « période Emaus » du nom du monastère fondé par le roi Charles IV de Bohême). À ce dernier ensemble se rattachent des œuvres encyclopédiques (Lucidarius), des légendes de saints (Legenda aurea, la Légende dorée de Jacques de Voragine) et des œuvres similaires au Paradisus animae d’Albertus Magnus (Albert le Grand).

Anica Nazor analyse ensuite séparément la version glagolitique des manuscrits importés de Grande-Bretagne et d’Irlande, et les œuvres écrites par des auteurs locaux sur le territoire de la Croatie actuelle (livres de cantiques, récits de supplices). Nous connaissons aussi cinq incunables témoignant des débuts de l’imprimerie glagolitique. On discute toujours du lieu d’impression du premier missel glagolitique (1483), et l’auteur place la fondation de l’imprimerie de Senj seulement en 149414. Parallèlement à l’imprimerie ayant existé au XVIe siècle à Fiume (Rijeka), les ateliers de Venise imprimaient aussi avec des caractères glagolitiques. L’épisode le plus passionnant de l’impression glagolitique est celui des imprimeries d’Urach et de Wittenberg. La Réforme slovène et croate n’a pas obtenu de succès à long terme, mais de nombreuses œuvres ont été publiées en langue croate, avec le soutien de la famille Ungnád et de la ville de Wittenberg. Pour la diffusion dans les territoires slaves du sud, on s’est appuyé sur les relations commerciales avec la Hongrie et l’Allemagne. L’activité des deux figures protestantes que sont Stjepan Konzul (1521-1568) et Antun Dalmatin (?-1579) est aujourd’hui pleinement reconnue, y compris du côté catholique. Après 1625, l’imprimerie romaine de la Congrégation De Propaganda Fide disposait de caractères non seulement arméniens, mais aussi glagolitiques : des textes glagolitiques ont donc été publiés à Rome jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Anita Nazor traite des monuments linguistiques croates écrits en « Écriture cyrillique » (Die kyrillische Schrift) comme d’une tradition existant parallèlement à l’écriture glagolitique. Le premier témoignage linguistique subsistant de ce type date du XIIIe siècle.

La langue et l’écriture latines ont une tradition plus forte sur le territoire entre le Danube et la mer Adriatique. L’étude de Josip Bratulić en suit l’évolution, depuis le XIVe siècle, lorsque l’écriture latine se répand comme outil de rédaction, puis à travers la création d’œuvres en langue croate (Lateinische Sprache und Schrift). À la suite des premières imprimeries utilisant des caractères glagolitiques et de l’imprimerie de Fiume, l’imprimerie de Pavao Ritter Vitezović (1690-1706) utilisait une fonte latine. L’Imprimerie universitaire de Buda eut aussi un rôle considérable dans la formation de la langue littéraire croate dans la première moitié du XIXe siècle15.

Cependant, beaucoup d’écrivains croates ont écrit en latin des œuvres de diffusion européenne. Mirko Tomasović n’indique que les plus importantes dans une courte étude sur l’histoire littéraire (Die kroatische Literatur vom Humanismus bis zur Postmoderne)16. Il est pourtant fâcheux, sur le plan historique, que l’auteur considère le territoire de la Croatie actuelle comme cohérent du point de vue culturel. Après l’âge de treize ans, Janus Pannonius a quitté la Slavonie, et il ne rentre en Croatie que lors de sa fuite après l’échec de la conjuration contre Mathias Corvin – la question de la nationalité ne se pose réellement pas au XVe siècle, et elle n’a pas à l’être. L’Opsida sigecka, œuvre principale de Petar Zrinski au XVIIe siècle, est abordée par Tomasović, qui ne précise pourtant pas qu’il s’agit de la traduction en croate de l’épopée hongroise de son frère, Miklós Zrínyi. Au total, l’image donnée par l’étude se trouve en partie faussée : l’auteur aurait pu insister sur les pétrarquistes de Dubrovnik, en les rattachant au milieu des humanistes italiens et dalmates, milieu d’ailleurs souvent analysé dans les histoires littéraires croates. L’Odiljenje sigetsko de Pavao Ritter Vitezović ne serait pas non plus moins croate si Tomasović faisait allusion à son modèle hongrois. Malgré ces réserves, il n’en reste pas moins important que le public international puisse disposer, grâce ce catalogue, d’un tableau des plus grandes personnalités de la littérature croate, du Moyen Âge jusqu’à Miroslav Kleža.

Après cet aperçu d’histoire littéraire, les organisateurs de l’exposition ont introduit un court chapitre présentant l’histoire de la presse périodique croate17. Le premier journal de Zagreb est en latin (Ephemerides Zagrabiensis, 1771), et il est suivi par deux journaux en langue allemande, l’Agramer deutsche Zeitung (1786)18 et le Kroatischer Korrespondent (1789). Le premier journal partiellement en croate a été lancé par l’administration française de la Dalmatie en 1806, mais sous forme bilingue : Kraglski Dalmatin – Il regio dalmata. L’expansion de la presse croate ne devient plus sensible qu’au tournant des XIXe et XXe siècles. Un des plus beaux épisodes de la culture croate est celui des manuscrits glagolitiques musicaux, qui ont naturellement fait l’objet d’une section propre dans l’exposition. L’analyse en a été faite dans le catalogue par Hana Breko (Der glagolitische Gesang. Ein Vermächtnis des kroatischen Mittelalters). Des mentions relatives au chant glagolitique des alentours de Dubrovnik sont connues dès le IXe siècle, mais les premiers manuscrits subsistant ne datent que du XIVe siècle (missel de Novak, 1368). Pour une communauté linguistique relativement réduite, comme celle du croate ou du hongrois, la musique est la lingua franca la plus naturelle. Nous pouvons nous informer sur la vie et sur l’édition musicales croates grâce à l’étude de Koraljka Kos (Die kroatische Sprache in der Musik).

Le volume se conclut par une bibliographie choisie et commentée, classée selon la structure du catalogue. L’idée est bonne, mais le nombre de références d’études écrites en langues autres que le croate est trop réduit pour une exposition et un catalogue destinés en premier lieu aux chercheurs européens. Il aurait été plus judicieux de mettre en évidence les travaux accessibles dans des langues internationalement plus répandues, tout comme il n’aurait pas été superflu de faire figurer des auteurs non-croates dans cette bibliographie : les spécialistes italiens et hongrois ont beaucoup travaillé sur Janus Pannonius, par exemple, et, dans une moindre mesure, on dispose de travaux en allemand et en français.

Le reproche de fond fait à l’exposition et au catalogue réside donc dans le fait que la présentation de la culture écrite croate ainsi proposée répond à l’équivalence généralement reçue aujourd’hui entre État politique, langue, nation et « culture ». Or, le territoire de la Croatie actuelle n’est certainement pas, sur le plan historique, le lieu d’une seule culture, comme c’est d’ailleurs le cas à travers tout l’espace de l’Europe centrale et orientale : l’influence italienne est constante et très importante, les minorités allemandes doivent aussi être prises en considération, le nord et le sud du pays sont très différents l’un de l’autre, la circulation des hommes et des idées est constante – sans oublier l’existence, neuf cents ans durant, durant, du royaume de Hongrie, dont la Croatie est partie. Pour des humanistes comme Janus Pannonius et Marcus Marulus, la question de la nationalité ne peut pas se poser, et ce n’est pas à nous d’en décider au XXIe siècle : Janus était surnommé Pannonicus, il vivait à Pécs, Várad et Buda ; Marulus était Spalatensis, et il vivait en Dalmatie. Il n’y avait donc pas une culture croate homogène, surtout pas sur le territoire de la Croatie actuelle.

Le catalogue montre pourtant combien la mise en lumière de la tradition culturelle sur laquelle la Croatie peut aujourd’hui s’appuyer, est importante pour ce pays devenu récemment indépendant – un point de vue qui aurait pu être présenté dans la préface, mais sans déboucher sur des anachronismes historiques. Comme Josip Stipanov, directeur de la Bibliothèque nationale et universitaire de Zagreb, l’écrit en tête : des peuples et des cultures communiquent entre eux : croate, slovène, hongrois, italien et, bien sûr – allemand. Et naturellement chacun avec tous.

Bartol Kašić u Nacionalnoj i sveučilišnoj knjižnici u Zagrebu. Zbornik radova o djelu Bartola Kašića, [urednik, Ivan Košić]. 2. izd., Zagreb, Nacionalna i sveučilišna knjižnica, 1999, 221 p., ill. ISBN 953-6000-79-2

Le jésuite Bartol Kašić (1575-1650) a joué un rôle important dans le renouvellement du catholicisme croate au début du XVIIe siècle, et sa biographie a été reprise à la suite de l’indépendance de la Croatie – dans une perspective visant à souligner l’originalité et l’autonomie de la culture croate. Bien que les guerres continuelles avec les Turcs aient évidemment nui à la vie culturelle et religieuse, le XVIIe siècle reste comme l’une des époques prospères de l’histoire culturelle du pays. Sur le territoire du banat croate autonome (partie du royaume de Hongrie), les Réformés n’ont jamais été en majorité par rapport aux catholiques. Lorsque, à la suite du concile de Trente, on a réorganisé l’Église catholique, un programme éditorial est lancé, susceptible d’appuyer cette réorganisation. Kašić a été l’un des plus fertiles acteurs de cette entreprise, mais on le retrouve aussi dans la mission jésuite en Hongrie et en Bosnie ottomane. Le 340e anniversaire de sa mort a vu de multiples commémorations, dont l’édition du volume collectif ici présenté et publié sous l’égide de la Bibliothèque nationale et universitaire de Zagreb.

Le purisme de Kašić est examiné par Josip Vončina, qui analyse deux de ses œuvres du point de vue de l’histoire de la langue : l’Institutionum linguae Illyricae libri duo (1604) et l’édition en croate du Rituale Romanum (Ritual rimski) (1640). Dans l’intervalle, notre jésuite à l’étonnante capacité de travail travaillait à l’édition de toutes les œuvres en croate, selon l’esprit du concile de Trente, tout en jouant un rôle important dans la diffusion de textes en latin : Petar Bašić propose un bilan sur les manuscrits de Bartol Kašić. Kašić a traduit la Bible complète, mais le quart environ du manuscrit est aujourd’hui conservé sous forme originale (trois manuscrits sont connus, à Zagreb, Zadar et Odessa). Dans une seconde étude, Petar Bašić examine les notes écrites en marge du manuscrit original, pour en conclure que le travail de Kašić s’est déroulé entre 1631 et 1637, mises à part des corrections ponctuelles jusqu’en 1642. D’autres chercheurs mettent en question cette chronologie, la date supposée de début de la traduction de la Bible remontant parfois à 1620. On sait par les documents d’archives que le travail était commencé en 1622, et la première version terminée en 1625. En 1634, le Saint Office refusera d’autoriser l’impression (voir ci-dessous).

Darija Gabrić-Bagarić a examiné la langue de la Bible. Kašić a pris en compte les essais de traduction antérieurs à son travail, il connaît bien évidemment la langue de la liturgie mais crée réellement, avec sa traduction, une nouvelle langue littéraire croate. Bien qu’elle n’ait pas été publiée, son œuvre a marqué de manière décisive le développement de la langue littéraire croate à partir du XVIIe siècle. Vladimir Horvat, lui aussi jésuite, a donné deux contributions à ce volume, toutes deux sur le destin de la traduction de Kašić. La Congrégation De Propaganda Fide a soutenu le travail de traduction, mais quand le manuscrit du Nouveau Testament est arrivé à Rome en 1632 pour y être approuvé, le Saint-Office en a empêché la parution.

Valentin Putanec a examiné le Vénéfride, un drame de Kašić, en y cherchant des informations sur la réforme de l’écriture croate : il s’arrête notamment sur l’emploi de l’application du digramme « yh », lequel se rapporte à un certain dialecte du croate, et il suit l’histoire des deux réformes linguistiques de Kašić à travers la littérature des XVIIe-XIXe siècles. Ivan Košić conclut en présentant les documents sources et la bibliographie sur Kašić disponibles à la Bibliothèque nationale et universitaire de Croatie19, et en donnant ainsi d’utiles précisions concernant l’histoire éditoriale de ses œuvres.

Biblia Slavica, IV : Südslavische Bibeln. 2,1. Kroatische Bibel des Bartol Kašić. 2,2. Kommentare, Wörterverzeichnis. Biblia Sacra. Versio Illyrica selecta, seu Declaratio Vulgatae editionis latinae, Bartholomaei Cassii Curictensis e Societate Jesu professi, ac sacerdotis teologi. Ex mandato Sacrae Congregationis De Propaganda Fide. Anno 1625, ediderunt Hans Rothe et Christian Hannick, e codicibus manuscriptis transtulerunt Petar Bašić, Julije Derossi et Zlata Derossi, curis elaboravit atque apparatu critico instruxit Petar Bašić, vol. 1 [2], Paderborn, München, Wien, Zürich, Ferdinand Schöningh, 1999-2000, 681 + 453 p.

Le Missale Romanum institué à la suite du concile de Trente n’a pas pu régler définitivement la question des réformes nécessaires de la liturgie romaine, et il a fallu imprimer des manuels conformes au nouvel ordre de la liturgie. Chez les Croates, cela signifiait rédaction et publication de nouveaux missels, bréviaires, rituels et catéchismes. L’utilisation de la liturgie slave a été autorisée, mais on n’a pas autorisé de nouvelle traduction de la Bible. Bartol Kašić (Bartolomaeus Cassius) a commencé une traduction de la Bible en 1622, et il a terminé en 1625 le travail sur le Nouveau Testament20. Selon le titre des trois manuscrits aujourd’hui conservés, l’entreprise était lancée « ex mandato Sacrae Congregationis de Propaganda Fide », mais les débats sur la publication de la traduction ont duré plusieurs années à Rome, pour aboutir finalement à un refus. La première année de parution est donc – 1999 !

Les deux volumes de la série traitant la publication des Bibles en langue slave donnent des éditions critiques de la traduction de Bartol Kašić : texte lui-même, puis études sur l’histoire de la langue, du livre et de la civilisation écrite, puis présentation des sources et de la bibliographie. La plus grande partie du volume traite du vocabulaire de la Bible (Darija Gabrić-Bagarić). Seul le premier cahier du manuscrit de Zagreb donne la version faite par Kašić lui-même, les autres étant des copies contemporaines ou quasi-contemporaines. La plus complète est celle de Zagreb, mais une partie importante de l’Ancien Testament n’est disponible que dans l’exemplaire de Zadar. L’édition donne les fac-similés des variantes de chaque manuscrit et des copies de différentes mains. Radoslav Katišić fait ensuite l’analyse linguistique de la traduction : comparer les différents phénomènes linguistiques relatifs au croate, également par rapport aux anciens textes bibliques slaves. Il précise les sources utilisées pour la traduction en croate, Vulgate ou Septante. Christian Hannick complète l’analyse linguistique de la traduction, notamment s’agissant de l’utilisation d’expressions théologiques (par exemple citations de l’Ancien Testament dans la traduction du Nouveau Testament). Les sources et les autres entreprises de traduction slaves sont présentées par Ivan Golub.

La documentation relative à l’histoire de l’édition a été réunie par Elisabeth von Erdmann-Pandžić, à l’aide notamment des archives de la Congrégation De Propaganda Fide. La publication donne par ordre chronologique les documents des archives, en les commentant : la Congrégation a soutenu le travail de Kašić, mais n’a pas pu faire autoriser l’édition de la traduction. L’interdiction a été signifiée en 1634 :

Non est expediens ut imprimatur versio Sacrae Scripturae facta lingua Illyrica vernacula seu nova characteribus latinis.

L’étude revient sur le travail de rédaction de deux œuvres de Kašić, le Rituale et le Lectionar. Ivan Golub complète ce tableau en présentant, grâce aux archives du Saint Office, les initiatives engagées après la décision de 1634 pour tenter d’obtenir l’autorisation d’édition.

Ivan Košić, Marco Marulić u Nacionalnoj i sveučilišnoj knjižnici. 500. obljetnica Judite i 550. obljetnica roµenja. Katalog izložbe obržane u Nacionalnoj i sveučilišnoj knjižnici, Zagreb, Nacionalna i sveučilišna knjižnica, 2001, 279 p.

Marcus Marulus (1450-1524) est l’une des personnalités les plus considérables de l’humanisme croate. La plupart de ses œuvres sont écrites en latin, quelques-unes en italien. Il est surtout considéré comme le père de la littérature croate, avec son épopée sur l’histoire de Judith en langue croate (1501). Pour commémorer le 550e anniversaire de la naissance de l’auteur et le 500e anniversaire de l’édition de son ouvrage, la Bibliothèque nationale et universitaire de Croatie a organisé une exposition des œuvres de Marulus (Marulić) qu’elle conserve (au total, deux cent soixante et une) : il s’agit notamment de seize éditions du XVIe siècle en latin, italien et allemand, et de cinq du XVIIe siècle. La première édition de Judith a paru en 1521 (Venise, Guilielmo da Fontaneto de Monteferrato), et elle a été largement reprise dans les années les plus récentes (1988, 1989, 1991, 1995, 1996 deux fois, puis 1997 et 1998). À l’étranger, Marulus était largement connu au XVIe siècle : ses œuvres ont été publiées en italien, allemand, français, espagnol, portugais et tchèque. Son œuvre la plus souvent traduite est le Palaestra christianarum virtutum ad bene beateque vivendum instituta, donnée sous plusieurs titres différents. Le catalogue de l’exposition a été rédigé par Ivan Košić, responsable du cabinet des Curiosa de la Bibliothèque, et présente en détail chaque édition jusqu’à la fin du XVIIe siècle, avec des notes courtes sur les rédacteurs, commanditaires et éditeurs. Les éditions des périodes suivantes sont plus brièvement décrites.

Missale, Senj, 1491 (Bibliothèque nationale de Hongrie, Budapest, Inc. 988).

Marcus Marulus, De Institutione bene vivendi per exemplum sanctorum, Venezia, 1506- 1507 (Bibliothèque nationale et universitaire, Zagreb).

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11 Le lecteur francophone dispose d’une version du catalogue en français et en anglais : Trois écritures – Trois langues. Pierres gravées, manuscrits anciens et publications croates à travers les siècles…, Zagreb, Erasmus naklada, 2004.

12 « L’aire culturelle croate et sa littérature ».

13 Ne figure pas dans le catalogue en français.

14 Le lecteur francophone trouvera une présentation de cette édition dans le catalogue Les 3 [Trois] révolutions du livre. Catalogue de l’exposition du Musée des Arts-et-Métiers, 8 octobre 2002-5 janvier 2003, Paris, Imprimerie nationale, 2002, p. 236. C’est l’exemplaire de Budapest qui avait été présenté à cette occasion au public parisien.

15 Eva Ring, « La Typographie royale de Buda », dans Revue française d’histoire du livre, 106-109, 2000, [Actes du colloque Les Trois révolutions du livre, Lyon, 1998], pp. 169-207, ill.

16 « La littérature croate de l’humanisme à l’aube du XXIe siècle ».

17 Ne figure pas dans le catalogue en français.

18 Zagreb = Agram en allemand (ndr).

19 Cette bibliographie devrait être complétée notamment par l’édition des Missions de Transylvanie et des territoires occupés, I-II, 1609-1925, réd. Mihály Balázs, Ádám Fricsy, László Lukács, István Monok, Szeged, 1990, 531 p. (« Documentation pour l’histoire des mouvements spirituels des XVIIe-XVIIIe siècles », 26/1-2).

20 Les auteurs ne sont pas d’accord sur la chronologie : Hannick écrit qu’il a travaillé entre 1620 et 1625 à Dubrovnik (p. 71), tandis que selon Elisabeth von Erdmann-Pandžić, il a commencé le travail en 1622 (p. 127). Les dernières données des recherches hongroises montrent finalement qu’il a travaillé sur la traduction entre 1620 et 1636 à Raguse et à Rome (voir Antal Molnár, Magyar Könyvszemle [= Revue hongroise des livres], 2002, p. 29).