« Puisque c’est son art » : Melchior Tavernier graveur de tailles douces contre la corporation des marchands libraires (Paris, 1620)
Je tiens à remercier pour leur lecture attentive et leurs conseils avisés Christine Bénévent, Michel Jourde, Blanche Llaurens, Matt Ethan Kavaler, Isabelle Moreau, Sophie Perceval.
Le premier décembre 1619, le graveur Melchior Tavernier n’a dû être qu’à moitié surpris lorsqu’il a vu arriver dans sa boutique qui est alors sur le « pont Marchand » à deux pas du Palais, le commissaire Louvet et des représentants de la cour du Parlement de Paris venus saisir plusieurs imprimés sans images dont il faisait le commerce, en complément des cartes et estampes de sa production1. Tavernier est accusé de concurrence déloyale par « les Syndic & Gardes des Marchands Libraires, Imprimeurs, Relieurs de ceste ville de Paris », et surtout par leur plus puissant représentant, le libraire Laurens Sonnius. Melchior Tavernier est condamné une première fois, mais l’application d’un arrêt de cour lui restitue ses exemplaires et lui épargne les dommages et intérêts2. Après cette première condamnation, a lieu quelques mois plus tard, le 1er février 1620, une seconde saisine chez Tavernier qui, selon Marianne Grivel, rend la cause du graveur « beaucoup plus solide, car les livres saisis sont cette fois des livres à figures gravées sur cuivre. Tavernier réclame donc la mainlevée de la saisine et exige que l’on défende aux libraires de vendre des “livres de figures en taille douce comme de géographie, géométrie, fortifications, perspectives, architectures et fleurs” quand les images occupent une place plus importante que le texte. »3
Le 6 mars 1620, le procès a lieu « en la Chambre de l’Edict à Paris ». Charles Labbé défend Tavernier, Lenoir la corporation des libraires et Louis Servin est l’avocat du roi, lors d’une confrontation qui donne lieu à des argumentations révélatrices de l’importance prise par les graveurs dans le milieu du livre parisien au cours des dix années précédentes. Ce procès devient celui d’une innovation « technologique »4, la taille-douce, et de la place que celle-ci occupe dans la législation propre à la corporation des métiers du livre. Certes, l’illustration par la taille-douce n’est pas nouvelle, mais l’ampleur récente de sa diffusion dans des formats variés (cartes, libelles et placards, textes imprimés allant de l’in-16 à l’in-folio…) a fait de son commerce un élément central dans la vente des imprimés dans les premières décennies du xviie siècle.
Que retenir de ce procès sur l’essor de la taille-douce et sur le bouleversement du marché de l’imprimé parisien ? Que racontent les différents documents qui nous sont parvenus (les plaidoyers mais aussi les différents factums et les ouvrages saisis) sur le rapport de rivalité et de complémentarité que la taille-douce entretient avec l’imprimé ? Quel portrait fait-on du graveur, de son savoir et de ses revendications, pour justifier qu’il vende ces ouvrages hybrides que sont les imprimés illustrés (au premier rang desquels les récits de voyages) ? Il semble que ce procès révèle de manière exacerbée, non seulement les enjeux commerciaux et sociaux qui opposent la corporation des marchands libraires aux graveurs, mais aussi l’émergence de nouvelles pratiques de lecture, favorisant les illustrations des imprimés géographiques5.
Laurens Sonnius et Melchior Tavernier : des flandres à Paris, itinéraires croisés de deux héritiers
Laurens Sonnius et Melchior Tavernier, lorsqu’ils s’affrontent en 1620, sont loin d’être des inconnus. Le premier est au faîte de sa puissance sociale et le second est devenu un graveur reconnu, si bien que ce procès agit comme un révélateur de leurs stratégies concurrentes sur le marché de l’imprimé parisien. Les carrières des deux hommes présentent des analogies, même si tout les oppose : la génération, la conception de l’illustration (et de son rapport avec le texte), l’appartenance confessionnelle.
Tout d’abord, l’accusé. En 1620, Melchior Tavernier est en pleine ascension sociale : âgé d’environ 26 ans (il serait né en 1594 ou 1595), il est passé comme apprenti par l’atelier du graveur d’origine flamande Thomas de Leu6, et est devenu lui-même un artisan prolifique qui a acheté en 1619 le fonds de son père, également graveur. Au moment de la première saisine, il vient de se marier avec Sarah Pitten (le 2 avril 1619), sœur de l’orfèvre Jean Pitten7. Abraham Bosse accomplira son apprentissage chez Tavernier quelques mois plus tard8. Ses productions sont déjà reconnues, vendues non seulement dans la capitale, mais aussi dans l’Europe entière, via la Hollande et la région des Flandres, d’où sa famille est originaire et avec laquelle il a conservé d’étroits liens commerciaux. En effet, un des principaux arguments mobilisés dans le plaidoyer de son avocat, lors du procès de 1620, est que la pratique de la taille-douce est bien une affaire familiale. Melchior Tavernier serait en effet le plus légitime des vendeurs d’estampes, puisqu’il est le fils de l’importateur de cette technique flamande dans la capitale française :
Gabriel Tavernier père du deffendeur a le premier apporté en ceste ville de Paris l’art de graver, imprimer en taille douce, s’y estant venu habiter en l’an mil cinq cens soixante & treze. Il ny avoit lors personne en ce Royaume qui eust cognoissance de cet art; Encore moins qui sceust l’excellence d’iceluy, ainsi que le père du deffendeur9.
S’il est difficile de donner raison à l’avocat de Tavernier (il ne s’agit pas de son père, mais de son grand-père)10, il est non moins vrai que la famille Tavernier s’est illustrée depuis au moins trois générations dans la fonderie de caractères d’imprimerie et dans la composition d’estampes. L’aïeul de Melchior, Amiet Tavernier, bourgeois d’Anvers en mars 1557 (mais originaire de Belle-Bailleul dans le nord de la France11) est à l’origine de cette dynastie de graveurs qui, à la génération suivante, connait un essor remarquable. Le père et le grand-père de Melchior, Gabriel I et Gabriel II Tavernier, se sont en effet illustrés comme d’importants vendeurs de tailles-douces : leur échoppe est située « sur le pont marchand » « à l’enseigne de la Huppe ». Son grand-père, le plus célèbre, travaille en étroite collaboration avec « Jean Pitain, maistre paintre » qui n’est autre que Pitten, le beau-père de Melchior. En octobre 1611, Pitten et Gabriel I Tavernier sont notamment les experts chargés d’évaluer la valeur des « tablaux, pourtraitz et figures […] avec les cartes et pourtraitures » lors de l’inventaire après décès de Pierre de L’Estoile12. Gabriel I Tavernier fut un fournisseur important pour le célèbre collectionneur de « placards », lui faisant parvenir des estampes depuis Rome ou la Hollande13. Melchior Tavernier hérite ainsi d’un nom, d’une clientèle et d’une réputation, en plus du fonds familial. Au moment où la saisine a lieu, il est devenu « maistre Graveur Imprimeur en Taille douce » et s’est spécialisé dans la composition de cartes qui lui assure une place prééminente sur le marché des gravures parisiennes : ce sera d’ailleurs la production et la vente de cartes qui, après le procès, assurera son succès commercial, ainsi que son prestige au sein de la République des Lettres – il sera le fournisseur attitré de Nicolas Fabri de Peiresc, même si celui-ci a peu d’estime pour lui14.
Si Melchior Tavernier correspond bien au profil de l’héritier, il en est de même pour son adversaire principal lors du procès de 1620, Laurens Sonnius, qui est de la génération précédente (né en 1570, il a cinquante ans lors du procès). Le riche Laurens Sonnius15, qui représente alors la corporation des marchands libraires de Paris, est l’héritier, avec ses deux frères et associés Michel II et Jean, d’une puissante dynastie de marchands libraires. Dès le début des années 1560, leur père Michel I Sonnius développe un commerce florissant rue Saint Jacques, « à l’escu de Basle », spécialisé dans la vente d’ouvrages théologiques. En travaillant de près avec la faculté de théologie de La Sorbonne, les Sonnius vendent de nombreuses éditions, particulièrement soignées, des Pères de l’Église et participent ainsi au mouvement d’imprégnation de la Contre-Réforme en France16, comme le montre le contrat passé devant notaires qui scelle une promesse d’édition entre Laurens Sonnius et le théologien Pierre de Bérulle17. C’est ce que montre aussi la vente, en 1599, par Laurens Sonnius de l’Index expurgatorius, « avec les regles faites par les Peres éleus par le Synode de Trente ». Les Sonnius ont aussi été au cœur des grandes associations de libraires de la fin du xvie et du premier xviie siècle18, comme la Compagnie des Usages et celle de la Grand-Navire (les Sonnius en sont les principaux actionnaires). À l’instar des Tavernier, les Sonnius ont eux aussi fait preuve d’une acuité certaine dans le choix de leurs alliances commerciales. Leur stratégie d’implantation dans la nobilité municipale trouve sa consécration dans la trajectoire de Laurens Sonnius, qui accède à la fonction enviée de syndic des marchands libraires (1620-1624)19.
De la reconstitution de la carrière des Sonnius, qui à maints égards reste lacunaire, émergent certains points qui rendent la confrontation avec Melchior Tavernier particulièrement intéressante. Tout d’abord, ce sont certaines analogies qui apparaissent dans les trajectoires des deux familles : d’après son contrat d’apprentissage de 1559, Michel I Sonnius, le père de Laurens, est « né à Gueldrop, près Anvers, en Brabant »20. Cette origine brabançonne le rapproche d’Amiet et de son fils Gabriel I Tavernier, lequel quittera Anvers, alors en plein troubles politiques21, pour s’installer à Paris. Les héritiers des deux dynasties originaires d’Anvers qui vont s’affronter en 1619 ont aussi connu à Paris une réussite commerciale dans les trois dernières décennies du xvie siècle.
L’essor de la famille des libraires et de celle des graveurs est en effet frappant par sa relative synchronie (un peu plus tardive cependant pour les Tavernier) : les deux familles travaillent dans des champs différents et cependant complémentaires, et surtout dans deux secteurs du marché du livre qui ont la faveur du public dans ce premier xviie siècle, à savoir les imprimés de dévotion et les tailles-douces. Il est avéré que la dissémination de la Contre-Réforme, longtemps retardée en France par les conflits civils, s’impose vraiment dans la première décennie du xviie siècle, grâce au succès des ouvrages de Richeome, Bellarmin, Coton, Binet et Caussin22, qui pour certains d’entre eux ont recours aux illustrations comme support de diffusion de leur théologie. Il est à cet égard significatif (et prémonitoire du procès) qu’aucune collaboration entre les Sonnius et les Tavernier ne se soit établie à cette occasion : jamais la dynastie des Sonnius n’a eu recours aux gravures de Gabriel ou de son fils Melchior23. Les Sonnius, qui vendirent finalement peu d’ouvrages contenant des illustrations, semblent avoir été très réticents face à l’insertion des tailles-douces, extrêmement coûteuses et dont la composition pouvait retarder la vente d’un imprimé. C’est par exemple ce que montre, dans les Tableaux sacrez des figures mystiques du jésuite Richeome (1601), l’« Advertissement au lecteur », sans doute de la main de Laurens Sonnius (ou de Richeome). Sonnius y indique son mécontentement devant les tailles douces gravées par Thomas de Leu (chez qui on a vu que Melchior Tavernier avait été apprenti)24 :
S’il y a quelque chose és Tableaux gravez qui ne corresponde aux Tableaux parlans, le Lecteur suppleera le defaut de la peincture (s’il luy plaist) la corrigeant avec la parole du texte, qu’il suivra en tous, comme meilleure guide du sens de l’histoire25.
Cette méfiance de Sonnius face au « defaut de la peincture », imputable au graveur Thomas de Leu dont l’art est inférieur à la « parole du texte », contraste avec l’attitude conquérante des Tavernier. Certes, les Tavernier ne vendent pas de livres – du moins pas encore – et dans ce sens ils ne sont pas des concurrents directs pour les Sonnius, mais ce sont des rivaux au succès insolent. Les Sonnius incarnent la tradition dans la vente d’imprimés, tant dans leur emplacement, fidèle à l’histoire des premiers ateliers parisiens (près de la Sorbonne et de la faculté de théologie), que dans la spécialisation de leur catalogue (des ouvrages de spiritualité, l’édition savante des Pères de l’Église26), voire dans la constitution de leur fonds, peut-être acheté à un ancien libraire parisien, Michel Fezandat. Même si leurs origines géographiques sont assez proches, les Tavernier devaient représenter pour les Sonnius l’archétype des nouveaux venus, voire des parvenus, sur le marché du livre. Aux yeux de Laurens Sonnius, il n’est pas sûr que l’argument de la nouveauté technique de la taille-douce, mis en avant par l’avocat de Melchior Tavernier, eut été très probant.
Ensuite, il est un autre élément qui pourrait expliquer l’animosité de Sonnius envers Melchior Tavernier : l’appartenance confessionnelle. Là où les Sonnius sont fidèles à la religion catholique, voire à la Ligue (dans laquelle il semble que Laurens Sonnius ait bien été impliqué27), Melchior Tavernier penche pour le calvinisme. Il est très difficile de relever avec certitude ce choix religieux au moment du procès de 1620, puisqu’à notre connaissance aucun document n’en fait état. Par ailleurs, le protestantisme de Melchior Tavernier ne lui a jamais fait perdre de vue son sens des affaires qui ont toujours primé sur son sentiment religieux : en 1629, il sera par exemple le maître d’œuvres des gravures ornant les Eloges et discours sur la triomphante reception du roi… apres la reduction de La Rochelle, qui couronne le triomphe de Louis XIII sur les protestants. L’attachement de Melchior Tavernier à la Réforme se confirme cependant par certains choix personnels : il embauche le calviniste Abraham Bosse comme apprenti28, avant d’épouser en secondes noces Jeanne Gabille en avril 1658 au temple de Charenton29, haut lieu du protestantisme parisien. Enfin, Melchior Tavernier sera très proche, à la fin de sa vie, de son neveu, le voyageur et négociant en diamants Jean-Baptiste Tavernier, dont il sera question plus loin, et qui lui aussi a su mener une brillante carrière commerciale tout en étant partisan de la Réforme.
Enfin, il est un dernier élément, encore peu clair et où les enjeux personnels et confessionnels se superposent, qui peut expliquer l’animosité entre les deux familles. Vers 1573, en fuyant Anvers en proie aux troubles, Gabriel I Tavernier avait été accueilli et logé à Paris, « rue Sainct-Jehan-de-Latran, à l’enseigne de la Samaritaine » chez Jacques Du Puys30. Riche libraire parisien apparenté aux Bade et aux Estienne, dont les liens avec Plantin et avec Anvers sont connus31, Du Puys est ambigu sur le plan religieux32. S’il est en affaires avec de nombreux éditeurs genevois, il mettra aussi ses presses au service de la Ligue33, et travaillera avec des libraires parisiens plus impliqués que lui dans la Sainte-Union, comme Bichon, Nivelle et Chaudière34. Il se trouve que le fils de Jacques Du Puys (Jacques II) épouse en janvier 1587 Catherine Sonnius, sœur de Laurens. Dans quelle mesure un différend personnel et/ou confessionnel a pu exister et opposer Gabriel I Tavernier et Laurens Sonnius, il n’est hélas pas possible de le préciser, mais une certitude s’impose : lorsqu’Henri III déplace la cour et le parlement de Paris à Tours en 158935, il est accompagné par certains libraires « Politiques » (Richer, Mettayer, Monstr’œil et Orry), mais aussi par Gabriel I Tavernier, alors que les Sonnius et les Du Puys resteront dans la capitale ligueuse.
Dans la France de l’après Édit de Nantes, où les anciens ligueurs aisément reconvertis profitent du succès du parti dévot36, les Sonnius sont en position de force. Ils voient probablement d’un mauvais œil le commerce prospère d’un graveur réformé qui ne se contente pas d’écouler des tailles-douces, mais qui vend aussi des imprimés et, qui plus est, des récits de voyages. Or, s’il est bien un dernier sujet de contentieux qui pouvait opposer le syndic des libraires au graveur de tailles-douces, c’est bien la vente d’imprimés géographiques.
Illustrer et vendre des récits de voyages : un enjeu commercial dans la France du premier xviie siècle
Si les Sonnius vendent essentiellement des ouvrages de spiritualité et de patristique, ils ont aussi pour spécialisation seconde la vente d’imprimés géographiques. Ils diffusent en effet des lettres de jésuites aux Indes orientales, l’Histoire generale des Indes Occidentales de Lopez de Gomara, la Cosmographie universelle de Belleforest, le récit de pèlerinage de Castela, la relation de François Martin de Vitré aux Moluques ou encore les Estats et Empires du monde de Davity. Certes, les écrits historiques et géographiques semblent noyés dans le flot d’ouvrages de dévotion (cinq fois plus nombreux)37, mais ils restent un facteur de différenciation important pour les Sonnius par rapport aux autres libraires parisiens qui, le plus souvent, font le choix prudent de ne proposer qu’un seul titre géographique38. À l’exception de certains frontispices et des bois gravés de la Cosmographie universelle (1575) de Belleforest (dont les frais de production sont partagés avec le libraire Nicolas Chesneau39), les imprimés géographiques vendus par les Sonnius ne contiennent aucune illustration.
Melchior Tavernier, quant à lui, compose des cartes régionales, nationales, voire continentales40, et ce sont les cartes, copiées à partir des originaux hollandais, qui constituent la base de son commerce41. Cela ne l’empêche pas de diversifier sa production et de graver aussi des scènes, des motifs architecturaux et des frontispices. Tavernier possède aussi dans son fonds des planches (composées par d’autres graveurs) pour des ouvrages de fiction à succès comme l’Astrée42. À notre connaissance Melchior Tavernier n’a pas gravé de tailles-douces pour des récits de voyages, mais il est indéniable qu’un intérêt commun pour la géographie fait de Sonnius et de Tavernier des concurrents sur le marché du livre parisien.
La présence d’un récit de voyage illustré parmi les ouvrages vendus par Melchior Tavernier fait-il partie des arguments qui ont poussé le syndic des marchands libraires à saisir la justice ? Que révèle l’autopsie des ouvrages saisis dans l’échoppe de Tavernier lors de la première main-levée ? Au moins dix ouvrages sont clairement identifiés43 : parmi eux, certains semblent des titres courants sans illustration en taille-douce, comme les Œuvres de Paré44, les Commentaires de Monluc45, une « Histoire de Florus »46, mais aussi une « Paraphrase de l’Eclesiaste », une « Histoire Senaquoise »47, des « Miroirs de la Jeunesse »48 ou encore un « Dictionnaire François & Flament »49 et une Historia rerum Frisicarum d’Ubbo Emmius50, qui attestent une fois de plus la fidélité de Tavernier envers ses origines flamandes. À y regarder de près, deux titres ont de quoi irriter Laurens Sonnius : l’ouvrage polémique du réformé Du Moulin, De la Vocation des pasteurs qui vient d’être publié en 161851, mais aussi une édition des Essais de Montaigne. Le nom de l’imprimeur-libraire et la date ne sont pas mentionnés dans les plaidoyers : s’agit-il de l’édition des Essais de 161752, qui fait date par l’explicitation des citations latines dûment traduites par un collège d’érudits ? De nombreux libraires français vendent les Essais depuis 1580, mais les Sonnius peuvent se sentir concurrencés sur leur terrain, eux qui avaient diffusé Montaigne et participé à l’édition des Essais de 1595 supervisée par Marie Gournay et le libraire Abel L’Angelier53.
Un dernier titre avait de quoi de mettre le feu aux poudres : le Journal ou relation exacte du voyage de Guill. Schouten. Ce petit in-4° de 231 p., qui raconte comment le navigateur néerlandais ouvrit une nouvelle route maritime pour rejoindre l’archipel des Moluques en traversant pour la première fois le Cap Horn (ainsi baptisé depuis la ville natale de Schouten) et en passant par la Nouvelle-Guinée, est un véritable succès à travers l’Europe. Il démontre, carte à l’appui, que la Terre de Feu n’est pas un continent. L’ouvrage est d’abord publié en 1618 à Amsterdam, puis la même année à Paris, et enfin en 1619 à Londres, Francfort et Madrid54. La page de titre de l’édition parisienne de 1618 mentionne : « Paris Chez M. Gobert, au Palais en la galerie des prisonniers. Et les cartes chez M. Tavernier, graveur du roi, demeurant au pont Marchand. ». Le succès est tel que le récit de voyage sera réédité en 1619 par Tavernier et Gobert. Parmi les imprimés saisis, ce livre est le seul que le graveur a partiellement produit et qu’il s’est aussi permis de vendre. Le « graveur du roi » enfreint ainsi le règlement de la profession : l’imitation de son comportement, selon l’avocat du roi, « engendreroit de la confusion, & seroit de pernicieuse consequence : car chacun entreprendroit d’outrepasser les bornes de son art »55. Le Journal de Guillaume Schouten est d’ailleurs le premier des imprimés que cite Servin dans son plaidoyer56 :
De fait [Melchior Tavernier] a entrepris de faire trafic de plusieurs livres, […]. [Le Commissaire Louvet] a trouvé non seulement des livres où il y avoit quelques figures d’Histoires de Geographie & de fleurs, signamment un qui est intitulé Journal ou Relation exacte du voyage de Guillaume Schouten dans les Indes par un nouveau destroict, & par les grandes mers Australes qu’il a descouvert vers le Pole Antarctique, ensemble des nouvelles terres auparavant incognuës, & observations touchant la declinaison de l’Aymant. Ce livre imprimé chez Melchior Tavernier en icelle année 161857.
La place prise par le Journal de Guillaume Schouten dans les différents argumentaires ne doit pas être minorée. Si certains imprimés – de Montaigne à l’« Histoire de Florus » – ne contiennent pas de gravures, le récit de l’explorateur hollandais qui comporte huit tailles-douces se situe précisément à l’intersection de plusieurs pratiques professionnelles, la composition d’estampes, de cartes et la vente d’imprimés. Melchior Tavernier brouille les pistes ou, selon les termes de Servin, « s’embroüille & se mesle », puisque le graveur se permet de « faire trafic de plusieurs livres ». La question de la vente était en fait plus complexe que ce qu’affirmait Servin : la page de titre du Journal de Guillaume Schouten précisait que le récit était vendu par le libraire Gobert « en la gallerie des prisonniers », tandis que les cartes étaient vendues par Tavernier. Le libraire Martin Gobert58, qui lui aussi imprime et vend des cartes, était un proche collègue de Tavernier, puisque leurs échoppes se situaient à l’intérieur, ou à proximité, du Palais. L’opposition classique entre les libraires de l’Université, dont faisait partie Sonnius, et ceux du Palais, a dû aussi jouer dans cette affaire. Néanmoins, le libraire Gobert n’a jamais été inquiété (il n’en est étonnamment jamais question pendant le procès), tandis que Servin renvoie Tavernier à la profession servile et manuelle de « dominotier » (lequel vendait des images peintes) : Melchior Tavernier vend des imprimés59, « luy qui n’est que Dominotier, & se doit contenter de faire ce qui est de l’exercice d’Imprimerie en taille douce. »60 L’avocat du roi réaffirme la nécessité du cloisonnement des professions : « Doncques pour conclusion il est de la regle & du bien public de distinguer les fonctions des appellans d’avec celle de l’intimé selon les reglements, puisque chacun a une profession separée par les Edicts & Ordonnances Royaux »61.
Qu’avait le récit de Schouten pour s’attirer les faveurs du public ? Attrayant, le Journal de Guillaume Schouten l’est certainement parce qu’il s’agit d’un ouvrage extrêmement récent : l’explorateur est rentré en 1617, la première édition date de 1618, vite suivie d’une traduction française la même année ; le libraire Gobert se la procure à la foire de Francfort, et se hâte de l’imprimer et de la mettre en circulation avant la fin de l’année 1618. Pour cette édition, Melchior Tavernier reprend les trois cartes et toutes les illustrations (à l’exception d’une gravure62, et de la vignette du frontispice) qu’il décalque à partir de la seconde édition. Si Tavernier a pu avoir accès aux originaux pour les copier, on remarque qu’il a recomposé les légendes des cartes, formulées uniquement en français. Le Journal de Guillaume Schouten est attrayant pour une autre raison : sa publication répond aux attentes d’un éphémère mouvement pro-colonial français tourné vers les Indes orientales, comme l’atteste la dédicace au garde des sceaux Guillaume Du Vair63. Face aux succès de la East India Company et de son équivalent hollandais, la V.O.C., un micro milieu colonial français rêve à son tour d’une compagnie de commerce des Indes orientales, dans laquelle l’État serait partie prenante (sur le modèle anglais) et qui aurait plus de succès que l’éphémère compagnie privée créée en 1601. Cet intérêt pro-colonial pour les épices indiennes rapproche certains dignitaires français, comme le président Jeannin, et des navigateurs hollandais, comme Isaac Le Maire64. Ce dernier, à l’origine actionnaire de la V.O.C.65, est devenu le conseiller secret du président Jeannin pour financer en 1609 une expédition en vue de découvrir le passage du Nord-Est… et son fils, Jacob Le Maire, se retrouve compagnon du voyage de Guillaume Schouten de 1615 à 1617. Ainsi, le Journal de Guillaume Schouten s’inscrit dans une brûlante actualité géopolitique coloniale : dix ans après la parution du De Mare liberum, Schouten et Le Maire viennent de mettre en pratique l’ouverture maximale des mers réclamée par Grotius en trouvant un nouveau passage vers les Moluques, ce qui n’est pas sans créer de conflit au sein de la V.O.C., dépassée par les avancées de l’expédition. Parce qu’il viole le monopole commercial de la V.O.C. sur l’archipel, Schouten est ainsi brièvement arrêté et son navire confisqué sur l’île de Java.
Pour toutes ces raisons qui relèvent tant du savoir géographique et anthropologique que de l’actualité politique internationale, le succès du livre est foudroyant. Son succès est alimenté par la stratégie publicitaire du libraire Gobert qui attise la curiosité du public en indiquant que cette relation « a esté recherchée si ardemment en ceste ville, que les exemplaires qu’on y avoit apportez n’estans en nombre suffisant, [il a] esté contrainct de la r’Imprimer avec toutes les planches de taille douce qui y estoient »66. Ce coup commercial, qui suggère qu’il y a eu plusieurs éditions du Journal de Guillaume Schouten en 1618, repose en partie sur la présence des gravures, reprises ou composées par Melchior Tavernier. Il est aussi probable que ce succès pouvait attiser la jalousie ou l’envie d’un Laurens Sonnius qui avait, en son temps, lui aussi vendu, mais avec moins de succès, et sans aucune illustration, un récit de voyage aux Indes orientales : la relation de François Martin de Vitré (1604)67.
Dans son plaidoyer, Labbé, l’avocat de Tavernier, insistera précisément sur « quelques uns des Libraires & Imprimeurs de ceste ville, envieux de l’industrie & du bon-heur du deffendeur, […] [qui] ont commencé à le quereler »68. L’argumentaire de Labbé consistera à requalifier la profession de son client, dont la production de cartes est nécessaire pour le bien public et pour la promotion du savoir géographique. En effet, la représentation cartographique du monde moderne n’existe que grâce à l’art des graveurs de tailles-douces :
Sans eux on n’auroit point de Globes Celestes, ny de Globes Terrestres, avec les discours necessaires pour les entendre : on n’auroit point de cartes Geographiques, ny celle de Ptolomée, ny autres : on n’auroit le Theatrum orbi Ortelii, ny le livre de Mercator, […], & plusieurs autres des plus excellents & necessaires livres que l’on puisse avoir. C’est le travail de leur Esprit, & la dexterité de leurs mains69.
La dernière assertion de Labbé est significative de sa volonté de ne pas réduire la profession de son client à celle d’un « mechanique » et d’imposer une revalorisation symbolique de la profession de graveur d’estampes : la combinaison de l’habileté technique et de l’intelligence du graveur est à l’origine des productions cartographiques, mais aussi des livres de technique (architecture, art militaire, optique).
Le partage des métiers et l’honneur du « tailleur douceur »
On ne reviendra pas ici sur les questions de réglementation statutaire70, mais on privilégiera l’analyse d’un affrontement, en cour de justice de deux logiques de capital symbolique. Dans ce sens, les références faites par Labbé à Ortelius ou Mercator sont significatives71 : elles rappellent les liens éditoriaux mais aussi géographiques qui associèrent la famille des Tavernier aux deux célèbres cartographes flamands. Gabriel I Tavernier a copié et décalqué des cartes d’Ortelius pour le Theatre françois de Maurice Bouguereau (1594). Quant à la production de Melchior Tavernier, si elle n’est pas aussi innovante que celle de Mercator et Ortelius, elle se situe explicitement dans cet héritage cartographique : il possédait, outre « six mille cartes géographiques d’une feuille », « deux globes terrestres et célestes avec les deux sphères de Copernic »72. Cette glorieuse tradition cartographique, il est vrai peu reconnue par Sonnius ou Servin (plus tournés vers les lettres que vers les cartes), avait été au cœur de l’essor des imprimés géographiques qui, au siècle précédent, associaient étroitement les cartes aux illustrations du récit de voyage.
Le prestige du graveur est aussi confirmé par sa reconnaissance royale et par une légitimation politique, qui souligne le rôle des cartes dans le processus d’unification nationale. Pour mémoire, Gabriel I Tavernier avait participé au premier atlas français, le Theatre françois (publié à Tours en 1594 lors de l’exil de la cour, par le libraire Maurice Bouguereau73) qui, à chaque page, célébrait le sacre du Navarrais en défendant l’unité géographique et nationale du royaume. La réédition du Theatre françois en 1619, augmenté par Jean Leclerc74, un concurrent de Melchior Tavernier, fait d’ailleurs sans doute partie de l’arrière-plan du procès, où affleure une rivalité entre différents graveurs (Labbé dans son plaidoyer ne cesse d’attirer l’attention des juges sur ceux « de mesme profession & vacation qui vendent pareils livres de figures & tailles douces, comme les nommez, le Clerc père & fils, ausquels les appellants ne disent rien & ne s’y opposent point »)75.
Par leur volonté d’instaurer une tradition nationale de cartes françaises76, les Tavernier sont donc associés, depuis leur arrivée en France, à la défense de l’unité du pays et à la politique royaliste qui fait le lit de l’absolutisme naissant. Cet engagement royaliste du cartographe est sans doute à l’origine de la protection royale dont il va jouir. Si cette protection intervient in extremis juste après la seconde saisine de février 1620, elle consacre néanmoins le statut de Melchior Tavernier qui devient « selon la volonté du Roy graveur & Imprimeur en taille douce de sa Majesté »77.
Enfin, lors du procès de 1620, Labbé donne des éléments pour apprécier ce qui peut constituer une apologie du métier de « tailleur douceur », pour reprendre un néologisme contemporain78. De manière très pédagogique, Labbé veut expliquer à la cour ce qu’est la profession du graveur de taille-douce, puisque « le jugement des differends des parties depend principallement de la cognoissance de leurs qualitez ». Cette ambition didactique de l’avocat de Tavernier repose sur un rappel précis des instruments utilisés par le graveur, une « planche qui est un morceau de cuivre battu, forgé & aplani, de mesme qu’une assiette d’argent par un Orfevre »79, le poinçon (ou pointe), la presse composée de deux pièces de bois (« les jumelles », reposant sur deux autres pièces de bois, les « bases »), mais aussi la table de bois, le moulinet et le tampon. Labbé rappelle que les marchands-libraires sont incapables de produire des tailles-douces : « entre les demandeurs il n’y en a point qui les puissent imprimer en tailles douces, encore moins graver ou designer ». Mieux, pour ceux qui l’ignorent, l’avocat explique précisément en quoi la taille-douce se distingue des traditionnels bois gravés :
Les Figures en taille douce sont imprimees sur le papier par le moyen de ce qui est creusé sur la planche de cuivre avec le burin; Et les Figures en bois, ainsi que les lettres communes, sont imprimees sur le papier par le moyen de ce qui est eslevé, & non de ce qui est creusé80.
L’avocat de Tavernier rappelle ensuite – et c’est un argument central dans son plaidoyer – que les graveurs se différencient des dominotiers, lesquels « se servent d’une piece de bois de poirier […] & ont des Presses du tout semblables à celles des Imprimeurs en lettres communes »81. Faire savoir ce qu’est la taille-douce (ce que ne pouvait ignorer Sonnius, quoiqu’en dise Labbé82) va-t-il aider à défendre la cause de son client ? L’essentiel pour l’avocat est d’inverser la relation de hiérarchie entre les professions, puisque « ceux de la profession du deffendeur […] surpassent d’autant les demandeurs que l’ouvrage de l’esprit surpasse l’ouvrage de la main »83. En un renversement paradoxal, « l’esprit » du graveur dépasse « la main » du libraire pour souligner le primat d’une pensée technique sur les échanges mercantiles. En d’autres termes, les productions de Tavernier sont intrinsèquement un ouvrage de l’esprit, puisque, comme le déclare l’avocat de Tavernier, « les figures ne se peuvent donner à entendre sans discours »84. Par conséquent, on ne peut pas interdire au graveur d’imprimer des parties textuelles, puisque ces deux versants sont consubstantiellement liés.
Plaire aux yeux et à l’esprit ? Le Journal de Guillaume Schouten répond bien à cette double ambition qui perpétue la tradition du récit de voyage illustré. De fait, au moment où Melchior Tavernier vend ses cartes et le Journal de Guillaume Schouten, la taille-douce entretient déjà une relation historique avec les imprimés géographiques français : le premier ouvrage imprimé en France avec des tailles douces passe pour être le récit de pèlerinage de Breydenbach en Terre sainte (1488), les Pérégrinations orientales de Nicolay85 (1568) contiennent des illustrations sur cuivre gravées par Léon Davent86, tandis qu’en 1584 André Thevet, le cosmographe du roi, peut se « vanter [bien avant Melchior Tavernier] estre le premier, qui ay[t] mis en vogue à Paris l’imprimerie en taille douce, tout ainsi qu’elle estoit à Lyon, Anvers, & ailleurs. »87
Le prestige du « tailleur douceur » (ou taille-doucier), nourri par la tradition des ouvrages illustrés, par la cartographie nationale et par la diffusion des découvertes scientifiques, permet aussi de lire sous un autre angle le plaidoyer de Labbé. Son discours apparaît comme une réponse symétrique aux nombreux « éloges de l’imprimerie » qui, depuis l’épître de Guillaume Fichet (1470), ont accompagné la naissance de la culture de l’imprimé. Au début du xviie siècle, l’éloge de l’imprimerie est devenu un genre en soi, un topos qui émaille les discours des hommes de loi : on retrouve un discours élogieux sur l’invention de l’imprimerie dans les Recherches de la France de Pasquier88 (1560-1621), mais aussi dans les Plaidoyers du magistrat Claude Expilly89 (1619), la Biblioteque ou tresor du droit françois de l’avocat Laurens Bouchel90 (1615), ou encore les Plaidoyers de l’avocat Simon Marion (1609) qui déclare : « Depuis l’Imprimerie estant apparuë, l’art en a esté à bon droict admiré, comme un don exquis que la bonté de Dieu a voulu reserver pour l’ornement de ces derniers temps. »91 Il est à cet égard intéressant de noter que plusieurs de ces éloges de l’imprimerie, caractéristiques du « style de parlement », sont précisément vendus par la famille Sonnius : c’est le cas pour ceux de Pasquier ou de Marion92, tandis que Laurens Sonnius se vante de connaître les héritiers de Pasquier93, et se montre particulièrement fier de s’inscrire dans la tradition des libraires lettrés, comme il l’indique lui-même dans certaines pièces liminaires ponctuées de citations latines.
Face à cette tradition de l’éloge de l’imprimerie chez les hommes de loi, l’avocat de Melchior Tavernier produit un « éloge de la taille-douce » qui impose une réévaluation de cet art. On peut supposer que, pendant sa plaidoirie, Labbé utilisa lui-même des illustrations qu’il montra aux juges pour bien différencier la gravure sur bois de celle sur cuivre (« ainsi que la Cour verra s’il luy plaist par les figures des Presses des uns & des autres »94). L’objectif de l’avocat de Tavernier est bien de légitimer la valeur technique et symbolique de la taille-douce, ce qui n’allait pas du tout de soi si on relit le plaidoyer de Servin qui affirmait catégoriquement la supériorité de « l’Imprimerie des lettres » :
Ne faut mesler ce qui est de la Typographie qui est l’Imprimerie des lettres, avec le mestier des Graveurs & Imagers, veu qu’ils sont differents, estant celuy des Imprimeurs d’autant plus eminent, qu’ils travaillent à la publication des characteres de toutes langues, & principalement de la plus ancienne, de laquelle Dieu a usé dés la fondation du monde, & qui est pleine de saincteté & venerable […]95.
À l’inverse de Servin, l’avocat de Melchior Tavernier ne se réfère pas à un fondement divin96, il préfère rappeler qu’il s’agit d’une invention humaine, un « art » importé en France par Gabriel I Tavernier, et qui représente en 1620 le résultat du travail d’une dynastie de graveurs :
Aussi ne seroit il pas raisonnable, sauf correction de la Cour, de faire deffences au defendeur de vendre des livres de Figures en taille douce, puisque c’est luy qui les grave & Imprime en tailles douces, puisque c’est son art, puisque c’est l’industrie de son esprit, & le labeur de ses mains97.
L’éloge du « tailleur douceur », formulé lors du procès de 1620, crée ainsi un précédent annonçant d’autres ouvrages consacrés à la taille-douce, comme le Traicté de manieres de graver en taille douce98 (1645) du graveur Abraham Bosse, ou le Catalogue de livres d’estampes et de figures en taille douce (1666) du collectionneur Michel de Marolles qui rend un vibrant hommage aux productions de Melchior99.
En conclusion, le conflit de prérogatives corporatives en jeu dans ce procès dépasse le simple cas du Journal de Schouten : la communauté des libraires et imprimeurs veut défendre l’exclusivité du droit de vendre des livres, qu’ils soient illustrés ou non100. Que retenir de ce procès ? On distinguera ici trois destinées différentes : l’issue du procès lui-même, le devenir de ses protagonistes et enfin l’illustration des imprimés géographiques.
Tout d’abord, l’issue du procès est incertaine, comme l’écrit Marianne Grivel101 : les Extrait des Registres de Parlement indiquent que la cour de justice « ordonne que les reglements donnez entre les Libraires & Dominotiers, seront gardez & observez selon leur forme & teneur, & neantmoins pour ceste fois a faict à l’inthimé main-levee de ce qui a esté sur luy saisi sans despens, dommages & interests. »102 Le procès se solde sur un statu quo qu’on peut lire comme un succès relatif pour Tavernier, ce que corrobore la publication du discours de Labbé, alors que celui de Lenoir, avocat de Sonnius, ne sera jamais édité.
Quant aux protagonistes, la dynastie des Sonnius continue à prospérer. Laurens poursuit sa carrière de syndic des libraires, non sans anicroche avec ses collaborateurs, comme l’indique un procès avec son ancien adjoint Blaise en 1625-1626103, ou comme le montrent d’autres sentences visant des libraires insolents ou injurieux contre le syndic104. Laurens Sonnius reste le puissant libraire parisien, qui voit en 1625, un an après la fin de son mandat de syndic, le triomphe de son frère Michel II Sonnius, nommé juge consul des marchands parisiens (une première pour un libraire), non sans éveiller une certaine méfiance de la part de la communauté105. Laurens Sonnius meurt en 1628 : son fils Claude, actionnaire de la seconde Compagnie de la Grand-Navire formée en 1631 par le cardinal de Richelieu, sera le dernier à perpétuer en France la dynastie des libraires d’origine flamande.
Parallèlement, la fortune de Melchior Tavernier semble être allée croissante, tout comme sa tendance transgressive à se jouer des lois – en particulier pour « contrevenir fréquemment au privilège de la communauté parisienne quant au commerce de l’art hors temps de foires »106. Les signes de sa puissance son bien tangibles, puisque « sa fortune est suffisante pour qu’il puisse prêter 18400 livres en une seule année [et] il comptera parmi ses clients, vingt ans plus tard, le cardinal de Richelieu et Gaston d’Orléans »107. Après avoir produit de très nombreuses cartes108, et surtout son Theatre geographique du royaume de France109 (1632), Tavernier travaillera avec des ingénieurs militaires. Il sera associé à la publication des petits atlas de Tassin et deviendra l’associé du « jeune prodige de la géographie », le cartographe Nicolas Sanson110. Enfin, Melchior Tavernier se fera exceptionnellement, une dernière fois, l’imprimeur d’un ouvrage scientifique : en 1642, paraissent ainsi chez Tavernier, en collaboration avec le libraire François L’Anglois, les Advis charitables sur les diverses oeuvres, et feuilles volantes du Sr. Girard Desargues, lequel fut un proche de Mersenne, Pascal et Descartes, mais aussi d’Abraham Bosse111. En 1644, après avoir essuyé quelques revers commerciaux112, il se retire, prématurément113, et vend son fonds à François Langlois dit Ciartres et à Pierre I Mariette. Melchior Tavernier acquiert la charge de contrôleur et clerc de la maison d’Orléans, puis meurt en mai 1665114.
Enfin, qu’advient-il de l’imprimé illustré, et plus précisément des récits de voyages ? Il semble que ce procès puisse se lire comme la promesse d’une histoire qui n’a finalement pas eu lieu. Le succès commercial du Journal de Guillaume Schouten aurait pu susciter une nouvelle tradition du récit de voyage illustré de tailles douces en France, en adaptant à la nouvelle technique le mariage des cartes et des illustrations. Or, l’édition des imprimés géographiques au xviie siècle témoigne plutôt d’un divorce au sein de cette tradition issue de la Renaissance : si les cartes connaissent une indéniable promotion, on constate un recul des illustrations dans les récits de voyages, en particulier par rapport aux productions flamandes ou allemandes. En comparaison avec les bois gravés des récits de voyages du xvie siècle, une certaine régression prédomine : rares sont les récits de voyages imprimés en France au xviie siècle à comporter des tailles-douces115. De manière symptomatique, le libraire Gervais Clousier, qui fut apprenti chez Laurens Sonnius et qui se spécialisa dans la vente de récits de voyages à partir du second tiers du xviie siècle, ne publia (presque) aucun ouvrage illustré116. Rétrospectivement, la vente du Journal de Guillaume Schouten ressemble à coup d’essai qui n’a pas connu de suite éditoriale. Cette chance manquée ne signifie cependant pas que la taille-douce soit absente des récits de voyages. La taille-douce continue de provoquer la curiosité, comme le rappelle une anecdote racontée par le neveu de Melchior, Jean-Baptiste Tavernier, à propos d’une rencontre insolite ayant lieu en Perse :
Nous poursuivions nostre route, lorsqu’à deux journées du bourg de Ali sur les neuf heures du matin, nous vismes arriver deux jeunes Seigneurs Arabes qui prennent entr’eux le nom de Sultan. […] Dès qu’ils furent dans leurs tentes, nostre Caravanbachi fut les saluer, & je l’accompagnay en ceste visite. […]. J’avois emmené avec moy un jeune peintre qui avoit dans son coffre plusieurs tailles-douces enluminées, païsages & figures, & entr’autres plusieurs portraits de courtisanes à demi-corps. Ces deux jeunes Seigneurs ne prirent que vingt de ces courtisanes qui leur plûrent, & dont je voulus leur faire present ; mais ils témoignerent qu’ils entendoient de me les payer117.
____________
1 Par souci de simplicité, nous écrirons Melchior Tavernier, alors qu’il s’agit de Melchior II Tavernier.
2 Voir Marianne Grivel, « La règlementation du travail des graveurs en France », dans Le Livre et l’image en France au xvie siècle, Cahier V. L.-Saulnier n° 6, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1989, p. 18. Ead., Le Commerce de l’estampe à Paris au xviie siècle, Paris, Droz, 1986, p. 83-93.
3 Ead., « La règlementation du travail des graveurs en France », art. cit., p. 18.
4 Pour une mise au point sur les origines de la gravure, voir Séverine Lepape, Gravures de la rue Montorgueil, Paris, BnF, 2015.
5 L’expression hyperonyme d’« imprimés géographiques » renvoie dans cet article à la grande variété d’écrits – relations de voyages, lettres, histoires générales, traités de cosmographie ou routiers – qui désignent des témoignages extra-européens.
6 Sur Thomas de Leu, gendre d’Antoine Caron, voir la notice qui lui est consacrée dans le Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien Régime, éd. Maxime Préaud, Pierre Casselle, Marianne Grivel et Corinne Le Bitouzé, Paris, Promodis ; Cercle de la Librairie, 1987, p. 220-222.
7 Le contrat de mariage du 2 avril 1609 est cité dans l’inventaire après décès de Sarah Pitten dressé le 16 mars 1638 à la requête de Melchior Tavernier, dans Documents du Minutier Central concernant les peintres, sculpteurs, graveurs (1600-1650), tome I, éd. Marie-Antoine Fleury, Paris, Imprimerie nationale, 1969, p. 661.
8 Archives nationales, Minutier Central, LXXXIV, 72, contrat du 16 juillet 1620. Voir José Lothe, « Un document inédit : le contrat d’apprentissage d’Abraham Bosse », Nouvelles de l’estampe, n° 130-131, octobre 1993, p. 34-35.
9 Plaidoirie de Labbé devant le Parlement en faveur de Melchior Tavernier, graveur imprimeur en taille douce, contre les syndics des libraires, imprimeurs et relieurs de Paris, Paris, 1620, p. 4.
10 Sur la (difficile) reconstitution de la famille de Melchior Tavernier, voir les notices consacrées aux Tavernier dans le Dictionnaire des éditeurs d’estampes, op. cit., p. 287-290.
11 Jan Van der Stock, Printing Images in Antwerp. The Introduction of Printmaking in a City : Fifteenth Century to 1585, Rotterdam, Sound & Vision Interactive, 1998, appendix I, p. 278.
12 Florence Greffe et José Lothe, La Vie, les livres et les lectures de Pierre de l’Estoile, Paris, Champion, 2004, p. 80, et surtout p. 36 et suivantes.
13 Ibid., p. 120-121 : dans les années 1606-1609, Pierre de L’Estoile achète, auprès de Jean Leclerc et surtout de Gabriel Tavernier, de nombreux portraits en taille-douce (entre autres de Thomas de Kempis, Bellarmin, Baronius, Heinsius…), importés de Rome ou de Hollande.
14 Marianne Grivel, « L’Amateur d’estampes en France aux xvie et xviie siècles » dans Le Livre et l’historien, Etudes offertes en l’honneur du Professeur Henri-Jean Martin, éd. Frédéric Barbier, Annie Parent-Charon, François Dupuigrenet Desroussilles, Claude Jolly et Dominique Varry, Genève, Droz, 1997, p. 219-220.
15 Laurens Sonnius est par exemple l’exécuteur testamentaire en mars 1602 de Jacques Legrant, conseiller du roi, général en sa cour des monnaies (Documents du Minutier Central concernant l’histoire de la musique (1600-1650), éd. Madeleine Jürgens, Paris, Archives nationales, 1967, p. 865-866).
16 Denis Pallier, « Les impressions de la Contre-Réforme en France et l’apparition des grandes compagnies de libraires parisiens », Revue française d’histoire du livre, n° 31 (nouvelle série), 1981, p. 218-273.
17 Ce document a été édité dans Documents du Minutier Central des notaires de Paris, Peintres, sculpteurs et graveurs au xviie siècle (1600-1650), tome II, éd. Marie-Antoine Fleury et Martine Constans, Paris, Archives nationales, 2010, p. 409-410.
18 Sur les Sonnius, je me permets de renvoyer à G. Holtz, « L’appropriation du savoir géographique : les Sonnius à la conquête du monde ? », dans Gens du livre et gens de lettres à la Renaissance, éd. Christine Bénévent, Isabelle Diu et Chiara Lastraioli, Turnhout, Brepols, 2014, p. 277-290.
19 Avant d’accéder à sa fonction de syndic, Laurens Sonnius avait déjà remporté plusieurs procès (Laurens Bouchel, Recueil des status & reglemens des marchands libraires, imprimeurs, relieurs, Paris, François Julliot, 1620, art. LXXXIV, p. 72).
20 Voir le contrat d’apprentissage du 23 juin 1559 (Archives Nationales, Minutier Central, LXXIII, 53) : « Michel Zonnis [sic], né à Gueldrop, près Anvers, en Brabant, se met en apprentissage chez Guillaume Desboys, libraire juré en l’Université de Paris, bourgeois de Paris, moyennant que ledit Zonnis s’entretiendre [sic] et que ledit Desboys lui versera 20 livres à la fin des quatre années. »
21 Si son arrivée a bien lieu en 1573, elle s’inscrit dans le contexte de mise sous tutelle d’Anvers par le duc d’Albe (depuis 1567), avant le sac de la ville en 1576.
22 Marc Fumaroli, L’Age de l’éloquence. Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique [1980], Genève, Droz, 2002, p. 257-298.
23 Les Sonnius semblent avoir travaillé avec de nombreux graveurs parisiens… à l’exception des Tavernier : Michel Lasne (pour les Recherches de la France de Pasquier, 1621), Léonard Gaultier (pour L’Histoire de Navarre d’André Favyn, 1612), Gaspar Isaac (les Mémoires des Gaules de Scipion Dupleix, 1619), Thomas de Leu (Les Tableaux sacrez des figures mystiques de Richeome, 1601).
24 Sur la surreprésentation des graveurs d’origine flamande dans la capitale, voir Marianne Grivel, « Les graveurs à Paris sous Henri IV », dans Les Arts au temps d’Henri IV, Pau, Association Henri IV, 1992, p. 157-183 (en particulier p. 163-164).
25 Louis Richeome, Tableaux sacrez des figures mystiques…, Paris, Laurens Sonnius, 1601, « Advertissement au Lecteur », n p.
26 Cette spécialisation est relevée par l’avocat de Tavernier : « La qualité de demandeurs est d’estre Libraires, Imprimeurs, & Relieurs en ceste ville de Paris, pour y vendre livres communs, […], comme les Ordonnances de nos Roys, les Coustumes de ce Royaume, le Cours Civil, le Cours Canon, les œuvres d’Aristote, les œuvres des Saincts Peres de l’Eglise » (Plaidoirie de Labbé devant le Parlement, op. cit., p. 1).
27 Laurens Sonnius fut fait prisonnier pendant le siège de Paris et son frère Michel II dut payer une lourde rançon (il emprunte 500 écus) pour le libérer (Denis Pallier, Recherches sur l’imprimerie à Paris pendant la Ligue (1585-1594), Genève, Droz, 1976, p. 125).
28 Marianne Le Blanc, D’Acide et d’encre. Abraham Bosse (1604?-1676) et son siècle en perspectives, Paris, CNRS Éditions, 2004, chap. I (« L’entreprise Tavernier et les réseaux protestants »), p. 35-44.
29 Contrat de mariage entre Melchior Tavernier et Jeanne Gabille, BnF, Ms. fr. 29286 (Pièces originales 2802), réf. 62 297.
30 Cette adresse est citée par Gabriel Tavernier dans le contrat qui l’associe à Maurice Bouguereau pour la publication du Theatre françois (voir Dictionnaire des éditeurs d’estampes, op. cit., p. 287).
31 D. Pallier, « La fin de la succursale plantinienne de Paris (1577) : Emmanuel Richard, facteur de Plantin », Revue française d’histoire du livre, n° 18 (nouvelle série), 1978, p. 25-39 (surtout p. 33-34 et note 40).
32 Son attitude est qualifiée de « douteuse » par D. Pallier, Recherches sur l’imprimerie, op. cit., p. 8, note 25.
33 La même ambiguïté vaut pour ses fils, Jacques II ou Baptiste Du Puys, accusé par les ligueurs d’avoir vendu des livres « politiques » et « censurez », mais qui a aussi servi de « commissaire aux vivres » des armées de Mayenne et qui est fait prisonnier par les royalistes après la bataille d’Ivry, D. Pallier, Recherches sur l’imprimerie, op. cit., p. 118.
34 Ibid., p. 125, note 110. Id., « Les impressions de la Contre-Réforme en France et l’apparition des grandes compagnies de libraires parisiens », art. cit.
35 Laurence Augereau, « Le mécénat royal à Tours, capitale provisoire du royaume, 1589 » dans Henri III mécène des arts, des sciences et des lettres, éd. Isabelle de Conihout, Jean-François Maillard et Guy Poirier, Paris, PUPS, 2006, p. 213-226.
36 Denis Richet, « La Contre-Réforme catholique en France dans la première moitié du xviie siècle » [1985], repris dans De le Réforme à la Révolution. Études sur la France moderne. Paris, Fayard, 1991, p. 83-95.
37 Plus précisément, on dénombre 44 titres historiques (souvent réédités) sur les 115 entrées (du catalogue des libraires Sonnius), soit 1/5 du catalogue général. Les imprimés géographiques (13 titres), constituent plus du quart de la catégorie des ouvrages historiques. Pour l’explicitation de ces données, voir G. Holtz, « L’appropriation du savoir géographique… », art. cit., p. 282.
38 G. Holtz, L’Ombre de l’auteur, Pierre Bergeron et l’écriture du voyage à la fin de la Renaissance, Genève, Droz, 2011, chap. III, p. 109-144.
39 Michel Simonin, Vivre de sa plume au xvie siècle ou la carrière de François de Belleforest, Genève, Droz, 1992, p. 171-191). Si la Cosmographie Universelle est partagée entre les deux libraires Chesneau et Sonnius, les liens de Belleforest semblent avoir été plus forts avec Chesneau.
40 C’est ce que montre l’inventaire après décès de sa première femme, Sarah Pitten, où sont présentes de très nombreuses cartes, dont « deux grandes planches de la carte du monde » (Documents du Minutier Central…, t. I, p. 659).
41 Sur la production cartographique de Melchior Tavernier, voir l’étude classique de Mireille Pastoureau, Les Atlas français, xvie-xviie siècle, répertoire bibliographique et étude, Paris, Bibliothèque nationale, 1984, p. 469-480.
42 Voir l’inventaire après décès de Sarah Pitten (Documents du Minutier Central…, op. cit., t. I, p. 660). Précisons cependant que les gravures de l’Astrée sont de la main de Michel Lasne et de Daniel Rabel : Melchior Tavernier et son beau-père Pitten avaient en stock de nombreuses planches gravées par des collègues.
43 Cette liste est établie en recoupant le plaidoyer de Labbé (Plaidoirie de Labbé devant le Parlement en faveur de Melchior Tavernier, op. cit.) avec celui de Servin (« Plaidoyé et arrest de la cour de parlement donné […] le 6. Jour de Mars 1620. Entre les Syndic & Gardes des Marchands Libraires, Imprimeurs, Relieurs de ceste ville de Paris », publié dans Louis Servin, Actions notables et plaidoyez, Paris, Étienne Richer, 1640, n° CXXVII, p. 951-956). On remarquera que le plaidoyer de Labbé ne mentionne ni le récit de voyage de Schouten, ni la Vocation des pasteurs de Du Moulin, cités uniquement par Servin.
44 Peut-être Ambroise Paré, Œuvres, Paris, Nicolas Buon, 1614 ? (cette septième édition reprend les bois gravés remontant à la première édition, mise en œuvre par Gabriel Buon en 1575).
45 Il s’agit peut-être de Blaise de Monluc, Commentaires, Paris, Jean Berjon, 1617 (Jean Berjon a collaboré avec Melchior Tavernier pour la publication conjointe, en 1617, des Mémoires de ce qui s’est passé, durant le Siège de Soissons).
46 Probablement l’Histoire romaine de Lucius Annaeus Florus… mise en nostre langue… par F. Nicolas Coeffeteau, Paris, Sébastien Cramoisy, 1615.
47 Il s’agit sans doute d’une des nombreuses éditions des Œuvres de Sénèque, traduites en français par Mathieu de Chalvet (première éd., Paris, Abel L’Angelier, 1604).
48 Peut-être Le Miroir des escoliers et pareillement aussi de toute la jeunesse (Paris, Léon Cavellat, 1586) ? L’ouvrage comporte des proverbes en flamand et en français.
49 S’agit-il du Dictionnaire françois-flamen très ample et copieux, augmenté outre les précédentes impressions d’un nombre presque infini de mots, dictions et vocables (Rotterdam, chez Jan Van Waesberghe, 1599) ?
50 Ubbo Emmius, Rerum Frisicarum historia [1598], Leyde, L. Elzévir, 1616 (l’ouvrage, vendu par Plantin en 1599, connaît de nombreuses éditions).
51 Pierre Du Moulin, De la Vocation des pasteurs, Sedan, Jean Jannon (ou Abraham Pacard), 1618.
52 L’équipe d’érudits, engagée par Marie de Gournay et menée par le maître de la Librairie du roi Jérôme Bignon, travaille pour une association de six libraires parisiens (Dallin, Petit-pas, Nivelle, Rigaud, Gueffier, Sevestre et la veuve Salis).
53 Michel II Sonnius a participé pour un quart ou un cinquième à l’édition de 1595 des Essais. Rappelons cependant que la traduction de La Théologie naturelle de R. Sebon par Montaigne avait déjà été vendue par Michel Sonnius en 1569 (rééd. 1581 ; le privilège est attribué à Gourbin).
54 The Relation of a Wonderfull Voyage made by William Cornelison Schouten, Londres, Nathanell Newberry, 1619 ; Relacion diara del viage de Jacobo de Mayre y Guillelmo Cornelio Schouten, Madrid, Bernardino de Guzman, 1619 ; Journal, oder Beschreibung der wunderbaren Reise Wilhelm Schouten, Francfort, Nikolaus Hoffmann, 1619 : seule l’édition allemande comporte des illustrations.
55 Louis Servin, Actions notables et plaidoyez, op. cit., p. 955, col. a.
56 Conseiller d’État depuis 1614, Louis Servin est connu, lors du procès, comme le champion de la cause gallicane (le fait qu’il soit un réformé converti ne le rapproche pas de Tavernier : Servin a aussi été tenté par la Ligue avant de choisir le parti du roi).
57 L. Servin, Actions notables et plaidoyez, op. cit., p. 955, col. b.
58 On sait encore peu de choses sur le libraire et marchand d’estampes Martin Gobert (encore en activité en 1646) : il travailla aussi avec le cartographe Christophe Tassin et partagea avec Melchior Tavernier la vente d’autres ouvrages cartographiques (comme pour Les plans et profils de toutes les principales villes et lieux considerables de France en 1638).
59 Servin précise que Tavernier vend aussi des « livres [qui] ne sont pas d’Autheurs qui traictent de Geographie, Geometrie & autres contenants des figures » (L. Servin, Actions notables et plaidoyez, op. cit., p. 955, col. b).
60 Ibid., p. 955, col. b.
61 Ibid.
62 Outre la gravure de deux navires sur la page de titre, les éditions amstellodamoises comportaient l’illustration d’une scène de chasse en Patagonie se déroulant à « Porto Desire » (aujourd’hui Puerto Deseado en Argentine).
63 Ibid., « A Monseigneur Du Vair, Garde des Sceaux de France », f. ã3r- ã4r.
64 Voir Les Négociations du président Jeannin [1656], dans Nouvelle Collection des Mémoires pour servir à l’Histoire de France, éd. Michaud et Poujoulat, Paris, Firmin-Didot, 1837, vol. IV : voir surtout la lettre de Jeannin à Villeroy du 14 mars 1608 (p. 301-305) et de celle de Jeannin à Sully du 15 mars 1608 (p. 305-307).
65 Voir Charles de La Roncière, « Le Passage du Nord-Est et la Compagnie française du pôle arctique au temps de Henri IV », Bibliothèque de l’École des Chartes, Année 1917, t. LXXVIII, Paris, 1918, p. 154-178 ; J. G. Van Dillen, « Isaac Le Maire et le commerce des actions de la Compagnie des Indes orientales », Revue d’Histoire Moderne, n°16, janvier-février 1935, p. 121-137.
66 Journal ou exacte relation de Guill. Schouten dans les Indes, Paris, Martin Gobert et Melchior Tavernier, 1618, « A Monseigneur Du Vair, Garde des Sceaux de France », f. ã3v.
67 François Martin de Vitré, Description du premier voyage fait aux Indes orientales par un François, Paris, Laurens Sonnius, 1604 (rééd. 1609).
68 Labbé, Plaidoirie de Labbé devant le Parlement…, op. cit., p. 6.
69 Ibid., p. 9-10.
70 Voir les analyses déjà citées de M. Grivel, « La réglementation… », art. cit. [note 2].
71 Sur ces cartographes, on lira Abraham Ortelius, 1527-1598 : cartographe et humaniste, éd. R. W. Karrow Jr., Turnhout, Brepols, 1998 ; Jean-Marc Besse, Les Grandeurs de la Terre. Aspects du savoir géographique à la Renaissance, Lyon, ENS-Éditions, 2004.
72 Comme cela est encore indiqué dans l’inventaire après décès de sa première femme (Documents du Minutier Central…, op. cit., t. I, p. 658 et 661).
73 Bouguereau rendait justice « en ces temps de Troubles & Guerres Civile » à « ung Graveur Flamand [qui avait] faict Graver en Cuyvre la Charte de France » (M. Bouguereau, Le Théâtre français, où sont comprises les chartes générales et particulières de la France, Tours, Maurice Bouguereau, 1594, « Advertissement aux benevoles lecteurs »).
74 Sur ce graveur présent à Tours en même temps que Gabriel Tavernier, voir S. Lepape, « Contribution à l’œuvre gravé de Jean IV Leclerc » dans L’Estampe au grand siècle. Études offertes à Maxime Préaud, Paris, École nationale des Chartes ; BnF, 2010, p. 135-155.
75 Labbé, Plaidoirie de Labbé devant le Parlement…, op. cit., p. 13.
76 M. Pastoureau, Atlas français, op. cit., p. 469.
77 Labbé, Plaidoirie de Labbé devant le Parlement…, op. cit., p. 17.
78 Telle est la profession du beau-frère de Melchior Tavernier, « sr Gedeon Gabille, marchand et tailleur doulceur », BnF, Ms. fr. 29286 (Pièces originales 2802), réf. 62 297.
79 Labbé, Plaidoirie de Labbé devant le Parlement…, op. cit., p. 2.
80 Ibid.
81 Ibid., p. 4.
82 Labbé s’en prend aussi à l’ignorance de Sonnius : « Aussi bien les demandeurs n’entendent ils rien en ce qui est de l’art du deffendeur » (Ibid., p. 9).
83 Sur la métaphore de l’esprit et de la main au service d’un savoir-faire professionnel à la Renaissance, voir l’analyse d’Ariane Bayle et Michel Jourde, « Imprimeurs et chirurgiens : le savoir, la main et le bien faire (1530-1580) » dans Nouveaux aspects de la culture de l’imprimé. Questions et perspectives, xve-xviie siècles, éd. Grégoire Holtz, Genève, Droz, 2014, p. 319-343.
84 Labbé, Plaidoirie de Labbé devant le Parlement…, op. cit., p. 15.
85 L’extrait du privilège du roi rappelle l’investissement considérable mis en œuvre pour ces gravures (Nicolas de Nicolay, Les Quatre premiers livres des navigations et pérégrinations orientales, Lyon, Guillaume Rouillé, 1568, f*1v).
86 Voir Estelle Leutrat, Les Débuts de la gravure sur cuivre en France : Lyon, 1520-1565, Genève, Droz, 2007, p. 21.
87 André Thevet, Vrais pourtraits et vies des hommes illustres, Paris, Veuve Jacques Kerver et Guillaume Chaudière, 1584, « Au benevole lecteur », f. b4v.
88 Étienne Pasquier, Recherches de la France, Paris, Laurens Sonnius, 1621, livre IV, chap. 24, p. 403-404.
89 Claude Expilly, Plaidoyers, Paris, Veuve Abel L’Angelier, 1619, p. 31.
90 Laurens Bouchel, Biblioteque ou tresor du droit françois [1615], Paris, Jean Girin et Barthelemy Riviere, 1671, t. III, p. 366 et suivantes.
91 Simon Marion, Plaidoyers, Paris, Michel Sonnius, 1609, p. 42-43.
92 Il faut préciser que les intérêts des uns et des autres se superposent : si Marion est vendu par Sonnius, c’est aussi parce que l’avocat avait défendu la Compagnie de libraires à laquelle appartenait Sonnius (Plaidoyers, op. cit., « Plaidoyé troisieme », p. 17-31).
93 Laurens Sonnius présente ainsi l’édition augmentée de l’œuvre de Pasquier : « Ayant recouvré de la Bibliotheque de feu Monsieur Pasquier Autheur de ces Recherches, par les mains de Messieurs ses enfans… » (Étienne Pasquier, Recherches, op. cit., « Le libraire au lecteur », f. ã2r).
94 Ibid., p. 4.
95 Louis Servin, Actions notables et plaidoyez, op. cit., p. 955, col. b.
96 Rabelais dans son Pantagruel (chap. VIII) célébrait déjà les « impressions tant elegantes que correctes, qui ont esté inventées de [s]on eage par inspiration divine ».
97 Labbé, Plaidoirie de Labbé devant le Parlement…, op. cit., p. 8.
98 Abraham Bosse, Traicté de manieres de graver en taille douce sur l’airin, Paris, « chez ledit Bosse », 1645. Parmi les graveurs qui l’ont influencé, Simon Frisius, Mathieu Merian et Callot, mais jamais son ancien maître Tavernier.
99 Michel de Marolles, Catalogue de livres d’estampes et de figures en taille douce, Paris, Frederic Leonard, 1666, en particulier p. 64, p. 72, p. 96, p. 102 et 107.
100 À l’exception de Schouten et de Paré, les ouvrages saisis n’étaient pas illustrés.
101 M. Grivel, « La règlementation… », art. cit., p. 18.
102 BnF, ms. fr. 22119, pièce 12 : « Extrait des Registres de Parlement », p. 21.
103 Cette affaire semble empoisonner les dernières années de Laurens Sonnius, comme le montre la section « Sindic et adjoints. Reddition de leurs comptes » des Archives de la Chambre Syndicale de la Librairie (BnF, ms. fr. 22814, f. 8r).
104 Ibid., f. 16r.
105 BnF, ms. fr. 22814, Archives de la Chambre Syndicale de la Librairie, section « Consulat », f. 341r : « 1629 1er février. Délibération de la Communauté par laquelle on ne s’oppose pas à l’élection au consulat de Sonnius lainé, sans toutefois déroger, ni préjudicier aux droits et prérogatives des marchands libraires ».
106 Marianne Le Blanc, D’acide et d’encre…, op. cit., p. 37 : en 1623, son associé Peeter Van Haecht, grand négociant d’Anvers, est poursuivi pour cette raison à Paris.
107 M. Grivel, « La règlementation… », art. cit., p. 19.
108 Sur l’association de Melchior Tavernier avec des ingénieurs militaires, voir M. Pastoureau, Atlas français…, op. cit., p. 469-470.
109 En épilogue des débats du procès de 1620, où était mentionnée la rivalité entre Tavernier et le graveur Leclerc, il faut citer la publication de l’atlas de Tavernier qui viendra concurrencer celui de Leclerc, le Theatre françois (M. Pastoureau, Atlas français…, op. cit., « Introduction », p. VI).
110 Ibid., p. 469. Sur Sanson, voir M. Pastoureau, Atlas français, op. cit., p. 387-436.
111 Sur la publication de ce texte, voir M. Le Blanc, D’acide et d’encre…, op. cit., chap. IV, p. 117-142.
112 Toutes les affaires de Melchior Tavernier n’ont pas été florissantes : la société qu’il créa avec Jean Monix et Louis Ferin fit banqueroute et suscita de ruineux procès (voir le Factum pour Melchior Tavernier, graveur et imprimeur du roi pour les tailles-douces, créancier et syndic des autres créanciers de Louis Ferin, Agnès Frarin…, 1632 ; après la mort de Tavernier, l’affaire poursuit les héritiers : voir le Factum pour Théodore Salel, Escuyer…, 1668).
113 Sur les « raisons inexpliquées » de ce virage dans la carrière de Tavernier, voir M. Pastoureau, Atlas français…, op. cit., p. 470.
114 Comme l’indique son inventaire après décès du 25 mai 1665 (Dictionnaire des éditeurs d’estampes, op. cit., p. 290).
115 On peut cependant citer l’Histoire de la mission des Pères capucins au Maragnon de Claude d’Abbeville en 1614 (qui contient sept gravures composées par Léonard Gaultier), les Voyages de Mocquet en 1617, ceux de Champlain en 1612. Citons aussi, pour la seconde moitié du siècle, les Voyages de Tavernier en 1676, le Voyage de Siam du Père Tachard en 1686, le Voyage du Sieur Le Maire en Gambie et Sénégal en 1695. Ce dénombrement superficiel, qui ne tient pas compte des frontispices ou des portraits de voyageurs, mériterait de faire l’objet d’une étude approfondie. Il ne tient pas compte des « imprimés géographiques » en langue française imprimés à l’étranger, parmi lesquels les récits illustrés sont nombreux, comme l’Histoire de la navigation de Van Linschoten (Amsterdam, Henry Laurent, 1600), l’Histoire naturelle des Antilles de Rochefort (Rotterdam, Arnout Leers, 1686), le Journal du voyage de Chardin (Londres, Moses Pitt, 1686), la Nouvelle découverte d’un tres grand pays situé dans l’Amérique de Louis de Hennepin (Utrecht, Guillaume Broedelet, 1697). Au début du siècle suivant, le tandem associant le graveur Bernard Picart au libraire amstellodamois Jean-Frédéric Bernard donnera ses lettres de noblesse aux illustrations des imprimés géographiques.
116 Il faut en effet faire exception des Six Voyages de Tavernier (Paris, Gervais Clousier et Claude Barbin, 1676) et des Voyages et observations de La Boullaye Le Gouz (Paris, François Clousier, 1657 ; mais dans ce dernier cas, il s’agit de bois gravés).
117 Jean-Baptiste Tavernier, Les Six voyages, op. cit., première partie, livre II, p. 151.