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La Bibliothèque administrative de la Ville de Paris

Pierre CASSELLE

Conservateur général des bibliothèques, directeur de la Bibliothèque administrative de la Ville de Paris

La Bibliothèque administrative est la seconde bibliothèque de l’Hôtel de Ville. Elle a succédé, dans le palais municipal reconstruit, à la bibliothèque que la Ville avait constituée pendant soixante-dix ans et qui disparut totalement dans les incendies de la Commune en mai 1871.

Sous l’Ancien Régime, le Bureau de la Ville disposait pour son usage particulier, à l’Hôtel de Ville, d’une modeste collection d’ouvrages d’administration et de jurisprudence. Mais l’idée de créer une bibliothèque publique revient à Michel-Étienne Turgot, prévôt des marchands de 1729 à 1740, dont le nom est demeuré connu grâce au plan de Paris qu’il fit graver. Son projet n’eut pas de suite immédiate, mais fut repris par Antoine Moriau qui légua sa bibliothèque personnelle à la Ville. Cette première bibliothèque municipale de Paris ouvrit ses portes au public en 1763. Négligée sous la Révolution, elle fut confisquée par le gouvernement en 1797 au profit de l’Institut de France. En janvier 1801, Nicolas Frochot, premier préfet de la Seine, faisait part à Chaptal, ministre de l’Intérieur, des besoins documentaires de son administration en des termes qui préfigurent la création de la Bibliothèque administrative quelque soixante-dix ans plus tard :

Depuis longtemps, j’ai senti la nécessité d’établir une bibliothèque à la préfecture du département de la Seine. Les travaux de statistique dont je suis chargé, ceux qui exigent des connaissances approfondies dans l’économie sociale, les améliorations à faire dans l’instruction publique et particulière me font désirer que les personnes auxquelles je donne ma confiance pour ces diverses parties puissent faire des recherches et trouver les renseignements dont elles auront besoin dans une bibliothèque attachée à l’administration.

En 1817, le préfet Chabrol décida d’installer la bibliothèque dans l’Hôtel de Ville. Bientôt ce fut, au dire du préfet Rambuteau, « l’une des plus suivies de Paris ». Les crédits affectés à la bibliothèque de la Ville augmentèrent considérablement sous l’administration d’Haussmann. En 1870, ils s’élevaient à 51 500 fr., soit plus que les sommes consacrées par l’État aux bibliothèques Sainte-Geneviève et de l’Arsenal réunies. Grâce à cela, les collections comptaient plus de 100 000 volumes au moment de l’incendie. Conçue tout d’abord comme une bibliothèque encyclopédique, la bibliothèque de la Ville devait, selon l’administration et certains de ses utilisateurs, se spécialiser afin d’affirmer son originalité par rapport aux autres établissements parisiens. L’acquisition d’ouvrages et de documents concernant Paris et les villes de France était depuis longtemps une priorité des responsables de l’établissement. En revanche, celui-ci ne répondait qu’imparfaitement aux besoins de documentation juridique de l’administration auprès de laquelle il était placé.

Le 24 mai 1871, comme devait le rapporter un conseiller municipal,

par suite de la disposition des salles immédiatement sous le toit et de la disposition des charpentes en fer, les livres brûlant à ciel ouvert sur cette espèce de gril tombèrent en cendres sur le plancher de la grande galerie des fêtes, se consumant jusqu’au dernier. Plus tard, lentement, revinrent quelques volumes prêtés, dépareillés pour la plupart et sans valeur, mais démontrant le seul avantage accidentel du prêt, un peu moins nuisible peut-être que l’incendie.

Après la destruction de l’Hôtel de Ville, la bibliothèque municipale se reconstitua à l’hôtel Carnavalet sous la direction de Jules Cousin, dernier responsable de l’ancien établissement et qui avait fait don de ses collections historiques à la Ville. En juillet 1872, le programme du concours pour la reconstruction de l’Hôtel de Ville prévoyait dans le nouveau bâtiment l’aménagement d’une bibliothèque. En effet, l’administration municipale venait de décider de créer deux établissements distincts pour remplacer la bibliothèque disparue :

La bibliothèque de la Ville comprendra deux sections distinctes : 1) une section historique, qui est actuellement en voie de réorganisation à l’hôtel Carnavalet ; 2) une section administrative exclusivement à l’usage des services de la Préfecture, composée d’ouvrages généraux sur l’administration, le droit et la jurisprudence, l’économie politique, etc., et qui sera formée à l’Hôtel de Ville aussitôt que la reconstruction de l’édifice le permettra.

C’est là l’origine de la Bibliothèque historique et de la Bibliothèque administrative de la Ville de Paris.

La Bibliothèque administrative commença à se constituer en subissant les déménagements successifs de l’administration parisienne qui était privée de locaux depuis l’incendie de 1871. De 1874 à 1879, elle occupa plusieurs pièces au Petit-Luxembourg ; en 1879, elle fut transférée dans le pavillon de Flore des Tuileries. Cette situation fut heureusement provisoire. Les collections, qui s’élevaient déjà à près de dix mille volumes, furent installées de 1887 à 1890 dans la grande salle aménagée par l’architecte Édouard Deperthes au cinquième étage du nouvel Hôtel de Ville1. Aux fonds français reconstitués s’ajoutèrent alors les collections de publications américaines qui avaient été rassemblées depuis les années 1840 par échanges entre la Ville de Paris et les États et villes américaines, grâce à l’intermédiaire du philanthrope Alexandre Vattemare. Déménagées en 1869 hors de l’Hôtel de Ville à cause du manque de place, elles avaient ainsi échappé au désastre et furent à l’origine des fonds étrangers de la Bibliothèque administrative.

Service central de documentation de la Mairie de Paris, mais aussi bibliothèque de conservation et de recherche ouverte au public, la Bibliothèque administrative compte aujourd’hui quelque 550 000 volumes imprimés, dont 3100 titres de périodiques (800 vivants), plusieurs dizaines de milliers de pièces manuscrites, environ 10 000 dessins d’architecture et 5000 photographies. On constate que le fonds, dès l’origine, a un caractère quasi encyclopédique (à l’exception des sciences exactes et appliquées, de la littérature et de la philosophie). Le catalogue de la bibliothèque publié en 1898 est à cet égard révélateur. Il montre le souci de couvrir tous les centres d’intérêt de l’administration parisienne, bien plus divers que ceux d’un ministère ou d’un grand corps. Sur ces bases très larges, le développement continu des fonds, y compris par l’achat d’ouvrages anciens, en a fait une grande bibliothèque de droit (surtout public) et de sciences humaines. La principale richesse documentaire de la bibliothèque est constituée par ses fonds de publications officielles françaises et étrangères, nationales et locales. Mémoire de l’administration parisienne, la bibliothèque s’est également toujours préoccupée de conserver le témoignage de l’action de celle-ci dans les divers domaines de la gestion de la ville. Depuis cent trente ans, a été ici rassemblée la plus riche collection de publications émanant des divers services de l’administration parisienne, complétées par des études non officielles, actuelles ou rétrospectives, qui en éclairent le contexte administratif, politique, social, économique, etc.

La cohérence des collections, constituées au fur et à mesure des besoins exprimés par l’administration de la Ville de Paris fait de la Bibliothèque administrative un lieu de recherches indispensable sur les XIXe et XXe siècles. Quant aux fonds juridiques, constamment actualisés, ils sont régulièrement enrichis par l’acquisition d’ouvrages imprimés du XVIe au XIXe siècle (voir les exemples reproduits ci-après) ainsi que de documents manuscrits. Comme les autres bibliothèques spécialisées appartenant à la Ville de Paris, la Bibliothèque administrative est aujourd’hui en cours d’informatisation. L’intégralité des catalogues de ses fonds imprimés (monographies et périodiques) sera accessible en ligne en 2006. Parallèlement, la bibliothèque poursuit une politique de publication de catalogues imprimés qui se veulent de véritables outils bibliographiques2.

NOTE BIBLIOGRAPHIQUE

L.-M. Tisserand, La Première bibliothèque de l’Hôtel de Ville de Paris (1760-1797), Paris, Imprimerie nationale, 1873.

Pierre Casselle, La Bibliothèque administrative de la Ville de Paris, Paris, Paris-bibliothèques, 1993.

Patrimoine des bibliothèques de France. Volume 1 : Île-de-France, Paris, Payot, 1995, pp. 62-67.

1. Le Grant Stille et prothocolle de la Chancellerie de France, Paris, Galliot I Du Pré, 1527 [BAVP 66023].

2. Christophe de Thou, et al., Coustumes de la prévosté et vicomté de Paris, Paris, Jacques I Du Puis, 1585 [BAVP 63180].

3. Guido Panciroli, Notitia utraque dignitatum, Lyon, Jean de Gabiano, 1608 [BAVP 10435].

4. Barnabé Brisson, Le Code du roy Henry III, Paris, Sébastien I Cramoisy, 1615 [BAVP 7965].

5. Les Ordonnances royaux sur… la prévosté des marchands, Paris, Pierre Rocolet, 1644 [BAVP 205509].

6. Acts and laws of His Majesty’s English colony of Connecticut, New London, Timothy I Green, 1750 [BAVP EU993].

7. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité, Amsterdam, Marc-Michel Rey, 1755 (édition originale) [BAVP 9916].

8. Cathéchisme [sic] municipal, Paris, Jean-François-Hubert Guillot, 1790 [BAVP 54107].

9. Jean-Marie Pardessus, Loi salique, Paris, Imprimerie royale, 1843 (Exemplaire provenant de l’ancienne bibliothèque de la Ville de Paris) [BAVP 98].

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1 La salle de lecture est inscrite avec son mobilier à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques.

2 Les Collections de la Bibliothèque administrative de la Ville de Paris (8 volumes parus : manuscrits ; fonds coloniaux français et étrangers ; fonds ancien des États-Unis ; fonds ancien allemand). Ces catalogues sont publiés et diffusés par Paris-bibliothèques.