Livres, travaux et rencontres
LTR
Ann Blair, L’entour du texte, la publication du livre savant à la Renaissance
Paris, BnF Éditions (coll. « conférences Léopold Delisle »), 2021, 105 p. (ISBN 978-2-7177-2869-9).
L’ouvrage est issu de deux conférences tenues en mars 2021 à la BnF dans le cadre des conférences Léopold Delisle. Le titre décrit plus simplement ce que l’auteur désigne ensuite comme « paratexte ». En introduction, elle justifie l’emploi du terme, qui rassemble « les éléments à l’intérieur d’un livre qui n’en constituent pas le texte imprimé ». Ces textes apparaissent dans le livre contemporain pour diverses raisons (attirer le lecteur, l’aider dans sa lecture, intégrer des informations légales…), et Ann Blair propose de l’employer aussi pour les imprimés anciens car, si le terme est récent (il serait apparu en anglais en 1974, et serait devenu plus commun en français à partir de 1982), il désigne des pratiques bien plus anciennes dont la définition paraît encore floue pour les auteurs du début de l’époque moderne.
L’ensemble de l’ouvrage suit plusieurs fils directeurs : la pratique de deux humanistes – Érasme, en particulier pour ses Adages, et Conrad Gessner – et la théorie de Juan Caramuel y Lobkowitz (1606-1682). Ce dernier, prolifique auteur ecclésiastique espagnol, a glissé dans un de ses ouvrages de théologie un petit traité de typographie dans lequel il consacre quelques articles aux « dédicace, prologue et index », créant de facto cette catégorie du paratexte. Il y détaille et critique les pratiques de son époque et conseille les futurs auteurs pour la réalisation de ces textes. Ce traité est lui-même un paratexte de l’œuvre théologique principale que l’auteur déclare avoir inséré là pour épaissir le volume alors que l’imprimeur n’avait pas reçu tous les textes qu’il projetait d’y mettre !
Si le monde de la librairie imprimée ne crée pas les paratextes, l’une des hypothèses d’A. Blair est qu’il a fortement contribué à leur développement : 1) grâce à la réduction du coût de production du livre et à l’allongement des publications imprimées ; 2) du fait de la nécessité d’attirer l’acheteur et de vendre dans un contexte de surproduction ; et 3) du fait de l’anxiété des auteurs qui voyaient leur œuvre se répandre rapidement et voulaient s’attirer la bienveillance du lecteur. En complément de la réduction du coût de l’allongement du livre, l’auteur note que, pour les livres savants, l’épaisseur du volume a son importance et le paratexte permet de l’augmenter ; c’est d’ailleurs ce que faisait Caramuel avec son traité.
Les chapitres étudient ensuite l’un après l’autre les différents paratextes. Un chapitre est ainsi consacré à la page de titre qui apparaît avec l’imprimerie et se développe fortement à la Renaissance pour attirer le lecteur. On passe ensuite aux permissions et privilèges en y associant les textes, sans valeur légale, des auteurs et imprimeurs contre les contrefaçons non autorisées. La dédicace est l’objet de deux chapitres, l’un sur le texte en lui-même dont l’origine remonte à l’antiquité latine et l’autre sur ses suites, à savoir la réaction du dédicataire et le retour qu’en attend l’auteur. Très fréquente et également d’origine antique, la préface ou l’avis au lecteur permet à l’auteur de parler de son sujet ou de s’attirer la bienveillance du lecteur. Le chapitre suivant est consacré à la liste d’errata, apparue avec l’imprimerie, qui permet de signaler, après l’impression, des erreurs non corrigées, à la fois pour le lecteur, mais surtout, selon A. Blair, pour l’éditeur en vue d’une prochaine réédition. Présenté ensuite, le poème liminaire, développé par les humanistes, permet à l’auteur de faire état des réseaux sociaux dans lesquels il s’inscrit. Enfin, le dernier chapitre évoque la table des matières et l’index, deux paratextes plus anciens que l’imprimerie qui facilitent la pratique du livre.
L’ouvrage est fort bien illustré par 39 clichés en couleur sur 32 pages au centre du volume, essentiellement des reproductions des éditions d’Érasme et de Gessner provenant des collections de nombreuses bibliothèques européennes, auxquelles le texte fait régulièrement appel.
Finalement, nous avons là un court ouvrage (71 pages sans les index et les illustrations) mais qui balaie une grande variété de types de texte sur lesquels le lecteur actuel passe souvent très rapidement, et qui ne sont guère étudiés quand ils ne sont pas signés par un auteur connu. Ils mettent également en évidence la présence de nombreux agents qui contribuent à l’ouvrage final autour de l’auteur : assistants, amis, imprimeur, mécène… Les exemples suivis d’Érasme et de Gessner permettent d’apporter un contenu concret et une source possible de comparaisons pour l’étude d’autres ouvrages et d’autres auteurs.