Histoire et civilisation du livre

Livres, travaux et rencontres

LTR

Anne Boyer, Les d’Houry. Une dynastie de libraires-imprimeurs parisiens (1649-1790)

Genève, Droz, (collection « Histoire et civilisation du livre »), 2021. XVI-534 p., ill. (ISBN 978-2-600-05747-9).

Greta Kaucher

L’étude sur la famille d’Houry s’inscrit dans une dynamique de recherche sur la prosopographie des hommes du Livre à l’époque moderne, initiée par Henri-Jean Martin et poursuivie par Frédéric Barbier. Cet ouvrage est l’aboutissement d’une thèse au long cours, sous la direction de F. Barbier, soutenue à l’École Pratique des Hautes Études en 2014. Anne Boyer avait soutenu son mémoire de DEA sur le même sujet sous la direction de Roger Chartier à l’EHESS en 1990.

Cette dynastie de libraires et imprimeurs parisiens s’étend sur quatre générations, soit près de cent cinquante ans, entre Fronde et Révolution. Anne Boyer a mené son étude de manière chronologique, en analysant à la fois les domaines personnels et socioprofessionnels de chacun des membres de la famille. Les d’Houry sont novateurs, se spécialisant dans l’édition d’ouvrages scientifiques dès 1652.

Anne Boyer a étudié de manière approfondie les réseaux familiaux et professionnels des libraires, tout spécialement leurs liens étroits avec d’autres libraires du royaume, des auteurs et les membres de la cour. Une étude fouillée a été menée sur leur activité éditoriale (privilèges, permissions tacites, etc.). C’est aussi la culture matérielle qui a été mise en avant et exploitée avec rigueur, en analysant les actes notariés retrouvés aux Archives nationales (contrats de mariage, inventaires après décès…). Par alliances, la famille d’Houry était unie aux plus grandes dynasties de libraires de l’époque : les Jombert, Le Breton et Debure. Ce réseau familial aux larges ramifications participait à l’intense sociabilité des d’Houry. Grâce à une étude socioprofessionnelle précise, Anne Boyer a su analyser avec finesse les réussites et les déboires de la famille.

Soulignons la remarquable ascension sociale commencée par le premier d’entre eux, Jean (vers 1611-1678), illettré à l’âge de 18 ans au moment de son apprentissage en 1629, ne sachant « ni écrire, ni signer » – ce qui peut paraître un comble dans ce milieu voué à l’écrit. Son mariage avec la petite-fille de son maître, Fleury Bourriquant, (et non une simple voisine comme il est suggéré p. 14) l’intègre définitivement dans la profession, quoiqu’il n’ait obtenu sa maîtrise que vingt ans plus tard, en 1649. Toutefois son premier ouvrage date de 1652 et il n’en publiera que six en quatorze ans. Son activité éditoriale prendra une ampleur plus importante à partir de 1668, se spécialisant alors en médecine, chimie et astrologie.

Le second membre de la famille, Laurent d’Houry (1644-1725), reçut en cadeau de mariage, en 1678, le privilège pour la publication d’un almanach (qui devint à partir de 1699 l’Almanach royal) de la part du chancelier Michel Le Tellier. Ce privilège est l’une des raisons de la fortune familiale et de sa reconnaissance encore aujourd’hui. L’Almanach royal, véritable annuaire mondain, recensait toute l’administration de cour de l’époque. Cette démarche était totalement inédite et novatrice. Toutefois, il fut aussi la cause de bien des discordes au sein de la famille et de nombreux procès sur une durée d’une trentaine d’années. Laurent d’Houry fut par ailleurs emprisonné près d’un mois à la Bastille en 1716 pour avoir omis le nom du roi d’Angleterre et le prince de Galles. Toutes les recherches d’Anne Boyer concernant l’Almanach royal sont extrêmement précieuses.

Dans cette lente ascension sociale, c’est au tour de Charles-Maurice, imprimeur du duc d’Orléans à partir de 1724, de s’illustrer et de reprendre les rênes de la maison familiale. Puis, enfin, son fils Laurent-Charles récupéra le titre de son père et fut également l’imprimeur attitré des membres de l’Ordre de Malte. Sa vie intime est passée au crible, ainsi que ses infidélités et enfants naturels, qui entraîneront bien des désaccords dans le cercle familial. À l’instar de plusieurs dynasties importantes, tels les Jombert, les d’Houry furent éprouvés par la Révolution qui aboutit à la chute définitive de la maison en 1790.

Pendant près d’un siècle et demi, la famille d’Houry sut être à l’écoute des demandes du public et de l’offre défaillante en matière d’édition scientifique. La création de nouvelles académies royales joua aussi un rôle important, telle l’Académie royale de chirurgie créée en 1731. La clientèle fut fidèle et en pleine croissance au xviiie siècle. Les innovations médicales et scientifiques constantes au cours de cette période furent un atout indéniable pour les éditeurs. Toutefois, la concurrence fut réelle et c’est principalement l’Almanach royal qui concourut à la fortune de la lignée.

L’étude à proprement parler est suivie d’un corpus de la production éditoriale de la famille, classée par ordre chronologique. Du corpus ont été volontairement écartées les publications de ville, car trop nombreuses : elles s’élèvent à un millier d’éditions. On déplore que les éditions signalées ne soient pas numérotées empêchant un renvoi systématique et une utilisation bibliographique chère aux libraires. Les notices se limitent au nom de l’auteur, titre, collation et cote à la Bibliothèque nationale de France ou à défaut une autre bibliothèque publique. À cela s’ajoute un index des noms relativement important (quoique ne prenant pas en compte ceux du corpus, et dont les renvois ne sont pas systématiques), ainsi que des annexes très intéressantes relatives au monde de la librairie.

Du fait d’un travail s’étalant sur plus de deux décennies, nous pouvons regretter quelques confusions, coquilles dans les prénoms ou dans les dates, omissions de notes de bas de page ou références bibliographiques non mises à jour ou même entièrement manquantes, citation de thèses et non de leur publication ; de même que l’utilisation de graphiques non sourcés, ni commentés. De plus, le recours aux sources généalogiques sur Internet peut paraître excessif, leur fiabilité n’étant pas garantie.

On déplore également quelques contradictions, approximations ou contresens qui peuvent parfois nuire à la bonne compréhension du texte. L’exemple de l’ajout d’un papillon à une page de titre d’une date bien antérieure à la maîtrise de Jean d’Houry ne prouve aucunement qu’il ait exercé à cette date (p. 72). Cette pratique est tout à fait courante. Les libraires, rachetant des stocks entiers d’ouvrages imprimés, y apposaient un papillon pour signifier leur nouvelle appartenance.

Toutefois ces coquilles ne sauraient déprécier un ouvrage de grande envergure qui apporte un jour nouveau sur une famille relativement méconnue et nous saluons le courage d’Anne Boyer d’avoir entrepris la publication de ce travail, pour lequel les recherches ont été fastidieuses, un peu plus de trente ans après son commencement, tout en menant de front une belle carrière au sein du service de l’Inventaire rétrospectif de la Bibliothèque nationale de France.