Book Title

István MONOK, A könyv és az olvasás Zalamerenyén 1746-1846

[Livre et lecture à Zalamerenye, 1746-1846]. Budapest : Kossuth Kiadó ; Eger : Eszterházy Károly Egyetem, 2021. 223 p. (ISBN 978-963-544-566-0)

Daniel BARIC

Sorbonne Université

István Monok, éminent historien hongrois du livre, a élaboré une microhistoire de la lecture dans un village du sud-ouest de la Hongrie. Pas de n’importe quel village, puisqu’il s’agit de celui qui l’a vu naître. Ce biais biographique a été secondé par une circonstance heureuse, qui a mis à la disposition du chercheur des documents suffisamment abondants pour retracer sur plus d’un siècle la possession d’ouvrages imprimés dans la paroisse de Zalamerenye. Le croisement de diverses sources d’archives (en particulier un ensemble cohérent de visites canoniques), permet d’établir précisément ce qui fut acquis et transmis sur une période séculaire. La recherche a pu en outre s’appuyer sur une histoire locale et régionale (le chapitre de Veszprém) particulièrement riche et dynamique dans le domaine de l’histoire religieuse. De cette situation documentaire favorable résulte une enquête portant sur une période culturellement riche, menée jusqu’au milieu du xixe siècle, considéré par l’auteur dans son ensemble comme « l’âge d’or » du village.

Le volume comporte une partie documentaire (registres de livres possédés par la paroisse, catalogue des imprimés antérieurs à 1851 détenus par la bibliothèque paroissiale, conservés dans le bâtiment de la mairie) précédée d’une étude introductive approfondie, qui vise à replacer le cas de cette communauté villageoise périphérique dans différents contextes, hongrois, centre-européen mais plus largement aussi à l’intérieur d’un horizon européen. Il apparaît que la circulation des livres, tant en termes de chronologie par rapport aux bibliothèque nobiliaires que de quantité et de répartition thématique, y correspond à la moyenne dans la région de Veszprém. Ainsi, jusque dans les années 1770-1780, un curé est décrit dans les sources comme eruditus lorsque la bibliothèque paroissiale comporte entre 5 et 20 volumes.

L’horizon comparatif poursuivi par l’auteur concerne notamment la position de cette paroisse catholique par rapport à celles ancrées dans le protestantisme. À ce titre, l’ouvrage prouve la nécessité de réévaluer la situation culturelle du catholicisme dans le domaine habsbourgeois, qui ne mérite aucunement d’être dépréciée (comme cela est d’ailleurs le cas au sein même de l’historiographie hongroise pour les villages de cette partie de la Hongrie). En ne cherchant pas exclusivement dans les bibliothèques paroissiales les noms canoniques de la philosophie (Kant ou Hegel notamment), mais les chemins d’une transmission indirecte de connaissances philosophiques par la voie de la prédication, éventuellement en opposition par rapport aux classiques d’aujourd’hui, il s’agit de se déprendre d’une histoire par trop linéaire et téléologique. Une attention fine accordée aux événements locaux interroge aussi la présence de certains titres : l’installation de juifs à la fin du xviiie siècle est-elle étrangère à l’acquisition de livres sur les mœurs des Hébreux ? Comment expliquer la présence de certains ouvrages théologiquement douteux, tel le Zodiaque de Palingène ?

Au fil des registres apparaissent des lignées de clercs dont se devine l’érudition, reflétée dans l’une des voies de réflexion ouvertes par cette monographie, celle de la gestion des langues. Dans ce territoire reconstruit et repeuplé de nouveau arrivants (croates, slovaques, germanophones,…) durant le siècle et demi qui a suivi l’occupation ottomane, les religieux, comme en témoignent les documents, sont en mesure de communiquer dans les diverses langues de ces communautés. Concomitamment, un rôle accru échoit au hongrois, dès avant la période dite des réformes dans les années 1820. Il est intéressant de relever en outre un intérêt pour le grec (en lien avec une lecture des textes bibliques), mais aussi pour les écrits d’auteurs français : une édition précoce des Ruines de Volney dans une version allemande (1801) est attestée, de même que des éditions saxonnes et pragoises de Bourdaloue en langue allemande (1760-1768).

En exploitant les sources d’histoire locale avec sa riche expérience d’historien du livre, I. Monok édite un essai de microhistoire du livre, mais contribue également à une histoire plus large à partir d’un cas particulier. Naviguant entre considérations plus générales et une micro-société reflétée par ses lectures, l’éditeur se plaît à démontrer que cette communauté, dans le contexte qui fut le sien, a pu développer une véritable culture du livre, en faisant appel en particulier à l’importation à la fin du xviiie siècle. L’objectif visant à donner un point de repère et des éléments utiles pour des comparaisons esquissées dans l’introduction (le Burzenland transylvain, mais aussi le Rouergue notamment) est assurément rempli par cet ouvrage. À son échelle locale, dont les particularités culturelles paraissent déterminantes jusqu’à nos jours, il s’agit aussi d’une contribution à une histoire nationale et transnationale. La pratique liturgique apparaît ici comme le reflet d’une tradition dont les traits archaïsants ne sont pas incompatibles, veut nous dire l’auteur, avec l’appropriation de sources livresques diversifiées.