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Franco Venturini, Libri, lettori e bibliotecari a Montecitorio. Storia della biblioteca della Camera dei deputat

Milan : Cedam-Wolters Kluwer, 2019. XXII-476 p. : ill. (ISBN 978-88-13-37064-0)

Livia CASTELLI

Università di Roma La Sapienza

Cette étude est l’une des rares consacrées à l’histoire des bibliothèques de Parlements, et la première pour celle de l’Assemblée nationale italienne, la Camera. Suivant une tradition bien établie pour ce genre de monographies, l’histoire de la bibliothèque est rédigée par l’un de ses responsables, qui a exploité dans le détail la variété des sources à sa disposition : archives institutionnelles, notes et matériaux assemblés par ses prédécesseurs, catalogues et instruments de recherche, sources imprimées, images et témoignages. L’ouvrage porte une attention particulière aux femmes et aux hommes qui ont « habité » et pratiqué la bibliothèque, ses travailleurs et ses lecteurs, suivant un axe de recherche particulièrement prisé en Italie dans le sillage des travaux d’Alberto Petrucciani. L’étude privilégie l’approche chronologique, depuis l’octroi de la Constitution ou Statuto Albertino par Charles-Albert de Savoie en 1848 (la bibliothèque est fondée dans la capitale, Turin, en même temps que l’Assemblée s’y installe), l’installation à Rome, puis le déménagement dans le nouveau site du Seminario, désormais à l’extérieur du palais de l’Assemblée (Montecitorio). L’histoire de l’établissement est évidemment marquée par celle de l’État italien, notamment à travers les guerres d’unification nationale (1848-1871), la dictature fasciste et l’occupation nazie (1922-1945), la Libération… Au Seminario, la proximité avec l’ancienne bibliothèque des Dominicains (aujourd’hui la Casanatense) et avec celle du Sénat, va constituer une « insula sapientiae » de bibliothèques mitoyennes.

Lors de sa première séance, le 8 mai 1848, l’Assemblée des 204 élus adopte un règlement provisoire, qui établit un service d’archives ainsi qu’une bibliothèque. Pourvue de personnel, de moyens, de fonds, la nouvelle entité assurera le service documentaire du travail parlementaire. Parmi ses modèles, on retrouve la bibliothèque de l’Assemblée de Belgique, instituée par la loi du 14 ventôse an IV, qui articulait les fonctions de bibliothécaire et d’archiviste, insistait sur l’importance de la documentation en langue étrangère, et requérait du bibliothécaire la maîtrise de ces mêmes langues.

Il s’agissait d’ouvrir rapidement le royaume et sa nouvelle institution parlementaire à l’actualité de la législation, de la culture juridique et de la réflexion politique des autres états européens, dans le but de former et d’éclairer l’action d’une bourgeoisie modérée qui, jusqu’alors, avait été tenue à l’écart des affaires publiques. La bibliothèque de la Camera demeura fidèle à ces principes et ne devint pas un lieu d’érudition ni de bibliophilie. Elle se spécialisa en profondeur dans les domaines du droit, de l’économie, des sciences sociales, de l’histoire politique, et prêta une attention particulière à l’exhaustivité de ses collections de publications officielles, notamment des procès-verbaux des autres assemblées. En 1910 elle obtint l’attribution du dépôt légal des publications des établissements publics. Elle intégra aussi les ouvrages patriotiques, littéraires et mémoriels du Risorgimento, et les diverses éditions classiques qui, intégrées dans le « roman national » de la Péninsule, ont marqué la culture de ses élites. Dès l’origine on souhaita ouvrir ses ressources au public entre les séances parlementaires, notamment aux étudiants, d’ailleurs nombreux à s’être investis dans les événements de 1848. Très tôt également l’Assemblée installa une Commission pour la bibliothèque, constituée de parlementaires, qui avait pour but d’orienter sa politique documentaire et de conseiller sa gestion.

L’ouvrage traite, assez classiquement, des espaces, de la politique d’acquisition, des instruments de recherche, des services bibliographiques, du personnel et des moyens, des publications de la bibliothèque du Parlement. Il évoque les débats sur l’aménagement de locaux, toujours insuffisants, à proximité ou pas de l’hémicycle ; il fait état des inquiétudes que suscite parfois la position plus ou moins autonome de la bibliothèque dans l’organigramme de l’institution parlementaire, ou les projets de son rattachement à d’autres services de recherche. Les bibliothécaires se succèdent. Les lettrés férus d’esprit risorgimentale, qui ont parfois fait de leur poste une charge quasi héréditaire, ont laissé place aux professionnels de la documentation ; mais l’organigramme de la bibliothèque a aussi ponctuellement accueilli des aspirants chercheurs ou des magistrats qui, soutenus, ont trouvé à la bibliothèque un travail alimentaire. La figure du bibliothécaire-conservateur, et ses affinités politiques, idéologiques ou religieuses avec les élus chargés de superviser la bibliothèque, a aussi évidemment marqué l’évolution de l’institution et le développement des collections. La normalisation, puis l’automatisation et l’informatisation des outils fut l’occasion d’adopter les standards internationaux et italiens de catalogage (ISBD et RICA), qui remplacèrent les règles vaticanes calquées sur les AACR ; on développa des bases de données issues du dépouillement des périodiques de plusieurs institutions et services de recherche (RIVI), et on introduisit de manière croissante le principe de la coopération.

La bibliothèque satisfait les besoins classiques de ses usagers parlementaires, en quête d’un havre de paix et/ou d’un lieu de travail, d’un espace de sociabilité, de repères. Ils y ont leur table et leur place, tenant lieu de bureau personnel. Universitaires ou notables, admis sur lettre de recommandation, profitent aussi du lieu, de ses ressources et de ses services. Les desiderata de ces deux dernières catégories de lecteurs ont influencé le développement des collections, qui offraient un nombre d’ouvrages et de publications officielles en langues étrangères unique en Italie. La plupart des parlementaires étaient du reste principalement intéressés par la documentation strictement législative nécessaire à ses besoins, et par les services de reprographie et de prêt.

Depuis les années 1960, les organes structurels des grands partis politiques, ainsi que le service des études de la Camera, ont pris le relais de la bibliothèque, auprès des élus, pour assurer la diffusion de l’information, et pour rassembler les matériaux nécessaires au travail législatif. Entre 1979 et 1988, on prépare le déménagement, l’automatisation et l’ouverture de la bibliothèque, alors dirigée, depuis 1981, par Emilia Lamaro, première femme à la tête du service. Les bibliothécaires de la Camera présentent alors un vaste projet de réforme, qui ne sera pas retenu. La tutelle politique (notamment la vice-présidente de l’Assemblée, la démocrate-chrétienne Maria Eletta Martini, ancienne enseignante proche d’Aldo Moro, ainsi que Nilde Iotti, communiste et présidente de l’Assemblée), soutiennent le projet d’une grande bibliothèque multidisciplinaire d’étude à vocation sociale, installée en plein centre-ville de la capitale, exprimant la volonté d’une démocratisation des institutions représentatives, qui ouvriraient plus largement leurs portes et offriraient des services de lecture et de documentation à l’ensemble des citoyens. Au Seminario, en effet, les conditions d’accès ne suivent que le seul critère de l’âge (seize ans, alors que la Biblioteca Nazionale Centrale est, encore aujourd’hui, réservée aux majeurs de plus de dix-huit ans). L’ouverture à tout public, le grand nombre d’ouvrages italiens et étrangers en libre accès, les grands espaces déployés sur cinq étages où l’on circule librement, les horaires d’ouverture et de communication très amples, sont encore inégalés à Rome, et marquent une certaine rupture dans la tradition bibliothécaire italienne. À l’époque, ces services, malgré des différences considérables, rappellent sur certains points le modèle parisien de la bibliothèque du Centre Pompidou, établie dans ces mêmes années et déjà définie comme « mythique » par Umberto Eco.

Depuis lors, la disponibilité numérique de la documentation juridique, et le développement des grandes bases de données, ont distendu les liens entre les collections physiques et les espaces de la bibliothèque d’un côté, les élus et les services de recherche de l’autre. Le phénomène, généralisé, pose à l’échelle internationale la problématique d’une redéfinition des bibliothèques parlementaires, particulièrement dans les pays de l’UE où la fonction législative nationale elle-même connait des changements profonds, notamment en termes de lieu d’élaboration et de discussion des normes. Repérage et indexation des sources législatives numériques, gestion de collections physiques devenues imposantes, affermissement d’une vocation patrimoniale, documentation et histoire de l’institution parlementaire, voire de l’État et de l’action politique, efficacité des services de médiation et de diffusion : autant de rôles et de défis qui définissent aujourd’hui au niveau international la vocation des bibliothèques parlementaires et qui remettent en question la place de la bibliothèque de la Camera dans le système bibliothécaire national.