Colporteurs « sous le manteau », compagnons imprimeurs et intermédiaires du livre clandestin dans les papiers du commissaire Philippe-Aignan Miché de Rochebrune (1701-1774)
« Grand et gros », « droit comme un terme », « enveloppé d’une redingote grise qui cachait sa robe de magistrat et son rabat, Rochebrune imposait l’attention et le respect. D’autres fonctions moins formelles à la Bastille le transformaient en une espèce d’intendant, passant commande de vêtements pour les prisonniers ou gérant la fourniture des menus objets qu’ils sollicitaient. À la différence de la plupart de ses collègues, il passait pour un homme cultivé et à son aise. Ses intérêts en matière de littérature étaient vastes »1. Moins connu que l’inspecteur Joseph d’Hémery, auteur du fameux Historique des libraires2, le commissaire de Rochebrune n’est pas, loin s’en faut, un homme de l’ombre, même si les historiens ne lui ont pas prêté jusqu’à présent une attention suffisante3. Pourtant la masse des archives qu’il nous a laissée jusqu’à sa mort4, survenue en juin 1774, prouve son attention sans faille aux affaires de librairie. Fort de la confiance de ses supérieurs, il a été notamment chargé de la Bastille et des interrogatoires des prisonniers. Enraciné rue Geoffroy-l’Asnier dans le quartier Saint-Paul, Rochebrune a fait figure d’ancien et assure la formation de plusieurs commissaires5. La présente étude, fondée sur les papiers de ce commissaire, s’inscrit dans le cadre d’une histoire sociale et culturelle6 des petits délinquants de la librairie parisienne7. Elle s’appuie fortement sur l’histoire de la police parisienne et des mesures de contrôle social que la machine policière met en œuvre. Le contexte politique et religieux joue un rôle essentiel dans l’essor de la production d’ouvrages et de libelles séditieux, et conduit la police et les fraudeurs à adopter de nouvelles stratégies. La condamnation de la thèse de l’abbé de Prades (1752), l’arrêt du Conseil qui interdit l’Encyclopédie (janvier 1752), l’affaire des billets de confession (1753), la grève des parlementaires et leur exil à Pontoise (1753), l’attentat de Damiens (1757) et la suppression de la Compagnie de Jésus (1762) renforcent les divisions au sommet de l’État, imposant à la police un travail accru de surveillance. Précisons que si, dans les années 1740-1750, les fraudes se rapportent plutôt aux libelles jansénistes (souvent d’ailleurs diffusés par des femmes)8, elles prennent plus tardivement une nouvelle orientation et portent davantage sur des ouvrages dits « philosophiques »9.
À la faveur de notre enquête, il est possible d’aborder la diversité et la complexité du commerce clandestin. L’approvisionnement en livres défendus met en scène tout un peuple de voituriers, cabaretiers, marchands, petits colporteurs et compagnons imprimeurs. La bonne connaissance des itinéraires et des entrepôts leur permet souvent de tromper une police avide d’informations et obsédée par les pratiques de dissimulation des délinquants10.
Le corpus d’actes et l’activité du commissaire
Nous avons systématiquement dépouillé les minutes du commissaire de Rochebrune de 1742 à 1774 dans la série Y des Archives nationales11. Ce travail a été complété par l’exploitation des perquisitions et des interrogatoires conduits par lui dans les archives de la Bastille à la bibliothèque de l’Arsenal, dans le fonds français du département des Manuscrits de la BnF et par le manuscrit nouv. acq. fr. 1214 (« Affaires de librairie – Police 1750-1770 ») dont l’ensemble comporte 651 actes concernant des affaires de librairie. Dans cette documentation, nous avons privilégié les actes (286) se rapportant aux petits métiers du livre (impliquant 200 personnes), en excluant les nouvellistes déjà largement traités par François Moureau et les libraires-imprimeurs dûment établis.
Répartition des actes du commissaire de Rochebrune 1742-1773 (total 286 actes)
TYPE D’ACTE | NOMBRE | % |
Arrestations12 | 21 | 7,4 |
Déclarations | 9 | 3,1 |
Interrogatoires | 74 | 26 |
Perquisitions et visites | 152 | 53,1 |
Saisies de livres | 17 | 6 |
Vente imprimerie (Michelin)13 | 1 | 0,3 |
Divers et indéterminés | 12 | 4,1 |
Au début de sa carrière, Rochebrune s’occupe principalement d’affaires concernant les nouvelles à la main, puis, dans la seconde moitié des années 1760, il ralentit son activité et son confrère Pierre Chenon le remplace progressivement14. Les années les plus prolifiques en actes concernant les petits délinquants de la librairie sont les suivantes : 1751 (19), 1752 (19), 1753 (32), 1757 (27), 1765 (25), 1766 (24)15. À elles seules les années 1751 à 1759 représentent 44,7 % de l’ensemble des actes recensés. La crise de 1753 liée au refus des sacrements pour les fidèles soupçonnés de jansénisme alimente un nombre considérable de libelles. Ainsi l’imprimeur clandestin Louis Cloche16 profite de l’exil du parlement à Pontoise pour tirer environ 25 titres17. Sur 14 titres dont on connaît les quantités saisies par Rochebrune et d’Hémery, on arrive à un total de 16 500 exemplaires. Nous ignorons en revanche les tirages des livres « philosophiques ». Toutefois, les saisies de ces ouvrages marquent les années 1760, et particulièrement 1765 et 1766 : le Dictionnaire philosophique portatif (de Voltaire, 1765)18, Dom B… ou le Portier des Chartreux, saisi en 176619 ; La Putain errante20 publiée en 1760 ; L’École des filles21 (1759) ; De l’Esprit (d’Helvétius, 1758)22 ; L’Anti-financier (de Darigrand, 1763)23, etc.
Incarcérations par type de métiers (98 incarcérations recensées)
MÉTIERS | NOMBRE D’INCARCÉRÉS |
Colporteurs | 44 |
Compagnons imprimeurs | 14 |
Relieurs/brocheurs | 7 |
Imprimeurs clandestins | 6 |
Apprentis, garçons et filles de boutique | 10 |
Imprimeurs, libraires | 4 |
Divers | 13 |
TOTAL | 98 |
Le temps de détention n’est connu que pour 59 délinquants, mais deux colporteurs sont déchargés de peine et seul Jean-Baptiste Padeloup subit une incarcération de cinq ans. Plus de 40 % des personnes détenues sont des colporteurs et 24 % des compagnons ou garçons imprimeurs. Toutefois, leur peine excède rarement six mois, alors que les imprimeurs clandestins subissent généralement une condamnation supérieure à un an24. Parmi tous les actes effectués par le commissaire de Rochebrune, les perquisitions et les visites sont les plus nombreuses : 152 (53,1 %). Rochebrune n’a pas toujours œuvré avec d’Hémery, puisque celui-ci n’intervient pleinement dans les affaires de librairie qu’à partir de 1748. Avant cette date, les perquisitions sont majoritairement assurées par Jean Perrault, lieutenant de la prévôté générale des Monnaies. On trouve cependant en 1745 le lieutenant du guet Martin Farcy de Saint-Marc25 lors de l’intervention effectuée chez Marie-Angélique Baurain. Durant l’année 1747, Rochebrune conduit l’arrestation de Jean Forestier en compagnie de l’inspecteur Jacques Dadvenel26, et en 1748, l’inspecteur Jean Poussot seconde le commissaire dans une perquisition chez Michel27.
Ces interventions ont lieu à la demande du Magistrat, autrement dit le lieutenant général de police de Paris, lui-même porteur d’un ordre du Roi28. Dans un petit nombre de cas, ce sont les syndics et adjoints de la librairie parisienne qui procèdent à la réquisition des policiers, souvent en vertu d’un arrêt du parlement29. Lors de la perquisition, les policiers sont tenus d’avertir le suspect des raisons de leur présence. Ils vérifient succinctement son état civil (mais non systématiquement) et procèdent ensuite à la fouille des commodes, lits, tiroirs, armoires et vêtements30. Les imprimés et livres saisis sont paraphés et envoyés avec le procès-verbal au lieutenant général de police. La plupart des fraudeurs refusent de signer le procès-verbal. Si un petit nombre déclare ne savoir ni lire, ni écrire, les autres s’en tiennent à leur refus mais sans le justifier. On peut cependant avancer une ou deux hypothèses en s’appuyant sur l’interrogatoire du libraire Jean-François Musier (1703 ?-1777)31. Au cours d’une perquisition dans sa boutique, les policiers découvrent des imprimés publiés sans approbation ni privilège. J.-F. Musier refuse de parapher les documents en précisant que sa clientèle est fondée à lui réclamer ces « imprimés fugitifs », « auxquels la nouveauté donne quelque valeur en excitant à la lire [cette littérature] et que la nécessité de conserver ses pratiques qui se choqueraient d’un refus a mis le répondant dans une obligation indispensable d’avoir de ces pièces fugitives qui se vendent au Palais et dans les maisons royalles ». Ainsi le refus de signer un procès-verbal apparaît-il moins comme une attitude de défi vis-à-vis des injonctions policières que comme une manière de mettre les autorités devant leurs contradictions. Puisque la législation est impossible à respecter pour des raisons économiques et d’ordre public, et que l’administration montre sa tolérance en pratiquant les permissions tacites, les fraudeurs se disculpent en insistant sur le jeu des protections et des permissions qui répandent un sentiment de désordre et d’impunité dans le monde de la Librairie32. N’est-ce-pas aussi une manière de signifier que les clients réclamant des « nouveautés » sont souvent des personnes haut placées dont l’influence peut mettre à l’abri certains fraudeurs ?
En dépit d’informateurs qualifiés, de colporteurs et de garçons imprimeurs qui travaillent « à la police », eux-mêmes surveillés par d’autres mouches33, les perquisitions sont loin d’être toujours fructueuses et il n’est pas rare que les policiers repartent bredouilles. Perquisitionné une première fois le 6 mai 176634, puis de nouveau le 4 mars 176735, Mathieu Laurent (1744 ?-179. ?) est, d’après d’Hémery, « étaleur et colporteur sans qualité » ; il habite avec son frère Jean, rue Galande, et ne détient que des livres permis. Garçon de boutique chez la veuve de Nicolas-Bonaventure Duchesne, on tente à plusieurs reprises de le prendre en faute mais sans résultat. D’après Jean-Dominique Mellot36, Laurent est « visé » par l’inspecteur en 1763, en mars 1768, en 1769 et encore en 1771. Protégé par une clientèle aisée, il approvisionne notamment le comte de Rohan, le prince Ferdinand, le président d’Albertas… En 1771, il demeure rue de Tournon où il tient la boutique du libraire Guillaume-Pascal Prault37, lui-même gendre de Louis Capitaine, colporteur janséniste. Il devient par la suite libraire attitré de la Bibliothèque du Roi.
Certaines perquisitions peuvent donner lieu à des incidents imprévisibles : des suspects s’enfuient par les toits (cas de Georges Duparc38 et de François Beauvais39), d’autres jettent des livres par les fenêtres40. Le cas suivant est plus rare : en octobre 1753, la police perquisitionne chez François Sifflet, Jean-Pierre Auclou et sa femme, « … et comme le dit Sifflet est en danger de mort et qu’il va recevoir les sacrements, nous nous sommes retirés. Et cette circonstance a déterminé led. S. d’Hémery à ne point arrester lad. Marguerite Lignan, femme Sifflet »41. Dans le cas d’une perquisition chez Nicolas Ormancey en 175742, sa femme est laissée en liberté car elle tient dans ses bras un enfant. Cette compassion est sans doute inspirée par la volonté de ne pas indigner le voisinage43 : les comportements policiers sont à la fois empreints de compréhension et de pragmatisme.
Comme le souligne Daniel Roche, de nombreuses perquisitions préparées avec soin échouent « par suite de l’union des intérêts qui règnent dans les ateliers et les boutiques »44. Averti par un imprimeur de Troyes de l’arrivée des policiers à Provins, Louis Michelin se réfugie chez le sieur Boudier après avoir mis en sûreté ses papiers et ses imprimés. Par la suite il quitte la capitale, couche à Créteil et retourne dans sa ville natale. En 1761 son imprimerie est vendue aux enchères45 et lui-même déchu de sa maîtrise. Toutefois, en 1764, il est repéré comme espion de police ; lors de la rafle des colporteuses46, il est emprisonné à la Bastille le 11 décembre 1766 et y demeure jusqu’en juillet 176747.
D’après les papiers de la Bastille, le commissaire de Rochebrune est en relation constante avec les lieutenants de police successifs : demandes d’ordres du Roi, avis sur la moralité de tel colporteur ou marchand forain, envoi de procès-verbaux, détention provisoire de papiers et d’objets appartenant aux suspects sont autant d’occasions de correspondance. Dans une missive adressée à Bertin, Rochebrune révèle son emploi du temps à propos des interrogatoires de Jean-Claude Messagey et de sa femme Louise Gallois : « […] J’attendrai d’être revenu de la campagne, où je me rends demain, pour lever les scellés, pour vérifier les faits et recevoir la déclaration de cette fille ; à mon retour, je remettrai à M. Duval les pièces paraphées et celles qui ne l’ont point été. »48 Ces relations épistolaires montrent de la part du commissaire une volonté de clarté en situant toujours l’affaire dans son contexte policier et administratif. Le récit est sec, donne la priorité à l’information tout en insistant sur le passé du délinquant. Dans une missive adressée à Berryer est relatée la perquisition faite chez l’abbé Du Trouleau, auteur présumé « d’un Mémoire sur la prétendue assemblée générale de l’Oratoire… » et en fuite depuis 15 mois. Le commissaire demande au Magistrat la révocation de l’ordre du Roi car « la vie errante qu’il [le suspect] mène depuis 15 mois peut lui tenir lieu de punition pour son imprudence »49. Comme tout commissaire du Châtelet, Rochebrune met en valeur ses fonctions de juge et d’enquêteur, tout en donnant à son supérieur des conseils sur les mesures à prendre.
Il apparaît dès cette période que les conditions de production des archives de la police sont motivées par une volonté de synthèse qui tend à diminuer les aspects émotionnels de l’événement50. La transparence des rapports montre un désir de rationalité des méthodes policières et cela dès les années 1750. Mais le rôle central du commissaire de Rochebrune dans l’histoire de la Librairie ne doit pas faire oublier la diversité de ses fonctions. Travailleur acharné, il couvre de vastes domaines d’investigation : ainsi, entre 1751 et 1754, il intervient dans la répression des tripots clandestins à 32 reprises51. Notons par ailleurs que le binôme Rochebrune/d’Hémery réprime en 1757 et 1758 des loteries étrangères installées sur le sol français52.
Au nombre de 74 (soit 25,8 %), les interrogatoires sont conduits par le commissaire sur le lieu d’incarcération. Le modèle est toujours identique : après avoir conduit le prévenu dans la salle du Conseil du château (pour la Bastille), et fait connaître ses attributions, le commissaire procède à une vérification de l’état civil. Suit un interrogatoire, souvent long et procédurier, et qui dans quelques cas peut conduire à un second interrogatoire53. Celui subi par le colporteur normand Alexis Marais en 176554 peut être pris pour modèle :
S’il n’est pas vrai qu’il a été arrêté au Bourget près Paris vers le milieu du mois d’août dernier et qu’il a été saisi de quarante exemplaires ou environ de L’Espion Chinois en 6 volumes in-12 et nous l’avons interpellé de nous déclarer par qui led. ouvrage lui a été fourni […].
A dit qu’il convient du fait et que lesdits quarante exemplaires avec cent autres lui ont été fournis par le S. Boubers libraire à Dunkerque et demeurant rue de l’Eglise […]
Interrogé quand et pourquoi lui a été procurée la connaissance dud. Boubers […]
A dit que le Né Legendre vendant du café et du chocolat qui court la campagne dit au répondant dans le mois de novembre dernier, si vous voulez avoir des livres deffendus vous devriez vous adresser au Sr. Boubers […].
Le commissaire cherche surtout à connaître le nom de l’auteur, celui de l’imprimeur, les réseaux de distribution de l’ouvrage, les quantités publiées et le prix auquel il a été acquis puis revendu. Éventuellement, des considérations apparaissent sur le format, la reliure, la présence d’illustrations, mais aussi les causes du « marronnage »55 et dans certains cas de la récidive. De fait, on dénombre 28 récidivistes sur 200 personnes recensées (soit 14 %)56. Le plus grand nombre d’interventions concerne deux femmes bien connues des services de police : la veuve Foliot (arrêtée une première fois en 1750, et qui poursuit son « marronnage » de 1751 à 1755)57, et la veuve Targny58 (perquisitionnée en 1749, arrêtée en 1752, de nouveau visitée en 1757 et 1760)59.
Lorsqu’un groupe de suspects est concerné par la même affaire, les protagonistes sont interrogés dans les vingt-quatre heures suivant leur arrivée au château. Il appartient au commissaire de choisir l’ordre de passage des prisonniers, et selon L. Bongie60, il est fréquent qu’il interroge d’abord les personnes les moins impliquées. Dans certains cas, Rochebrune multiplie les investigations et prend le temps nécessaire avant de confondre le suspect et de lui faire avouer ses forfaits. Le relieur Hallé est incarcéré au Petit Châtelet en 1763 pour l’ouvrage de Voltaire Saul (BnF, NAF 1241, f. 411 r°-v°, 6 août 1763). Il en a donné à coudre 62 exemplaires à une de ses voisines. D’après le commissaire, il faut « le préparer un peu et nous donner le temps de faire les perquisitions suivantes ».
Les délinquants : mobilité et localisations
Pour les colporteurs illicites, la mobilité ne résulte pas forcément de la misère ou du manque d’intégration sociale. Au contraire, elle est au cœur de la vie du marchand itinérant, elle facilite les rencontres, les règlements financiers, la circulation des manuscrits et des feuilles imprimées. Elle s’inscrit aussi dans la sociabilité bien connue du cabaret. Le jeu du crédit, le partage des exemplaires et la circulation des ballots de la banlieue et de la province vers Paris font émerger des réseaux de compagnons imprimeurs et de colporteurs « sous le manteau ». Ils laissent entrevoir une certaine solidarité et des stratégies complexes face à une clientèle souvent exigeante. Les exemplaires clandestins font l’objet de flux incessants depuis les entrepôts de stockage jusqu’aux amateurs de livres pornographiques, politiques ou jansénistes.
Cette mobilité est généralement connue de la police qui agit le plus souvent avec modération. Entre 1770 et 1789, on trouve moins de cinq livres brûlés ou lacérés chaque année sur décision de justice. On connaît la célèbre phrase de Diderot : plus la proscription est sévère, « plus elle hausse le prix du livre, plus elle excite la curiosité de le lire, plus il est acheté, plus il est lu… »61. La profusion du commerce clandestin et les techniques de dissimulation créent un vide juridique qui se prête à toutes les équivoques. Le comportement pragmatique et englobant de la police est en grande partie dicté par les exigences de la conjoncture religieuse et politique. L’essor des permissions tacites, des permissions simples ou des simples tolérances62 est le reflet de nouveaux modes de sociabilité et de circulation dans une ville de 700 000 habitants à la veille de la Révolution. Ces nouvelles dispositions prennent en compte l’état de l’opinion, les enjeux de pouvoir, mais elles favorisent aussi de nouveaux moyens de chantage et de menaces vis-à-vis des diffuseurs clandestins – procédures moins voyantes en tout cas qu’un autodafé devant le Palais.
L’audace des colporteurs s’explique souvent par les réseaux d’entraide et par la complicité active de la police en échange d’informations sur les auteurs et sur les compagnons imprimeurs63. Le 13 janvier 1766, Pierre-Nicolas Gauguery, colporteur depuis deux ans, envoie des ouvrages à Montreuil de la part de l’imprimeur-libraire de Rouen Jacques-Jean-Louis-Guillaume Besongne, puis au village d’Issy chez Michel. Il n’effectue pas moins de dix voyages en passant sous sa redingote des exemplaires du Dictionnaire philosophique (portatif), des Actes de l’Asssemblée du clergé et du Code évangélique64.
Jean-Baptiste Germont, commissionnaire et voiturier à Bourg-la-Reine, tient son commerce dans une hôtellerie à l’enseigne « À la Ville d’Amiens ». De 1751 à 1762, il fait l’objet de plusieurs perquisitions. En 1751, un ballot d’ouvrages contrefaits destiné à Versailles est déposé chez lui par un roulier venant de Lyon. Ce dernier lui indique que la livraison doit exclusivement se faire sur une lettre de voiture qui lui sera adressée par la veuve Simon, commissionnaire à Lyon65. En 1758, après l’interdiction de De l’Esprit d’Helvétius par le Conseil d’État, Rochebrune et d’Hémery mettent la main sur 44 exemplaires de l’ouvrage : les livres proviennent de Lyon par l’intermédiaire de Thomas, cabaretier à Charenton. D’Hémery reconnaît sur les ballots l’écriture de Jean-Marie I Bruyset (1719-1793), imprimeur-libraire à Lyon66.
À la même date, Louis Michelin, imprimeur à Provins déjà cité, tire, en trois volumes in-12, 2 500 exemplaires De l’Esprit sans permission ni privilège et sous la fausse adresse d’Amsterdam, « chez Arkstée et Merkus ». André Tissier, marchand de bières, fait entrer à Paris des exemplaires qu’il dépose à son domicile rue Maubuée. En 1759, Michelin s’installe rue Geoffroy-l’Asnier à l’hôtellerie du Cheval rouge – implantation qui a de quoi surprendre car pouvait-il ignorer que dans cette petite rue résidait le commissaire de Rochebrune ? Toutefois, rien n’indique à cette époque que Michelin soit espion de police. Il profite de son installation au Cheval rouge pour envoyer à l’intention de Laurent-François I Prault 800 exemplaires De l’Esprit à Villiers-sur-Seine. Il écoule également l’ouvrage d’Helvétius à Châlons chez Lamoureux, compagnon imprimeur et cabaretier67.
Le cabaret, le café et en général les débits de boissons sont des lieux propices aux rencontres des colporteurs qui œuvrent souvent en association. Voici Louis Redon, colporteur de livres, et Charles-François Personne qui engagent leurs tractations au cabaret de la Corne68. Le marchand d’estampes Germain Renault vend à Hubert Le Comte69, compagnon imprimeur chez Chardon, dans un cabaret qui fait face à l’église Saint-Denis-de-la-Chartre, île de la Cité, des exemplaires de Dom B… ou le Portier des Chartreux, de Thérèse philosophe et de La Putain errante. La femme du nommé Pottier distribue des chansons, imprimées par Charles Pecquet (1711 ?-1761 ?) pour 12 livres, rue de la Huchette, au cabaret « Le Petit Trou »70.
Lieux d’habitation des délinquants
Les lieux d’habitation des « délinquants du livre » font apparaître, au-delà du réseau des cabarets, une géographie très diversifiée dans la capitale et à ses abords. 156 adresses sont indiquées lors des perquisitions et interrogatoires conduits par le commissaire. Au total, sept quartiers rassemblent 63 % des résidents : Saint-André-des-Arts, Saint-Benoît, la Cité, le Louvre, le Palais-Royal, Montmartre, la Grève, et 30 % se concentrent dans quatorze rues71. L’enquête de Youri Carbonnier sur l’emplacement des professionnels du livre établis montre une similitude avec les lieux d’habitation des diffuseurs et marchands ambulants suspects de fraude. 39,9 % des gens du livre affiliés à la chambre syndicale parisienne résident dans le quartier Saint-Benoît et 35,6 % dans celui de Saint-André-des-Arts72. Les lieux de diffusion du livre clandestin sont cependant d’une grande diversité et certains revendeurs occupent plusieurs boutiques. Si quatre d’entre eux sont installés sur des quais non autorisés73, d’autres proposent leurs marchandises dans de minuscules échoppes, souvent sous des noms d’emprunt. Mais les lieux de résidence des marchands sous le manteau et des compagnons imprimeurs varient peu par rapport aux points de vente permis : ils habitent dans le quartier du livre, ce qui leur permet d’observer les flux d’ouvrages, d’organiser des ateliers illicites et de trouver plus facilement des clients. Notons que les garnis et les hôtels ne se prêtent pas aisément à des activités frauduleuses et au stockage de grosses quantités de papier et d’ouvrages, encore moins à la présence d’ateliers clandestins. La plupart des fraudeurs logent en chambre74 ou au premier étage d’une boutique, parfois chez leur employeur : ainsi la femme Alano (Françoise Allaneau), fille de boutique de la veuve de Jean-Pierre Auclou (Geneviève Brigny dite la Grande Javotte), habite chez sa maîtresse rue de la Calandre, à l’Image Sainte Geneviève75. Martial Blanchon76, compagnon imprimeur chez Pierre-Alexandre Le Prieur, demeure dans une chambre au quatrième étage au-dessus de la boutique, rue Saint-Jacques. De même, le compagnon Antoine Chapelle, en 1757, réside au quatrième dans la maison occupée par Jacques-Hubert Butard, libraire-imprimeur77.
Diversité des métiers impliqués et stratégies de dissimulation
À la diversité des implantations répond celle des métiers concernés par la fraude de librairie.
Diversité des métiers (186 métiers indiqués pour 200 personnes)
TYPE DE MÉTIERS | NOMBRE | POURCENTAGE |
Petits métiers | 4 | 2,1 |
Métiers du transport | 6 | 3,3 |
Employés | 6 | 3,3 |
Colporteurs + mds sous le manteau (87) + mds forains (12) | 99 | 53,2 |
Compagnons imprimeurs | 41 | 22 |
Relieurs et brocheuses | 19 | 10,2 |
Marchands divers | 8 | 4,3 |
Divers | 3 | 1,6 |
TOTAL | 186 | 100 % |
Colporteurs et petits diffuseurs
Le tableau ci-dessus fait apparaître une majorité de diffuseurs clandestins. Ces petits revendeurs sont difficiles à cerner. Nombre d’entre eux sont dévoués à la cause janséniste. 13 colporteurs jansénistes sont perquisitionnés en 1753 par Rochebrune : Paul Le Sage, Gilles-Joseph Bichois dit Belleville, Pierrot dit Pierre, Louis Capitaine, Balthazar Phelizot, Marchand78, ainsi que des femmes, quelques-unes marchandes établies, telles la veuve Amaulry (Jeanne-Louise Delamain, veuve de Gabriel) ou la veuve Robinot (Marie-Jeanne Vitry, veuve de Jean-Antoine)79. Chez huit personnes, des livres ont été saisis, mais Marchand, sans doute averti, a stocké les siens dans un cabaret. Après leur arrestation, les colporteurs ont tendance à se repentir mais invoquent souvent le désespoir. La femme L’Escuyer, qui avait déjà vendu La Chandelle d’Arras en 1765, distribue à nouveau des livres prohibés en 1766 et « dit qu’elle se souvient de son tort et que la misère l’a portée à vendre quelques livres défendus »80.
En 1757, la chambre syndicale établit un État des colporteurs de la Chambre qui se sont présentés dans le mois de mars 1757 en conséquence des ordres… Cette liste comporte au total 146 hommes et 17 femmes, soit 163 individus, ce qui dépasse largement le nombre réglementaire de 12081. Y figurent nombre de colporteurs étrangers à notre corpus, puisqu’ils sont théoriquement affiliés à la chambre syndicale des libraires. Mais on y repère aussi des noms de délinquants bien connus de Rochebrune. Ainsi Marguerite Lignan, veuve Sifflet, colporteuse depuis quatre ans, est considérée comme une « marronneuse »82. En revanche Jean-Baptiste Cliquet, 46 ans et colporteur depuis cinq ans, est jugé « bon sujet » alors qu’il apparaît dans notre corpus de délinquants en 1751, 175783, 1766 et 1767. Certains diffuseurs exercent un autre métier : marchand mercier (tels Jean Hamel (BnF, ms. fr. 22097) ou Levié (AN, Y//15819/A, 27 juillet 1759)), épicier (à l’instar de Pierre Norblin (AN, Y//15782, 12 octobre 1744) qui voyage à l’étranger pour son métier et à qui plusieurs particuliers ont demandé à ce qu’il leur rapporte des livres « sur les affaires du temps »). Les relieurs se prêtent souvent au jeu du colportage, ainsi Jean-Baptiste Padeloup84. Parmi d’autres métiers, on trouve un abbé (Martine), un commis des fermes du Roi (Joseph Prudent de Roncours), deux soldats (Jean Mathieu ou Isaac Pican, soldat de la Garde de Paris)85. Certains colporteurs sont connus pour porter les gazettes (Marie-Angélique Baurain dite Gazette, ou Joseph Devaux). Étienne Daubenton « est relieur et se mesle de vendre des livres et d’en colporter dans des maisons particulières »86. D’après la liste de 1757, Nicolas Martin (AN, Y//15831/A, 23 mars 1765), 53 ans, colporteur depuis dix ans, était auparavant domestique. Pierre Cologne (AN, Y//15818/B, 13 avril 1759), 54 ans, infirme, « mar[r]onne » des livres depuis quarante ans.
Un mémoire (BnF, ms. fr. 22115, fol. 304 et s.) constate, à la date du 21 mai 1762 :
Au mépris du Reglement de 1723 art. 4 qui fait deffenses a toutes personnes de faire le commerce des livres sans qualité, voyons avec chagrin de tous côtés des boutiques et des magazins ouverts au public, et le commerce, déjà trop affaibli par les circonstances des temps et le malheur de la guerre, presqu’entierement envahi par des colporteurs et brocanteurs de livres sans titre ni qualité.
Un peu plus loin est dénoncée « la facilité reprochable de quelques libraires retirés du commerce à prêter leurs noms à des gens sans aveu ».
D’autres encore se livrent à des fraudes en vendant ou prêtant leur plaque de colportage : lors de la perquisition menée chez Charles Pecquet87, « il s’est encore trouvé un particulier qui avait six recueils de chansons. Se nomme Jean-Baptiste Simonnet ayant la plaque du nommé Bienvenu, colporteur ». Fraude qui sera certainement punie sévèrement pour le fameux Simonnet et la veuve Bienvenu qui a lui a donné (ou vendu) la plaque de son mari88. Pour prévenir de telles infractions, « tous les ans, au printemps, d’Hémery faisait venir chez lui les colporteurs sans qualité qui vendaient sous le manteau, et notait leurs noms et leurs demeures »89. Ce processus d’identification des métiers ambulants ne cesse de se développer après 1760. Désormais, le témoignage écrit et solennel redouble les relations d’interconnaissance90. La création de 60 colporteurs de la Loterie, en 1748, va dans le sens d’un contrôle suivi et ordonné de cette population flottante, largement adepte de la fraude. Cette réforme très précoce accorde à l’écrit, dès 1748, une place essentielle dans le repérage des individus : inscription des colporteurs sur le registre de l’inspecteur de la librairie, possession d’une plaque numérotée et individualisée, certificat d’engagement et obligation de se présenter chaque mois de février devant l’inspecteur d’Hémery91.
L’implication significative des femmes
Qu’elles soient veuves de libraires établis, colporteuses, ayant de petites boutiques au Palais, relieuses, les femmes sont souvent impliquées dans des délits de librairie. Notre corpus en comprend 45 sur 200 personnes recensées (soit 22,5 %), parmi lesquelles 18 veuves, soit 40 % d’entre elles.
D’après l’Historique des libraires de d’Hémery, Paris compte, entre 1749 et 1752, 164 imprimeurs-libraires et 39 veuves (soit 19 %) en activité92. Les colporteuses que nous avons trouvées sont au nombre de 29 dont 10 veuves. Les autres femmes sont filles de boutique, femmes de compagnons imprimeurs, relieuses ou brocheuses.
Marie Ratillon93, brocheuse de livres, probablement apparentée au relieur Vincent-Louis Ratillon (1694 ?-1753), est veuve de Pierre Desprez, fondeur de caractères dont la famille a exercé la librairie à Paris depuis le xviie siècle. Elle habite rue du Mont-Saint-Hilaire et travaille pour Joseph Merlin (correspondant de Voltaire) qui lui a envoyé 200 exemplaires de la Philosophie de l’histoire94. Elle ne se souvient plus du titre de ce livre, seulement qu’il a été broché avec du papier gris. En 1759, Marie-Élisabeth Cherpuiseau, veuve de Pierre Fessard95, colporteuse rue de Bourbon, présente sur l’appui d’une échoppe, au cloître Saint-Germain-l’Auxerrois, des ouvrages sans permission ni nom d’imprimeur. Elle prétend avoir vendu quatre exemplaires du Cas à consulter96, imprimé par Jacques-Hubert Butard.
D’autres revendeuses font preuve d’une certaine audace en ignorant les injonctions des policiers qui ont bien du mal à les prendre en flagrant délit. Voici Marie-Catherine Beaujard, femme de Nicolas Rameau et balayeuse à la grand-chambre du parlement de Paris. Elle déclare vendre de la cire, des plumes et des « imprimés furtifs » au Palais. La nièce du libraire Jean-François Musier lui a vendu 25 exemplaires des Représentations faites au Roy par MM. de la Grande Chambre en présence de Du Châtel, premier laquais du président Molé. D’après une correspondance de d’Hémery à Berryer, la Beaujard est des « plus suspectes et vend ses ouvrages avec une effronterie singulière »97. D’Hémery propose de l’arrêter afin de découvrir l’auteur de ce libelle, « ce qui n’a pas été possible […] dans les visites que j’ai faites cet après-midi avec le commissaire de Rochebrune »98.
Colporteuse et vendeuse de gazettes, Marie-Angélique Baurain peut être suivie de 1745 à 1766. Arrêtée dans la rue en 1745 par Saint-Marc, lieutenant du guet, elle détient dans son tablier deux exemplaires du Catéchisme historique et dogmatique en deux volumes in-12 reliés, deux exemplaires de la Vie de M. Paris99 in-12 reliés et trois de La Vérité rendue sensible, tous achetés chez des libraires et destinés à être portés à l’abbé de La Roche, rue Sainte-Marguerite. La perquisition menée chez elle rue de Savoie le 9 décembre 1745100 révèle des exemplaires des Lettres chinoises, Lettres sur les Anglois, Mémoires d’une fille de qualité, Oronoko, L’Orpheline angloise et les quatrième et sixième volumes des Amusements des dames, tous brochés et sans permission. Les livres sont saisis et la Baurain conduite au For-l’Évêque. Intercèdent en sa faveur la duchesse du Luxembourg et messieurs Du Châtelet et Girault, secrétaire du premier président du parlement. Exilée à Brégy (près de Beauvais), son village natal, M.-A. Baurain récidive en 1749, puisqu’on trouve chez elle plusieurs brochures, dont des Illusions faites au public par la fausse description que Mr. de Mongeron a fait de l’état présent des convulsionnaires et des Lettres de M. l’évêque d’Auxerre au sujet du second tome de M. de Mongeron. Malgré la saisie, elle est laissée en liberté. En 1766, Marie-Angélique Baurain, dite maintenant « femme Saint-Germain »101, est inquiétée dans la rafle des colporteuses102 pour ses liens avec l’imprimeur Louis Michelin qui lui a vendu un exemplaire du Portier des Chartreux. Clémentine Dubois, alliée de Michelin, lui a confié un volume de Thérèse philosophe avec des figures, au prix de 13 livres. Elle avait déjà revendu Le Portier au prix considérable de 28 livres.
Parmi les femmes ou filles de libraires qui ont eu maille à partir avec la police figure la veuve de Pierre-Jacques Bienvenu (1706 ?-1776), successeur de son mari en 1740. Condamnée une première fois en 1742103, elle est arrêtée à plusieurs reprises entre 1744 et 1747, date à laquelle un arrêt du Conseil la condamne à 1 000 livres d’amende et la prive pour toujours de son statut de libraire. Après avoir envoyé une supplique au chancelier d’Aguesseau, en invoquant la misère et ses quatre enfants pour expliquer ses pratiques frauduleuses, elle récidive en 1748104.
La fragilité des revendeuses et leur précarité se laissent voir dans nombre de cas : à la requête du syndic et des adjoints de la chambre syndicale, d’Hémery et Rochebrune effectuent une perquisition le 2 avril 1757105 quai des Augustins, tout d’abord chez le sieur Morin puis chez Jacques Simon. Là se trouvent entassés environ 750 ouvrages de différentes teneurs. La femme de Simon « se met dans une fureur extrême disant qu’elle voulait attenter à ses jours ». En attendant, elle jette par la fenêtre tous les volumes placés sur une tablette. Les livres sont saisis, mais on ne trouve pas trace d’arrestation. D’autres revendeuses connaissent de grosses difficultés financières : Louise Gallois, épouse de Jean-Claude Messagey, compagnon imprimeur chez Jacques Chardon, et marchande de chapeaux, est embastillée pour avoir vendu à Pierre Desauges, commissionnaire en livres, des exemplaires des Mémoires pour Abraham Chaumeix106. D’après une lettre de Chevalier, major de la Bastille, au lieutenant de police Bertin, elle serait enceinte de plus de trois mois et sans la moindre ressource : « Cette femme fait pitié […], elle n’a point de pain […], couche sur la paille, est dans la dernière des misères, elle n’a ni parents ni amis à Paris »107. Certaines femmes, dépendantes ou non de leur famille, exercent un second métier pour compléter des revenus faibles (20 à 25 sols quotidiens108) ; de fait, la plupart des salaires féminins reculent fortement dans le dernier tiers du siècle et sont même inférieurs au seuil de survie.
Pour sauver leur couple, certaines acceptent de collaborer avec la police. Après la perquisition qui a lieu chez Beauvais dit Dauphiné, le 16 novembre 1752109, celui-ci se sauve avec un garçon imprimeur nommé Jacques-François Valade (futur maître imprimeur). Libérée du For-l’Évêque, la femme Beauvais revient à l’imprimerie et y trouve, en présence du commissaire, la demoiselle Normier, fiancée de Valade. Ce dernier a été débauché par Beauvais alors qu’il travaillait chez Jacques-François Quillau. La Normier avoue alors au commissaire (qui lui promet de laisser Valade libre) que Beauvais est caché chez sa mère, rue au Maire. Beauvais entre à la Bastille le 6 décembre 1752 et n’en sortira que le 5 mai 1755. Valade, lui, n’est pas inquiété, la promesse policière ayant été tenue110. D’autres situations aboutissent à des résultats inverses. Lors de la perquisition effectuée chez Louis Dufresne111, d’Hémery et Rochebrune ne détectent pas d’ouvrages délictueux, mais la femme Dufresne (Jeanne de La Ducri Fauvel, 35 ans) affirme que son époux a vendu 6 Portier des Chartreux, 3 Thérèse philosophe ainsi que la Vie de madame la marquise de Pompadour112.
Relieurs et relieuses
Maîtres relieurs et relieuses sont souvent impliqués dans le commerce clandestin. C’est le cas de la veuve Moreau, épouse d’un ancien relieur, qui vit en ménage avec Jean-Baptiste Cliquet, lui aussi relieur. La perquisition survient en 1751 dans sa boutique rue des Grands-Augustins, puis rue Saint-Jacques dans son appartement. Quand d’Hémery en rend compte à Berryer le 3 juillet113, il lui confie avoir trouvé 3 exemplaires des Plaisirs secrets d’Angélique114 et des titres jansénistes115 : 6 Lettres de l’archevêque d’Auch, 3 Epîtres à MM. du Clergé, 2 Lettres critiques sur l’examen des observations sur l’extrait du procès-verbal. Les livres sont vraisemblablement saisis mais les détenteurs ne sont pas inquiétés. Autre exemple, plus significatif, celui de Paul-François Padeloup, maître relieur rue Saint-Jean-de-Beauvais, 45 ans. Le 7 avril 1757, lors de la perquisition menée chez lui, on trouve 3 exemplaires de l’Extrait des registres du parlement séant à Rouen. Cet imprimé lui aurait été remis par M. Clément de Barville, avocat général en la cour des Aides. Lors de l’interrogatoire du 18 avril, on apprend que Padeloup a aussi donné à Jean-Baptiste Duchesne116, marchand mercier qui a quitté son commerce pour devenir colporteur, Le Nouveau Complot des Jésuites et les Lettres à un ami de province. Quand Rochebrune lui demande s’il n’a pas vendu d’autres titres, il ne veut pas répondre. Padeloup et Duchesne sont envoyés à la Bastille. Dix ans plus tard, en juillet 1767, Jean-Baptiste Padeloup, fils de Paul-François, sera à son tour embastillé. Selon d’Hémery il méritait « depuis longtemps une bonne retraite de quelque temps à Saint-Lazare ». Incarcéré en fait à la Bastille117, J.-B. Padeloup n’en sera libéré qu’en 1772, ce qui semble être la plus longue détention que nous ayons relevée.
Marchands et libraires forains
Dans son Quatrième Mémoire sur la librairie, Malesherbes, directeur de la Librairie, exprime sa méfiance vis-à-vis des forains : « Dans les provinces tout est rempli de marchands vagabonds, qui étalent des livres dans les foires, les marchés, les rues des petites villes. Ils vendent sur les grands chemins ; ils arrivent dans les châteaux, et y étalent leurs marchandises… »118 Dans sa quête de livres prohibés, Joseph d’Hémery se préoccupe donc aussi des libraires forains « qui courent les campagnes ». Leur mobilité les rend souvent insaisissables. En septembre 1760, les policiers parisiens patrouillent au parc de Saint-Cloud119 et d’Hémery rapporte : « J’ai l’honneur de vous rendre compte […] que ce seroit le cas de les arrêter et de saisir tous leurs livres parce qu’ils n’ont point de qualité pour en vendre et que la plupart sont contrefaits ou sans permission. D’ailleurs cet exemple est nécessaire pour reprimer l’indecence avec laquelle on vend et on imprime en Province les choses les plus deffenduës. » Le 3 août 1768, le binôme d’Hémery/Rochebrune retourne à Saint-Cloud120 et y trouve Bethisy et Leclerc, tous deux marchands de livres. Un nommé Yard, qui se tenait habituellement dans ce parc, s’est depuis fixé à Saint-Denis. Dans sa boutique portative, à la porte de l’abbaye, on trouve L’Anti-financier « et toutes sortes de livres défendus »121. Mais, note d’Hémery, « nous n’avons pas cru devoir l’arrêter […] parce que la faute ne nous a pas paru assez grave et d’ailleurs il a bien promis d’être plus circonspect à l’avenir. S’il retombe encore, la meilleure façon pour le punir seroit de lui deffendre absolument le commerce des livres ». De fait, il est fréquent qu’une simple admonestation remplace la peine pécuniaire122.
Les frères Louis et Antoine Ybert123 sont tous deux marchands forains normands opérant entre autres dans le diocèse de Chartres. Arrêtés le 30 septembre 1770 à l’hôtellerie du Puits à Pontoise, ils assurent que leurs livres ont été achetés chez les libraires parisiens Bauche et Bailly124. Antoine Ybert prétend que depuis deux ans, il ne s’occupe plus de livres prohibés. Mais il projetait en quittant Pontoise d’aller à Dourdan, Pithiviers, dans le Gâtinais, puis à Étampes, à Tourny sur le chemin d’Orléans, à la fête de Saint-Denis, et enfin à Nemours et à Montereau125.
Jean-Baptiste Lefebvre ou Lefèvre, surnommé « le Petit Lefebvre », bien connu de la littérature sur le sujet126, libraire à Versailles et suivant la Cour, est emprisonné une première fois en 1752. Fréquemment perquisitionné, il fait l’objet d’une surveillance policière attentive. D’après d’Hémery, Lefebvre est « en relation avec tous les libraires de Rouen et de Paris, pour les contrefactions et livres prohibés »127. Rappelons que Rouen, ville de 70 000 habitants en 1770, est en contact avec les autres grands centres éditoriaux du royaume et au-delà128. Lefebvre est de nouveau incarcéré au For-l’Évêque en août 1770. Sommé de dénoncer ses fournisseurs, les nommés Lelong et Lainé129, il révèle que le colporteur Pican (déjà arrêté en 1766)130 « vend aussi dans les campagnes ». Les policiers comptent alors sur Lefebvre et Albois131 pour aider à retrouver Nicolas Lelong, Michel Lainé et Isaac Pican. Ils mettent en place une stratégie impliquant la maréchaussée locale et leurs informateurs pour les capturer132.
Compagnons imprimeurs
Dans un Mémoire sur les garçons imprimeurs adressé à Berryer le 20 octobre 1755133, d’Hémery constate :
Depuis que j’ai l’honneur d’être chargé des ordres de M. le lieutenant général de police pour l’exécution des règlements concernant la Librairie, j’ay remarqué que les principales contraventions qu’il y a eu ont presque toujours été occasionnées par des compagnons et ouvriers imprimeurs. Les imprimeries de Pigache, de Broncard134, de Beauvais et de Cloche aussy bien que toutes les brochures les plus fortes qui ont paru sur tous les genres en sont la preuve […]. Cela ne paroit pas étonnant [… eu égard] au peu de discipline qu’il y a parmi ces gens-là, d’autant plus dangereux qui [i. e. qu’ils] sont au nombre de plus de six cents tous déterminés, sans conduite […] prêts à mal faire dès qu’ils en trouvent l’occasion, qui n’est que trop fréquent depuis bien des années.
En effet, les compagnons ou garçons imprimeurs (21,6 %) de notre corpus ont la plupart du temps fauté en travaillant dans des imprimeries clandestines ou ont tiré à l’insu de leur maître des impressions sous le manteau. D’après Philippe Minard, Paris compte 800 compagnons imprimeurs en 1757135 et le bon tiers est sans ouvrage. Louis Cloche, qui avait travaillé chez Moreau, s’en fait l’écho dans son interrogatoire136 et justifie par ce motif son activité clandestine :
Que si j’ai eu une imprimerie, ce n’a été que pour tâcher de gagner quelque chose et pour me délivrer de la captivité et du joug de l’esclave où les maîtres ont réduit leurs compagnons sous eux depuis 1725 […]. Que si il était permis aux compagnons de s’établir comme ils le faisaient devant 1725, il n’y aurait pas une seule imprimerie clandestine137.
Joseph-Simon Cadot de Condé138, exempt de robe courte, découvrit l’imprimerie de Cloche qui le soudoya d’une somme de 300 l. pour prix de son silence. En fait, Louis Cloche aurait travaillé avec Baubin139, sergent aux gardes, qui avait monté un atelier clandestin rue de l’Estrapade140. Cloche aurait employé le nommé Morel, garçon imprimeur chez François Delaguette (1714 ?-1756)141, et aurait été l’imprimeur attitré de Bonnet142 et de Lesage, colporteurs, ainsi que de la demoiselle Blaizeau, vendant des livres au Palais.
Michel Barail, 32 ans, natif de Grenoble et compagnon imprimeur rue du Mont-Saint-Hilaire, se trouve dans les lieux d’aisance lors de la perquisition effectuée dans l’imprimerie clandestine du cul-de-sac des Anglais, le 20 décembre 1765. Un garçon imprimeur de 22 ans, Joseph Adenet, et un marchand mercier, Jean Hamel, sont aussi présents. Au deuxième étage on découvre des casses, des caractères et un nommé Benoît Porte, qui tire les Remontrances du parlement sur l’état actuel du parlement séant à Pau. Après l’arrestation des quatre individus, c’est le directeur de l’imprimerie, Joseph Rougelot dit Raisin, qui est appréhendé chez lui rue de la Huchette. Cette imprimerie est supervisée par Thomas Le Paige, célèbre janséniste qui a fait l’objet d’une étude approfondie143. L’imprimerie avait déjà été repérée par le sieur Cherade, commissaire aux Guerres, le 1er mai 1763, mais selon d’Hémery « son imprudence […] a fait manquer l’affaire »144.
Moins connu, Jean-Baptiste-Julien Bertrand145 a imprimé chez la veuve de Jean-Baptiste Lamesle146 30 000 adresses à raison de 50 sols le mille en assurant « qu’il croyait avoir une permission du Magistrat ». Il a été arrêté et conduit au Petit Châtelet147. Les liens familiaux entre compagnons ou entre compagnons et imprimeurs favorisent les relations de confiance dans la diffusion des ouvrages illégaux. Sabot, qui travaille à l’imprimerie de la Loterie de l’École militaire, détient chez lui plusieurs lettres de Geoffroy Regnault, imprimeur à Lyon. Sabot lui envoyait plusieurs livres prohibés à imprimer, notamment les Recherches sur le Despotisme oriental. Il assure qu’il a agi « par bonté pour Regnault car son fils [Sabot] est en apprentissage chez lui »148. De même, en 1754, Claude-Philippe Robert, âgé de 19 ans, est employé chez Louis Cloche, son beau-frère, qui a monté une imprimerie clandestine149. D’autres encore officient chez des maîtres bien établis : Corset (chez Jacques-Hubert Butard), Hubert Lecomte et Jean-Claude Messagey (chez Jacques Chardon), Antoine Chapelle (chez la veuve de Christophe II David), François Bligny (chez Gabriel Valleyre). Cela dit la plupart des « garçons imprimeurs » ayant eu affaire à la police sont sans ouvrage. En arrêtant un contrevenant, le tandem d’Hémery/Rochebrune espère faire un exemple : ainsi, Louis Tranchard, 53 ans, prote chez la veuve Lamesle, a imprimé L’Explication d’un grand malheur qu’il compte vendre dans les campagnes autour de Metz, et le confie à Jean Mathieu, soldat de la milice, car, dit-il, l’ouvrage ne se vendrait pas à Paris. D’Hémery qui rend compte de son arrestation spécifie à la fin de sa lettre à Berryer : « Cet exemple fera très bon effet pour contenir toutes les petites imprimeries dans lesquelles on avait coutume d’imprimer toutes ces drogues. »150
En définitive, dans nombre de cas, l’atelier et la boutique constituent une source d’informations de première main pour les limiers de la police : les employés interrogés lors des perquisitions, même s’ils restent prudents dans leurs déclarations ou manient avec habileté des contre-vérités, glissent parfois des renseignements qui permettent aux forces de l’ordre de remonter « à la source » d’une affaire. La présence de clients qui viennent demander « des nouveautés », les contrefaçons cachées sous les comptoirs, les informations qui circulent sur les confrères font de la librairie-imprimerie un lieu de sociabilité intense où l’on ne ménage pas ses propos.
L’essor de la production livresque et de l’alphabétisation, la multitude des libelles et des livres « philosophiques » mis sur le marché amènent la police à prendre en compte de manière permanente la dangerosité de ce commerce, dans un esprit de modération et de prévention tout à la fois151. Cependant, les réseaux étudiés montrent bien la difficulté que rencontre la police du livre, face à des colporteurs malins, récidivistes, à des relieurs qui se mêlent de colportage « sous le manteau », et à des compagnons qui trahissent leur maître ou se mêlent de monter des imprimeries clandestines. L’arrestation et l’interrogatoire des délinquants sont les moyens de remonter à la source du délit : auteurs, imprimeurs, diffuseurs. Et ici le rôle du commissaire de Rochebrune, policier actif, solide et cultivé, en étroite collaboration avec l’inspecteur d’Hémery, apparaît primordial. Le commissaire informe régulièrement le lieutenant de police de ses activités, au moyen de rapports marqués par une grande précision et une haute considération de sa fonction. Les archives mettent en valeur le grand professionnalisme du binôme Rochebrune/d’Hémery et la part qu’ils ont prise au perfectionnement de la machine policière parisienne des Lumières. Les informations circulent en permanence entre les deux policiers dans le respect des pratiques et des attributions de chacun. Ils jugent de l’attitude à tenir lors de certaines affaires avec l’accord du Magistrat : attendre et voir venir, laisser tel délinquant en liberté pour obtenir des renseignements plus sûrs, refermer la nasse sur toute une filière mais à coup sûr et sans bruit… Rochebrune, à travers ses interrogatoires, recoupe les propos des suspects, contextualise les affaires et se tient au plus près de la vérité. D’autres recherches embrassant différents aspects de ses activités permettront d’affiner notre connaissance des pratiques de cet éminent commissaire qui apparaît comme un rouage essentiel de l’institution policière au xviiie siècle.
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1 Laurence L. Bongie, La Bastille des pauvres diables. L’histoire lamentable de Charles de Julie, préf. F. Moureau, Paris, PUPS, 2010, p. 246-247, qui cite Diderot, Œuvres complètes, Paris, Club français du livre, 1970, t. IV.
2 J.-D. Mellot, Marie-Claude Felton et Élisabeth Queval, La Police des métiers du livre à Paris au siècle des Lumières. Historique des libraires et imprimeurs de Paris existans en 1752 de l’inspecteur Joseph d’Hémery, Paris, BnF, 2017. En 1748, Joseph d’Hémery (1722-1806) accède à la charge d’« inspecteur sur les ports de Paris des marchandises de livres et d’estampes ». La même année, il devient l’un des quatre inspecteurs de la librairie chargés de veiller à « l’exécution des règlements concernant la librairie et la conduite des colporteurs ».
3 Notons cependant l’étude de F. Moureau, « Les secrètes lectures du commissaire de Rochebrune », dans La Plume et le plomb. Espaces de l’imprimé et du manuscrit au siècle des Lumières, Paris, PUPS, 2006, p. 609-614 et, du même, Répertoire des nouvelles à la main : dictionnaire de la presse manuscrite clandestine, xvie-xviiie siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1999 ; Emmanuel Boussuge et Alain Mothu, « Les pérégrinations d’une liste de mauvais livres (1749) », La Lettre clandestine, n° 22, 2014, p. 253-288. Voir aussi Gudrun Gersmann, Im Schatten der Bastille. Die Welt der Schriftseller, Kolporteure und Buchhändler am Vorabend der Französischen Revolution, Stuttgart, Klett-Cotta, 1993.
4 Nous avons également utilisé le manuscrit 12714 de l’Arsenal intitulé « Etat des affaires de la Bastille, Vincennes et Charenton, retirées de chés M. le commissaire de Rochebrune après son décès en vertu des ordres de sa Majesté, addressé à M. le commissaire Chenon » (1743-1774) qui recense 876 cas uniquement pour la prison de la Bastille. Notons que Rochebrune recevait 4 livres par jour pour être en charge des affaires de la Bastille, Vincennes et Charenton.
5 Vincent Milliot, « Saisir l’espace urbain : mobilité des commissaires et contrôle des quartiers de police à Paris au xviiie siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2003, n° 50-1, p. 54-80 (p. 78). Philippe-A(i)gnan Miché de Rochebrune est né en 1701 de Jacques Miché, expert juré architecte à Paris. En septembre 1730, il épouse Gabrielle Bouillerot, fille d’un maître tanneur (AN, MC, XL, 3, contrat du 7 septembre 1730). Il habite alors rue Saint-Victor-du-Chardonnet, paroisse Saint-Étienne-du-Mont. Il aura deux filles, Catherine-Gabrielle et Marie-Anne. Le 3 août 1735, après des études de droit, il acquiert une charge de commissaire au Châtelet de Paris.
6 D. Roche, « Dialogue avec Christophe Charle sur l’histoire du livre », Histoire et civilisation du livre, n° 7, 2011, p. 375.
7 Ce travail annonce la rédaction d’une étude sur l’ensemble des activités du commissaire de Rochebrune : sa culture matérielle, le détail de sa bibliothèque qui comptait 3 554 titres à sa mort, les personnes déposant plainte à son bureau de police, etc.
8 Par exemple Madeleine-François Gérard, femme de Jean Villette, dont d’Hémery dit « qu’elle est une janséniste encore plus fanatique que son mari », La Police des métiers du livre…, op. cit., notice 258, p. 441-442. Au cours de la perquisition du 26 août 1751 (AN, Y//15799/A), elle avoue avoir donné à l’imprimeur Jacques-Hubert Butard le manuscrit intitulé « Précis des modifications… » mais se rétracte par la suite. Libraire quai des Augustins, Marie-Jeanne Vitry, veuve de Jean-Antoine Robinot, est également très attachée au parti janséniste, ibid., notice 224, p. 396, et BnF, NAF 1214, f. 13 : perquisition du 22 mai 1751.
9 Françoise Weil (« Philosophiques, livres », dans Dictionnaire encyclopédique du livre, Paris, Cercle de la Librairie, 2002-2011, t. III, p. 205) cite Robert Darnton : « Par philosophie les hommes du livre sous l’Ancien Régime n’entendent pas les Lumières, mais plutôt un secteur crucial de la librairie du xviiie siècle, celui de l’illicite, de l’interdit, du tabou. »
10 Vincent Milliot, « L’Admirable Police » : tenir Paris au siècle des Lumières, Seyssel, Champvallon, 2016, p. 288. Lors des crises politiques et religieuses, les policiers visitent des adresses qui se situent de préférence dans le même périmètre : ainsi, le mercredi 28 novembre 1753 d’Hémery et Rochebrune effectuent quatre perquisitions à partir de 11h30 du matin jusqu’à 18h. La grève des parlementaires et l’affaire des billets de confession les conduisent à 11h30 chez la veuve Foliot (place du Vieux-Louvre), à 12h30 chez Padeloup rue du Plâtre (quartier Saint-Benoît), à 13h chez Boulain, rue de la Licorne (Cité) et à 18 h chez Capitaine, rue de la Juiverie (Cité). AN, Y//15805/B, 28 novembre 1753.
11 AN, Y//15768-15850.
12 Il s’agit de personnes arrêtées dans la rue ou aux barrières de la capitale.
13 BnF, ms. fr. 22094, f. 234 : vente d’imprimerie.
14 Justine Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières. Les commissaires du quartier du Louvre dans la seconde moitié du xviiie siècle, Paris, École des chartes, 2012, p. 313. Le ms. Bastille 12629 (non folioté) comporte une lettre d’Antoine de Sartine au comte de Jumilhac qui précise que le commissaire Chenon remplace Miché de Rochebrune pour les affaires de la Bastille (datée 8 juin 1774).
15 Daniel Droixhe, « La rafle des colporteuses parisiennes de 1766. Un essai de topographie et d’économie du livre prohibé », 2012, https ://orbi.uliege.be/bitstream/2268/200456/1/Droixhe Rafle 4-2012.docx : « L’été 1766 avait vu la fronde parlementaire des États de Bretagne et l’opposition conduite par La Chalotais contre l’autorité royale prendre une telle ampleur que la France entière s’en trouvait perturbée. »
16 BnF, ms. fr. 20092, f. 360 et s.
17 Arrêtés du Châtelet de Paris au sujet des lettres patentes du Roi (3 textes) BnF, Ld4-2540 : 1 800 ex., Discours de M. Bulteau de Franqueville au Parlement au sujet de sa réintégration : 500 ex., BnF, Ln27-3257 ; Exposé de ce qui s’est passé au Châtelet de Paris : 700 ex., BnF, Ld4-2541-2547 ; Très-humbles et très-respectueuses Représentations que font à monseigneur le chancelier les officiers du bailliage de Saint-Dizier : 1 000 ex., BnF, 8-Ld4- 2532 ; Mémoire intéressant sur les affaires du temps : 800 ex. BnF, Ld4-2503 ; Remontrances du parlement de Paris au Roi : 2 000 ex., BnF, Ld4-2488.
18 BnF, Z-27261.
19 Jean-Charles Gervaise de La Touche, Histoire de Dom B. portier des Chartreux, BnF, Res Enfer-326. E. Boussuge, « Histoire de la première édition de Dom Bougre (1740) », Dix-huitième siècle, 2017, n° 49, p. 393-416.
20 Bastille 12282 (Baurain) : La Putain errante, 1760, Arsenal 8-NF-5894 (2).
21 L’École des filles (1759), BnF, R-23755.
22 AN, Y//15818/B, 16 avril 1759 (Messagey et Gallois) : Helvétius, De l’Esprit, 1758, BnF, R-38304-38306.
23 BnF, ms. fr. 22096, f. 343 et s. (Machuel) : Darigrand, L’Anti-financier, 1763, BnF, 8-Lf76-110. Cf. D. Droixhe, « Une épidémie de « romans de finances ». Production, distribution et répression de l’édition clandestine à Rouen et Paris en 1763-1764 », La Lettre clandestine, n° 17, 2009, p. 157-189.
24 Champclos : 4 mois ; Briard-Descoutures : 12 mois ; Cloche : 23 mois ; Beauvais : 29 mois. Comme le souligne Sabine Juratic, les peines d’emprisonnement infligées aux colporteurs et surtout aux ouvriers travaillant dans les imprimeries clandestines « sont généralement plus lourdes que celles imposées aux membres de la communauté des libraires » (« Délits d’opinion et délits de librairie : libraires, colporteurs et police du Livre à Paris au milieu du xviiie siècle », La Lettre clandestine, 2009, n° 17, p. 33).
25 AN, Y//15784 : perquisition du 5 décembre 1745. Il collabore de nouveau avec de Saint-Marc en 1751 (perquisition chez François Tesson, AN, Y//15798/A : 19 juin 1751).
26 AN, Y//15789/A : arrestation du 16 septembre 1747.
27 AN, Y//15792/A : perquisition chez Michel, 1er août 1748.
28 Notons que « le souci des formes est, au-delà de sa justification réglementaire et administrative, une façon de construire la légitimation de l’action de la police, en particulier lorsque la répression l’emporte sur la médiation et la négociation de l’ordre » (V. Milliot, « L’Admirable Police »…, art. cit., p. 249).
29 Voir par exemple celui du 5 février 1757. Les visites domiciliaires des inspecteurs de la librairie ne remplacent pas celles des syndic et adjoints de la chambre syndicale des libraires parisiens. D’après Malesherbes, les interventions des premiers relèvent de l’ordre public alors que les seconds s’intéressent à la clientèle privée et aux libraires installés. Nicole Herrmann-Mascard, La Censure des livres à Paris à la fin de l’Ancien Régime (1750-1789), Paris, PUF, 1968, p. 94.
30 Notre lecture des perquisitions confirme le point de vue de Justine Berlière. Lorsque le délinquant est arrêté, il est souvent dit qu’on le conduit « au lieu de sa destination » sans autre précision. Ce type d’arrestation entraîne une certaine obscurité dans la procédure d’incarcération (J. Berlière, Policer Paris au siècle des Lumières, op. cit., p. 310).
31 BnF, ms. fr. 22093, f. 469 et s. : interrogatoire du 26 mars 1757.
32 N. Herrmann-Mascard, La Censure des livres à Paris, op. cit, p. 114 et s.
33 V. Milliot, « L’Admirable Police »…, op. cit., p. 155-159.
34 AN, Y//15833/B : perquisition du 6 mai 1766.
35 AN, Y//15836/A : perquisition du 4 mars 1767.
36 La Police des métiers du livre…, op. cit., notice 154, p. 296.
37 Guillaume-Pascal Prault serait le quatrième fils de Pierre Prault (notice d’autorité de BnF Catalogue général).
38 AN, Y//15802/B : arrestation du 24 avril 1752.
39 BnF, ms. fr. 22092, f. 394 et s. : perquisition du 5 décembre 1752.
40 BnF, ms. fr. 22092, f. 422 : perquisition du 5 novembre 1752. C’est le garçon de boutique qui défenestre les livres.
41 AN, Y//15805/B : perquisition du 27 octobre 1753.
42 BnF, NAF 1214, f. 240 : perquisition du 27 août 1757. En 1769, Ormancey, emprisonné, vend des livres à la Bastille, par exemple La Coutume de Paris par Ferrière, 2 vol. in-12, 5 livres (Bastille 12523, f. 239 (2)), les Œuvres de Corneille, 19 vol., 38 livres ; un Don Quichotte, 14 vol., 55 livres. Le 9 août 1769 la somme totale des livres vendus s’élève à 143 livres (Bastille 12523, f. 273).
43 Patrice Péveri, « Voisinage et contrôle social au xviiie siècle. Les Cartouchiens sous le regard des honnêtes gens », Mentalités, 1990, n° 4, p. 93 ; V. Milliot, « L’Admirable Police »…, op. cit., p. 196 : « Derrière la prise en charge collective de la vigilance, les voisins peuvent montrer leur indignation lorsque les policiers adoptent des modes d’action immodérés et dérégulateurs. » Voir également David Garrioch, La Fabrique du Paris révolutionnaire, Paris, La Découverte, 2013, p. 32 et s.
44 D. Roche, « La police du livre », dans Histoire de l’édition française, nouv. éd., Paris, Fayard, t. II, 1990, p. 104.
45 BnF, ms. fr. 22094, f. 234 : vente d’imprimerie.
46 D. Droixhe, « La rafle des colporteuses… », op. cit.
47 David W. Smith, « Helvetius, Voltaire and a French pirate : Michelin of Provins », Australian Journal of French Studies, 1970, n° 7(3), p. 289-298.
48 F. Ravaisson-Mollien, Archives de la Bastille, Paris, 1866-1904, t. XII, p. 450 (17 avril 1759).
49 Ibid., t. XV, p. 295-296 (23 novembre 1747).
50 J. Berlière, Policer Paris…, op. cit., p. 209 et suiv.
51 Francis Freundlich, Le Monde du jeu à Paris au xviiie siècle, thèse de doctorat, dir. Daniel Roche, université de Paris-I, 1989, 3 vol., t. I, p. 232.
52 Bastille, ms. 10099, f. 37-114, loterie de Cologne ; ibid., f. 383-418, loterie des Deux-Ponts ; ibid., f. 457-469, loterie de Hernsborg.
53 Bastille 12282 : interrogatoire de Cliquet daté 2 janvier 1767 : « J’ai vu, Monsieur, dans l’interrogatoire que vous avés fait subir au nommé Cliquet détenu au château de la Bastille que deux commis de la Gazette du commerce et dont il donne le signalement lui ont successivement vendu le Dictionnaire philosophique portatif et les Mémoires de M. de La Chalotais. Je vous prie de vous transporter de nouveau au château de la Bastille, et de lui demander en quel endroit ils lui ont vendu ces livres, si quelqu’un étoit présent, pourquoi il s’est adressé à eux, s’ils lui en ont vendu d’autres, s’il sçait d’où ils les tenoient et enfin tout ce qui pourroit servir à constater la déclaration qu’il en a faitte et à en acquérir la preuve. Je vous prie de m’envoyer copie de cet interrogatoire aussitôt qu’il sera fait. Je suis, Monsieur, votre très humble serviteur. De Sartine. »
54 BnF, ms. fr. 22097, f. 185 : interrogatoire d’Alexis Marais, 22 septembre 1765.
55 J.-D. Mellot, « marronner », dans Dictionnaire encyclopédique du livre, op. cit., t. II, 2005, p. 899-900 : « Le commissaire Delamare, premier à relever l’apparition dans l’univers de la librairie du verbe marronner en 1698, lui donne alors pour seul sens « faire le commerce de livres defendus ». Toutefois, dès la première moitié du xviiie siècle, marronner signifie aussi et surtout imprimer, publier des ouvrages clandestins. »
56 18 personnes récidivent une fois ; 5 deux fois ; 3 trois fois et 2 quatre fois.
57 BnF, NAF 1214, f. 3 : perquisition du 15 octobre 1750 ; Bastille 10302 : perquisition du 28 mai 1751 ; AN, Y//15801 du 19 février 1752 : saisie d’imprimés chez Moette et Targny ; AN, Y//15805/B : perquisition du 18 décembre 1753 ; BnF, NAF 1214, f. 133 : perquisition du 15 janvier 1755.
58 Sur ces personnages, voir La Police des métiers du livre…, op. cit., notices 82 et 162.
59 AN, Y//15793/B : perquisition du 12 août 1749 ; BnF, NAF 1214, f. 44 : arrestation du 8 juillet 1752 ; AN, Y//15813/A : perquisition du 5 février 1757 ; AN, Y//15820/A : perquisition et saisie, 23 février 1760.
60 L. L. Bongie, La Bastille des pauvres diables, op. cit., p. 246.
61 R. Darnton, Édition et sédition, Paris, Gallimard, 1991, p. 13.
62 Pour les définitions de ces types de permissions, N. Herrmann-Mascard, La Censure des livres à Paris, op. cit., p. 112 et s.
63 Des indicateurs jouent double jeu : ainsi Antoine Lefèvre, âgé de 22 ans, rédige des manuscrits pour Jean-Bernard Hennetout. Mis en contact avec l’inspecteur Bourgoin qui le charge de compiler un « État général des caffés et des traiteurs donnant à manger à table d’hôte », il trahit le policier en prévenant Hennetout de se tenir sur ses gardes. AN, Y//15799/A : interrogatoire de Lefèvre, 17 juillet 1751.
64 BnF, ms. fr. 22098, f. 402. Gauguery, reçu libraire en 1767 grâce à d’Hémery, subit de nouveau une perquisition en 1768 pour la détention des Mémoires de La Chalotais, puis en 1770 pour l’ouvrage Du droit du souverain dont il possédait des exemplaires en blanc. Malgré la saisie, il est laissé en liberté.
65 AN, Y//15799/A : saisie de ballots du 15 juillet 1751.
66 BnF, NAF 1214, f. 277 : perquisition du 19 octobre 1758.
67 BnF, ms. fr. 22094, f. 188 et s. : interrogatoire de Louis Michelin, 18 janvier 1761.
68 AN, Y//15829/A : déclaration de Louis Redon, 7 avril 1764.
69 Bastille, ms. 12282, f. 20 : interrogatoire du 28 décembre 1766.
70 AN, Y//15801 : perquisition du 26 février 1752.
71 Principalement : rue Saint-Jacques, rue de la Huchette, rue des Noyers, quai des Augustins, rue Galande, rue Notre-Dame, pont Notre-Dame, rue Saint-Honoré.
72 Youri Carbonnier, « Le cœur de Paris à la veille de la Révolution. Étude de géographie sociale », Histoire urbaine, 2002/2, p. 66-68.
73 Quai de Gesvres, quai Malaquais et quai Le Pelletier. Les deux seuls autorisés sont le quai de Conti et celui des Augustins.
74 Au cours du xviiie siècle, le modèle du logis à pièce unique progresse et concerne en 1780 63 % du logement populaire. D. Roche, Le Peuple de Paris…, op. cit., p. 121. Notons cependant que 13 délinquants sont domiciliés en appartement.
75 BnF, ms. fr. 22094, f. 210 : interrogatoire du 7 mars 1761.
76 AN, Y/15806/A : perquisition du 4 février 1754. En 1749, d’après l’Historique des libraires de d’Hémery publié par J.-D. Mellot et al., La Police des métiers du livre…, op. cit., Martial Blanchon est prote chez Charles-Jean-Baptiste Delespine (notice 71).
77 Bastille ms. 11982, f. 186 : interrogatoire d’Antoine Chapelle, 7 mars 1757. Il est conduit à la Bastille le surlendemain. Voir aussi P. Minard, Typographes des Lumières, op. cit., p. 143 : « Habitation et espace de travail ne sont pas dissociés comme ils le seront plus tard. »
78 AN, Y//15805/B : perquisition du 1er décembre 1753. Marchand vend des livres dans des cafés.
79 Il s’agit d’une libraire en titre ; nous l’avons cependant incluse dans notre corpus en tant que complice de colporteurs jansénistes. Voir La Police des métiers du livre…, op. cit, notice 224, p. 396.
80 Bastille ms. 12282 : interrogatoire du 16 décembre 1766.
81 BnF, ms. fr. 22115, pièce 108.
82 Perquisition du 27 octobre 1753 (AN, Y//15805/B).
83 Ayant participé à l’imprimerie clandestine de Champclos, il est déchargé de sa peine après avoir été condamné au carcan (BnF, ms. fr. 22093, f. 458). Il est de nouveau incarcéré en 1766 et 1767 pour débit de livres prohibés, puis en 1770. Il devient cependant colporteur de la chambre syndicale à partir de 1773 mais sa plaque lui est retirée en 1776. Voir F. Barbier, S. Juratic, A. Mellerio, Dictionnaire des imprimeurs, libraires, et gens du livre à Paris, 1701-1789. A-C, Paris ; Genève, Droz, 2007, p. 465-466.
84 Bastille ms. 12322, f. 18 et s.
85 AN, Y//15833 B : interrogatoire du 15 mai 1766.
86 AN, Y//15788/A : perquisition du 7 février 1747.
87 AN, Y//15801 : perquisition du 26 février 1752.
88 Louis Bienvenu, colporteur, voir la notice n° 161 du Dictionnaire des imprimeurs, libraires et gens du livre à Paris…, op. cit., p. 236.
89 Jean-Paul Belin, Le Commerce des livres prohibés à Paris de 1750 à 1789, Paris, impr. Belin frères, 1913, p. 81-82 ; BnF, NAF 1214, f. 148.
90 Vincent Denis, Vincent Milliot, « Police et identification dans la France des Lumières », Genèses, mars 2004, n° 54, p. 4-27 (p. 13 et 17).
91 Francis Freundlich, Le Monde du jeu à Paris. 1715-1800, Paris, Albin Michel, 1995, p. 156 et 159. Notons cependant que l’enregistrement et le fichage des colporteurs surviennent assez tôt dans le siècle. L’arrêt du Conseil du 28 février 1723 oblige les 120 colporteurs de la ville de Paris à indiquer leurs noms et domiciles dans le « Livre de la Communauté ». Ils sont tenus par ailleurs de porter une plaque de cuivre sur le devant de leurs habits où est inscrit le mot « colporteur ». Voir notamment J.-P. Belin, Le Commerce des livres prohibés…, op. cit., p. 79-80.
92 S. Juratic, « Les femmes dans la librairie parisienne au xviiie siècle », L’Europe et le livre. Réseaux et pratiques du négoce de librairie xvie-xixe siècles, sous la dir. de Frédéric Barbier, Sabine Juratic, Dominique Varry, Paris, Klincksieck, 1996, p. 247-276, tableau p. 256.
93 AN, Y//15831/B : perquisition du 3 juillet 1765.
94 Ibid.
95 La Police des métiers du livre…, op. cit., p. 326. Elle exerce de 1738 à 1764 au moins.
96 Cas à consulter (13 mai 1759). – Réponse signée Mercier, professeur de théologie en Sorbonne, 22 mai 1759. [S. l.], in-4°. BnF, 4-Ld4-2862 (A)
97 F. Ravaisson-Mollien, Archives de la Bastille, op. cit., t. XVI, p. 453-454 : lettre du 10 février 1757 de d’Hémery à Berryer : « La femme Rameau diffuse secrètement dans la Grand-Chambre pendant que l’on tient l’audience. Le flagrant délit est très difficile à constater, à moins que M. le Président ne la fasse arrêter et fouiller sur le champ. »
98 AN, Y//15813/A : interrogatoire du 5 février 1757 et F. Ravaisson-Mollien, Archives de la Bastille, op. cit., t. XVI, p. 450.
99 Barthélemy Doyen, Vie de monsieur Paris, diacre du diocèse de Paris, « En France, M.DCC.XXXI », [6]-198 p., 1 f. de pl., in-16. BnF, Z-BLAIS-295 (1).
100 AN, Y//15784 : perquisition du 9 décembre 1745.
101 Elle s’est mariée entre-temps (25 octobre 1765) à Louis-Henri de Trémolet de Saint-Germain (170. ?-1767), libraire à Paris, et demeure désormais rue Dauphine, à l’enseigne du Merle. Elle serait établie sous le passage de la grande porte de l’église des Grands-Augustins. D’après la notice du catalogue BnF au nom de Trémolet de Saint-Germain (Louis-Henri), elle serait décédée en 1772.
102 D. Droixhe, « La rafle des colporteuses… », art. cit. Elle entre à la Bastille le 11 décembre 1766 et en sort le 28 avril 1767.
103 Paul Chauvet, « Compagnons imprimeurs et imprimeries clandestines à Paris sous le règne de Louis XV », Revue d’histoire économique et sociale, 1947, vol. 26, n° 3-4, p. 156. Le 22 février 1752, elle est condamnée à une amende de 500 l. avec défense de récidiver.
104 Dictionnaire des imprimeurs, libraires…, op. cit., n° 163, p. 238-241 ; AN/Y//15783/B : levée de scellés du 28 juillet 1745 et Y//15788/B : perquisition du 28 juin 1747.
105 AN, Y//15813/B : saisie du 2 avril 1757.
106 AN, Y//15818/B : interrogatoires de Jean-Claude Messagey et de Louise Gallois, 16 avril 1759.
107 F. Ravaisson-Mollien, Archives de la Bastille, op. cit. t. XII, p. 453.
108 S. Juratic, « Solitude féminine et travail des femmes à Paris à la fin du xviiie siècle », Mélanges de l’École française de Rome, t. 99, 1987, p. 890.
109 BnF, NAF 1214, f. 54.
110 S. Juratic, « Délit d’opinion et délits de librairie », art. cit. p. 36. Valade devint informateur et en 1767 reçut un brevet de libraire, puis obtint une place d’imprimeur en 1778. Il acheva sa carrière comme imprimeur de la police.
111 AN, Y//15823/A : perquisition du 22 septembre 1761.
112 Marianne-Agnès Falques, L’Histoire de madame la marquise de Pompadour traduite de l’anglais, Londres, « aux dépens de S. Hooper, à la tête de César », 1759, in-8.
113 F. Ravaisson-Mollien, Archives de la Bastille, op. cit., t. XVI, p. 193.
114 Les Plaisirs secrets d’Angélique, ou ses voyages au bout du monde, « Londres, Pierre Confolk », 1751, in-12. Ouvrage attribué à l’abbé Desluc par le marquis de Paulmy et à l’abbé de La Suze par d’Hémery.
115 Le jansénisme a été formellement condamné en 1713 par la bulle Unigenitus. Appuyés par une grande partie du clergé de France, les jansénistes protestèrent en multipliant les pamphlets et en publiant chaque semaine un périodique clandestin, Les Nouvelles ecclésiastiques. Cf. Michel Albaric, « Une page d’histoire de la presse clandestine : les Nouvelles ecclésiastiques », Revue française d’histoire du livre, 27, 1980, p. 319-332.
116 Duchesne avait été déjà emprisonné pour avoir diffusé les Lettres du Patriote en avril 1754.
117 BnF, NAF 1214, f. 491.
118 Cité par Anne Sauvy, « Le livre aux champs », in Histoire de l’édition française, op. cit., t. II, p. 562.
119 BnF, NAF 1214, f. 313, 12 septembre 1760.
120 Sur les résidences royales et le colportage, voir J.-P. Belin, Le Commerce des livres prohibés…, op. cit., p. 96 et s.
121 BnF, NAF 1214, f. 544, 3 août 1768 et f. 546, 8 août 1768.
122 D. Roche, « La police du livre », art. cit., p. 103. Voir également N. Herrmann-Mascard, La Censure des livres à Paris, op. cit. : les libraires et les colporteurs subissent la plupart du temps une peine de bannissement ou une destitution temporaire ou définitive de leur état (p. 127).
123 J.-D. Mellot, « Rouen et les « libraires forains » à la fin du xviiie siècle : la veuve Machuel et ses correspondants (1768-1773) », Bibliothèque de l’École des chartes, 1989, t. 147, notamment p. 525.
124 AN, Y//15843/A : interrogatoire du 30 septembre 1770.
125 AN, Y//15843/B : interrogatoire du 30 octobre 1770.
126 La Police des métiers du livre…, op. cit., notice Prov. 3, p. 452-453, qui l’identifie à un « Pierre Lefèvre » (1707 ?-178. ?).
127 AN, Y//15827/A, 27 février 1763 et AN, Y//15799/A, 17/07/1751 et NAF 1214, f. 404 et 405, 27 février 1763.
128 J.-D. Mellot, « Rouen… », art. cit., p. 505-506.
129 J.-P. Belin, Le Commerce des livres prohibés…, op. cit., p. 48.
130 AN, Y//15833/B : interrogatoire du 15 mai 1766.
131 Voir J.-D. Mellot, « Rouen… », art. cit., p. 516.
132 « Il serait bien à souhaiter comme le Magistrat l’a déjà pensé qu’on arrêta[t] comme contrebande tous ces marchands forains, qu’on saisisse leurs livres pour les envoyer aux chambres syndicales les plus prochaines, ce qui pourroit se faire non seulement par la maréchaussée mais aussi par les commissaires de ferme moïennant une petite retribution qu’on pourroit faire payer par ceux qui seroient arretés ou sur la chose même quand il ne seroit question que de livres dans le cas d’être adjugés aux chambres syndicales » (BnF, NAF 1214, f. 603 et s., 29 avril 1770).
133 BnF, NAF 1214, f. 156.
134 BnF, ms. fr. 22092, f. 213 : 21 décembre 1752.
135 BnF, ms. fr. 22116, pièce 159, 20 avril 1757, et P. Minard, Typographes des Lumières…, op. cit., p. 99.
136 BnF, ms. fr. 22092, f. 360 et s. : interrogatoire du 2 mai 1754.
137 P. Minard, Typographes des Lumières…, op. cit., p. 104 ; Bastille 11855, f. 139-140 : lettre à Berryer, 13 novembre 1754.
138 Cadot de Condé a écrit le 1er décembre 1757 une lettre anonyme à Berryer. Il sera embastillé en février 1758 et condamné à neuf ans de galères. Voir F. Ravaisson-Mollien, Archives de la Bastille, op. cit., t. XVII, p. 410 et s., d’après Bastille 11990.
139 Dictionnaire des imprimeurs, libraires…, op. cit., notice n° 93, p. 172.
140 BnF, NAF 1214, f. 135 : lettre à Berryer, 30 janvier 1755.
141 La Police des métiers du livre…, op. cit., notice 146, p. 283.
142 AN, Y//15805/B : interrogatoires de Lamaury, Bonnet, Le Cocq, Parquier les 30 novembre, 2, 3, 4 décembre 1753.
143 « Au xviiie siècle, de 1713 à 1765 environ, non seulement le jansénisme est une affaire de librairie, mais la librairie elle-même est une affaire janséniste. Sur les quelque 332 [jansénistes], 72 % l’ont été, en réalité, pour « délit de librairie » : imprimeurs officiels ou clandestins, libraires, compagnons, ouvriers, colporteurs, diffuseurs de libelles. Quant aux milliers de personnes embastillées à la même époque « pour délit de librairie » proprement dit, la plupart d’entre elles ont aussi imprimé ou diffusé des libelles et des gravures jansénistes relatifs à la bulle Unigenitus et à ses suites » (Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de la Nation. Le jansénisme au xviiie siècle, Paris, Gallimard, 1998, p. 137).
144 BnF, ms. fr. 22095, f. 390 et s.
145 BnF, NAF 1214, f. 333, 29 mars 1761.
146 La Police des métiers du livre…, op. cit., notice 151, p. 293.
147 AN, Y//15793/A : saisie du 26 mars 1749.
148 BnF, NAF 1214, f. 413, 9 août 1763.
149 BnF, ms. fr. 22092, f. 363 : interrogatoire du 2 mai 1754.
150 BnF, NAF 1214, f. 212, 11 mars 1757. Le mot « drogue » est employé en argot de la librairie au xviiie siècle pour désigner une publication de peu de valeur ou de peu d’intérêt. J.-D. Mellot, « Drogue », dans Dictionnaire encyclopédique du livre, op. cit., t. I, 2002, p. 818.
151 V. Milliot, « Histoire des polices : l’ouverture d’un moment historiographique », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2007/2, n° 54-2, p. 162-177, en particulier p. 167. Voir également S. Juratic, « Délit d’opinion et délits de librairie », art. cit., p. 32 qui évoque deux logiques contradictoires : celle incarnée par Malesherbes, Sartine et le Conseil d’État privilégiant la discrétion, et celle des magistrats des parlements qui souhaitent donner la publicité la plus large à leurs décisions.