Pierre de Provence dans le papier bleu
Marie-Dominique LECLERC
Université de Reims Champagne Ardenne-Crimel
« Aujourd’hui encore, si altéré et si changé qu’il puisse être, cet ouvrage a conservé, en partie, sa vieille renommée. Il vit encore dans la littérature populaire de plusieurs nations et n’a point cessé de faire les délices de beaucoup de bonnes âmes, par je ne sais quelle grâce et quelle suavité toute particulière de ton et de manière1 ». Ainsi s’exprime en 1846 Claude Fauriel, dans son Histoire de la poésie provençale, à propos du roman Pierre de Provence. De fait, depuis les impressions incunables, le texte n’a cessé d’être réimprimé en France comme en d’autres pays2, et son entrée dans la Bibliothèque bleue, au début du xviie siècle, en a fait un récit très répandu, connu et apprécié de ses lecteurs. Pourtant, si la trame est bien là, ce n’est pas tout à fait le même texte qui est donné à lire dans les premières éditions bleues3 et dans celles qui suivront aux siècles postérieurs. De réécriture en réécriture, le récit est remodelé et modulé et son inflexion progressive va l’amener à perdre son statut de roman de chevalerie au profit de celui de roman sentimental. C’est ce trajet qui fait l’objet de cette étude, laquelle tentera de montrer comment la Bibliothèque bleue, avec la multitude de ses éditions, a pu entretenir l’intérêt pour ce roman.
À TROYES, UNE PREMIÈRE VERSION EN 64 OU 56 PAGES
Pierre, fils du comte de Provence, vient d’être reçu chevalier, et il aspire à montrer qu’il en est digne. La réputation de la belle Maguelonne, fille du roi de Naples, les poursuites dont elle est l’objet de la part des princes qui se disputent sa main, lui inspirent le désir d’aller à cette cour et d’y disputer à son tour Maguelonne à ses nobles rivaux. Malgré ses parents dont il est le fils unique, il part pour Naples, figure dans plusieurs tournois d’où il sort vainqueur et, comme ses prouesses l’ont fait remarquer de Maguelonne, il en est bientôt aimé. La nourrice de la princesse ménage aux amants des entrevues, et un beau jour Pierre et Maguelonne quittent furtivement la cour et s’enfuient. Ils arrivent près d’une forêt ; Maguelonne fatiguée s’endort sur les genoux de Pierre lorsqu’un épervier s’empare du « sandal » où sont enfermées les bagues que Pierre a offertes à son aimée. Pierre met son manteau sous la tête de son amie et s’élance à la poursuite du ravisseur qui s’envole au-dessus de la mer. Pierre trouve une barque, y monte et s’éloigne de la terre. Un vent violent se lève et le pousse en pleine mer ; fait prisonnier par des corsaires, il est conduit auprès du Soudan d’Égypte qu’il sert pendant trois ans. Quant à Maguelonne, on peut juger de sa surprise et de sa douleur lorsqu’à son réveil, elle se voit abandonnée. Elle passe la nuit sur un arbre ; au petit matin, elle échange ses riches atours contre les pauvres vêtements d’une pèlerine et part pour Rome. Après s’être recueillie dans l’église Saint Pierre, elle se rend en Provence où elle fonde un hospice. Un jour, un voyageur malade est amené dans cet hospice, il s’agit de Pierre. Les deux amants se reconnaissent, se racontent leurs aventures et finalement se marient.
Au début du xviie siècle, Nicolas I Oudot met sous presse L’Histoire de Pierre de Provence et de la belle Maguelonne. Son impression, au format in-8 en 32 feuillets, intervient après nombre d’éditions antérieures, au xve et au xvie siècle, tant à Paris, Lyon4 que Rouen ou Avignon5. Son titre est sobre et oublie les qualificatifs de certains de ses prédécesseurs, en particulier ceux de « noble » et de « vaillant » venant fréquemment accompagner le nom de Pierre de Provence. On peut penser que c’est une impression parisienne qui servit de base pour la composition6 de Nicolas I Oudot. Les titres de chapitre correspondent assez bien en effet à ceux des éditions Bonfons (les plus proches dans le temps à Paris) et d’ailleurs ce sujet a été discuté par ailleurs avec pertinence7.
Le texte s’ouvre sur un prologue déjà présent dans les impressions antérieures des Bonfons et qui inscrit la destinée du héros sous la religion catholique et la providence divine qu’il faut louer. Puis le récit lui-même commence8 par un tournoi organisé par le comte, père de Pierre, et se déroule en 29 chapitres, soit une segmentation identique à celle de l’impression de la veuve de Jean Bonfons.
Le texte imprimé par Nicolas i Oudot garde des marques archaïsantes des versions antérieures, dans le vocabulaire comme dans le style. On notera en particulier qu’il reste quelques traces de l’oralité propre aux romans de chevalerie. Ces phrases qui viennent clore un chapitre, annoncent également le suivant et servent de transition lors des changements de sujet, surtout lorsque l’on quitte un personnage au profit d’un autre9. Par exemple, au chapitre 16, on peut lire : « Or laissons à parler du roy & retournons a Maguelonne qui estoit dormante au bois ». Mais comme ces traits d’oralité sont peu nombreux, on peut penser que seuls ont été conservés ceux venant éclairer l’action. Toutefois, l’impression dominante est celle d’une édition peu soignée, exécutée à la va-vite, dans une copie quelque peu aléatoire, truffant ainsi le texte de fautes et d’omissions le rendant parfois incompréhensible. Ainsi, au chapitre 710, la nourrice s’adresse en ces termes fort abscons à Maguelonne : « Ma chere Dame, ie ne dis sinõ pour vostre hõneur, car les choses qui sõt faictes & ordonnées par volonte ne sont pas à l’honneur de ceux quilesfõt [sic] mespriser de ceux qui entēdent bien que vous l’aimez car il est bien digne… ». Ce passage s’éclaire si on le lit dans l’édition de la veuve de Jean Bonfons : « Ma chere Dame ie ne dis sinon pour vostre hõneur, car les choses qui sont faictes et ordonnees par volunte hastive ne sont pas a lhonneur de ceux qui les font ne prisees de ceux qui les entendent ie loue bien que vous laimez car il est biēn digne… ».
On notera enfin qu’il semble bien que ce soit Nicolas i Oudot qui soit à l’origine du changement du nom du poisson pêché dans lequel on retrouve les trois anneaux. En effet de poisson « leu » (loup ?) sur le modèle du manuscrit de Colbourg, puis des éditions du xvie siècle (y compris l’édition de la veuve Jean Bonfons), il devient brochet marin chez Nicolas i Oudot, et le restera pour la plupart des éditions ultérieures11.
Au cours du xviie siècle, les éditions de ce titre vont se multiplier chez des imprimeurs troyens concurrents : Jean ii Oudot le jeune (vers 1590-1632), Parre Piot (actif entre 1620 et 1633), Eustache Regnault (actif entre 1662 et 1672), Yves Girardon (?-1686), Jacques ii Febvre (1657-1738), Edme ii Prévost (actif entre 1686 et 1707)12. Difficile de dire comment le texte évolua au fil de ces rééditions car ces impressions nous sont surtout connues par les inventaires des biens des imprimeurs ou par leur catalogue. En revanche, la production de ce titre13 par Jacques ii Oudot (1654-1711), en 1687 puis en 1700, est représentée dans nos bibliothèques, ainsi que celle de sa veuve14 en 1715. Ces impressions permettent donc d’apprécier les changements intervenus un siècle plus tard par rapport à l’édition donnée par Nicolas i Oudot, la première dans la bibliothèque bleue.
Avec l’impression de Jacques ii Oudot, on assiste à un véritable rajeunissement de l’écriture qui abandonne quantité de fautes et d’archaïsmes présents chez Nicolas i Oudot. Dans un nombre de pages identique, vocabulaire et style sont modernisés pour aboutir à une plus grande lisibilité. Quelques paragraphes apparaissent là où le texte de Nicolas i Oudot était monobloc ; des redondances sont supprimées ; certains titres de chapitre sont légèrement raccourcis et les transitions, anciennes traces de l’oralité, disparaissent ; les espaces temps sont revus à la hausse : selon les éditions de la dynastie Oudot, au retour de Pierre, on fit des réjouissances de 12 à 22 jours (12 chez Nicolas i Oudot), ses parents vécurent encore 10 à 12 ans après son retour (10 chez Nicolas i Oudot), et Pierre et Maguelonne règneront 20 ans ensemble (11 chez Nicolas i Oudot)15. On devine dans ces versions le désir d’embellir l’histoire par les durées de festivités et d’existence.
En ce qui concerne le récit lui-même, deux points retiennent l’attention quand on passe à l’édition de la veuve de Jacques ii Oudot16. Tout d’abord, les références à Dieu et à la Vierge sont un peu moins nombreuses, même si les protagonistes continuent de s’en remettre à Dieu, remercier le Tout puissant, et croire en la divine providence. À ce titre, la fin du roman est particulièrement éloquente : « Mais le noble Pierre et Magdelonne sa femme institueront un Hospital & une belle Eglise bien servie en l’honneur de la Trinité de Paradis, à l’honneur de Saint Pierre & S. Paul, auquel plaise de nous resiour nos tribulations en cestuy monde, & en la fin Dieu nous face posseder la gloire de Paradis » ; là où la veuve de Jacques Oudot imprime : « Apres le noble Pierre et Maguelonne, son épouse fonderent un Hôpital et une belle Eglise en l’honneur de la très sainte Trinité, ils y laisserent de gros biens, ce qui rendra leur memoire heureuse à jamais ». Cette conclusion va dans le sens d’un allègement général, y compris de l’implication religieuse. Rappelons au passage que le prologue débute sur « l’Ascension de nostre Seigneur Iesus Christ » et « la saincte Foy Catholique »17.
Mais, à côté de ce sentiment religieux omniprésent, la foi profonde des deux héros est quelque peu altérée et troublée par les élans du cœur. Pierre, en particulier, se laisse aller à une douce rêverie érotique, voire à des attouchements alors même que le mariage n’a pas été officiellement célébré18 : « Maguelonne dormant au giron d[e] Pierre comme dessus est dit il se delectoit de tout son cœur à admirer la merveilleuse beauté de sa dame, & quand il avoit bien contemplé son beau visage, & advise cette petite bouche vermeille, ne se pouvoit souller de la regarder de plus en plus, & regardant aussi ne se pouvoit tenir de la despoitriner, & regarder sa noble poitrine qui estoit plus blanche que christal & la voyoit & tatoit ses douces mammelles, en ce faisant estoit tãt ravy d’amour qu’il luy sembloy estre en paradis… » peut-on lire chez Nicolas Oudot. Si Jacques ii Oudot conserve cette licence, en revanche sa veuve va mettre un terme pudique à cette contemplation sensuelle, par Pierre, de « la merveilleuse beauté de son amie ». Le héros y paraît donc plus vertueux, même si le lecteur peut laisser vagabonder son imagination.
On peut d’ailleurs penser que c’est le même souci de décence19 – voire d’auto censure – qui empêche la nourrice, dans l’impression de la veuve de Jacques ii Oudot, d’aller trouver Pierre à l’église pour lui parler de Maguelonne. Elle le rencontre donc sobrement « chez lui », là où, chez Nicolas I Oudot, la nourrice « trouva façon & maniere de parler à Pierre, lequel estoit à l’Eglise tout seul qui disoit ces heures & elle entrant en la chapelle ou il estoit, fit semblant de prier Dieu… ». Il peut avoir paru inconvenant à l’imprimeur qu’une telle rencontre se déroulât en un lieu saint alors même qu’il est question d’amour terrestre et non divin et qui plus est, alors que la nourrice feint de prier pour arriver à ses fins. Et il en sera de même pour la rencontre suivante, lorsque Pierre cherche à voir la nourrice : à l’église pour Nicolas i Oudot ; en un lieu indéterminé pour la veuve de Jacques ii Oudot.
À TROYES, D’AUTRES VERSIONS EN 48 PAGES
Au début du xviiie siècle, la tendance éditoriale des imprimeurs troyens de livrets est non seulement au rajeunissement de l’écriture, mais aussi à l’allègement du texte. En 1714, la veuve de Jacques ii Oudot propose donc une nouvelle version du roman en 48 pages, qu’elle reprendra ensuite avec son fils en 172920. Elle œuvre dans le sens d’un resserrement de l’histoire, pour la réduire de près d’un tiers21. Il s’agissait de contenir le récit dans un nombre plus faible de pages, vraisemblablement pour en abaisser le coût. Les modifications interviennent essentiellement sur la seconde moitié du roman où plusieurs chapitres sont raccourcis et d’autres complètement supprimés. En effet, le récit s’accélère à partir des retrouvailles des deux amants et ne se développe pas proportionnellement à la durée de chaque épisode de l’histoire. Nous avons relevé quatre chapitres nettement raccourcis et trois autres disparus. La première suppression touche le chapitre 20 lorsque Maguelonne descend de l’arbre où elle s’est réfugiée22. Les deux autres se rapportent aux chapitres 25 et 27 concernant le comte et la comtesse, les parents de Pierre, comme si ces deux personnages étaient perçus comme secondaires par rapport aux aventures mouvementées des deux héros. Mais ici, contrairement à d’autres cas de réécriture, le récit garde sa cohérence ; les transitions ont été assurées et l’écriture a poursuivi sa modernisation. Il en résulte néanmoins une minimisation des tourments physiques et psychiques des deux amants ainsi séparés. C’est comme si le nouvel auteur (l’imprimeur ?) voulait en arriver plus vite au dénouement pour réunir enfin les amoureux trop longtemps séparés. Et du coup, à la fin du récit, il prend soin de les faire vivre encore 20 ans ensemble, comme pour compenser cette trop longue séparation23. On notera enfin la grande instabilité du texte qui, d’une édition à l’autre, innove, non dans l’action, mais dans l’écriture. Tel compositeur change des adjectifs ou modifie des verbes, tel autre ajoute ou enlève une petite partie de phrase au gré de la composition et de la mise en page. Tout cela fait de Pierre de Provence un roman à part, une exception dans le paysage éditorial de la Bibliothèque bleue qui, par ailleurs, pratique plutôt la copie servile.
Toujours est-il que c’est ce découpage et cette organisation du texte, initiés par la veuve de Jacques ii Oudot, qui sont ensuite repris par Pierre Garnier (1662-1738) et ses successeurs à savoir Jean Garnier (1706-1765), puis Jean-Antoine Garnier (1742-1780), Étienne Garnier dit le Jeune (1743-1783). Relevons de notables exceptions toutefois : les impressions à l’adresse de Veuve Garnier24, Garnier25, Femme Garnier, Citoyenne Garnier26 et A.P.F. André27, qui doivent ici nous retenir.
Également en 48 pages, ces cinq dernières éditions, contrairement aux précédentes, dévoilent un nom d’auteur, mais masqué : « par M. le Comte de T… ». S’agissait-il de ne pas compromettre un auteur dont les réécritures étaient initialement destinées à être publiées dans un périodique28 pour public lettré, la Bibliothèque universelle des romans ? Le texte de Pierre de Provence y paraît pour la première fois en 1779, dans une version qui est en fait de la plume de Louis-Elisabeth de La Vergne, comte de Tressan. Il s’agit d’une véritable réécriture dans la mesure où l’histoire est réinterprétée. Dès l’ouverture29 apparaissent les attributs du saint patron du héros, les clefs, peintes ou brodées. C’est un vieux chevalier provençal, Castellanos, qui incite Pierre à aller chercher l’aventure à la cour de Naples, là où règnent les charmes de la belle Maguelonne, héritière du royaume. Il lui conseille aussi de celer sa haute naissance, de manière à acquérir, par sa seule vaillance, l’amour de la belle. Dès ces prémices, on voit que le comte de Tressan tient à légitimer l’attitude future du héros, peu compréhensible dans les versions antérieures. Et d’ajouter : « Pierre se prépara pendant toute la nuit à paroître à ce tournois, l’usage étant alors d’admettre tout étranger à combattre, sans l’obliger de déclarer son nom, pourvu qu’il fût armé & monté comme tout chevalier devoit30 l’être ». Pierre, vainqueur du tournoi, reçoit la couronne des mains de Maguelonne et d’emblée le trouble amoureux s’installe entre eux. Mais lorsque le roi prie le champion de déclarer son nom et sa naissance, « Pierre répondit avec modestie, qu’il n’étoit qu’un jeune & pauvre Chevalier françois, & qu’il devoit cacher un nom que rien encore n’avoit illustré » là où, dans l’édition de Pierre Garnier, on peut lire : « … je suis un pauvre Chevalier de France qui cherche le monde comme Chevalier errant pour acquérir honneur et prix ». Le comte de Tressan a peut-être senti que l’errance du chevalier ne serait plus un critère d’honneur et de valeur pour les lecteurs du xviiie siècle.
La suite du récit ne s’éloigne guère de la trame du livret de Pierre Garnier, même si, en plusieurs endroits, réapparaît le besoin de justification. Ainsi, il aurait pu paraître curieux, pour le lecteur du siècle des Lumières, que les deux amants ne se reconnaissent pas plus tôt lorsque Pierre est hospitalisé à Aigues-Mortes. Le comte de Tressan y pourvoit : « Maguelonne, en sortant de l’hôpital de Rome, avoit eu soin de ternir la blancheur de son teint & de ses mains avec une infusion de safran ». Elle dissimule ainsi la blancheur de son teint, caractéristique de la noblesse, sous un hâle de pauvre pèlerine qui marche sous le soleil ; de plus, ce teint jaune lui donne l’air malade.
C’est toujours dans ce même souci de cohérence que l’auteur n’oublie pas, à la toute fin du récit, de lui faire effacer « les couleurs qui la défigurent » lorsqu’elle veut se faire reconnaître de Pierre. Rappelons que dans les versions les plus anciennes, avant l’édition de Nicolas i Oudot, Maguelonne, après avoir échangé ses vêtements avec ceux de la pèlerine, se souille le visage avec de la terre mélangée à de la salive. Il s’agit certes de ne pas être reconnue, mais aussi de préserver sa vertu. À plusieurs reprises d’ailleurs, le comte de Tressan fait allusion au sang chaud des Français, la nourrice s’adressant ainsi à Pierre : « Oh ! que vous êtes dangereux, vous autres chevaliers gaulois ! […] Ah ! Sainte Vierge, que serait-ce si vous n’étiez qu’un aventurier comme il en court par le monde, ou si vous étiez aussi volage que le sont les Chevaliers de notre pays ? » Vers la fin du roman, la veuve qui recueille Maguelonne lui dit : « Suivez-moi, mon enfant ; ne vous exposez point à votre âge à la galanterie pétulante de nos Provençaux ». D’ailleurs, Pierre lui-même, lors de la fuite des deux amants, a bien du mal à réfréner ses ardeurs : « Pierre soupiroit, brûloit d’amour, baisoit ses beaux cheveux blonds. Ses lèvres enflammées s’entr’ouvroient pour respirer la douce haleine d’une bouche de roses ; mais le respect le retenoit toujours ». Et un peu plus loin, pendant le sommeil de son aimée : « Pierre admiroit les charmes qu’une gaze légère laissoit entrevoir ; sa bouche entr’ouverte à la fraîcheur, laissoit voir l’émail de ses dents, qu’Hébée même eut enviées. Ah ! Pierre, quels transports ! Quel nouveau genre de martyre n’éprouviez-vous pas alors ? & ne méritiez-vous pas de remporter la palme de la pudeur & de la loyauté sur Arbrissel même31 ? »
Ce dernier point invite à revenir sur le style de l’auteur, empreint de préciosité, de redondances, d’accumulation de qualificatifs et d’exclamations. Comme l’écrit François Roudaut32, il s’agissait de « donner à un texte populaire (instable, donc malléable) une “dignité” littéraire, et permettre à cette production de tenir son rang dans la nouvelle rubrique des catalogues des libraires, au xviiie siècle : celle des “Romans de chevalerie” ou des “Romans français anciens” ». De plus, en changeant de registre et de lecteurs, un roman aussi court pouvait s’affranchir d’une division en chapitres puisqu’il s’adressait cette fois à des lecteurs lettrés. Mais ce fut peut-être un peu moins vrai pour les lecteurs de la Bibliothèque bleue qui découvrirent cette nouvelle version. Signalons encore que les différentes péripéties auxquelles sont soumis les deux héros sont mises en exergue par des effets de prolepse33, dès le prologue : « … mais la fortune, qui ne fait pas toujours des heureux, va produire pour eux plus d’épines que de roses ». Plus loin, dans le texte, on peut lire, parmi d’autres, à propos des trois anneaux : « Hélas ! Il ne prévoyoit pas à quel point ces anneaux alloient lui devenir funestes ». Il s’agit, pour l’auteur, de maintenir l’intérêt du lecteur jusqu’à l’épilogue dans lequel toute idée de durée de fêtes ou de vie a disparu au profit d’un « happy end » dans lequel les deux héros se retrouvent34 et se marient avec la bénédiction des parents et de l’évêque de Marseille. Même le sultan, appelé ici « Soudan d’Alexandrie », « leur fit les plus riches présens » alors que ce personnage, vers lequel Pierre avait promis de retourner, est complètement oublié par ailleurs.
Charles-Louis Baudot (1795-1849), qui rachète le fonds de Madame Garnier en 1830, va continuer d’imprimer le texte de Tressan. Il y apportera très peu de modifications et se contentera, la plupart du temps, de corriger quelques coquilles35.
À ROUEN : UN TEXTE EN 48 PAGES MAIS DEUX VERSIONS
À la même époque que Nicolas i Oudot, les imprimeurs de Rouen mettent sous presse des romans de chevalerie dont Pierre de Provence. Le contemporain rouennais est Louis ii Costé (1585 ?-1632) qui produit un texte en deux colonnes et 24 feuillets36. Il semble qu’il soit parti de la même source parisienne que Nicolas i Oudot (une édition Bonfons ?) mais en lui restant plus fidèle37. Toutefois, peut-on penser que les éditions de Louis Costé relèvent déjà de la Bibliothèque bleue ?
Aucun doute en revanche avec l’édition de Jean-Baptiste i Besongne (actif de 1676 à 1730) parue en 1700. Consignée en 48 pages38, cette impression se distingue de la version troyenne de Pierre Garnier pourtant renfermée dans le même nombre de pages. Manifestement, en ce début de xviiie siècle, la raison commerciale conduit les imprimeurs des deux villes aux mêmes stratégies éditoriales, mais avec des choix textuels différents. Au moment où les amants sont séparés à la suite du larcin de l’oiseau, Pierre de son côté et Maguelonne du sien sont au désespoir et leur détresse s’exprime au travers d’un long monologue qu’ils déroulent chacun dans leur solitude. Ces deux monologues sont fort raccourcis chez Pierre Garnier alors qu’ils sont conservés chez J. B. Besongne. De même, on conserve à Rouen le chapitre où Maguelonne descend de l’arbre où elle a passé la nuit. Les coupes rouennaises se font ailleurs, pour arriver aux 48 pages visées. En fait, elles interviennent sur la fin du roman. Deux chapitres entiers sont brutalement supprimés. D’abord celui de la prise du poisson qui permet de retrouver les trois anneaux, en sorte que cette version se prive d’un motif folklorique traditionnel, généralement fort apprécié des lecteurs qui aiment à retrouver ces topoï. Ensuite, beaucoup plus grave pour la cohérence de l’histoire, celui où Pierre séjourne longuement en la cité du sultan. Chez J. B. Besongne, nous retrouvons donc Pierre endormi sur l’île de Sagona sans qu’ait été ménagée une quelconque transition. Enfin, l’organisation des tout derniers chapitres du roman est différente chez J. B. Besongne et chez P. Garnier.
Une autre différence d’importance apparaît entre les deux éditions : là où Pierre Garnier avait « moralisé » son récit, J. B. Besongne conserve les rencontres à l’église entre Pierre et la nourrice, ainsi que la main par trop sensuelle du héros admirant les « mamelles » de son amie. Sont-ce les raisons pour lesquelles ce roman apparaît, en 1709, dans la liste des livres « approuvables moyennant grandes corrections »39 et dans celle de 1710 parmi les livres « remplis de libertez trop grandes » ? Et pourtant, comme l’écrit Jean-Dominique Mellot40, ces ouvrages (sept en tout sont soumis) « n’ont rien de ravageur ».
Toujours est-il que, dès l’édition de Jean Oursel l’aîné41, disparaît la touche libertine de Pierre mais les rencontres à l’église sont maintenues. Et il en sera de même pour l’édition de la Veuve Oursel42, celle de Jean-François Behourt43, puis celles de sa veuve.
Cette dernière donne l’exemple d’une nouvelle manœuvre éditoriale. Après avoir imprimé le texte de ses prédécesseurs, elle met sur le marché une nouvelle version, celle du comte de Tressan, adoptant ainsi la même stratégie que les imprimeurs troyens. Dans les deux cas, il s’agit de renouveler l’intérêt du public et de répondre aux nouvelles attentes des lecteurs dont les goûts évoluent.
À la fin du siècle, Pierre Seyer s’associe, entre 1787 et 1803, à Pierre-Louis Behourt et ils adoptent pour leur compte le texte du comte de Tressan44. Enfin, au cours de la première moitié du xixe siècle, Lecrêne-Labbey45 reprend cet atelier dans lequel il imprime au moins par trois fois Pierre de Provence46, dans un nombre de pages compris entre 45 et 48. De façon surprenante, il renonce au récit enjolivé du Comte de Tressan et revient à une version plus ancienne. De plus, une de ses éditions comporte une approbation délivrée le 19 mai 1738 à Pierre Garnier, imprimeur-libraire à Troyes47. Sans doute a-t-il repris une impression troyenne antérieure pour servir sa copie, jusque dans l’approbation. Un exemplaire d’une autre édition de Lecrêne-Labbey porte la date manuscrite de 1811 et est truffé de corrections autographes en vue d’une nouvelle édition48. De fait, une impression de 1811 suit cette nouvelle mise en page qui correspond aux notes apposées sur l’exemplaire précédent.
EN D’AUTRES VILLES… CONSTANTES ET DIVERGENCES
Par la suite, et dans tout le courant du xixe siècle, les éditions se répartissent entre ces deux versions.
Dans la lignée du texte de Pierre Garnier, mais avec des retouches sporadiques, s’inscriront les impressions de Martin-Muiron à Lille49, d’Antoine Navarre, de Desclassan et Navarre, de J. M. Corne (actif de 1816 à 1835) à Toulouse, de Jean Martin à Toulon, toutes en une trentaine de pages grâce à l’emploi d’un très petit caractère. En revanche, les impressions de Deregnancourt à Douai (actif de 1805 à 1835), de la veuve Vivot50 et de Michel Vivot51 à Bruyères en 1802 et 180952 sont sur le modèle de l’édition troyenne en 48 pages de la veuve Jacques ii Oudot.
Du côté de la version Tressan, on rencontre une impression chez Offray aîné à Avignon, plusieurs à Montbéliard chez les Deckherr (1823, 1841, 1842, s. d.) et à Épinal chez Pellerin, dont une sans date et une autre en 1836.
Mais c’est François Chapoulaud (actif de 1794 à 1840) à Limoges qui crée la surprise en proposant une nouvelle version en 28 pages et 30 chapitres, là encore dans un très petit caractère typographique, avec pour titre L’Histoire du vaillant Pierre de Provence, et de la belle Maguelone, fille du roi de Naples ; Contenant leur chaste Amour & Mariage. En voici l’incipit : « Lorsque la foi commença à régner les parties des Goles [sic], qui est aujourd’hui appelée France, il y avait en Provence un Comte nommé Messire Jean de Getile, qui avoit pour femme la fille du Comte Alvaro d’Albata ». En fait, ce qui était le prologue dans la version troyenne est passé dans le premier chapitre sous le titre « De la Naissance & éducation de Pierre de Provence ». L’accent est ici mis sur l’origine noble du héros et non plus sur l’organisation du tournoi qui voit Pierre s’illustrer dans les faits d’armes pour la première fois.
La suite du texte donne lieu à divers remaniements : titres de chapitre modifiés et raccourcis, agencement des chapitres différent, composition de chapitres souvent très courts (plusieurs d’une demi-page) aboutissant à une impression de sur-découpage du récit. À l’inverse, il arrive aussi que deux chapitres soient réunis en un seul ; ainsi, les joutes faites en l’honneur de Maguelonne et l’invitation du roi à dîner forment un seul chapitre. En d’autres lieux, c’est le contraire, c’est-à-dire qu’un chapitre initial en est devenu deux chez Chapoulaud. C’est le cas par exemple de la rencontre des deux amants à la chambre de Maguelonne qui se subdivise en « Comme Pierre vint parler à Maguelone par la porte du jardin » d’une part et « Comme Maguelone parloit souvent à sa Nourrice de son cher Amant » d’autre part. Par ailleurs, plusieurs noms de personnes et de lieux sont modifiés53. On le voit avec les patronymes des parents de Pierre par exemple, ou encore avec l’origine de Messire Perrier de Couronne qui part de Normandie pour certains (imprimeurs de Troyes), de Rome pour d’autres (imprimeurs de Limoges).
Toutefois, c’est à partir du dernier tiers de l’histoire que les deux récits divergent véritablement. Dans la version de François Chapoulaud, après la séparation des deux amants à la suite du vol des bagues par l’oiseau, il n’est plus question que de Pierre. Maguelonne est totalement oubliée et le lecteur ne la retrouve que lors de la prise du poisson « leu », orthographié ici « len »54, des anneaux retrouvés dans son ventre et de la visite de la comtesse à Maguelonne, en sorte que le lecteur ne saura jamais comment l’héroïne est devenue hospitalière en Provence. La suite est tout aussi incongrue. On rejoint Pierre endormi dans l’île de Sagona mais « que fait-il sur cette île ? » se demande le lecteur qui est passé sans transition du séjour auprès du sultan à l’endormissement insulaire. Sont omis également le passage concernant les barils de sel pourtant fort utiles à Maguelonne pour financer la construction de son hôpital, des monologues et divers éléments fixant la véracité du récit. La fin, bien que très raccourcie, est un peu plus conforme au récit initial. Pierre arrive à Aigues Mortes, se rend à l’hôpital de Maguelonne qui le reconnaît et l’histoire se termine par leur mariage. On apprend même qu’ils « moururent l’an 210, après la Résurrection du Sauveur ».
Une édition sans lieu ni date, mais peut-être limougeaude, présente le même titre, le même texte dans une impression plus soignée puisque des coquilles ont été corrigées. Elle est consignée en 31 pages dans un format inférieur à celui de Limoges.
Il est possible que l’on puisse encore rattacher à cette famille de textes une édition d’Aix [en-Provence ?] chez J. B. Barbe-Large [?]. Renfermée en 32 pages, L’Histoire du noble et vaillant chevalier Pierre de Provence et de la belle Maguelonne Fille du Roi de Naples. Où sont écrits ses beaux faits et leurs bennes [sic] amours & Mariage voit son titre encore allongé. En mains privées, ce livret n’a pu être consulté. De plus, n’ayant pu trouver d’imprimeurs portant ce nom dans cette ville, nous nourrissons des doutes sur son adresse typographique. Et, mis à part le nombre de pages et le titre proches de celui de Limoges, rien d’autre n’indique a priori qu’il s’agisse du même texte.
Cette version limougeaude réserve encore quelques surprises puisqu’elle se retrouve dans une impression dite « À Troies Chez la Veuve Le Févre, Imprimeur Libraires [sic] ». Néanmoins, plusieurs faits sont troublants. Si le titre et le nombre de pages sont les mêmes qu’à Limoges, le bois gravé du titre est une copie de celui apposé sur l’édition d’Aix dont nous venons de parler, mais aussi sur l’édition lyonnaise de Claude Chancey (1665). Il exista bien à Troyes, vers la mi-xviiie siècle, une veuve Le Febvre55 mais nous doutons que cette impression soit sortie de son atelier. Il pourrait s’agir, dans les deux cas, d’adresses fantaisistes, de contrefaçons, sans que l’on puisse attribuer, en l’absence de datation, l’antériorité à l’une plutôt qu’à l’autre56.
Nous mentionnons enfin la version que Jean Castilhon fait paraître en 1770 dans le premier volume de La Bibliothèque bleue entièrement refondue et considérablement augmentée57. Son texte, divisé en onze chapitres, comprend « des situations et des épisodes nouveaux » comme l’indique la préface. Nous ne signalons ce texte que pour mémoire car, contrairement à celui de Tressan, il ne semble pas avoir intégré les éditions de colportage.
INSTABILITÉ DU TEXTE MAIS PERMANENCE DE LA PAGE DE TITRE
Comme a pu le noter François Roudaut58, manuscrits et premières éditions présentent peu de variantes de l’histoire. Il n’en va plus de même lorsque le texte intègre la Bibliothèque bleue. Dans les brochures populaires, nous relevons au moins cinq versions différentes. Si les premières impressions troyennes sont encore fidèles au récit transmis par ses premières impressions, il n’en va plus de même au cours du xviiie siècle où l’on assiste à un resserrement de l’histoire avec une recomposition plutôt cohérente à Troyes, mais beaucoup moins soignée à Rouen à cause de suppressions mal établies qui rendent le récit peu clair. Des problèmes identiques apparaissent à Limoges, bien que dans une version encore autre59. Enfin, le xixe siècle ne fera plus preuve d’invention, se contentant de reprendre le travail des prédécesseurs. On reprendra, en particulier, la version de Tressan à laquelle resteront fidèles les imprimeurs qui l’adopteront. Il n’y eut donc pas de réécriture à partir de cette dernière, seulement des réimpressions.
Pour terminer, disons quelques mots de l’illustration. Comme nous l’avons étudiée par ailleurs60, nous nous contenterons de quelques remarques générales. Le couple célèbre s’affiche en page de titre de la plupart des éditions. Si, dans les éditions les plus anciennes, Pierre apparaît en preux chevalier avec armure, épée et étendard, il quitte rapidement cette armure pour une tenue élégante qui sied à son rang. La chevalerie s’éloigne alors au profit de l’histoire d’amour. Et toutes les impressions troyennes reprendront l’image de ce couple dans laquelle Maguelonne tend une fleur à Pierre qui avance une main pour la saisir. Le héros porte un manteau court, sur une culotte bouffante, une fraise autour du cou, un chapeau à haute calotte et une épée au côté droit. Maguelonne est vêtue d’une robe à grands motifs avec des mancherons ; elle arbore une coiffure en hauteur d’où s’échappe un voile qui pend dans le dos. Cette gravure, qui s’impose en page de titre dès l’édition de Nicolas I Oudot61, va devenir en quelque sorte, dans l’esprit des lecteurs populaires, l’emblème du couple amoureux. Toutes les éditions de la dynastie des Oudot en seront pourvues, puis celles des Garnier, en sorte que les amants resteront vêtus, au fil des éditions, selon la mode de la seconde moitié du xvie siècle. De légères modifications interviendront toutefois avec les éditions renfermant la version du comte de Tressan : allègement de l’arrière-plan, fleur remplacée par un rameau fleuri, vêtements plus sobres… À la noblesse des vêtements succèdent la modestie et la discrétion de la tenue d’un errant et d’une hospitalière. Peut-être est-ce aussi l’idée qui domine dans l’illustration des éditions controversées d’Aix et de Troyes.
En d’autres lieux, l’illustration se fit plus lâche, voire fut quasiment absente, remplacée par un simple cul de lampe. Ne restait alors que le texte pour nourrir l’imaginaire mais cela suffisait peut-être aux lecteurs, qu’ils soient modestes acheteurs ou au contraire collectionneurs érudits comme Charles Nodier qui écrit, vers la mi-xixe siècle : « Il n’y a point de cœur si blasé qui ne tressaille encore au nom de la belle Maguelonne et son doux ami Pierre62 ».
RÉCEPTION DE L’ŒUVRE : QUI LISAIT PIERRE DE PROVENCE DANS LE PAPIER BLEU ?
Que sait-on de tous ces anonymes, consommateurs de livrets bleus et plus particulièrement de l’histoire de Pierre de Provence ? Peu de choses et malgré tout quelques traces sporadiques permettent d’apprécier cet engouement pour l’œuvre. Helwi Blom63, qui a mené l’enquête pour les romans de chevalerie, constate qu’au xviie siècle, en milieu aisé, on renvoie généralement le roman vers les lectures enfantines ou bien féminines et elle en donne plusieurs preuves. Retenons par exemple cette remarque que François Poulain de la Barre met dans la bouche de l’un des locuteurs de son ouvrage De l’éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences et les mœurs (1674) : « quand nous entrons dans les Ecoles publiques pour y estre instruits […] nous prenons pour des histoires véritables celles de Richard sans peur & de la belle Maguelone, & tous les autres contes que nos grandes meres, & nos nourrices nous ont appris. ». Cette lecture en milieux modestes est généralement dénigrée par les auteurs lettrés qui en font parfois un objet de raillerie. Lisent Pierre de Provence, dans le papier bleu, les savetiers, les boulangers, les rôtisseurs, les bateleurs (Tabarin), les harangères… Par exemple, Rosimond, dans L’avocat sans étude, met en scène Carille, un savetier qui se prétend avocat. Pour faire impression, le pseudo homme de loi cite, comme textes de lois « Pierre de Provence, Richard sans peur, la belle Maguelonne »64.
Cette dépréciation65 n’empêche pas le roman de figurer dans des bibliothèques privées de lettrés. Ainsi rencontre-t-on ce titre au xviiie siècle dans le catalogue de Guillaume Boissier (1725), dans celui de la Comtesse de Verrue (1737) ou encore dans celui de l’abbé de Voulges (1750). Il faut aussi dire que depuis le xviie siècle, Pierre de Provence, tout comme d’autres romans de chevalerie, était devenu le sujet de jeux littéraires ou épistoliers. En 1650, un recueil anonyme de rondeaux renferme des poésies consacrées à quatre héros présents dans la Bibliothèque bleue dont Pierre de Provence :
Francs Chevaliers, qui parmy vos arnours
Souffrés méhaim, traverses, & clamours,
Souvenez-vous de Pierre de Provence ;
Ainsi que luy, ioye, soulas, respit
D’amour aurez, s’avez bonne cons-tance,
Malgré fortune, & mesmes en dépit
De tout le monde66.
Madame de Sévigné parsème ses lettres d’allusions aux romans de chevalerie et sa fille et le mari de cette dernière, le comte de Grignan, sont surnommés la belle Maguelonne (ou Madelonne) et Pierre de Provence. En 1669, dans les Lettres de Babet, roman épistolaire d’Edme Boursault, Babet rédige une réponse à son amant en empruntant à Pierre de Provence. Et plusieurs pièces de théâtre mettent en scène des personnages comiques qui doivent leur savoir aux livrets de la Bibliothèque bleue. C’est ainsi que Pierre de Provence est cité, outre dans L’avocat sans étude déjà mentionné, dans les Œuvres burlesques dédiées à Monsieur le Marquis de la Coque (Pierre Nouguier, 1650), dans Le Cartel de Guillot (1661), dans Crispin précepteur (Théâtre de M. de la Thuillerie, 1680) ou encore dans Le Bel-Esprit (Le Théâtre italien de Gherardi, 1694).
Par ailleurs, le sujet de Pierre de Provence servit de prétexte à des fêtes de divertissements. En 1624, pendant le carnaval à Toulouse, se déroula un carrousel au cours duquel l’on put admirer Pierre de Provence et sa belle Maguelonne. En 1638, c’est un ballet qui fut dansé par Gaston d’Orléans devenu pour l’occasion Pierre de Provence. La jeune femme qu’il devait séduire fut bien évidemment la belle Maguelonne. Ce ballet bouffe, bien éloigné du récit médiéval, connut un certain succès et fut repris plusieurs fois, y compris à la cour. En 1690, fut représenté Le ballet extravagant. Dans cette comédie de Jean Palaprat, l’un des protagonistes parle « du plus beau morceau d’Opéra » qu’il connaît, à savoir le « Dialogue de Pierre de Provence avec la belle Maguelonne » composé par l’un des autres personnages de la pièce.
Érigée en symbole de l’amour, l’histoire de Pierre de Provence et de son amante devint donc prétexte à des divertissements musicaux et théâtraux dans les milieux aisés. Parallèlement, les deux héros s’inscrivaient dans les impressions populaires de la Bibliothèque bleue et le récit de leurs amours tourmentées se répandait d’un lieu à l’autre, au gré des ateliers d’impression. Ce fut donc un beau succès de librairie qui traversa toutes les strates de la société à la faveur de trois siècles de production éditoriale.
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1 Claude Fauriel, Histoire de la poésie provençale, Paris, Jules Labitte, 1846, t. iii, p. 507.
2 Voir la liste établie par François Roudaut, Pierre de Provence et la belle Maguelonne, Paris, Classique Garnier, 2009, p. 255-280. Nous nous sommes efforcée de compléter son relevé, mais il serait illusoire de prétendre avoir retrouvé toutes les éditions qui ont été faites de ce roman. Par ailleurs, après une introduction, F. Roudaut propose la transcription de l’édition donnée à Lyon par B. Buyer en 1477-1479.
3 Nicolas i Oudot (vers 1585-1636) plutôt que Nicolas ii Oudot (1616-1692), nous semble-t-il d’après le matériel de cette édition non datée, de sorte qu’elle se situerait dans le premier quart du xviie siècle.
4 Pour Lyon, il convient de signaler une édition non pas antérieure, mais contemporaine de celle de Nicolas i Oudot. Datée de 1625, elle est renfermée dans le même nombre de pages, mais semble plus soignée dans son respect du texte. Toutefois son imprimeur-libraire, Jean Didier, n’est pas connu comme imprimeur de la Bibliothèque bleue.
5 Pour les éditions de la Bibliothèque bleue, voir Alfred Morin, Catalogue descriptif de la Bibliothèque bleue de Troyes, Genève, Droz, 1974 ; et Helwi Blom, « Vieux romans et Grand siècle ». Éditions et réceptions de la littérature chevaleresque médiévale dans la France du dix-septième siècle, Paris, Garnier, sous presse. Dans cet ouvrage, l’auteur présente la production de romans de chevalerie au xviie siècle et leur réception. Nous nous proposons ici d’étudier l’évolution du texte au fil des éditions successives de la Bibliothèque bleue.
6 Rappelons que la copie, plus ou moins servile, était la pratique courante des imprimeurs de brochures bleues.
7 Helwi Blom, « Pierre de Provence et la réception des romans de chevalerie médiévaux dans la France du xviie siècle », Cahiers de recherches médiévales, 2, 1996, p. 51-60. Après comparaison avec l’édition de la veuve de Jean Bonfons (Musée Condé, Chantilly), nous pensons que c’est une impression de cet atelier qui a servi de modèle.
8 Incipit après le prologue : « Les Barons & les Chevaliers du pays un iour firent un Tournoy duquel Pierre fit le pris nonobstant qu’il y eut plusieurs chevaliers de diverses cõtrées… »
9 Les traces d’oralité dans le texte de Nicolas i Oudot sont celles déjà conservées dans l’impression parisienne de la veuve de Jean Bonfons.
10 Exemple donné par H. Blom, « Pierre de Provence… », art.cit., p. 5, mais en comparant avec une autre édition d’où un résultat légèrement différent. H. Blom relève par ailleurs, chez Nicolas i Oudot, la suppression du monologue de Pierre découvrant qu’il se retrouve seul sur l’île de Sagona. Comme elle le note, cette suppression concerne bien les éditions parisiennes et d’ailleurs on n’en trouve pas trace dans l’impression de la veuve de Jean Bonfons.
11 F. Roudaut, Pierre de Provence…, op. cit., p. 112, note 2, y voit « une transformation pour un public plus habitué aux poissons des rivières qu’à ceux de la Méditerrannée ».
12 Pour plus de précisions sur tous ces imprimeurs, voir H. Blom, « Vieux Romans… », op. cit. Ajoutons que le titre est présent dans le catalogue de la veuve de Nicolas iii Oudot qui commercialisait à Paris, au début du xviiie siècle, les livrets imprimés à Troyes à cette époque par les Oudot. De même, il est vendu à Paris par Antoine de Rafflé, puis par Jean Musier, libraires parisiens correspondants des imprimeurs troyens Yves Girardon et Jacques Febvre (seconde moitié du xviie et début du xviiie siècle).
13 Titre : L’Histoire de Pierre de Provence et de la Belle Mageulonne [sic].
14 Anne Havard (1668-1741), veuve de Jacques (ii) Oudot.
15 Pour la veuve de Jean Bonfons : 12 jours de fête, 10 ans de vie pour les parents et 8 ans de règne pour Pierre et Maguelonne. On assiste donc à une surenchère progressive dans le nombre de jours et d’années. Dans la Bibliothèque bleue, on relève des incohérences de durée entre les annonces de titres et les durées indiquées dans les chapitres concernés ; par exemple, une édition de la veuve de Jacques Oudot annonce, à la suite d’une coquille typographique, 15 ans de réjouissances au lieu de 15 jours !
16 L’Histoire de Pierre de Provence et de la Belle Maguelonne, Galante héroïque, en 56 pages. Le sous-titre est intéressant car il fait entrer le récit dans le roman sentimental au détriment de la chevalerie et fait de Maguelonne le personnage principal.
17 Voir les remarques de F. Roudaut concernant le rapport à la religion des deux amants, Pierre de Provence…, op. cit., p. 43-44.
18 Les deux amants ont toutefois échangé leur consentement (ibid., p. 46-47).
19 Même si nous y reviendrons, signalons d’emblée que La belle Maguelonne figure parmi les « livres approuvables moyennant grandes corrections » dans « la liste des livres envoyez de Roüen au mois de Février 1709, avec le Jugement des Examinateurs ». Nous sommes donc à la même époque que celle de la parution des éditions de Jacques ii Oudot et de sa veuve à Troyes.
20 Jean iv Oudot (1699-1745).
21 Titre : Histoire de Pierre de Provence et de la Belle Maguelonne. Incipit : « Les Barons & les Chevaliers du pays firent un jour un Tournois dont Pierre eut le prix, nonobstant qu’il y eut plusieurs Chevaliers de diverses contrées… ». Cette nouvelle édition, antérieure d’un an à celle en 56 pages, rend perplexe l’historien du livre. En effet, cette stratégie éditoriale ne correspond pas aux habitudes des imprimeurs de brochures qui vont vers la réduction et non vers l’augmentation, surtout que dans le cas présent, il ne s’agit pas d’un simple jeu sur les bois gravés qui augmentent ou diminuent le nombre de pages ; il y a bien eu amplification du texte. Dès lors, peut-on penser à une coquille typographique sur la date de l’une des éditions, ce qui rendrait plus cohérente la chronologie des éditions ?
22 La numérotation des chapitres a été établie d’après l’édition de Nicolas i Oudot. C’est à celle-ci que nous nous réfèrerons pour les comparaisons.
23 Notons que, dans cette version, Maguelonne et la pèlerine ne procèdent pas à un échange de vêtements. En effet, dans les versions antérieures, Maguelonne abandonnée, pour ne pas être reconnue et donc pour passer inaperçue, troque sa tenue de princesse contre les humbles habits d’une pèlerine qu’elle rencontre en chemin.
24 Marie-Louise Banry (?-1797), veuve d’Étienne Garnier, exerça jusqu’en 1790.
25 Sans doute Jean-Antoine-Étienne Garnier (1769-1846), fils d’Étienne Garnier et qui exerça de 1790 à 1814.
26 Gabrielle-Anne Boucherat (?-1845) épouse divorcée de Jean-Antoine-Étienne Garnier. Elle exerça de 1795 à 1830 sous les noms successifs de Femme Garnier, Citoyenne Garnier et enfin Madame Garnier.
27 Adrien-Paul-François André, actif de 1782 à 1808.
28 F. Roudaut (Pierre de Provence…, op. cit., p. 24) rappelle que c’est le marquis de Paulmy d’Argenson (1722-1787) qui est à l’initiative de ce périodique bi-mensuel auquel a collaboré le comte de Tressan à partir de 1776.
29 Titre : Pierre de Provence et la Belle Maguelonne, fille du roi de Naples. Incipit : « Peu de temps après que le flambeau de la foi eut éclairé la Gaule, le Comte Jehan de Cerisel, heureux époux de la belle d’Albara, donnoit des lois à la Provence… ».
30 Les citations données dans la version de Tressan sont empruntées à l’édition de Femme Garnier.
31 Dans la version de Tressan, en plusieurs endroits, apparaissent de tels traits de sensualité. Ainsi, en page 11 de l’édition de Femme Garnier, peut-on lire : « Ce vieillard accourt, voit la charmante Maguelonne assez légèrement vêtue, & il croit voir Vénus, sortant de l’onde. Il lui sait gré de l’impression qu’elle fait encore sur lui, il sourit en lui baisant & serrant doucement la main & lui dit qu’il est prêt à voler à ses ordres ». Et deux pages plus loin : « Idée charmante de toucher pour la première fois la main de celle qu’on adore, vous renaîtrez sans cesse pour une âme sensible ! & tout vieux que je suis, en écrivant le bonheur de Pierre, cette douce idée fait encore palpiter mon cœur ».
32 F. Roudaut, Pierre de Provence…, op. cit., p. 25.
33 Ibid.
34 Cette scène de la reconnaissance se réduit à quelques lignes. Comme le note F. Roudaut, « c’est qu’il n’y a plus, dès lors, qu’à conclure » (ibid., p. 39).
35 Ibid., p. 24, note 2.
36 Titre : Histoire de Pierre de Provence et de la Belle Maguelonne. Incipit : « Puis les Barons & Chevaliers du pays firent un Tournoy & duquel Pierre eut le prix, & nonobstant qu’il y eut plusieurs bons & vaillans Chevaliers de diverses cõtrées… ».
37 La réécriture est beaucoup plus soignée que chez Nicolas Oudot et le texte est mieux structuré en paragraphes. On retrouve, dans cette version, des mentions disparues ou modifiées à Troyes. Par exemple, Maguelonne se souille le visage avec de la terre et de la salive, et le poisson pêché avec les trois anneaux dans le ventre est un « leu » et non un brochet de mer.
38 Titre : L’histoire de Pierre de Provence et de la belle Maguelone (prénom de l’héroïne avec un seul « n »).
39 René Hélot, La Bibliothèque bleue en Normandie, Rouen, Imprimerie Albert Lainé, 1928.
40 Jean-Dominique Mellot, L’Édition rouennaise et ses marchés (vers 1600-vers 1730), Paris, École des Chartes, 1998, p. 492 et 589.
41 Actif de 1694 à 1727. Son édition est sans date mais vraisemblablement postérieure à celle de B. Besongne.
42 Sans doute Catherine Machuel, veuve de Jean i Oursel, active de 1692 à 1725.
43 R. Hélot, La Bibliothèque…, op. cit., p. lxiii, permission accordée, le 12 février 1752, à J. F. Behourt (actif de 1740 à 1759) pour 59 livres dont Pierre de Provence. Nos bibliothèques ne semblent pas conserver d’exemplaire de cette impression mais on peut supposer, si elle a existé, qu’elle était identique à celle que publiera sa veuve (active de 1759 à 1763).
44 R. Hélot ne semble pas avoir repéré que les imprimeurs rouennais publièrent deux versions différentes de l’histoire. Il écrit, à propos de l’édition de P. Seyer et Behourt « Pourquoi donner comme auteur le comte de T***, puisque cette histoire est généralement attribuée à Bernard de Trévies, chanoine de la cathédrale de Maguelon (Hérault) ? » (La Bibliothèque…, op. cit., p. 89).
45 Thomas-Joseph Lecrêne, actif de 1804 à 1845, sous le nom de Lecrêne-Labbey.
46 Titre : Histoire de Pierre de Provence et de la belle Maguelonne.
47 R. Hélot, La Bibliothèque…, op. cit., p. 57. Il peut paraître singulier que ne soit signalée, dans les bibliographies, aucune édition de Caen pour ce roman. À l’inverse, il paraît tout aussi singulier que Letellier à Falaise l’ait imprimé en… 24 pages ! Que reste-t-il de l’histoire ? Nous ne sommes pas en mesure de le dire, n’ayant pas encore consulté le seul exemplaire connu, conservé aux États-Unis.
48 Marseille, MuCEM, 1R 1007.
49 Louis-César-Joseph Martin (1790-1858), actif de 1819 à 1836.
50 Geneviève Galle, veuve de Jean-François Vivot, active de 1771 à 1808.
51 Michel Vivot (1753-1811), fils de Jean-François Vivot, avait secondé sa mère dès 1789.
52 F. Roudaut classe cette édition sous le titre de « Remaniement par Jean Castilhon » (Pierre de Provence…, op. cit., p. 260). Sans doute s’agit-il d’une erreur, glissée dans une vaste bibliographie par ailleurs remarquable.
53 Nos remarques recoupent celles de F. Roudaut à propos de l’édition de la Veuve Le Fèvre dont nous parlerons un peu plus loin (p. 23).
54 La déformation de ce mot indique que manifestement ce nom de poisson n’est plus compris. Peut-être devient-il dans ce récit une sorte d’animal fantastique.
55 Marie-Madeleine Huguenin (1701-1781), veuve de Jacques iii Lefebvre, active de 1756 à 1769.
56 Restent encore des éditions dont nous connaissons l’existence mais que nous n’avons pu consulter, comme par exemple celles de Diot à Beauvais, de Letellier à Falaise…
57 F. Roudaut, Pierre de Provence…, op. cit., p. 23-24.
58 Ibid., p. 22.
59 D’où la remarque de C. Fauriel : « en français il fait partie de la Bibliothèque bleue ; il se lit dans toutes les chaumières, se vend à toutes les foires ; mais déplorablement mutilé à chaque réimpression, il est réduit aujourd’hui à quelques misérables feuillets, qui n’en sont plus qu’un débris. » (Histoire de la poésie…, op. cit., t. iii, p. 182).
60 Marie-Dominique Leclerc, « Iconographie d’un roman médiéval dans les éditions imprimées : Pierre de Provence et la Belle Maguelonne » dans Par estude ou par acoustumance Saggi offerti a Marco Piccat, éd. Laura Ramello, Alex Borio, Elisabeth Nicola, Alessandria, Edizioni dell’ Orso, 2016, p. 437-465.
61 Par ailleurs, cette impression de Nicolas i Oudot renferme une douzaine de bois gravés, tous de réemploi, disséminés dans le texte. Les impressions ultérieures des Oudot n’en comporteront plus que deux (outre celle de la page de titre) et celles des Garnier aucun.
62 Nouvelle Bibliothèque bleue, Paris, Colomb de Batines ; J. Belin – Leprieur fils, 1842, introduction de Charles Nodier, p. ix. Même remarque chez Claude Fauriel : « L’histoire de Pierre de Provence n’est pas un ouvrage où il faille chercher des inventions bien neuves ni d’un genre hardi ou vigoureux ; mais il y a dans le ton général, dans le caractère, je dirais volontiers dans la substance même de l’ouvrage, quelque chose de si doux, de si suave, de si pur, un charme si vrai, qu’il est difficile de ne pas s’y prendre, pour peu que l’on ait de jeunesse et de fraîcheur d’imagination. » (Histoire de la poésie…, op. cit., t. iii, p. 182).
63 H. Blom, « Vieux romans »…, op. cit., p. 169 et suiv. Nous lui empruntons une partie des remarques qui suivent.
64 L’avocat sans étude, comédie représentée en 1670 et imprimée ensuite. En 1747, les frères Parfaict notèrent : « Cet endroit est naïf : un Savetier ne doit connoître que des ouvrages à sa portée, & dont les colporteurs des rues ont soin de lui rafraîchir la mémoire ».
65 D’ailleurs, la présence ou l’absence du roman, parmi d’autres titres du même genre, dans une librairie fait toute la valeur de cette dernière. Ainsi, dans L’embarras de la foire de Beaucaire (Jean Michel, 1657) l’auteur loue le choix de livres proposés par le libraire : « Sa bibliothèque est sans prix : Tous ses livres sont bien choisis, Et de la dernière importance. Il n’a point Pierre de Provence… ». C’est donc un critère de distinction et un point d’honneur pour ce libraire de ne point l’avoir en rayon, à l’inverse du libraire présent dans la Relation du voyage de Brême (1676) ou de la libraire de La Ville de Lyon en vers burlesques (1683) qui, tous deux, font la louange de leur stock d’ouvrages, tous plus démodés les uns que les autres et parmi lesquels figure notre roman.
66 Nouveau recueil de rondeaux, Paris, A. Courbé, 1650, p. 3.