Livres, travaux et rencontres
LTR
La bibliothèque de la Sorbonne. 250 ans d’histoire au cœur de l’université, dir. Laurence Bobis et Boris Nogues
Paris, Éditions de la Sorbonne (coll. « Histoire de la France aux XIXe et XXe siècles » ; 87), 2021. 439 p. (ISBN 979-10-351-0621-8)
En 1770 est ouverte la première bibliothèque de l’université de Paris, quelques années après le legs fondateur de l’ancien professeur Jean-Gabriel Petit de Montempuys (1762) et l’expulsion des jésuites qui permet de récupérer les bâtiments et une partie des livres du collège Louis-le-Grand. C’est le point de départ de ce volume qui, à l’occasion des 250 ans de l’événement, propose une histoire longue de l’institution. Malgré la facture très classique de son titre, l’ouvrage illustre le renouvellement du genre de la monographie de bibliothèque. Rompant avec le fil d’un récit linéaire, il s’organise de manière thématique. Après la très précieuse introduction qui pose la trame de l’histoire (L. Bobis, B. Noguès), cinq parties éclairent les moments fondateurs (I. Fondations et refondations), la vie des fonds (II. Éléments d’archéologie des collections), les pratiques professionnelles (III. La bibliothèque en pratiques : archaïsme et innovations), les relations avec les bibliothèques voisines (IV. Voisins, hôtes et rivaux) et les représentations de la bibliothèque, celles dont elle est l’objet et/ou qu’elle participe activement à produire (V. Représentations et identités d’une bibliothèque dans le siècle). Sans perdre le lecteur, ce choix permet de mettre en valeur des aspects en général peu traités dans l’histoire des bibliothèques, parce que difficilement fongibles dans le récit des événements. On prendra pour exemple la passionnante histoire des magasins, animée tout au long au xxe siècle par une quête tout aussi inventive que désespérée pour libérer de la place pour les livres (G. Péoc’h). L’organisation du volume ménage ainsi des rapprochements stimulants. L’histoire du grand chantier architectural de la fin du xixe siècle, piloté par le jeune et brillant Henri Nénot (É. Marantz) fait écho, un siècle plus tard, à celle de sa rénovation, dont l’achèvement en 2013 marque une date charnière de l’histoire de l’établissement (P. Marcerou). Le jeu d’échos temporels se retrouve à l’échelle de certaines contributions. M.-T. Petiot décrit l’enquête récemment menée pour retrouver dans les fonds de la BIS les livres spoliés par les nazis et attribués après la guerre à la bibliothèque, faute d’avoir pu retrouver leurs légitimes propriétaires. Les difficultés de l’enquête mettent en lumière les bricolages d’un demi-siècle, « mouvements, mélanges et enfouissements », qui ont conduit à l’invisibilisation, voire à la disparition de cet héritage. En rompant avec l’organisation chronologique, le récit évite enfin le piège téléologique, éclaire les hésitations comme les avancées. L’exemple du catalogue, suivi entre 1870 et 1914 par F. Haas, est édifiant : résistance des registres à une époque où ils sont déjà considérés comme archaïques, fiches réservées au personnel alors qu’elles sont réclamées à corps et à cris par les lecteurs, difficulté à faire évoluer l’ordre matériel et intellectuel des livres avant l’invention de l’indexation matière.
Dirigée par Laurence Bobis, directrice de la bibliothèque, et Boris Noguès, historien de l’éducation, l’équipe des auteurs associe des universitaires et des professionnels des bibliothèques, des historiens confirmés, des acteurs de terrain et de jeunes chercheurs. Cette diversité d’horizons se traduit dans les contributions par une grande variété de ton, d’approche et de souffle, procurant un vrai plaisir de lecture – auquel contribue aussi la qualité formelle de l’ouvrage, sa mise en livre soignée et la richesse de l’iconographie. Mais elle participe aussi au renouvellement dans la manière d’écrire l’histoire d’une institution. D’un côté, la bibliothèque se trouve réinsérée dans une histoire plus large, celle des institutions et des politiques culturelles. B. Noguès replace ainsi l’ouverture de 1770 dans l’histoire politique des relations entre Parlement et Université et dans l’horizon européen des fondations de bibliothèques universitaires. De l’autre, se trouvent constitués en objets d’histoire – d’histoire quasi-immédiate – un ensemble de pratiques comme la conservation-restauration ou les services de reproduction, particulièrement intéressantes du point de vue de l’histoire des techniques (I. Diry-Löns).
Enfin, d’un bout à l’autre du volume, la bibliothèque se donne à voir comme habitée par des hommes et des femmes, ces nommés ou anonymes qui, à des niveaux hiérarchiques divers, des célèbres guichets des salles de lecture à la direction de l’établissement, ont fait « tourner » la bibliothèque. Des contributions brèves proposent une série de portraits de bibliothécaires : ils donnent chair à l’institution tout en la réinscrivant dans des horizons plus vastes, ceux de la transformation des pratiques bibliothéconomiques (Louise-Noëlle Malclès), de la gestion des bibliothèques spoliées (Jenny Delsaux) ou de l’impossible importation du modèle américain (Thérèse Marix-Spire). À l’inverse, on peut regretter que comme bien souvent, les lecteurs et lectrices restent peu visibles – l’histoire des registres de prêt, tournés vers la (passionnante) histoire des supports et des stratégies pour faire revenir les livres (V. Meunier, P. Verschueren), ne remplaçant pas une histoire des publics et des pratiques de lecture en bibliothèque.