Histoire et civilisation du livre

Livres, travaux et rencontres

LTR

Jean Devaux, Matthieu Marchal et Alexandra Velissariou (dir.), Les premiers imprimés français et la littérature de Bourgogne (1470-1550)

Paris, Honoré Champion (coll. « Bibliothèque du XVe siècle » ; 86), 2021. 371 p. (ISBN 978-2-7453-5461-7)

Jean-Benoît Krumenacker

Université Grenoble-Alpes

Issu de rencontres internationales tenues en 2015, cet ouvrage veut montrer la place occupée par la littérature de la cour de Bourgogne dans les politiques éditoriales du premier siècle de l’imprimerie. Riche de 18 contributions en 318 pages (plus 50 pages d’index et de bibliographie), entre histoire des textes et histoire des livres, il aborde de nombreuses facettes des relations entre cette littérature bourguignonne et les premiers imprimés, en particulier le rôle éditorial des imprimeurs qui adaptent et modifient les textes manuscrits dont ils disposent pour proposer un texte jugé plus convenable à leur public. Après une introduction générale sur la littérature bourguignonne et l’imprimerie, les éditeurs ont réparti les chapitres en trois ensembles : « Le rayonnement de la littérature française dans les anciens Pays-Bas » avec six contributions sur la production en français chez les imprimeurs des Pays-Bas bourguignons, « Imprimer les romans en prose bourguignons » avec six autres contributions qui analysent l’édition d’autant de romans de chevalerie originellement écrits pour la cour de Bourgogne et imprimés ensuite dans toute l’Europe, et enfin « La littérature bourguignonne dans les premières éditions françaises » avec les six dernières contributions traitant de l’édition de textes bourguignons à Paris et à Lyon.

La première partie commence par une étude générale de la production en français dans les anciens Pays-Bas bourguignons entre 1475 et 1520 par Renaud Adam. Il montre qu’elle est très marginale au sein de la production de cette région et surtout représentée par l’atelier de Colard Mansion à Bruges qui propose des livres de luxe jusqu’en 1484, puis par plusieurs ateliers d’Anvers qui proposent surtout une production de circonstance. Stefania Cerrito se penche ensuite sur une des éditions de Mansion, l’Ovide moralisé en prose (1484), pour mettre en lumière les sources de l’exégèse du texte au-delà de l’annonce faite par l’imprimeur d’utiliser la moralisation de Pierre Bersuire. Françoise Féry-Hue s’intéresse à une production anversoise de Thierry Martens, L’An des sept dames (1504), poème anonyme dont on connaît également une copie manuscrite. Elle retrace la tradition du texte et des pièces qui lui sont associées dans le recueil de Martens et attribue la paternité du poème à Philippe Bouton (1419-1515), auteur longtemps au service de la cour de Bourgogne. Adrian Armstrong étudie la valeur des imprimés, en particulier ceux de Valenciennes, dans la tradition de l’œuvre de Jean Molinet pour conclure à une diversité comparable des variantes entre imprimés et manuscrits pour des textes qui ont été autant transmis par l’une ou l’autre technique. Anne Schoysman s’intéresse ensuite à l’un des imprimeurs les plus prolifiques d’Anvers au début du xvie siècle, Willem Vorsterman, dont 13% de la production est en français avec de nombreuses pièces liées à la politique bourguignonne. Elle montre surtout les liens entre Vosterman et l’imprimeur parisien Josse Bade dans un milieu humaniste autour de Jean Lemaire. Enfin, Madeleine Jeay et Kathleen Garay s’intéressent au Mirrour of the world de Caxton (1481) en étudiant les libertés prises dans sa traduction par l’imprimeur anglais mais également les sources manuscrites des illustrations qu’il fait graver.

La seconde partie revient sur l’édition de six romans de chevalerie écrits à la cour de Bourgogne. Matthieu Marchal étudie tout d’abord la traduction de Blancandin par William Caxton (1489) et met en évidence à la fois la proximité presque littérale de la version anglaise avec la version longue de la mise en prose bourguignonne, mais également l’existence d’un témoin perdu sur lequel a travaillé l’imprimeur anglais. L’édition française de Paris et Vienne par Gheraert Leeu (1487) intéresse ensuite Anna Maria Babbi qui y trouve un ajout, tiré de Beuve de Hantone, inconnu de la tradition manuscrite, et montre le succès de ce texte que Leeu a imprimé en français, en anglais, en allemand et en flamand. Isabelle Arseneau se penche sur les éditions d’Olivier de Castille chez Louis Cruse à Genève pour les resituer dans la production de l’imprimeur mais également montrer comment celui-ci fait évoluer le péritexte afin de donner une lecture plus morale du roman et d’en limiter l’interprétation par le lecteur. Sarah Baudelle-Michels s’intéresse à Mabrian, roman issu du cycle de Renaut de Montauban, et aux différentes matières auxquelles les auteurs de la Renaissance font appel dans la réécriture de l’histoire. Sur Huon de Bordeaux, Caroline Cazanave présente la rédaction en prose de la version française, réalisée en 1455 à la cour de Bourgogne, et son orientation vers la France qui s’ancre par l’impression de cette version à Paris en 1514, alors que les Pays-Bas bourguignons ont conservé une autre version indépendante en flamand, imprimée en 1540 à Anvers. Enfin, en se fondant sur une analyse de la mise en page, en particulier des titres et des proverbes, Maria Colombo Timelli étudie les différences entre les deux manuscrits connus de la mise en prose de Beuve de Hantone et l’édition de Vérard.

La troisième partie de l’ouvrage sur les éditions françaises de la littérature bourguignonne débute par un examen par Paola Cifarelli des différentes versions françaises de l’Ars moriendi produites dans le milieu bourguignon et leur influence sur les incunables français avant de traiter de la traduction humaniste de Guillaume Tardif. Alexandra Velissariou se penche sur les Cent nouvelles nouvelles et les différences entre le seul manuscrit connu (Glasgow, UL, Hunter 252) et les éditions de Vérard qui adapte le récit composé pour la cour bourguignonne à un public français. En l’absence d’autres témoins, les liens entre le manuscrit et les imprimés restent néanmoins difficiles à exploiter. Jean Devaux étudie l’édition par Antoine Vérard du Roman de la rose moralisé par Jean Molinet et met en évidence l’intervention d’un remanieur attaché à l’atelier de l’imprimeur pour proposer un texte plus accessible au public parisien par une transformation de la langue et une clarification du propos. Catherine Gaullier-Bougassas s’intéresse ensuite à la traduction des Faicts et gestes d’Alexandre le grand de Quinte-Curce par Vasque de Lucène, traducteur humaniste de la cour de Charles le Téméraire, et à son édition par Vérard vers 1500. Elle montre les modifications effectuées par le remanieur de l’imprimeur mais surtout l’occultation faite du contexte bourguignon de la traduction et du nom du traducteur dans l’ensemble des éditions anciennes. Sandrine Hériché-Pradeau se penche sur une édition anonyme lyonnaise du Champion des dames de Martin le Franc pour discuter des propositions faites jusque-là d’identification de l’imprimeur mais aussi pour examiner les nombreuses variantes de cet imprimé, jugé très fautif. Enfin Florence Serrano achève le volume avec une contribution qui compare le passage à l’imprimé de deux textes, le Triumphe des dames dont on connaît peu de manuscrits mais plusieurs éditions, et le Traité de noblesse dont la majeure partie de la tradition est, en revanche, manuscrite, en essayant de lier l’édition de ces deux textes par la collaboration entre Pierre Le Carron et Antoine Vérard.

À la suite des contributions, une importante bibliographie liste tout d’abord les éditions anciennes mentionnées dans le volume puis les reproductions d’éditions anciennes et enfin les travaux sur ce vaste sujet des débuts de l’imprimerie et de la littérature bourguignonne. L’ouvrage vient donc éclairer de multiples facettes de ce passage du manuscrit à l’imprimé de nombreux textes liés à la brillante cour de Bourgogne, en évoquant à la fois la production des anciens états bourguignons mais également l’adaptation à un public du royaume de France et les traductions, en particulier vers l’Angleterre avec William Caxton. Les auteurs soulignent justement l’intérêt du travail sur les premiers imprimés dans l’étude de la tradition de textes manuscrits de la fin du Moyen Âge.