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Lectures du Journal helvétique 1732-1782. Actes du colloque de Neuchâtel 6-8 Mars 2014, éd. Séverine Huguenin et Timothée Léchot

Genève : Slatkine, 2016 (Travaux sur la Suisse des Lumières ; 18). 413 p., ill.

Virginie CERDEIRA

AMU, CNRS, TELEMMe, Aix-en-Provence

Fruit d’un colloque international réuni à Neuchâtel en 2014 à l’initiative de Séverine Huguenin et Thimothée Léchot, l’ouvrage s’intéresse à l’une de ces productions éditoriales titanesques de l’Ancien Régime. En étudiant les « acteurs, modèles, contenus et publics d’un périodique d’Ancien Régime », la rencontre de chercheurs issus de champs disciplinaires variés a permis de faire du mensuel neuchâtelois un objet d’étude à part entière. Le caractère « encombrant » (p. 23) de la source, à la fois plastique et prolixe – le Journal helvétique a réuni « quelque 85 000 pages d’articles » –, explique l’absence d’une monographie qui lui soit consacrée. La variété de son contenu, qui porte sur l’actualité tant politique, artistique et littéraire que scientifique des années 1732-1782, sans oublier la mention de « Nouvelles Historiques », joue aussi un rôle dans la difficulté d’appréhender globalement l’objet. Lectures du Journal helvétique 1732-1782 articule une analyse à la « perspective kaléidoscopique […] abordant le périodique sous différents angles […] dans le respect du parti pris […] de la variété. » et un examen plus synthétique de l’histoire du mensuel, auquel s’attellent les deux organisateurs du colloque dans leur propos introductif. Outre l’établissement de la définition la plus précise possible du Journal helvétique, les méthodes mobilisées visent aussi à une déprise des lectures traditionnelles du périodique, sévèrement jugé par certains de ses contemporains et longtemps réduit à « l’une des expressions fondatrices de l’identité nationale » (p. 15) selon la perspective helvétiste.

Le choix d’associer un propos global et seize études qui le prolongent est efficient. L’introduction apporte au lecteur une connaissance solide, précise et englobante du périodique, et propose un bilan historiographique centré à la fois sur les contenus du mensuel et sur l’histoire d’une entreprise éditoriale. Les auteurs examinent ensuite l’histoire du périodique. Ce travail est soutenu par la production d’une annexe chronologique de trois pages reprenant les titres, adresses et éditeurs successifs en fonction de périodes identifiées autour d’acteurs centraux. L’identification d’enjeux locaux et internationaux, à propos de la diffusion du mensuel, permet de comprendre le souci de renouveler le titre et de satisfaire un lectorat réel, mais aussi postulé voire espéré. Les deux directions proposées ici révèlent la centralité des enjeux économiques qui sous-tendent l’entreprise de rédaction et de publication du périodique, sans occulter l’influence du contexte culturel des Lumières suisses et européennes. L’introduction propose pour finir des perspectives permettant de compléter la connaissance du Journal helvétique. Il s’agit de poursuivre le questionnement sur la place du rédacteur (qui après 1784 lance le Nouveau journal de littérature et de politique) comme de situer le Journal helvétique dans le maillage européen de l’information à l’époque des Lumières.

Les études de cas distribuées en quatre parties proposent un itinéraire d’exploration de différentes facettes du périodique. La première partie, intitulée « Les périodiques et leurs publics », regroupe les articles de Michel Schlup et Silvio Corsini et étudie le Journal helvétique en tant qu’élément d’un système de circulation de l’information et de la culture en Suisse. La deuxième partie (« La formule éditoriale : souplesse et tensions ») réunit les six articles d’Anne-Marie Mercier-Faivre, Denis Reynaud, Jean-Daniel Candaux, Timothée Léchot, Béatrice Lovis et Valéry Cossy. Elle travaille la question des transformations du périodique afin de satisfaire divers lectorats, y compris le féminin. Les auteurs examinent le rôle joué par le courrier des lecteurs, posent la question de la place de la religion dans le traitement de l’événement ou encore la part de l’hélvétisation et de l’identité protestante dans le mensuel. Dans une troisième partie consacrée aux « Constitution et circulation des savoirs », les contributions de Jeanne Peiffer, Muriel Collart, Miriam Nicoli, Sophie Bisset (en langue anglaise) et Simone Zurbuchen donnent à voir la place prise dans le périodique par différentes disciplines scientifiques. La dernière partie examine « La réception des livres et des idées » à travers les textes de Pierre-Olivier Léchot, Stefano Ferrari et Alain Cernuschi. Elle revient sur le traitement des théories autour de la liberté de conscience, ainsi que sur la réception des Mœurs de Toussaint et de l’Encyclopédie par le Journal helvétique.

L’ouvrage s’achève sur une bibliographie générale (p. 395-401) suivie d’un index des noms propres. De nombreuses illustrations permettent au lecteur de se représenter la réalité matérielle de l’objet. Ces outils sont significatifs de la variété et des évolutions des contenus du périodique, expliquées par la transformation des contextes politique et culturel au cours de l’histoire éditoriale du Journal helvétique.

Le volume pose un jalon dans l’histoire de la presse et des médias d’Ancien Régime, en Suisse et au cœur de l’Europe des Lumières. Il comble un vide historiographique et renouvelle les lectures d’un média connu dans une perspective interdisciplinaire. Grâce à une vision d’ensemble du périodique, les auteurs réalisent un premier travail indispensable à la compréhension d’un système d’information qui doit passer par la comparaison et ne peut faire l’économie de la multiplication des monographies. Si cette première synthèse ne peut prétendre à l’exhaustivité, le défi est relevé. Elle pourra, à l’avenir, être étoffée par de nouvelles analyses, faisant la place à des perspectives peu mobilisées dans l’ouvrage, comme par exemple le travail sur les mises en page et en texte.