Daniel Droixhe, L’Étymon des dieux : mythologie gauloise, archéologie et liguistique à l’âge classique
Genève, Librairie Droz, 2002, 320 p., ill. (« Titre courant »). ISSN 1420-5254
Frédéric BARBIER
Daniel Droixhe, professeur à l’Université libre de Bruxelles et à l’Université de Liège, membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises, est bien connu des lecteurs français, par ses nombreux travaux et en tant que directeur d’études invité étranger à l’École pratique des hautes études en 1998. Son livre sur l’Étymon des dieux, paru dans une collection de poche, est effectivement destiné à devenir un classique. La problématique privilégiée par notre collègue, très originale et conduite dans une perspective systématiquement comparatiste, se place en effet à la rencontre d’interrogations multiples, et très actuelles : à partir de la découverte du monument emblématique qu’est le « pilier des nautes » (1711), Daniel Droixhe nous entraîne d’abord dans un voyage érudit à la recherche de nos ancêtres celtes au XVIe et surtout au XVIIe siècle. L’archéologue rejoint ici le philologue et l’historien, pour une enquête très fine dans laquelle les indicateurs archéologiques se combinent aux études philologiques, pour déboucher sur l’histoire la plus générale – histoire des religions, avec la progressive découverte d’un « panthéon celtique », histoire de la philologie (l’invention de l’indo-européen) et construction de la Wissenschaft, histoire des idées et, au final, histoire du patrimoine (donc aussi histoire du sentiment d’appartenance, des différentes formes de solidarités, etc.).
La parfaite érudition de Daniel Droixhe ne lui interdit en rien non seulement une écriture alerte et très plaisante, mais aussi, à partir de points d’érudition parfois minimes, l’ouverture vers les perspectives les plus générales, dans la meilleure tradition de la méthode classique : on découvre ainsi un personnage comme Johann de Laet (p. 160), « qui développa contre Grotius la charte la plus rigoureuse des principes de comparaison linguistique » – et ce sont les rapprochements entre necare (= tuer), nikur (irl., = monstre marin), Nixe (= la fée des eaux) (pp. 168-169), etc. Autant d’événements qui introduisent à ce moment fort qu’est l’avènement de la « germanistique » et la réflexion à la fois scientifique et philosophique sur la langue (voir notamment pp. 225 et suiv.). En dehors des Encyclopédistes et d’un certain nombre de savants, la France des Lumières reste relativement en retrait, face à une méthode et à un apparat critiques paraissant bien peu compatibles avec le bon ton et l’esprit mondain : Daniel Droixhe nous rappelle ainsi (p. 236) le portrait du Singe antiquaire présenté par Chardin au salon parisien de 1740, une « marionnette imitative dépourvue d’esprit et ébauche d’humanité, [considérant] à la loupe une monnaie, entouré de collections et de publications numismatiques ». À travers la question de méthode et le problème de la philologie (ou des sciences auxiliaires de l’histoire), ce sont le statut et l’objet de la connaissance historique qui font problème : ou bien entasser une multitude de petits faits, ou bien viser à des études plus générales, qui, par leurs perspectives relevant plutôt de la philosophie, laissent ouvertes l’hypothèse d’une amélioration de la nature et la problématique de la condition de l’homme.
Ajoutons que l’histoire du livre est omniprésente dans cet ouvrage exemplaire, à la fois parce que Daniel Droixhe est lui-même un expert en la matière, et parce que le média de l’imprimé (et de l’image !) est constitutif de la sphère savante européenne organisée à l’époque des humanistes et alors en pleine évolution. Bref, ce livre sur la naissance de la méthode est en lui-même une magnifique leçon – de méthode.