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Groupe de recherches interdisciplinaires sur l’histoire du littéraire, De la publication : entre Renaissance et Lumières

Études réunies par Christian Jouhaud et Alain Viala, Paris, Fayard, 2002, 8°, 368 p., couv. ill. ISBN 2-213-61339-7

Gérard MORISSE

Cet ouvrage, fruit de plusieurs mois de travail d’un groupe de chercheurs composé de littéraires, d’historiens et de sociologues, retrace l’histoire de la notion de publication entre le XVIe et le XVIIIe siècle, de l’évolution durant cette période des diverses significations de cette action qui consiste à rendre public un écrit, quelle que soit sa forme. Problématique et méthodologie sont exposées dans l’introduction par les deux animateurs de ce projet qui a le mérite de proposer une approche originale de l’étude de notre culture. Les intervenants se sont penchés à la fois sur les acteurs de l’action de publier (désignés sous le vocable de « publicateurs »), des auteurs aux divers opérateurs au sein du monde du livre, et sur l’action elle-même de publication, depuis la conception jusqu’à l’analyse de la réception de l’objet publié.

Ce recueil, qui entre dans le cadre des recherches sur la sociologie de la littérature, réunit ainsi quinze contributions partagées en trois parties. Ces études, selon l’expression de Christian Jouhaud et d’Alain Viala, « partent d’actes dont l’accomplissement invente les contours mouvants d’espaces de publicité en devenir ». Elles ont ceci de remarquable, qu’elles ne constituent nullement un regroupement occasionnel d’articles sans lien entre eux : elles forment au contraire les différents chapitres d’un même sujet, reliés par l’heureux artifice de récits de publication, le premier concernant l’Histoire comique de Francion au sujet de la fiction de son auteur, outre une courte introduction précédant chacune des trois sections.

La première d’entre elles traite de ce qu’est la publication à travers cinq cas quelque peu extrêmes, allant de la non-publication aux publications multiples, de l’échec profond au succès prolongé. Alexandre Tarrête se penche sur le processus de publication des harangues, textes ayant tous été rendus publics avant d’avoir en général été réécrits pour être imprimés. À partir de l’oraison funèbre de Ronsard par Du Perron (1586) et du recueil des harangues de Du Vair (1606), il fait ressortir ce flottement que ressent leur lecteur, ballotté entre la sensation d’authenticité du récit et celle de facticité possible. Mathilde Bombart a choisi le phénomène de la publication épistolaire au XVIIe siècle à travers deux recueils de lettres de Guez de Balzac parus vers 1650. Le passage de la lettre manuscrite à la lettre imprimée suppose une série de réécritures et de manipulations, mises en évidence au fil des rééditions. Divers recueils de « pièces fugitives » de polémique philosophique permettent à Dinah Ribard d’établir que, si l’imprimerie permet effectivement de les publier assez facilement, ce type de documents n’assied véritablement la réputation de leurs auteurs comme philosophes que dans la mesure où des acteurs ultérieurs viennent à reprendre leurs textes. Michèle Virol analysant les étapes de la publication de la Dîme royale, ouvrage condamné en 1707 et attribué à Vauban, démontre que celui-ci n’a, en réalité, que fait sienne une proposition de réforme qui lui avait été présentée. Par contre, un texte peut également être porté à la connaissance du public sans jamais parvenir à être imprimé, comme ce fut le cas d’un pamphlet écrit par Louis Machon contre le chancelier Séguier, révélé par les pièces du procès qui lui fut intenté, examinées pour nous par Jean-Pierre Cavaillé.

La seconde section a pour thème les enjeux de la publication, les stratégies qui furent celles des « publicateurs », et les réactions du public au regard de celles-ci. Pour paraître, un livre devait au XVIIe siècle avoir obtenu un privilège royal, ce qui permettait au pouvoir d’intervenir dans le processus de publication. D’après Nicolas Schapira, le privilège pouvant être assimilé à une attestation officielle de la valeur d’une œuvre, il renforçait à la fois l’autorité royale qui le concédait et celle de la chancellerie qui le délivrait. Quant aux lecteurs, ils contribuaient à diffuser ce certificat de qualité, mais aussi, par réaction, à assurer le succès d’ouvrages interdits. La réception d’un livre pouvait aussi dépendre des rapports des lecteurs avec le pouvoir royal. Pour Claire Lévy-Lelouch, « le privilège de librairie publie le roi », le premier à avoir apprécié l’œuvre, et son emplacement à l’intérieur du livre est très étudié. Quant à Filippo De Vivo, il montre que, dans la Venise du XVIIe siècle, l’utilisation par le pouvoir de la publication, par la rumeur notamment, pouvait constituer un enjeu polémique, par exemple contre les excommunications papales. Caroline Callard fait apparaître, à partir d’un exemple florentin (celui d’un certain Jacopo Gaddi qui, en publiant une histoire littéraire excluant les auteurs ecclésiastiques, brisa sa carrière d’écrivain), que publier peut conduire à se perdre. Déborah Blocker évoque ensuite la publication en 1674 d’un ouvrage de Samuel Chappuzeau intitulé Le Théâtre françois, lequel, à l’occasion de sa reparution ultérieure, participa grandement à la valorisation de notre théâtre classique.

La dernière partie aborde les espaces de circulation des textes. Séverine Delahaye se penche dans ce cadre sur les cancioneros dans l’Espagne du Siècle d’or, ces recueils manuscrits de poèmes qui circulaient amplement par utilisation orale, les éventuelles éditions imprimées n’intervenant qu’a posteriori, pour célébrer la gloire de leur auteur. Stéphane Van Damme déchiffre ensuite la place que les jésuites ont donnée à la circulation de l’écrit dans leurs pratiques de communication, à partir de l’exemple du collège de Lyon de la Compagnie de Jésus, spécifiant les pratiques utilisées pour asseoir la fonction du collège dans la vie publique de la cité où il était implanté. Myriam Maître démontre, à partir d’exemples du XVIIe siècle, que la publication imprimée n’est pas toujours le meilleur moyen de valoriser une œuvre. Grâce au manuscrit des Chroniques des samedis de Madeleine de Scudéry et de Paul Pellisson, témoignage de l’activité de leur atelier d’écriture collective et de la vie mondaine qui entourait ce rituel, l’auteur fait revivre le rôle de la « ruelle » dans la découverte de talents dont la publication orale et la promotion des œuvres sélectionnées étaient assurées avant même qu’elles ne fussent imprimées. Claire Cazanave analyse la méthode de publication employée par Fontenelle pour ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), par lesquels il entend mettre la philosophie à la portée d’un large public. En tentant, selon son expression, de la rendre « ni trop sèche pour les gens du monde, ni trop badine pour les sçavans », il ouvre la voie à l’idée de philosophe mondain qui sera l’une des figures du siècle suivant. La dernière contribution, celle d’Antoine Lilti, dissèque l’un des aspects de la vie sociale du XVIIIe siècle, l’engouement pour le « théâtre de société », ces représentations théâtrales organisées chez soi, où chacun devenait comédien, pour un nouveau type de public, et qui ont donné naissance à un répertoire propre.

L’intérêt de ces quinze contributions, ordonnées en un ensemble cohérent, est donc bien plus manifeste que la froideur de son titre ne pouvait le laisser craindre. Leur profondeur, sans recours à un vocabulaire trop délibérément élitiste en dehors du texte d’introduction, et leur diversité, font de ce recueil une source d’informations et un énoncé de problématiques souvent neuves qui ne peuvent que retenir l’attention des historiens du livre. Pour un ouvrage de cette intensité, on ne peut que regretter l’absence d’une exception au choix traditionnel de l’éditeur de reporter les notes en fin de volume.