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« Maudits livres ». La réception de Luther et les origines de la Réforme en France [Exposition. Paris, Bibliothèque Mazarine, 14 nov. 2018 – 15 fév. 2019], comité scientifique : Frédéric Barbier, Marianne Carbonnier-Burkard, Geneviève Guilleminot-Chrétien, Yves Krumenacker, Florine Lévecque-Stankiewicz, Olivier Millet, Yann Sordet

Paris : Bibliothèque Mazarine & Éditions des Cendres, 2018. 339 p., ill.

Olivier PONCET

École nationale des chartes

Dans le cadre des commémorations de l’exposition des 95 thèses de Luther la veille de la Toussaint 1517 qui ouvre traditionnellement le temps de la Réforme, la Bibliothèque Mazarine a choisi de retenir la présence d’un recueil de textes du Réformateur attesté à Paris un an plus tard, à l’automne 1518 pour célébrer la réception de Luther en France à travers l’imprimé. Une exposition a été organisée du 14 novembre 2018 au 15 février 2019 : elle est accompagnée du catalogue qui fait l’objet de la présente note.

Organisé en six chapitres précédés chacun d’un essai introductif, l’ouvrage de belle facture matérielle dû à douze auteurs français et étrangers, fait défiler devant le lecteur 78 pièces qui vont du livre in-folio à la plaquette de quelques pages, en passant par un des rares exemplaires subsistants du fameux placard de 1534 (n° 53, exemplaire du Musée Calvin de Noyon, MC 81) et d’un manuscrit sur parchemin enluminé contenant deux catéchismes et un texte sur la confession des péchés offert à Marguerite de Valois vers 1530 (n° 46, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 5096). Il conte la réception de Luther par les livres, dans ses effets les plus immédiats, pro et contra : les pièces ici présentées s’étagent de 1490 (n° 4, Danse macabre imprimée pour Guillaume de Marnef) à 1564 (n° 77, le polémique Septiceps Lutherus de Johannes Cochlaeus). Chaque notice est l’occasion de savantes synthèses de quelques pages (une à cinq en général, les plus nourries en tête d’ouvrage) qui forment une espèce d’encyclopédie pointilliste du livre et de la Réforme en France : elles sont parfois placées sous des intitulés problématisés (« 13. Le pape est-il le successeur légitime de Pierre ? », p. 97-99) et on peut les lire en continu ou en picorant selon les reproductions publiées. Bref, les exigences d’un catalogue d’exposition lestées d’un solide discours historique.

Sans surprise, l’ouvrage s’ouvre sur une mise en contexte technique, religieuse et intellectuelle qui s’appuie sur les classiques en la matière : peut-on reprocher aux auteurs d’avoir mêlé Nef des fous, danse macabre, indulgences, groupe de Meaux ou Érasme ? Sur cette base solide, vient s’ancrer le premier épisode de cette histoire qui voit Luther (ou plutôt ses écrits et les débats qu’il suscite) débarquer sur la place parisienne. Comme le fait remarquer avec science Florine Lévecque-Stankiewicz, par ailleurs commissaire de l’exposition, l’écho des disputes saxonnes est immédiatement l’objet d’une poursuite judiciaire orchestrée conjointement par la Sorbonne et le Parlement (p. 81-92). Bientôt de Luther, on passe aux luthériens, dénomination « fourre-tout » (H. Bost, p. 13) qui devient synonyme d’hérétique étranger dans les textes officiels qui n’hésitent plus à parler de « secte luthérienne », hommage tout autant que flétrissure à l’endroit du moine augustin. Et les livres sont, faute de mieux, la meilleure preuve de l’adhésion à ces idées nouvelles. À une époque où n’existe pas encore un Index des livres interdits, posséder des livres jugés condamnables condamne aussitôt. Berquin l’apprend à ses dépens (p. 129 et suiv.). L’effet de source joue sans doute à plein, puisque les registres de la Faculté de théologie constituent le fil rouge de ces événements dramatiques, où Luther finit par se fondre dans l’ébullition réformatrice française, qu’il nourrit sans parvenir à la phagocyter totalement, et donne lieu à une légende noire y compris en France, signe manifeste de l’importance de son message (Yves Krumenacker, p. 265-277).

Et c’est précisément là que l’apport de l’histoire du livre est précieux. Par leur science, qui aurait assurément séduit les amateurs qu’étaient L. Febvre et H.-J. Martin, qui n’en avaient pas autant alors à leur disposition, les auteurs jettent les éléments les plus actualisés d’une érudition conquérante, qui rend à la bibliothèque de la Sorbonne ses audaces humanistes (C. Bénévent, p. 45-49) ou démonte la réutilisation des bois de Holbein le jeune dans une publication lyonnaise nettement luthérienne de 1542 (M. Carbonnier-Burkard, p. 252-255). Une mention spéciale revient sans doute à l’exacte origine de la saisissante gravure publiée dans un traité anti-luthérien du chartreux Pierre Cousturier en 1531 que Rodolphe Peter considérait comme la première représentation française de Luther : F. Lévecque-Stankiewicz nous apprend qu’il s’agit de la réutilisation d’une image qui figurait dans le Blazon des heretiques de Pierre Gringore en 1524, une œuvre qui ne nous est plus connue que par un fac-similé réalisé en 1532, démonstration efficace que les voies de l’histoire du livre ne restent pas toujours impénétrables.