Fiammetta Sabba, Viaggi tra i libri, Le biblioteche italiane nella letteratura del Grand Tour
Pise ; Rome : Fabrizio Serra, 2018 (Quaderni di “Bibliologia” ; 4.). 358 p.
On pourrait redouter l’étude d’un sujet ayant déjà tant fait couler d’encre. La peregrinatio Italica, de fait, n’est pas seulement une pratique remontant à plusieurs siècles, mais aussi une activité amplement commentée par les théoriciens de la littérature de voyage, et un geste que les intellectuels dignes de ce nom ne pouvaient guère s’épargner. L’Italie fut et reste, pour ainsi dire, une destination obligatoire. « Roma est patria omnium fuitque », peut-on lire sur le monument funéraire de János Lászai (1448-1523), archidiacre de Gyulafehérvár, à l’église Santo Stefano Rotondo de Rome. Il fallait – et il faut toujours – faire le voyage d’Italie, pour comprendre que l’esprit européen est la fusion organique des cultures antique et chrétienne, et faire l’expérience d’une communauté qui ne vit pas à côté de son patrimoine culturel (comme le fait la population de l’Égypte ou de la Grèce), mais dedans.
Fiammetta Sabba propose une synthèse de cette vaste littérature de voyage étendue sur deux siècles et demi (du xviie au milieu du xixe). Ce qui l’intéresse avant tout est de présenter l’idée que les voyageurs étrangers se sont formée des bibliothèques italiennes et de la culture livresque de la Péninsule. Au point de départ de sa réflexion se trouve l’idée d’une naissance, puis d’un accomplissement de l’Europe, en tant qu’identité culturelle, sur l’arrière-fond du monde du livre. On connaît la thèse de Frédéric Barbier selon laquelle au début de l’âge moderne l’histoire du livre se déroule prioritairement sur l’axe Anvers – Venise, qualifiant de périphéries les régions qui se trouvent à une certaine distance de cet axe. F. Sabba a raison de prolonger cet axe jusqu’à Londres au milieu du xviie siècle. Elle évoque, comme autant de tissus du continent européen, les réseaux des écoles, des universités et des espaces du livre. Elle commente aussi amplement ce qu’elle appelle les différents « modèles d’édition ». Le passage du modèle scolastique au modèle humaniste de l’édition implique une transformation majeure dans le domaine des bibliothèques également, puisque les collections qui n’étaient accessibles qu’à une élite restreinte, se voient remplacées, à partir de la seconde moitié du xviiie siècle, par des bibliothèques publiques qui transmettent à la postérité, avec une intensité et une efficacité inédites, la tradition culturelle et scientifique.
Un chapitre entier est consacré à ceux qui ont créé cette Europe, « Amici » – pour qu’une vraie amicitia puisse se former, la mobilité est de mise (aujourd’hui encore, les amitiés qui se forment uniquement par Internet ne sont jamais durables). La pratique du Grand Tour a pris naissance dans les milieux aristocratiques, mais les grands seigneurs étaient toujours accompagnés d’érudits et d’intellectuels, dont les usages allaient être imités par des ressortissants d’autres classes sociales qui pouvaient se permettre le voyage. N’oublions pas non plus ceux – Bollandistes et Mauristes par exemple – dont la vocation impliquait une sorte d’obligation de mobilité.
L’ouvrage de F. Sabba est écrit avec méthode. Dans son introduction, elle présente quelques unes des nouvelles orientations fondées sur la lecture méthodique et systématique de la littérature des voyages. Plusieurs colloques ont déjà été consacrés à ce sujet. Pensons à celui organisé en 2017 à Eutin (Bibliotheksreisen von der Antike bis in die Gegenwart) ou bien à Ravenne en 2018 (Patrimonio culturale condiviso : viaggiatori prima e dopo il Grand Tour).
Le volume s’ouvre par un exposé théorique consacrée à la lente formation de la pratique du Grand Tour. Les deux sous-chapitres qui suivent décrivent un programme de recherche consacré à l’établissement d’une bibliographie complète des voyages en Italie. L’auteure récapitule les critères selon lesquels le voyageur, érudit et/ou bibliothécaire, présente les bibliothèques italiennes qu’il a visitées – ce qui permet, sur la base d’exemples historiques, de dresser des modèles des descriptions possibles des collections. La seconde partie du volume étudie plusieurs corpus de correspondances, de celle des bollandistes jusqu’à celles de personnages importants ayant vécu au xixe siècle. Les protagonistes du livre sont, pour ne citer que quelques exemples, Godfrey Henschen, bollandiste belge (1601-1681), Jean Mabillon (1632-1707), le philosophe-bibliothécaire Gottfried Wilhelm Leibniz (1746-1716), ou encore Johann III Bernoulli (1744-1807), mathématicien et astrologue dont les souvenirs de voyages ont été publiés en 18 volumes (entre 1781 et 1878). Il est curieux de voir que dans cette partie, l’auteure étudie également la correspondance de quelques érudits qui n’ont consacré que peu de lignes aux bibliothèques qu’ils avaient visitées lors de leurs voyages (Jean-Jacques Barthélemy, Charles Dupaty, Joseph Spence).
La troisième partie de cette étude – la plus volumineuse – traite des bibliothèques italiennes elles-mêmes. Ces collections ont été présentées à la communauté culturelle de leur pays d’origine par des voyageurs dont les journaux et les récits de voyages allaient paraître sous forme imprimée après leur retour. Ces textes pouvaient donc servir de guides littéraires, pour le profit d’un grand nombre de lecteurs.
Certes, dans ce livre Fiammetta Sabba n’a pas pu fournir une bibliographie complète des récits de voyage italiens, ni même des ouvrages qui traitent des bibliothèques de certaines villes ou de certains personnages d’importance. Mais les notes en bas de page, ainsi que l’excellent index de l’ouvrage permettent de conduire des recherches sur les villes et les bibliothèques qu’elles abritent ; ils offrent au lecteur un excellent point de départ permettant de recapituler l’histoire des bibliothèques italiennes sous un nouvel aspect.