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Sébastien ÉVRARD, Serpillon et le Code criminel. Quand le manuscrit devient livre (1755-1772)

Paris : L’Harmattan (coll. « Socio-économie de la chaîne du livre – Études » ; 15), 2021. 142 p. (ISBN 978-2-343-24219-4)

Xavier PRÉVOST

Université de Bordeaux

Après des études de droit à Paris et quelques années comme avocat à Dijon, François Serpillon (1695-1772) devient, en 1725, lieutenant général criminel aux bailliage, chancellerie et siège présidial d’Autun, sa ville natale. En parallèle de ses fonctions de magistrat, il rédige divers ouvrages juridiques. Le principal – et le seul publié de son vivant – est le Code criminel. Une douzaine d’années séparent le début du travail d’écriture de la publication de l’ouvrage par les frères Périsse en 1767.

C’est à cette entreprise éditoriale et à son devenir jusqu’à la mort de Serpillon que s’intéresse la recherche de Sébastien Évrard, comme l’indique son sous-titre Quand le manuscrit devient livre (1755-1772). Si l’intention se comprend bien, la formule pose néanmoins question, puisqu’elle sous-entend que le manuscrit de Serpillon n’est pas un livre avant d’avoir été imprimé. Malheureusement, cette imprécision terminologique se retrouve tout au long du texte (« Pour mieux évoquer le passage du Code criminel du stade théorique à celui de l’impression », p. 15 ; « Le livre imprimé, reflet d’une technique moderne révolutionnaire, fait basculer la culture du manuscrit et de l’oralité à l’écrit », p. 37 ; …), ce qui vient limiter les conclusions formulées par l’auteur dans ce domaine émergeant qu’est l’histoire de l’édition juridique.

En effet, alors que l’histoire de l’édition constitue un champ de recherche reconnu de longue date, les livres de droit ont longtemps été délaissés. Toutefois, plusieurs publications et manifestations scientifiques ont commencé, ces dernières années, à combler cette lacune. Historiens du droit et historiens du livre, dans une démarche interdisciplinaire, ont pris conscience de l’intérêt de croiser leurs compétences pour approfondir et renouveler leurs domaines de connaissance respectifs.

Dans ce cadre, Sébastien Évrard publie depuis une dizaine d’années de nombreuses contributions d’histoire de l’édition juridique. On est donc surpris de relever dans ce nouvel ouvrage quelques approximations dommageables. Le principal problème vient sans doute d’une mise en relation insuffisante de l’histoire du droit et de l’histoire du livre. Les propos sur Serpillon et le Code criminel occupent une place réduite par rapport aux considérations générales d’histoire du livre et d’histoire du droit, laissant au lecteur le soin de faire le rapprochement analytique. La lecture du plan fait déjà transparaître cette tendance. Après un premier chapitre biographique (« Serpillon, haut magistrat criminaliste confronté au droit pénal », p. 17-35), ce sont les différentes étapes de la vie d’un livre qui sont détaillées. Le chapitre 2 s’intéresse à l’obtention du privilège (« Les premiers écueils de l’édition : privilège, censure et cession du manuscrit du Code criminel », p. 37-48), les suivants aux négociations avec les éditeurs (« Second écueil : trouver un éditeur. La discussion avec les frères Périsse de Lyon », p. 49-62), à la fabrication de l’imprimé (« Transformer le manuscrit en imprimé », p. 63-99), à la réception de l’ouvrage publié (« Le sort du livre criminel », p. 101-114) et, enfin, à la concurrence de la contrefaçon (« Éviter la contrefaçon », p. 115-129). Si l’on prend comme exemple le chapitre 3, le paragraphe consacré au tirage (p. 69-73) ne concerne que pour moins d’une page le Code criminel, quand celui relatif au choix du papier (p. 73-74) ne parle même pas de l’ouvrage de Serpillon.

On peut regretter ce mode de traitement, car les sources découvertes par Sébastien Évrard semblent riches. Plutôt que de longs propos sur la fabrication des livres en général, pourquoi ne pas avoir mieux mis en avant les sources en les citant abondamment et, plus encore, en en faisant une analyse détaillée ? L’historien du droit a en effet dépouillé aux archives de la société éduenne « plusieurs dizaines de lettres reçues et des copies de quelques-unes envoyées » par et à François Serpillon puis, après sa mort, par et à son fils Étienne-Anne (p. 11). Il s’agit là d’un matériau archivistique précieux, dont l’intérêt ressort nettement lorsqu’il est exploité par Sébastien Évrard. On y découvre au plus près les relations entre un auteur et son éditeur, dans le cadre de l’étroit marché du livre de droit pénal que dépeint l’ouvrage. On souhaiterait donc pouvoir se plonger dans le détail de cette correspondance, trop souvent résumée en quelques phrases. Sa présentation détaillée aurait aussi été utile : qui sont précisément les correspondants de Serpillon, quand lui écrivent-ils et avec quelle fréquence ? Le lecteur doit se contenter d’une évocation lapidaire, en introduction, de ce qui constitue pourtant la raison première de cette recherche et son principal intérêt.

Dans le même ordre d’idée, on ne dispose d’aucun bilan historiographique en introduction et la bibliographie fournie en fin de volume ne présente qu’une petite partie des références figurant dans les notes, sans que l’on sache comment la sélection a été opérée. S’agissant d’un champ de recherche en plein développement, une bibliographie finale, si ce n’est exhaustive, au moins récapitulative de l’apparat critique aurait constitué un outil d’autant plus utile que l’ouvrage peut apparaître comme une introduction à l’histoire du livre juridique à la fin de l’époque moderne. Cette publication ne vise en effet peut-être pas avant tout un public de spécialistes d’histoire du livre, mais plutôt des lecteurs érudits et curieux de disposer d’un aperçu vivant du monde de l’édition juridique dans la seconde moitié du xviiie siècle.