Histoire et civilisation du livre

Livres, travaux et rencontres

LTR

Max Engammare, La fabrique Calvin. L’ultime Institutio christianæ religionis et trois autres livres corrigés par Jean Calvin et ses secrétaires (1556-1563)

Genève, Droz (coll. « Travaux d’Humanisme et Renaissance » ; 628), 2021. 224 p. (ISBN 978-2-600-06320-3)

Marianne Carbonnier-Burkard

Paris

Au départ, c’était un coup de chance, en décembre 2019 : au hasard d’une visite à la Société de lecture de Genève, Max Engammare découvrait un exemplaire de l’Institutio christianae religionis de 1559, la dernière version latine du maître-livre du réformateur. L’heureux inventeur, calvinologue et historien du livre chevronné, l’identifia aussitôt par sa reliure comme provenant de la bibliothèque de l’Académie de Genève, et aperçut en l’ouvrant une foule d’annotations, dont certaines de la main de Calvin. L’enquête pouvait commencer.

Et même deux enquêtes, présentées dans la première partie de l’ouvrage : l’une sur l’histoire du livre (passé de la bibliothèque de travail de Calvin, dans sa maison de la rue des Chanoines à Genève, à la bibliothèque de l’Académie, en 1564, et de là à la Société de lecture, par un échange de doublets en 1846), l’autre, plus fondamentale et de plus longue haleine, sur l’histoire du travail d’édition et de correction de Calvin. Il fallait l’œil de Max Engammare pour découvrir que sur une centaine d’annotations correctrices portées dans l’exemplaire de l’Institutio en question, seules les deux premières sont de Calvin, les autres venant de deux secrétaires, dont le frère de Jean Calvin, Antoine. L’historien est alors parti sur les traces d’autres « livres domestiques » de Calvin, corrigés à la main, en suivant les indications données par les imprimeurs de nouvelles éditions. Bonne chasse : il a pu retrouver dans les fonds de la BGE (Genève) et de la BCU de Lausanne trois autres livres avec annotations manuscrites de Calvin et de ses « amanuenses » (secrétaires de la main de Calvin), à savoir trois commentaires bibliques en latin – les épîtres de Paul (1556), les Psaumes (1557), le prophète Esaïe (1559). C’est la « fabrique Calvin » qu’on aperçoit, notamment par les reproductions des pages annotées, sous les mains correctrices.

La seconde partie de l’ouvrage fait entrer plus avant dans la fabrique Calvin. À côté de l’atelier de sténographie de ses sermons à St-Pierre (Denis Raguenier en chef d’équipe), et de l’atelier de mise au net de ses leçons d’exégèse à l’Auditoire (Charles de Jonviller), les secrétaires-collaborateurs forment un troisième atelier, au domicile de Calvin : ils aident à la mise au point d’œuvres importantes, au travail de relecture et de correction en vue de nouvelles éditions. De cette garde rapprochée de disciples familiers, les deux figures principales, à partir des années 1550, sont d’abord Nicolas des Gallars, puis Antoine Calvin (formant avec Jean un touchant duo de frères). On découvre le système de correction de Calvin, son organisation pour le travail de correction, oral et collectif, et son extrême souci de correction, sa volonté de laisser à la postérité une œuvre sans faute ni obscurité. En annexe, le tableau complet – et commenté – de toutes les corrections sur l’Institutio de 1559, dont l’imprimeur Perrin, qui a dû avoir en main l’exemplaire corrigé par Calvin et ses amanuenses, a fait son profit pour l’édition posthume de 1568.

L’enquête et ses résultats – sur les pratiques auctoriales-éditoriales de Calvin et sur Calvin malade, conscient de son œuvre et de ses limites physiques – sont passionnants. L’auteur fait participer le lecteur à sa recherche, l’associant à ses réflexions en aparté, croisant avec humour la « fabrique Calvin » avec la « fabrique Engammare ».