Histoire et civilisation du livre

Livres, travaux et rencontres

LTR

Muriel Hoareau, Louis-Gilles Pairault et Didier Poton de Xaintrailles (dir.), Libraires et imprimeurs protestants de la France atlantique XVIe-XVIIe siècle

Rennes, Presses universitaires de Rennes (coll. « Enquêtes et documents / Centre de recherches en histoire internationale et atlantique » ; 66), 2020. 176 p. (ISBN 978-2-7535-7986-6)

Jean-Benoît Krumenacker

Université Grenoble-Alpes

Les liens entre le livre imprimé et la Réforme sont bien connus et nombreuses sont les études sur ces sujets, en particulier autour de Genève ou pour l’espace allemand. La façade atlantique française avec des villes comme La Rochelle ou Saumur et des principautés comme le royaume de Navarre est aussi un espace de forte influence protestante mais où les études sur la production et la diffusion des livres, en particulier religieux, sont bien moins importantes. C’est à ces problématiques que s’attelle cet ouvrage en proposant neuf contributions, rassemblées par Muriel Hoareau, Didier Poton de Xaintrailles et Louis-Gilles Pairault : elles furent présentées lors de journées d’études à La Rochelle à l’occasion des 500 ans de la Réforme protestante, en parallèle d’expositions sur le thème de la Réforme et du livre dans plusieurs institutions rochelaises.

Les neuf contributions du volume, à la croisée de l’histoire du livre et de l’imprimerie et de l’histoire du protestantisme, embrassent des sujets très divers et éclairent la production de petits centres provinciaux comme La Rochelle, Saumur ou Orthez, les politiques éditoriales des imprimeurs et libraires protestants de ces régions, des pratiques autour du livre (livres de prix des académies) mais aussi la censure et la répression qui étouffent peu à peu jusqu’à les faire disparaître, ces ateliers protestants. Dans ces ateliers, souvent liés à une institution (université, académie…), la lutte contre le catholicisme n’éclipse pas des rivalités internes entre des imprimeurs ou des pasteurs, la censure des autorités protestantes mais aussi la concurrence des autres grands centres de production protestante comme Genève. L’imprimerie du sud-ouest de la France suit une chronologie particulière, rappelée à plusieurs reprises, avec la prédominance de La Rochelle à partir des années 1560 quand la ville devient l’une des capitales du parti protestant, puis de Saumur, autour de l’académie, à partir des années 1620, à la suite des sièges de la Rochelle dont la pacification entraîne l’interdiction de l’installation de nouveaux ateliers d’imprimerie protestants. L’activité des imprimeurs réformés est ensuite interdite à Saumur en 1685, refermant alors en grande partie cette histoire de l’imprimerie et de la libraire protestante dans le sud-ouest de la France.

Jean-Paul Pittion propose dans la première contribution une synthèse sur la diffusion du livre protestant français dans l’espace européen. Il présente une double étude parallèle tout d’abord de la production du livre genevois puis du livre saumurois. Pour l’édition genevoise, l’attention est portée sur les relais de la diffusion des livres calvinistes par des institutions comme l’académie de Heidelberg et des réseaux commerciaux (en lien en particulier avec les foires de Francfort), et sur les traces de leur réception en Europe orientale et en France. L’édition saumuroise se construit en lien avec l’académie de Saumur, qui attire, à partir du début du xviie siècle, les élites calvinistes et connaît successivement deux grandes phases, l’une de littérature polémique en défense des thèses saumuroises contre les conceptions ecclésiales et théologiques des calvinistes des Pays-Bas, l’autre plus tardive de littérature d’édification pour les fidèles. On retrouve ces deux types de littérature dans les bibliothèques hollandaises de cette époque et on conserve de nombreuses traces des liens entres les libraires saumurois et les libraires hollandais et anglais qui ont contribué à la diffusion à l’échelle européenne de ces ouvrages en français.

Jean-Claude Bonnin présente ensuite la carrière de Barthélemy Berton et de ses successeurs au service de la propagande protestante. Barthélemy Berton est issu d’une famille d’imprimeurs de Limoges et son père semble déjà avoir été acquis aux idées de la Réforme. Barthélemy s’installe à Marennes puis devient en 1563 le premier imprimeur de La Rochelle. Il y imprime des textes religieux puis, après 1565, se consacre essentiellement à la propagande protestante. Pendant toute sa carrière, sa fortune est médiocre et son matériel vieux et usé. Il meurt en 1572, peut-être lors du siège de la ville, et son atelier est repris par le nouveau mari de sa veuve puis par un cousin, Jean Portau, qui continuent une production en soutien à la cause protestante. Thomas Portau, le fils de Jean, qui avait déjà quitté La Rochelle, imprime dans plusieurs villes (Pons, Niort…) puis s’installe définitivement à Saumur où il meurt en 1623. Il laisse néanmoins à Niort une partie du matériel hérité de Barthélemy Berton qui sert à plusieurs imprimeurs protestants et contribue à l’impression des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné en 1616.

La contribution de Muriel Hoareau apporte des éléments sur l’atelier des Haultin à La Rochelle. Pierre Haultin arrive à la Rochelle vers 1571 à la demande des chefs huguenots avec un matériel bien plus riche que celui de Barthélemy Berton. À sa mort en 1587, son neveu Jérôme, auparavant installé à Londres, lui succède. À la mort de ce dernier en 1600, c’est son gendre, Corneille Hertman, qui reprend l’atelier jusqu’en 1620. L’auteure étudie ensuite la production proprement dite de cet atelier, l’identité des auteurs publiés, essentiellement des contemporains protestants de l’ouest de la France, puis l’insertion de l’atelier dans les milieux protestants et dans les réseaux européens de la librairie. Finalement, cette étude de la famille Haultin brosse le portrait d’entrepreneurs servant la cause protestante mais aussi s’enrichissant de l’activité religieuse et polémique en s’inscrivant au cœur d’un réseau reliant l’atelier installé dans cette place-forte protestante qu’est La Rochelle à l’Angleterre, l’Écosse et d’autres villes françaises comme Saumur.

Au début du xviie siècle, Saumur prend la place de La Rochelle comme principale ville d’impression protestante de l’ouest de la France, du fait de la présence d’un gouverneur protestant, Philippe Duplessis-Mornay, et de l’académie qui accueille de nombreux étudiants français et étrangers. Après ces premiers chapitres sur l’imprimerie à la Rochelle, Didier Boisson propose donc une contribution sur les querelles et les débats entre les imprimeurs et l’académie de Saumur. Les imprimeurs de l’académie sont rémunérés pour imprimer les travaux universitaires mais doivent également servir de bedeau, fonction délaissée par certains d’entre eux, ce qui occasionne des tensions. Les imprimeurs participent également aux conflits internes de l’académie. Des libelles anonymes contre certains enseignants et étudiants paraissent et entrainent des plaintes et le renvoi de certains ouvriers. Les imprimeurs saumurois sont également les outils du conflit violent entre les pasteurs Isaac d’Huisseau et Moïse Amyraut à la fin des années 1650. La remise en cause du culte protestant à Saumur à la fin des années 1660 aboutit finalement en 1685 à la suppression de l’académie, du culte protestant dans la ville et à l’interdiction d’exercer pour les imprimeurs protestants.

La contribution de Thomas Guillemin éclaire la pratique des livres de prix de cette académie de Saumur, pratique dont on conserve très peu de traces matérielles et peu de mentions dans les registres de l’institution. Ces livres de prix relèvent de deux catégories : les prix disciplinaires et les prix de piété. Les prix disciplinaires existent depuis au moins 1619 et Thomas Guillemin a pu en retrouver un exemplaire, donné en 1635, relié en vélin et porteur d’un simple ex-præmio manuscrit. Le prix de piété est plus intéressant : créé en 1666 grâce à un legs du baron de Villarnoul, il est attribué jusqu’à la disparition de l’académie et surtout l’auteur a réussi à en trouver quatre exemplaires qu’il peut comparer. Tous ont une reliure en cuir avec une même devise dorée au fer et un ex-præmio en français avec la signature de plusieurs représentants de l’académie. Enfin, ces exemplaires permettent de connaître l’identité d’étudiants de l’académie dont la plupart étaient jusque-là inconnus et ne sont pas devenus pasteurs. Cette pratique du livre de prix et les modalités d’attribution et d’ornement des volumes contribuent pleinement à la constitution d’une identité réformée au xviie siècle.

Entre ces deux contributions sur Saumur est inséré le chapitre de Philippe Chareyre sur l’imprimerie protestante en Béarn (1583-1662). Il faut attendre en effet 1583 pour qu’un imprimeur, Louis Rabier, s’installe à Orthez, grâce à l’appui d’Henri de Navarre, malgré des demandes réitérées du synode de Béarn à partir des années 1560, pour servir à l’académie d’Orthez. Rabier a en 1583 une longue expérience d’imprimeur dans plusieurs villes au service de la cause protestante. Devenu imprimeur du roi de Navarre et pensionné par lui à condition d’avoir une presse en Béarn, il est chargé des travaux de l’académie mais également de l’impression des textes administratifs de la principauté béarnaise. Mort en 1606, il n’est remplacé qu’en 1610 par Abraham Royer qui élargit sa production à la controverse protestante et à la défense de la souveraineté béarnaise et de l’Église réformée. Son fils Jacques lui succède en 1630 et continue une production administrative et de controverse religieuse malgré la naissance d’une concurrence catholique. Il finit néanmoins par se convertir, probablement en 1662, signant la fin de l’imprimerie protestante en Béarn. Celle-ci paraît avoir été avant tout la volonté d’un prince pour la satisfaction de l’académie, l’environnement économique et démographique étant peu favorable. L’élargissement de la production permit néanmoins à l’atelier de subsister et de survivre quarante ans à la fermeture de l’académie.

La contribution de Didier Poton de Xaintrailles revient sur la condamnation du pasteur Élie Merlat au bannissement et à la destruction sur le bûcher des exemplaires de son livre Réponse générale au livre de monsieur Arnaud… par le présidial de Saintes en 1579 puis en appel par le parlement de Guyenne en 1580. Il met en lumière le contexte de cette affaire, en particulier l’offensive de la monarchie et de l’Église catholique contre les Églises réformées qui s’accentue à ce moment contre les pasteurs mais aussi l’affirmation d’une orthodoxie catholique par les jansénistes qui attaquent alors violement les protestants et leurs ministres. Une nouvelle étape commence alors vers l’éradication du protestantisme qui n’est pas sans conséquence pour les imprimeurs et l’édition protestante.

Éric Suire évoque ensuite le livre religieux dans le Midi aquitain et étudie autant les entraves à la production protestante jusqu’à son interdiction par la révocation de l’édit de Nantes, que le contenu de cette production religieuse, catholique comme protestante, dans les villes du sud-ouest de la France mais aussi la place des livres religieux dans les bibliothèques de cette région. Dans ces petits centres régionaux, l’édition religieuse est particulièrement importante pour les deux confessions avec de nombreux auteurs locaux qui trouvent là un moyen rapide et économique de diffuser leurs écrits. La controverse domine jusqu’à la moitié du xviie siècle puis laisse place à une littérature pieuse à destination des fidèles. C’est celle-ci que l’on retrouve d’ailleurs surtout dans les bibliothèques, avec des titres comme le psautier pour les protestants ou les hagiographies pour les catholiques, qui sont des marqueurs confessionnaux forts, en particulier dans les couches les moins aisées de la société.

Enfin Marielle Mouranche présente la bibliothèque de la faculté protestante de Montauban, créée en 1810 à partir de confiscations révolutionnaires de fonds de la région parisienne et enrichie par la suite. Elle conserve aujourd’hui une centaine d’exemplaires d’éditions religieuses protestantes issues des presses de huit villes du sud-ouest dont plusieurs unica. Le catalogage de ces collections et la mise en ligne d’exemplaires numérisés font partie des chantiers actuels de cette bibliothèque.

À la fin de l’ouvrage est également inséré un supplément de 29 éditions au tome II (La Rochelle) du Répertoire bibliographique des livres imprimés en France au xviie siècle par Jean Flouret.

L’ouvrage propose en outre une vingtaine d’illustrations, en noir et blanc, qui accompagnent à propos le texte et permettent de voir certains éléments décrits, comme les marques typographiques ou les ex-præmio des livres de prix de l’académie de Saumur. Regrettons néanmoins le manque de correction générale de l’ouvrage : coquilles, phrases incomplètes, fautes, orthographe des noms et normes bibliographiques aléatoires… Le plus déplaisant pour le lecteur est probablement l’article de Muriel Hoareau où absolument aucune illustration ne correspond à ce qui est indiqué dans le corps du texte. Très curieusement, la troisième illustration présente une édition d’Abraham Haultin (dont un extrait de la même page illustrait déjà la page 9) qui n’est jamais mentionné dans cette contribution pourtant consacrée à la famille Haultin, ce qui laisse le lecteur avec bien des questions…

Ces actes de colloque fournissent de nouvelles approches autour de la production et de l’utilisation des livres dans une large façade atlantique de la France qui forme un espace marginal de l’imprimerie française. Les contributions mettent en valeur une dynamique liée aux princes et aux institutions protestantes à des fins de controverse et de constitution d’une identité protestante, qui s’éteint progressivement après la fin des guerres de religion, sous l’effet de la censure et d’une politique royale favorable au catholicisme. Au-delà de l’aspect confessionnel, ce sont aussi des exemples de production imprimée et de pratiques dans de petites villes du royaume de France, loin des grands centres comme Paris et Lyon, et dont la vitalité dépend de circonstances locales plus ou moins pérennes.