Manuela D. Domingos, Bertrand : uma livraria antes do Terramoto = Bertrand : une librairie avant le tremblement de terre
Lisboa, Biblioteca nacional, 2002, 88-128 p., 8°, graph., accompagné du fac-similé : Catalogue des livres, qui se vendent à Lisbonne, chez les frères Bertrand…, 1755. ISBN 972-565-299-1
Gérard MORISSE
Le 1er novembre 1755 un terrible tremblement de terre dévasta Lisbonne tandis que les habitants assistaient à la messe de la Toussaint. Les palais, églises et maisons du centre-ville furent détruits ; les flammes des cierges répandirent des incendies dans toute la cité. Affolés, les Lisboètes qui avaient survécu se ruèrent vers le Tage, d’où une énorme lame de fond survint soudain, emportant tout sur son passage. De ce désastre allait naître un nouveau Lisbonne sous la conduite éclairée du premier ministre, le marquis de Pombal.
Parmi ceux qui avaient tout perdu figuraient deux Français, les frères Bertrand, libraires installés en la « rue droite de Lorette, au coin de la rue du Nord, vis-à-vis Monseigneur le Marquis de Marialva », comme le précise le titre du catalogue de leur librairie, paru au cours de cette même année 1755, dont le fac-similé est présenté par Manuela D. Domingos (Biblioteca nacional). Cette publication faite suite aux célébrations des relations franco-portugaises qui eurent lieu en 2000, à l’occasion de la présidence portugaise de l’Union Européenne : citons notamment les expositions « Visite à la Librairie Bertrand avant le tremblement de terre » (Biblioteca nacional), et « Libraires français à Lisbonne au XVIIIe siècle » lors du premier Salon du Livre de Lisbonne.
Qui furent ces libraires français installés à Lisbonne au XVIIIe siècle ? Les Français, ceux de Lyon surtout, exportaient déjà des livres au Portugal au XVIe siècle, les Archives Ruiz à Nantes en attestent, mais très peu d’entre eux y ont alors séjourné : ils utilisaient leurs correspondants espagnols. Par contre, dans son introduction bilingue, Manuela Domingos explique qu’au XVIIIe siècle un certain nombre d’habitants de la petite localité de Monestier de Briançon (Htes-Alpes), dans le Dauphiné, sont venus exercer, peut-être d’abord en tant que simples colporteurs, le commerce du livre au Portugal, pays dont l’attraction sur les émigrés français était alors puissante. Aux alentours de 1736, un certain João José Bertrand, de Monestier, âgé seulement de seize ans, arriva ainsi à Lisbonne. Il épousera peu après Magdalena Faure, fille d’un autre habitant de Monestier : Pedro Faure, déjà installé comme libraire dans la capitale, s’associa avec son gendre. Martinho, un frère de João José, entra lui aussi par la suite dans la société. Au décès de Pedro Faure, les frères Bertrand ont conservé l’affaire.
En 1755, ils éditèrent le Catalogue des livres qui se vendent à Lisbonne chez les frères Bertrand, ici reproduit. Le fac-similé présente un double intérêt : il est le premier catalogue de libraire entièrement consacré au livre français publié au Portugal, attestant l’importance des relations commerciales en ce domaine entre les deux pays ; par ailleurs il offre le témoignage de ce que représentait la culture française à Lisbonne au moment de la catastrophe. Le catalogue, imprimé sur 124 pages, comporte mille sept cent quatre-vingts titres (quatre mille trois cent quatre-vingt-cinq volumes), classés de manière plus ou moins alphabétique. Toutes les œuvres sont en français, et leur répartition thématique est la suivante : théologie, 12% ; droit, 3% ; sciences et arts, 34% ; belles-lettres, 19% ; histoire, 32%. Le titre le plus ancien date de 1651, mais la plupart des livres en vente sont des trente dernières années. Pour chaque titre il est précisé le format, la date et le lieu d’impression ; les plus nombreux viennent de Paris, puis d’Amsterdam, de La Haye, et enfin seulement de Lyon, par conséquent désormais très largement supplanté par Paris.
Après 1755, João José Bertrand reprit seul l’activité, réussissant à constituer une fortune enviable. Il mourut en 1778, laissant l’affaire à sa femme et à ses fils. Elle demeura dans la famille jusqu’en 1876 : cédée à cette date, elle se poursuit jusqu’à nos jours.