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Un imprimeur dijonnais à la Bastille : 
Louis Hucherot et l’affaire du Parlement outragé (1761)

Anthony BÉHIN

NdA : Je remercie Jean-Dominique Mellot pour ses suggestions et son aide, Steven Kaplan pour sa lecture critique du manuscrit, Christine Lamarre pour le soutien constant qu’elle apporte à mes recherches, ainsi que Frédéric Barbier et Clare Crowston. Valérie Béhin, Sarah Léonard et Tanya Stojkovic ont apporté une aide précieuse à la relecture du manuscrit.

Le 29 janvier 1762 à 7 heures du soir, l’imprimeur dijonnais Louis Hucherot eut la surprise de voir se présenter à son domicile, place du Palais, Hugues-Philippe Duchesne, commissaire au Châtelet, et Joseph d’Hémery, inspecteur de la Librairie. Munis d’ordres du roi, ils menèrent une perquisition au terme de laquelle Hucherot fut arrêté et conduit à Paris. Le 1er février vers six heures et demie du soir, il pénétrait à la Bastille. Le crime qui lui était reproché : avoir imprimé un libelle anonyme, Le Parlement outragé, dénonçant de manière violente Jacques Varenne, secrétaire en chef des États de Bourgogne.

Cet épisode, bien connu dans ses grandes lignes1, invite à s’interroger sur les modalités de production de l’écrit polémique illicite dans la France de Louis xv, aussi bien que sur l’influence que ce document, officiellement désavoué par le parlement, a pu avoir sur l’attitude des Dijonnais à l’égard de la famille Varenne. Il nous permet encore de nous pencher sur les rapports qui unissaient parlementaires et imprimeurs, ainsi que sur la tolérance du pouvoir royal envers certains imprimeurs protégés par les parlements2. De fait, en dehors de l’arrestation de Hucherot, les exemples d’imprimeurs ou de libraires sérieusement inquiétés au cours du xviiie siècle sont très rares dans la capitale bourguignonne3.

La découverte, dans les archives parisiennes du commissaire Duchesne4, des interrogatoires de Hucherot et du conseiller Joly de Bévy5, finalement dénoncé comme l’auteur du Parlement outragé et embastillé à son tour, jette une lumière nouvelle sur ces questions et permet de se faire une idée plus précise du processus de production d’un libelle à Dijon sous Louis xv, et des pratiques policières lors des poursuites menées contre les gens du livre.

LES DÉBUTS DE L’« AFFAIRE VARENNE »

Fin 1761, Dijon était agité par un conflit d’autorité opposant autour de questions fiscales le parlement de Bourgogne aux Élus généraux, qui assuraient la direction de l’administration provinciale entre les sessions triennales des États de Bourgogne et jouaient un rôle central dans la levée des impôts directs. La cible principale de l’animosité des parlementaires était Jacques Varenne, brillant secrétaire en chef des États, en poste depuis 1752. Avocat né en 1710, fils d’un membre réputé du barreau dijonnais, il avait grandi dans l’ombre du parlement. Le duc de Bourbon proposa dès 1730 sa nomination comme conseil des États, et le soutien des princes de Condé devait lui rester acquis pendant toute sa carrière. À l’époque de « l’affaire », Varenne était devenu un polémiste talentueux, fin connaisseur de l’histoire et des droits de la province, et ces qualités en faisaient le rédacteur logique de mémoires et requêtes défendant États et Élus généraux.

Trois points principaux étaient à l’origine de la querelle qui allait se déchaîner : la procédure d’appel des cotes d’office de la taille, la confection des pieds de taille des communautés et la possibilité pour les Élus de négocier avec le contrôle général des finances l’abonnement d’impôts non encore enregistrés par le parlement.

Depuis le xviie siècle, les Élus disposaient de la prérogative de déterminer des « cotes d’office » pour les individus un peu trop ménagés dans la répartition de la taille. En cas de mécontentement des contribuables, la question de l’appel se posait. Le parlement souhaitait avoir la connaissance de ces affaires en tant que cour des aides, alors que les Élus considéraient que tout recours devait être porté devant leur bureau, avec appel possible au Conseil du Roi. La querelle était ancienne, et une instance était pendante au Conseil depuis 1716, le pouvoir et les parties elles-mêmes ayant jusque-là préféré laisser les choses en sommeil.

Par ailleurs, Élus et Parlement s’opposaient sur la question de savoir à qui revenait le droit d’imposer de nouveaux rôles, ou « pieds » de tailles dans les communautés. La procédure, généralement demandée par les municipalités ou les paroisses en raison de changements dans la composition ou la richesse de leur population, était décidée tantôt par les magistrats, tantôt par la chambre des Élus qui envoyaient un commissaire pour superviser l’opération. Aucun texte législatif n’avait tranché formellement en faveur des uns ou des autres.

Le conflit devait naître de l’appel d’un procureur de Charolles, lequel porta ses plaintes au parlement contre Varenne, qui avait dirigé la confection d’un pied de taille à Charolles en mai 17596. Les Élus choisirent de se défendre contre cet appel d’une affaire qu’ils estimaient devoir connaître. Ils eurent gain de cause, obtenant le 28 juin 1760 un arrêt du Conseil qui affirmait leurs droits concernant l’établissement des cotes d’office et des nouveaux pieds de taille. Cette décision, donnée par provision7 compte tenu de l’instance de 1716 pendante au Conseil, n’empêcha pas le procureur général d’attaquer Varenne, rédacteur des mémoires défendant la position des Élus.

Le troisième point de conflit était la remise en cause par les Élus de l’importance de la procédure d’enregistrement des édits fiscaux. En effet, alors que le parlement s’opposait à l’édit de février 1760 imposant un troisième vingtième et une double et triple capitation8, n’en acceptant l’enregistrement qu’après avoir reçu quatre lettres de jussion, les Élus généraux avaient négocié l’abonnement9 de ces impôts avec le contrôleur général Bertin, pressé de trouver des fonds pour financer la coûteuse guerre de Sept Ans. Cette entorse à la règle, qui voulait qu’un édit n’ait force de loi en Bourgogne qu’après son enregistrement par le parlement de Dijon, conduisit celui-ci à n’enregistrer les abonnements les 10 février et 7 mars 1761 qu’en affirmant hautement qu’à l’avenir, l’enregistrement d’un édit établissant un impôt devrait précéder tout traité d’abonnement.

Or, les Élus souhaitaient pouvoir continuer à négocier les abonnements indépendamment de la procédure d’enregistrement. Ils décidèrent donc de répliquer par une requête au roi sollicitant la cassation des arrêts en question, laquelle fut effectivement obtenue le 27 octobre 1761. Le texte, rédigé par Jacques Varenne, contenait une allégation qui rendit furieux les magistrats :

Dans le temps où Sa Majesté a bien voulu leur accorder les […] abonnements, Elle étoit parfaitement informée de la résistance qu’apportoit le Parlement de Dijon à l’enregistrement de l’édit du mois de février 1760, d’où il faut […] conclure que les modifications de cette compagnie ont été dictées par des motifs d’intérêt personnel, tout à fait étrangers au bien public10.

À ce stade de l’affaire, l’ancien protégé du parlement était devenu son ennemi juré. L’ire des magistrats était d’autant plus forte que Varenne et les Élus avaient fait grand bruit autour de leur victoire, faisant diffuser et afficher l’arrêt du Conseil dans tout le ressort du parlement. La cour devait répliquer par des remontrances le 9 janvier 1762, mais la colère avait poussé un jeune conseiller à devancer ce mouvement.

LA FABRIQUE D’UN LIBELLE

En effet, c’est dans ce contexte que Louis-Philibert-Joseph Joly de Bévy s’employa à rédiger une attaque contre Jacques Varenne, « un particulier d’un ordre subalterne que la voix publique accuse d’être l’auteur d’une requête injurieuse […] contre le parlement11 ».

Au moment de l’affaire, Joly avait 25 ans. Issu d’une famille de la noblesse de robe de la province, il avait perdu son père, Joseph Joly de Bévy (1704-1746), président de la chambre des comptes depuis 1727, alors qu’il n’avait que dix ans ; son grand-père François, maître des comptes, était décédé en 1739, et sa mère, Marie Portail de Fresneau (1718-1764), avait épousé en secondes noces, en 1748, Abraham Guy de Migieu (1718-1748) qui mourut à 29 ans, quelques semaines seulement après leur union. L’auteur du Parlement outragé fut reçu conseiller le 18 janvier 1755 avec dispense d’âge et de parenté. Pour tenir son rang, il disposait d’une imposante fortune, puisque ses seuls biens mobiliers et revenus montaient à 60 000 livres lors de son mariage en 176512. Les contemporains le décriront volontiers par la suite comme un homme pieux, érudit et intransigeant13.

Pour diffuser son libelle de manière rapide au plus grand nombre de personnes possible, la copie manuscrite14 n’était guère envisageable, et Joly choisit donc de s’adresser à un imprimeur, ce qui devait lui permettre de produire en quelques jours plusieurs centaines d’exemplaires.

Au moment où il allait être sollicité, Louis Hucherot était un imprimeur bien établi, dont la réussite avait été couronnée par la nomination à l’échevinat à la fin des années 1750. Ce fils de notaire de 55 ans exerçait depuis 1744, après avoir été formé notamment dans l’imprimerie Defay où il avait fait son apprentissage dans les années 1730. Comme beaucoup d’imprimeurs, il avait épousé la fille de son prédécesseur, Philippe Marteret. En 1749, quelques mois après le décès de sa première femme15, il s’était remarié avec Catherine-Marie Nyault, fille d’un maître orfèvre qui lui apportait 6 800 livres de dot16. Hucherot avait imprimé quelques livres, notamment Caminologie ou traité des cheminées, dont le libraire François Desventes avait obtenu le privilège en 1755, mais l’essentiel de son activité était tournée vers l’impression de factums et de mémoires.

En décembre 1761, il employait cinq compagnons, nommés Charles (pressier), Descombes (compositeur)17, Liégeois, Comtois18 et Migneret19, ainsi qu’un apprenti, Boillod20. Dans l’imprimerie, située au premier étage de la maison qu’il occupait en face du parlement, on travaillait à des mémoires de procureurs et d’avocats. En décembre 1761, Hucherot avait ainsi imprimé à 70 exemplaires « un gros mémoire pour [un] gentilhomme demeurant dans le Charollois21 ».

Le jeudi « dix-sept décembre [1761] environ dix heures du matin22 », Joly de Bévy vint « chez luy et luy propos[a] d’imprimer un petit ouvrage dont il luy a représenté une feuille manuscritte intitulée Le Parlement outragé ». Pensant que le conseiller « étoit un député du Parlement pour faire imprimer cet ouvrage, il promit de l’imprimer » ; le tirage devait comprendre 300 exemplaires23. Le dimanche 20, « il luy porta l’épreuve qu’il avoit tiré[e] de la feuille » qui lui avait été remise la veille. Hucherot affirma avoir « représent[é] au Sieur de Bévy […] qu’il y avoit des parolles vives […], et qu’il se faisoit scrupule de l’imprimer24 ». Ce dernier lui aurait répondu « qu’il n’y avoit rien à craindre à imprimer cet ouvrage, qu’il ne concernoit qu’un particulier et qu’il luy en feroit avoir décharge ». Il lui aurait également affirmé « que ce n’estoit point le Parlement en corps qui faisoit imprimer cet ouvrage, qu’ils n’étoient que trois et que luy Sieur de Bévy en étoit l’auteur ». Hucherot ne semble pas avoir eu connaissance de l’identité des deux associés de Joly de Bévy, qui affirmera toujours avoir travaillé seul au libelle. Si l’on en croit ce qu’il aurait confié à l’imprimeur, le parlementaire considérait son écrit comme un élément d’une campagne d’opinion plus vaste25, affirmant « que le Parlement feroit imprimer des mémoires à Paris où on diroit beaucoup plus de choses que dans celuy qu’il vouloit faire imprimer26 ».

Ces propos, ainsi que le respect qu’il affirmera porter à un conseiller au parlement, convainquirent définitivement Hucherot du fait « qu’il pouvoit imprimer cet ouvrage ; il s’y est déterminé, ne le croyant […] pas suspect, et l’a en effet imprimé sur les feuilles que le Sieur de Bévy luy envoyoit les unes après les autres, ne luy ayant jamais donné le manuscrit en entier »27. Aussitôt la seconde feuille d’impression terminée, il envoya « le nommé Charles » livrer celle-ci à Joly de Bévy qui confia à son domestique les épreuves corrigées. Pour effectuer la copie de son mémoire et les corrections des épreuves, Joly de Bévy s’était procuré les services d’un certain « Fartier, clerc de pratique et copiste », « demeurant cour des Poisses28 », à qui il avait offert « douze ou quinze livres », qui lui furent payées « en deux fois29 ». Ce Fartier ne paraît pas avoir mesuré la teneur du travail qui lui était confié : ne lui avait-on pas « fait accroire que c’estoit des remontrances que le Parlement destinoit à l’impression, qu’il en étoit si bien persuadé qu’il en avoit parlé sur ce ton à diverses personnes auxquelles il avoit promis des exemplaires30 » ?

Joly de Bévy voulait disposer rapidement de son ouvrage imprimé. Hucherot affirma qu’il « le pressoit très fort de diligenter l’impression, ce qui l’obligea d’en donner au nommé Descombes, […] qui a achevé l’impression dudit ouvrage et qui en a lu les épreuves », ce qu’il faisait souvent « comme ayant fait ses études ». Pendant ce temps, le compagnon Charles manœuvrait la presse. Un soir, alors qu’Hucherot et ses deux ouvriers travaillaient sur l’ouvrage, ils furent surpris par le jeune apprenti de l’atelier. Bien qu’il s’en soit défendu dans ses interrogatoires, le maître imprimeur lui aurait recommandé : hé bien travaillés, mais ne dittes rien ! Cette injonction lancée au jeune homme a certainement piqué sa curiosité.

L’impression terminée, il restait à Hucherot à faire mettre en forme les feuilles : après séchage, les exemplaires furent « pliés, rognés et cousus dans sa maison », par son épouse et sa fille.

Le « 28 ou le 29 du mois de décembre » vers 11 heures du matin, « l’impression […] étant pour lors finie, […] Fartier vint chez luy […] avec un billet du Sieur de Bévy écrit de sa main et non signé, par lequel il marquoit qu’on remît [à] Fartier les exemplaires », ce que fit Hucherot. Tous les exemplaires n’étant pas rognés, une seconde partie « fut remise le même jour au soir [à] Fartier ».

Le lendemain « sur les neuf à dix heures du matin », l’épouse de Hucherot se rendit chez Joly de Bévy, place Saint-Jean31, pour percevoir la somme convenue pour l’impression, soit « quatre-vingt-quatre livres, […] et douze livres pour les ouvriers ». Vers quatre heures de l’après-midi, visiblement inquiet de ce qu’il avait imprimé, Hucherot « alla chez M. de Bévy pour luy demander la décharge qui luy [i. e. qu’il luy] avoit promise », mais ne le trouva pas au logis.

C’est dans la nuit du 29 au 30 décembre que le libelle fut jeté par Fartier « dans les allées de plusieurs maisons de la ville »32. Si Hucherot avait quelque doute quant à la nature sulfureuse du brûlot qu’il venait d’imprimer, il fut bien vite éclairé par le bruit que fit cette distribution. En effet, le Mercure dijonnois, journal de l’avocat Claude Micault, nous apprend que l’« on avoit affecté de jeter grand nombre de ces imprimés dans toutes les boutiques des marchands, afin, apparemment, d’ameuter le peuple contre M. Varenne33 », et bientôt toute la ville fut en émoi, s’arrachant le libelle qui se vendit, rapporte-t-on, jusqu’à « un louis la pièce34 ». Hucherot « en fut extrêmement effrayé et s’apperçut alors que led. Sieur de Bévy l’avoit surpris en l’engageant à les imprimer ». Ce n’est toutefois que « le lendemain ou le surlendemain de la distribution des exemplaires », après une nouvelle tentative de rencontrer Joly de Bévy à son domicile, que le conseiller « vint chez luy […] sur les sept heures du soir et luy dit qu’il n’avoit rien à craindre […], que le Parlement enverroit quelques galopins chez les imprimeurs pour faire une visitte chez eux pour la forme seulement ». L’épouse de l’imprimeur, sans doute plus clairvoyante, aurait alors rétorqué : « Sy j’avois sçeu que c’eût été un ouvrage suspect, je l’aurois jetté au feu, je voudrois pour deux mille écus que ça n’eût point été fait chez nous ». Confiant dans la puissance du parlement, Joly de Bévy répliqua : « N’ayés point d’inquiétude sur cette impression, il ne vous en arrivera rien. »

LES AUTORITÉS RÉAGISSENT

C’était compter sans le soutien dont bénéficiaient alors Varenne et les Élus, à Paris comme à Versailles.

Comme l’avait pensé Joly de Bévy, le parlement fit mine de réprouver le libelle : il « ordonna qu’il en seroit informé et […] plusieurs portiers, les imprimeurs et leurs garçons furent ouïs, mais inutilement35 ». Il faut croire que la réaction de la cour fut de pure forme, car la visite des imprimeries n’eut même pas lieu. L’opinion du prince de Condé, gouverneur de la province, était faite : le 22 janvier, il écrivait au comte de Saint-Florentin : « Vous pensez bien, Monsieur, que le Parlement […] ne parviendra pas à connoitre les coupables36 ».

Alors que les soupçons du public se portaient vers le conseiller Philippe-Bénigne Bouhier de Chevigny, marquis de Versalieu37, dont le domicile parisien fut perquisitionné sans résultat38, on proposa « qu’un exemplaire [du] libelle seroit lacéré par la main d’un huissier » ; finalement, le parlement opta pour une simple suppression39.

On en était là quand un témoin dénonça Hucherot ; Boillod, l’apprenti dont nous avons vu qu’il avait surpris l’impression du libelle40, demeurait « à Dijon dans le palais des Etats avec ses frères, dont un [était] employé chez Mrs les Eslus des Etats généraux de Bourgogne41 ». Dès lors, on peut tenir pour très probable que le commis des Élus a dû inciter son frère à dénoncer son maître42.

Les autorités décidèrent alors de frapper fort, aussi bien pour s’assurer de la personne de l’imprimeur que pour obtenir le nom de celui ou de ceux qui avaient rédigé le libelle. Signe de son intérêt pour l’affaire, c’est le prince de Condé lui-même qui, informé de la dénonciation, paraît avoir pris l’initiative de l’embastillement43.

L’arrestation de l’imprimeur ne fut pas tenue secrète, loin de là :

Le 29 [janvier], le Sieur Hucherot […] fut enlevé par ordre de la Cour, porté par un huissier de la chaîne, accompagné d’un inspecteur de l’imprimerie et de quatre cavaliers de la maréchaussée ; on saisit tous ses papiers et ses caractères44, on le mit dans une voiture à six chevaux de poste et on le conduit, à ce qu’on croit, à la Bastille. Il est accusé d’avoir imprimé le libelle contre M. Varenne45. »

Écroué le 1er février 1762, l’imprimeur voyait s’ouvrir devant lui des jours sombres…

LES POLICIERS À L’ŒUVRE : 
DE LA NÉGATION DE LA FAUTE À L’AVEU

Le lieutenant général de police de Paris, Antoine de Sartine, voulait obtenir des résultats rapides dans cette affaire aux fortes implications politiques46. Il fallait des aveux complets et prompts, qui permettraient de sévir sans tarder contre le ou les auteur(s) du Parlement outragé, en soustrayant Hucherot aux influences dijonnaises et en l’isolant pour qu’il « fasse ses réflexions47 ».

C’est pourquoi, dès le 3 février 1762, il ordonna au commissaire Duchesne de se transporter à la Bastille avec l’inspecteur d’Hémery pour procéder à l’inspection des papiers mis sous scellés à Dijon, puis à un premier interrogatoire de Hucherot. Le 6 février, cette procédure s’accomplit dans la salle du conseil de la forteresse48. Il fallut deux heures pour reconnaître les papiers saisis, a priori « non suspect[s] et n’ayant aucun rapport au libelle ».

Lors de l’interrogatoire qui suivit, Hucherot ne fit que nier les faits. Confronté à un exemplaire du libelle, il prétendit seulement en avoir « vu un pareil chez le S. Liégeard, maître orphèvre […], et que led. S. Liégeard luy a dit qu’on le luy avoit presté ».

Changeant de tactique, le commissaire le pressa d’indiquer si « la vignette qui est en tête dudit exemplaire » était bien « une des siennes ». Hucherot se retrancha alors derrière des arguments de métier : il affirma, « qu’il n’en a[vait] point de pareille à celles du haut et du bas », et qu’il pouvait bien « avoir des assortimens pareils au cordon du milieu », mais que tous les imprimeurs pouvaient avoir les mêmes, que les Dijonnais achetaient chez Fournier, fondeur à Paris49. De la même manière, l’imprimeur usa pour se disculper d’un argument technique : il avança que « les caractères de l’imprimé à luy cy-dessus représenté [étaient] plus nouveaux que les siens », espérant probablement que les autorités ne solliciteraient pas d’expertise50.

Duchesne s’en tint là, attendant de nouvelles instructions. Le 8 février, Sartine lui adressa un courrier lui enjoignant de réitérer les procédures sur la base d’un « mémoire du ministre51 contenant plusieurs charges et faits ».

Le 11 février, le commissaire se rendit donc de nouveau à la Bastille, où il réexamina les papiers de Hucherot, s’appesantissant sur un petit document imprimé sans nom d’imprimeur52 et sur un contrat de constitution de rente daté du 6 décembre 1761, soupçonnant celui-ci d’être peut-être la trace d’un payement détourné53.

Au cours du long interrogatoire qui suivit, le commissaire se fit plus pressant, émettant l’idée que Hucherot était parfaitement au fait du caractère illicite de l’ouvrage qui lui était confié, et qu’on l’avait « fortement pressé de se servir d’autres caractères et d’employer d’autres papiers que céluy dont il faisoit usage ordinairement54 ». Hucherot nia ou éluda, réfutant l’intention délictueuse.

L’entêtement de l’imprimeur avait de quoi agacer les policiers. Le 15 février 1762, sur la base de nouveaux témoignages55, Sartine engagea le commissaire Duchesne à se rendre dès le lendemain à la Bastille pour procéder à un troisième interrogatoire, dans lequel il lui recommandait de menacer plus clairement Hucherot des possibles conséquences de son obstination.

L’interrogatoire du 16 ne permit pas d’obtenir les aveux tant désirés. Pourtant, Duchesne avait mis en œuvre les instructions du lieutenant général de police, montrant à Hucherot qu’il niait l’évidence alors que ses ouvriers étaient prêts à témoigner.

Pour sortir de l’impasse, Sartine décida de se rendre lui-même à la Bastille. Quelle fut la teneur de l’entretien qu’il eut avec l’imprimeur dijonnais le 17 février ? Nous pouvons supposer qu’en homme habile, rompu aux techniques policières, il sut faire alterner promesses de mansuétude et menaces (maintien en prison, interdiction temporaire ou définitive d’exercice de l’imprimerie56, et pourquoi pas application de la question, comme le bruit en courut à Dijon57, pouvaient être évoqués pour faire plier le prisonnier). Le résultat fut au-delà des espérances, lui permettant d’écrire à Duchesne : « Je l’ay déterminé à avouer et convenir de la faute qu’il a commise. Il m’a promis qu’il vous diroit tout. »

Le commissaire gagna la Bastille où il recueillit vers quatre heures de l’après-midi les aveux de Hucherot : l’élément le plus important pour la police était la dénonciation de Joly de Bévy comme l’auteur du libelle. La longue dénégation de Hucherot peut sans doute s’expliquer par son respect pour le parlementaire, mais aussi par la crainte de représailles du parlement. Peut-être a-t-il aussi pensé que l’intérêt pour l’affaire retomberait et qu’il s’en tirerait avec une simple amende58 ?

Mais qui étaient ces deux mystérieux associés, dont Hucherot ne semble pas avoir connu les noms ? Pour en savoir davantage, Sartine ordonna le 1er mars à Duchesne d’interroger une quatrième fois l’imprimeur. Ce fut chose faite le lendemain, mais Hucherot indiqua seulement qu’il ne connaissait pas les associés de Joly de Bévy, réaffirmant qu’il avait agi en toute bonne foi.

Hucherot resta quelques jours encore en prison ; ce n’est que le 19 mars 1762, après l’arrestation de Joly, que Sartine ordonna à Duchesne de procéder le jour même à la levée des scellés apposés sur les papiers de l’imprimeur, qui fut libéré aussitôt après59. On ne sait pas quel accueil il reçut à son retour à Dijon, mais il put poursuivre sa carrière sans être inquiété, cédant son fonds à son fils Jean-Baptiste en 177160.

LES AVEUX DE JOLY DE BÉVY : UNE DEVOTIO SPONTANÉE ?

Alors que les interrogatoires se succédaient à la Bastille, les conjectures allaient bon train à Dijon. Le nom de l’auteur du Parlement outragé restait l’objet de spéculations hasardeuses : « Les soupçons furent longtemps sur M. de Chevigny et les présidents de Lantenay et de Layer, ensuite ils tournèrent sur MM. Cortois de Quincey fils, Joly de Bévy et Guenichot61 »… Tous attendaient les aveux de l’imprimeur, qui avec impatience, qui avec anxiété. Au « milieu du mois de février, on eut avis que […] Hucherot avoit tout avoué62 ». Ce n’est toutefois que « le 28 [qu’]on apprit, par une lettre de M. Varenne, que ses fils publièrent, qu’au troisième interrogatoire, Hucherot, menacé de la question, avoit tout découvert63 ».

Se sentant trahi, Joly de Bévy choisit d’adopter une attitude qu’il jugeait conforme à l’honneur, et le mardi 3 mars 1762, toutes chambres assemblées, il donna sa démission après avoir fait une déclaration solennelle64 :

C’est moi qui seul ai composé le mémoire répandu contre le Sieur Varenne […]. Je reconnais que j’ai manqué à ma Compagnie dont j’ai blessé les intérêts par mon zèle imprudent […]. Permettez que je prononce sur mon sort et que par la démission volontaire de mon office, j’épargne à votre juste sévérité un jugement qui coûterait peut-être à la bonté de votre cœur.

Le conseiller prenait sur lui seul une faute peut-être partagée, se dévouant à la façon des anciens Romains aux intérêts parlementaires… La plupart des magistrats ne furent pas dupes de la spontanéité des aveux bien tardifs de leur jeune confrère65, mais ils lui surent certainement gré de dédouaner leur compagnie et de n’impliquer personne d’autre que lui-même. En démissionnant, il évitait également au parlement d’avoir à désavouer l’un de ses membres…

Arrêté quelques jours plus tard, Joly de Bévy entra à la Bastille le 17 mars 1762 et fut soumis à deux interrogatoires, les 26 mars et 9 avril 1762, par le commissaire Duchesne, enjoint par Sartine de lui montrer « beaucoup d’égards ». Niant toute implication d’autres personnes que lui-même, il affirma être seul en cause, tout en confirmant une partie des déclarations de Hucherot66. On retiendra à l’honneur de Joly de Bévy la peine qu’il prit de minimiser le rôle joué par Fartier67, simple exécutant incapable de mesurer la portée de son implication.

Joly ne quitta la Bastille que début juillet 1762, et retrouva sa charge de conseiller au parlement début 176468, sur les instances de sa parentèle et semble-t-il de Sartine lui-même, probablement soucieux de ménager une puissante famille.

LE PARLEMENT OUTRAGÉ, « PREMIER MOUVEMENT D’EMPORTEMENT » D’UN JEUNE CONSEILLER FOUGUEUX 
OU PROJET CONCERTÉ ?

Lors de son premier interrogatoire, Joly de Bévy déclara qu’il avait agi « par un premier mouvement d’emportement ». C’était une défense habile, dans la mesure où elle accréditait le fait qu’il avait opéré seul, et où l’on pouvait attribuer à sa jeunesse son manque de discernement.

Il est toutefois difficile de s’arrêter à ces allégations. Si nous considérons le Parlement outragé, nous constatons qu’il s’agit d’un texte de 29 pages imprimées au format in-quarto, largement consacré à la critique de la personnalité et de l’action de Jacques Varenne, mais qui ne s’arrêtait pas à la simple caricature du secrétaire détesté.

En effet, le libelle comportait une critique de l’administration des Élus, hommes certes honnêtes, mais naïfs et impuissants. Joly prétendait ainsi que les Élus de la noblesse et du clergé se contentaient « de mettre leur signature au bas des ordonnances qu’on leur présente sans s’informer de ce qu’elles contiennent… ». ll en résultait que la responsabilité personnelle du comte de Vienne, Élu de la noblesse, et de Claude-Marc-Antoine d’Apchon, Élu du clergé, n’était finalement pas en cause. C’était une manière intelligente de ménager des personnages puissants. Insister sur ce point était d’autant plus capital que le comte de Vienne avait mené une députation des États à l’été 1760 et qu’il avait signé la requête contenant la phrase qui avait tant choqué le parlement69. Indiquer que sa signature était de pure forme, c’était désigner Varenne comme seul responsable des allégations contenues dans ce document.

Le Parlement outragé exposait dans ses grandes lignes l’argumentaire développé par les parlementaires dans le conflit qui les opposait aux Élus au sujet des impositions. Il donnait également des arguments simples destinés à susciter la sympathie du contribuable :

Le Parlement […] est dans son essence le défenseur des libertés et des privilèges des peuples contre l’oppression de ceux qui surprennent la bonté du souverain

Les Élus réclament les privilèges des Etats, et prétendent que ce n’est point au parlement à connoître de l’établissement des impôts, par la seule raison que le Parlement n’est pas assés prompt à les accorder, et qu’ils sont au contraire toujours prêts à les consentir.

Pour défendre les prérogatives de la cour, Joly insistait sur son ancienneté. Reprenant à son compte des principes chers aux magistrats, il affirmait haut et fort la théorie des classes70 : « Tous les parlements, établis et dispersés dans plusieurs provinces, n’ayant qu’une même origine, ne peuvent avoir non plus des droits qui soient différents. » Ce faisant, il mettait en avant l’antériorité de la juridiction d’un Parlement originel unique (celui de Dijon, établi en novembre 1480, n’en étant qu’un démembrement) par rapport à celle des Élus, et donc sa primauté dans les matières de sa compétence, en particulier l’enregistrement et l’appel.

Mais c’était bien contre Jacques Varenne que portait l’essentiel de l’attaque : Joly taxait le défenseur des États d’arrogance et d’ingratitude : « uniquement redevable de [son] employ au crédit et à la protection du chef illustre du Parlement », il avait employé « contre ce corps auguste des talents qu’il avoit encouragés », s’en servant « pour outrager ce sénat respectable qui a eu le malheur de l’élever dans son sein […]. Il devroit cependant, cet orgueilleux écrivain, être plus pénétré que personne de respect et de vénération pour le Parlement ; […] c’est à la bonté avec laquelle le Parlement l’a admis dans son sanctuaire […] qu’il est redevable de ce talent de rhéteur qu’il vaudroit bien mieux pour luy et pour le bien des peuples avoir étouffé dans sa naissance, si l’on eût pu prévoir qu’il en abuseroit un jour avec tant d’insolence. »

Le ton employé visait à abaisser Varenne, désigné sous le terme de « greffier » plutôt que de secrétaire, qualifié de « subalterne », présenté comme « un homme dur, uniquement occupé de l’agrandissement du fisc », et donné comme le seul responsable de la rédaction de textes visant à « anéantir des privilèges qui sont la sûreté des peuples contre l’oppression, dans le dessein visible de les faire gémir sous le poids de plus d’impôts que le Roy lui-même dans ses plus pressants besoins n’a prétendu ».

Joly de Bévy allait plus loin : se faisant menaçant, il affirmait que, « martyr de l’exaction », il aurait pu « pay[er] infailliblement de sa vie la satisfaction de lutter contre une puissance dont le devoir essentiel est de protéger le peuple par de semblables exemples contre ceux qui se font un jeu si barbare de l’opprimer ».

Peut-on dès lors considérer que ce texte violent et uniquement à charge ait été l’œuvre d’un moment ? La mise en œuvre du projet d’impression et de distribution du libelle dénote une préméditation de l’attaque contre Varenne, plus facile à atteindre que les Élus. En effet, il se passa 12 jours entre la remise du manuscrit à Hucherot le 17 décembre et sa distribution, dans la nuit du 29 au 30, et il faut ajouter à ce temps celui de la rédaction et de la mise au propre du manuscrit de Joly de Bévy par Fartier. On peut donc difficilement parler d’un « premier mouvement d’emportement ». Reste à savoir si Joly de Bévy avait lancé sa machine de guerre avec l’assentiment ou tout au moins l’accord tacite d’autres parlementaires. Le fait qu’il ait déclaré à Hucherot qu’il ne représentait pas son corps mais seulement lui-même et deux autres personnes va dans le sens du projet d’un petit groupe d’individus ; malheureusement, l’identité de ses associés éventuels nous échappe. Si Joly de Bévy a travaillé seul, la probabilité que le jeune conseiller ait fait lire son mémoire à certains de ses pairs est forte. Par contre, le ton adopté, très polémique, et le fait que des remontrances aient été en cours d’élaboration doivent à notre sens faire rejeter l’hypothèse d’une attaque concertée par les principaux magistrats du parlement.

Au demeurant, la personnalité de Joly de Bévy plaide en faveur d’un travail mené par le conseiller seul. Convaincu de la prééminence de la noblesse71 et des prérogatives du parlement, il conservera jusqu’à la disparition de la cour une attitude très agressive à l’égard de ses ennemis, notamment du bureau des Élus. Ainsi, lors des États généraux de la province en 1787, il se livra à des accusations graves et calomnieuses et « se permit de dire […] que les Élus avaient été les tirans de la province, que leur administration avait été détestable »72. C’est dire que le séjour du jeune conseiller à la Bastille n’avait en rien refroidi la tête du président du parlement de Bourgogne.

LA RÉCEPTION DU LIBELLE : UNE INFLUENCE SUR L’OPINION PUBLIQUE DIJONNAISE ?

Comment la distribution du libelle fut-elle accueillie à Dijon73 et quel était le public visé ? On a vu que Le Parlement outragé ne fut pas réservé au monde de la robe74 ; le dépôt dans les allées des maisons a certainement favorisé une diffusion large du texte, les demeures dijonnaises accueillant souvent plusieurs locataires, des domestiques… Dans une ville dont la richesse dépendait largement du parlement, le soutien inconditionnel d’une partie de la population, tributaire des parlementaires pour sa survie, était garanti, et il est logique que Joly ait cherché à se la concilier.

D’autre part, il avait fait en sorte de flatter le public, indiquant que, finalement, sa dénonciation de Varenne et des Élus n’était que la formulation explicite de faits de notoriété publique. L’auteur appelait ainsi à une connivence entre lui et ses lecteurs, affirmant par exemple que « les faits qui sont avancés sont connus de tout le monde ».

Au reste, Joly exagérait peut-être, mais la lecture du Mercure dijonnois montre que les enjeux de l’affaire Varenne étaient clairs aux yeux d’une partie au moins de la population dijonnaise, notamment des gens de robe75. Le choix d’attaquer Varenne et plus généralement les Élus autour de leur soumission supposée aux désirs du gouvernement en matière fiscale, alors que le parlement défendait le contribuable, était par ailleurs une manière sûre de susciter la sympathie. En ce qui concerne les cotes d’office, Joly ne pouvait que rencontrer un soutien, car il était plus facile pour un habitant de la province de porter son appel au parlement de Dijon qu’au Conseil.

Pour autant, le caractère excessif de la charge contre Varenne semble n’avoir pas servi la cause des magistrats auprès du public éclairé, et Micault parle du Parlement outragé comme d’un « libelle diffamatoire où M. Varenne père étoit injurié assez grossièrement »76. Il affirme de plus que si l’influence parlementaire, soutenue par la diffusion de remontrances, plus pondérées, en janvier et mars 1762, a été largement prépondérante, la population est restée partagée dans ses opinions.

Julian Swann a montré la complexité des objectifs recherchés par le parlement dans ce qui constituait une sorte de campagne d’opinion avant la lettre77. Convaincre le public cultivé du bien-fondé de ses prétentions, face à un ennemi dont l’argumentaire était implacable et savant, était capital pour obtenir gain de cause dans le conflit en cours, mais aussi pour maintenir intact le crédit de toute la compagnie. De ce point de vue, les remontrances et les mémoires, bien plus que le libelle, étaient susceptibles d’influencer l’opinion éclairée.

Le Parlement outragé a sans doute servi un autre objectif : mobiliser le plus grand nombre possible de Dijonnais en faveur des positions parlementaires. Il pouvait en résulter deux intérêts majeurs : le premier était de montrer que le parlement était l’organe de l’opinion majoritaire, ce qui accréditait sa prétention à représenter le peuple. Le second, plus important sans doute en l’occurrence, était de rendre intenable le séjour à Dijon pour Varenne, par ailleurs totalement ostracisé par les membres de la cour.

La crainte de voir le libelle influencer l’opinion au point de provoquer des désordres est avérée, et poussa le gouverneur Louis-Joseph de Bourbon à écrire le 22 janvier 1762 au commandant de la ville de Dijon, monsieur de Chanrenault : « Le libelle répandu dans Dijon, […] ayant déjà excité quelque rumeur, il convient de prendre des mesures pour qu’il n’arrive aucun trouble. »78 Il est difficile de mesurer l’ampleur des désordres réels. Chanrenault avait écrit dès le 21 janvier 1762 au prince de Condé : « Il y a eu de la chaleur dans le peuple il y a encore de la fermentation et de la consternation, tant dans Dijon que dans le reste de la province, les légistes et les clercs surtout sont un peu échauffés, mais j’espère que cela aboutira à très peu de chose, ou même rien. » Il est possible toutefois qu’il ait cherché à rassurer le prince sur ses capacités à « gérer » la situation, et Louis-Joseph de Bourbon préféra expédier aussitôt des ordres aux commandants d’Auxonne et de Chalon-sur-Saône pour faire mettre à la disposition de monsieur de Chanrenault des troupes s’il les requérait79.

Varenne brosse quant à lui un tableau plus noir des mouvements qui suivirent la distribution du Parlement outragé 80 : « Il y eut des attroupements, on menaça le Sieur Varenne de le lapider, de le brûler, luy et sa famille, dans sa maison ; ses domestiques furent insultés dans les rues. »81

Le libelle eut-il un retentissement en dehors de Dijon et de Paris ? Le témoignage de Voltaire nous montre que l’écho des luttes parlementaires a été d’abord quelque peu assourdi. Alors que le conflit s’envenimait à Dijon, le philosophe écrivit ainsi des Délices le 13 janvier 1762 à Germain-Gilles Richard de Ruffey82 : « Le parlement ne doit plus songer à son procès contre les Etats. Il s’unira avec eux pour donner au roi un beau vaisseau83 » ; il n’abordait pas du tout la question du libelle. Quelques mois plus tard, le bruit de l’affaire ayant enflé, le patriarche de Ferney voulut en connaître les détails : il demanda le 26 mai au premier président Fyot de La Marche le « mémoire du Parlement », indiquant qu’il était déjà en possession de celui des Élus et affirmant qu’« il faut entendre les deux parties »84. Dans une lettre expédiée le même jour à Richard de Ruffey, où il déplorait la poursuite du conflit, il demanda enfin à ce dernier le libelle du Parlement outragé, « pour lequel votre pauvre parent est en pénitence »85.

PARLEMENT ET IMPRIMEURS : LES LIMITES 
D’UN POUVOIR TUTÉLAIRE

L’affaire du Parlement outragé est à notre connaissance le seul exemple de poursuites directes menées à Dijon contre un imprimeur par le pouvoir royal. Le caractère exemplaire de l’action contre Hucherot était motivé par la nature du libelle qu’il avait imprimé à un moment critique de l’affaire opposant parlementaires et Élus. Sa violence et son caractère diffamatoire ont certainement poussé Varenne et son illustre protecteur à solliciter une action éclatante, seule capable de limiter la prolifération de brochures calomnieuses ou injurieuses pour les États.

Dans de nombreuses villes, le contrôle des parlements sur les imprimeurs, capital au xvie ou au xviie siècle86, avait beaucoup reculé depuis les réformes mises en œuvre par Louis xiv87. Sous Louis xv, l’accession d’un imprimeur à la maîtrise exigeait un arrêt du Conseil privé, et la surveillance de la profession incombait essentiellement au bureau de la Librairie, qui dépendait directement du chancelier de France. Dans ce contexte, le rôle de police des parlements était réduit à peu de chose, la plupart des affaires touchant les métiers du livre étant évoquées au Conseil ; les affaires mineures relevaient du lieutenant général de police local.

Il faut toutefois nuancer le tableau. En effet, le rôle tutélaire des parlements n’avait pas disparu totalement au xviiie siècle. À Toulouse ou à Rennes par exemple, le parlement abritait une imprimerie, et à Dijon, on trouvait des boutiques de libraires dans la salle des pas perdus du palais. Elles échappaient au contrôle des autorités municipales, le parlement étant très jaloux de ses droits de juridiction. Le parlement d’Aix maintenait des visites d’imprimeries88. À Rouen, le rôle du parlement de Normandie dans la police des métiers du livre demeura éminent, voire s’accrut, le premier président assumant la direction de la Librairie dans la province entre 1728 et la Révolution89. Dans la capitale bourguignonne, il n’est pas anodin de noter que la nomination de Jean Cortot, inspecteur de la Librairie à Dijon après les réformes de 1777, a été l’œuvre du premier président Legouz de Saint-Seine90. L’avocat était acquis aux thèses parlementaires, et par ce choix, la cour s’assurait d’un homme sûr qui contrôlerait toute l’activité des métiers du livre.

Le pouvoir royal se montrait plutôt tolérant vis-à-vis de l’impression de remontrances par les cours. Généralement publiées sans nom d’imprimeur et sans mention d’autorisation, mais signées des « gens tenant sa cour de parlement à Dijon », elles étaient vendues ou distribuées dans le public et aux parlementaires eux-mêmes afin de défendre dans l’opinion éclairée les thèses des magistrats. Le nombre d’exemplaires imprimés étant limité, des copies manuscrites circulaient. Les archives de Chantilly montrent que les remontrances étaient envoyées au prince de Condé, gouverneur de la province, accompagnées de lettres de la compagnie demandant son soutien. Qui imprimait ces pièces ? Sans doute d’abord l’imprimeur que se choisissait le parlement pour procéder à des travaux « officiels ». Depuis 1755, c’était Jacques Causse qui remplissait cette fonction à Dijon91. Toutefois, d’autres imprimeurs étaient certainement sollicités. Cela expliquerait pourquoi Hucherot n’éprouva aucune surprise lorsque Joly de Bévy lui proposa d’imprimer son texte, « croyant qu’il étoit un député du parlement pour faire imprimer cet ouvrage ».

Pour bénéficier de la protection effective de la cour, il fallait encore que la demande d’impression, si officieuse qu’elle eût été, fût l’œuvre de celle-ci et non d’un individu agissant de son propre chef. C’est toute l’ambigüité de la nature du libelle qui apparaît ici, et celle-ci n’a probablement pas complètement échappé à Hucherot s’il est vrai qu’il a, comme il l’a prétendu, demandé une « décharge » à Joly de Bévy. L’imprimeur a dû être surpris par le fait que ce n’était « point le parlement en corps » qui le sollicitait.

Dès lors, Hucherot devait savoir qu’il s’engageait dans une voie risquée, mais la rareté des procédures contre les imprimeurs à Dijon, la puissance du parlement et la solidarité dont le corps faisait preuve face aux attaques extérieures ont dû le rassurer tout autant que les propos lénifiants de Joly de Bévy.

Mais l’intervention ordonnée à Versailles devait lui démontrer les limites de la protection dont il bénéficiait, le parlement ne pouvant s’opposer aux ordres directs du roi. Une telle intervention se retrouve ailleurs dans des circonstances similaires, par exemple à Rennes, où l’imprimeur Nicolas-Paul Vatar, qui imprimait des pièces prohibées pendant l’affaire de Bretagne, fit l’objet de plusieurs perquisitions et fut finalement emprisonné au Mont-Saint-Michel en novembre 177092. Les conséquences de son implication furent lourdes : il perdit sa maîtrise d’imprimeur, ses presses furent brisées, et il fallut le rétablissement du parlement après la réforme de Maupeou pour qu’il obtînt la possibilité de reprendre son activité93. En récompense de son zèle au service de la cause parlementaire, les magistrats le nommèrent imprimeur du parlement de Bretagne et le laissèrent installer au palais de justice une imprimerie qui fut mise à sa disposition gratuitement.

LA FIN DE L’« AFFAIRE VARENNE »

Nous ne détaillerons pas ici les péripéties qui suivirent la distribution du Parlement outragé. Après ses remontrances de janvier, le parlement devait adopter une attitude intransigeante qui le conduirait le 1er février 1762 à la cessation de son service ; il ne devait reprendre ses fonctions qu’en mars 1763. Sur le fond des querelles l’opposant aux Élus, il n’allait rien gagner d’essentiel94. Par contre, il avait donné comme condition de sa reprise de fonctions la suppression de la charge du secrétaire en chef des États, et sur ce point il eut gain de cause, obtenant la démission de Jacques Varenne en décembre 1763.

Par ailleurs, Varenne était poursuivi avec son fils95 et le libraire Desventes par la cour des aides de Paris ; en effet, le parlement de Dijon, qui informait sur le même sujet, avait réussi à intéresser cette cour pour des faits en rapport avec la réédition lyonnaise de son mémoire sur les cotes d’office au printemps 1762. Varenne dut subir une procédure humiliante96, au terme de laquelle le roi décida de produire des lettres d’abolition. Toutefois, celles-ci ne furent pas enregistrées purement et simplement, comme cela avait été entendu97, mais entérinées à la cour des aides de Paris en suivant la forme utilisée pour des lettres de grâce98. Cela permettait de rabaisser l’orgueilleux secrétaire, qui dut écouter la lecture des lettres à genoux et s’entendre dire par le président Malesherbes : « Varenne, le roi vous accorde des lettres de grâce, la cour les entérine : retirez-vous, la peine vous est remise, mais le crime vous reste. »

Le camouflet étant retentissant, Louis-Joseph de Bourbon décida de marquer son mécontentement d’une manière éclatante : la ville de Dijon, qui avait pris fait et cause pour son parlement, se vit priver de la tenue des États de 1763, convoqués à Autun. La punition était sévère, car la réunion triennale des ordres de la province, agrémentée de fêtes et de réjouissances, était une source de distraction et de revenus pour toute la ville. Contrairement aux Élus qui mettront des obstacles à indemniser Varenne de ses dépenses lors de son séjour à Paris99, le prince de Condé continuera à favoriser son protégé : après l’avoir fait décorer de l’ordre de Saint-Michel en 1762, il lui fit obtenir peu après « une gratification extraordinaire de dix mille livres sur le Trésor royal » et surtout la charge de receveur des États de Bretagne100.

La libération de Hucherot au terme d’un peu plus d’un mois et demi d’emprisonnement montre que l’enjeu majeur de l’affaire du Parlement outragé restait avant tout politique. L’enquête ne visait pas à démanteler une imprimerie dijonnaise procédant clandestinement à l’impression de textes séditieux, mais bien à essayer de connaître l’auteur et peut-être le réseau qui outrepassait les bornes en s’attaquant personnellement à un protégé du prince de Condé. L’emprisonnement de l’imprimeur eut les effets escomptés et permit de découvrir le rédacteur du libelle, qui paya d’une disgrâce de près de deux ans son engagement excessif au service de la cause parlementaire. La dénonciation de son maître par un apprenti trop curieux, l’habileté et l’expérience des policiers parisiens avaient eu raison de la trop grande confiance du conseiller au parlement dans la puissance de la cour souveraine dijonnaise. Malgré son prestige, celle-ci n’avait pu empêcher l’autorité royale d’intervenir directement dans une affaire qui mettait en jeu rien moins que la sécurité des recettes fiscales en Bourgogne dans une France alors en guerre. Mais le stoïcisme que Joly de Bévy choisit d’adopter dans sa chute et son obstination à assumer seul la responsabilité de ses actes lui valurent certainement bien des sympathies au sein du parlement, et ne l’empêchèrent pas de poursuivre une brillante carrière après 1764.

Dès lors que l’on connaissait le principal auteur du libelle et que celui-ci était à la Bastille, les autorités ont pu s’estimer satisfaites. La libération de l’imprimeur, peut-être promise en récompense de ses aveux circonstanciés (on l’a cru à Dijon), devenait possible, et une plus forte punition inutile : l’embastillement devait servir de leçon à un professionnel prospère qui n’avait finalement guère de raisons de se livrer sciemment à des activités illicites et dangereuses.

Illustrations n° 1 et 2 : [Joly de Bévy], Le Parlement outragé [Dijon, Louis Hucherot, 1761]. Page de titre et page de départ du texte (Dijon, Bibliothèque municipale, Ms 1424).

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1 L’affaire Varenne a été souvent traitée : on citera Elisabeth-François de La Cuisine, Le Parlement de Dijon, Dijon, Rabutot, 1864, 3 t. ; Gabriel Dumay, Une session des Etats généraux de Bourgogne à Autun en 1763, Autun, Dejussieu, 1879, p. 3-13 ; Marcel Bouchard, de l’humanisme à l’Encyclopédie, Paris, Hachette, 1930, p. 855-877. Jean Egret aborde cette crise dans son Louis xv et l’opposition parlementaire, Paris, Armand Colin, 1970, p.144-148. L’affaire vue sous l’angle des rapports entre monarchie et parlements a été étudiée par Jean Richard, « Le parlement de Bourgogne et la monarchie aux deux derniers siècles de l’Ancien Régime », Annales de Bourgogne, t. 49, 1977, p. 27-39. Les deux synthèses les plus récentes sont celle de Stéphane Pannekoucke, « L’affaire Varenne (1760- 1763). Jeux de clientèle et enjeux de pouvoir entre Versailles, Paris et Dijon », Annales de Bourgogne, t. 78, 2006, p. 33-67, qui contient un tableau chronologique fort utile, et celle de Julian Swann, « Power and provincial politics in eighteenth-century France : the Varenne affair 1757-1763 », French Historical Studies, 21, n° 3, 1998, p. 441-474, très riche par sa mise en perspective historiographique et par l’étude du rôle de l’opinion publique. Swann aborde également en détail le conflit dans le chapitre 9 de son livre Provincial power and absolute monarchy. The Estates General of Burgundy, 1661-1790, Cambridge, CUP, 2003, p. 262 et suiv. Le rôle joué par le gouverneur a été abordé par S. Pannekoucke dans Des princes en Bourgogne, les Condé, gouverneurs au xviiie siècle, Paris, CTHS histoire, 2010, p. 161-167. Sur l’état d’esprit des parlementaires, l’ouvrage d’Albert Colombet, Les Parlementaires bourguignons à la fin du xviiie siècle, Dijon, chez l’auteur, 1937, bien que daté, reste utile. Les évolutions historiographiques récentes concernant la position des parlements ont été étudiées par Steven Kaplan, The Stakes of regulation, Londres, Anthem Press, 2015, p. 177-224.

2 Ainsi, de nombreuses remontrances parlementaires, rendues publiques par l’impression sans nom d’imprimeur ni mention d’autorisation, ne furent suivies en Bourgogne d’aucune poursuite sérieuse, alors qu’il s’agissait d’une pratique prohibée.

3 Le principal cas connu par ailleurs est celui du libraire François Desventes, embastillé en 1753 pour une affaire de vente de livres contrefaits au relieur parisien Ratillon.

4 Archives nationales (désormais AN), Y 15270.

5 23 mars 1736 – 21 février 1822.

6 AN, K 709 n° 5, Mémoire contenant un précis des faits relatifs aux démêlés d’entre le parlement-cour des aides de Dijon et les Etats et Élus généraux du duché de Bourgogne. Dans ce mémoire justificatif, probablement rédigé en 1764, alors qu’il venait d’être nommé receveur des États de Bretagne, Varenne détaille et réfute les faits qui lui sont reprochés.

7 C’est-à-dire applicable dans l’immédiat, dans l’attente de la décision définitive quant à l’instance principale.

8 Ces impôts touchaient non seulement les roturiers soumis à la taille, mais aussi les privilégiés.

9 Cette procédure permettait au Trésor de percevoir rapidement le montant total de l’impôt demandé, sans avoir à se préoccuper du recouvrement. En contrepartie, une remise était faite sur la somme exigée. Pour disposer au plus vite des fonds nécessaires, les Élus pouvaient être autorisés à recourir à l’emprunt.

10 Bibliothèque municipale de Dijon (désormais BMD), Ms 2326, f. 241. Les mots en italique sont soulignés par l’auteur.

11 C’est ainsi qu’il qualifie Varenne dans son interrogatoire du 26 mars 1762.

12 Contrat de mariage du 19 avril 1765, reçu Mathieu puîné (Arch. dép. de la Côte-d’Or, désormais ADCO, 4E7/437). Il épousa le 29 avril 1765 Louise Lemulier de Bressey, qui lui apportait 100 000 lt de dot. Joly de Bévy était l’un des parlementaires les plus riches de Dijon.

13 Résolument hostile aux Élus jusqu’à la Révolution, Joly de Bévy sera parmi les premiers parlementaires à émigrer et sera appelé à participer au conseil privé des frères du Roi en exil. A. Colombet (Les parlementaires…, op. cit., p. 261) indique qu’il n’était pas très aimé à Dijon.

14 Jacques Varenne indiquera dans son mémoire justificatif que « le parlement de Dijon s’essaya de […] combattre par divers écrits […]. Non seulement ces écrits furent envoyés à Paris aux personnes que le parlement vouloit ramener à son avis, mais il en fut distribué des copies manuscrittes à Dijon » (ADCO, C 3349). L’usage de distribuer des copies manuscrites est attesté à Dijon jusqu’à la Révolution.

15 Un inventaire par-devant notaire a été réalisé à cette occasion (ADCO, 4E5/7). L’imprimeur possédait alors trois presses et à de rares exceptions près, son fonds de librairie était constitué de livres scolaires et de piété. Ses papiers ne comportaient qu’un contrat de rente sur la province de Bourgogne, au principal de 4 000 livres.

16 ADCO, 4E5/7, notaire Molle, contrat de mariage. Le succès de l’entreprise de Hucherot apparaît aussi par le fait que le 24 juin 1760, il sera à même d’acheter à Pierre Filzjean de Talmay, conseiller au parlement, un domaine en roture situé à Rouvres, moyennant 8 548 livres payées comptant (ADCO, 4E2/2215, notaire Poulet).

17 François Descombes (Dijon, 23 avril 1735 ; Dijon, 13 mars 1809).

18 Ces deux noms renvoient à l’origine probable de compagnons originaires de Liège et de Franche-Comté.

19 Vraisemblablement un membre d’une famille de libraires dijonnais.

20 Ou Boileau.

21 AN, Y 15270, interrogatoire de Hucherot, 16 février 1762.

22 Le récit de la remise du manuscrit et de sa production est tiré pour l’essentiel de la déclaration faite par Hucherot au commissaire Duchesne le 17 février 1762.

23 Le nombre d’exemplaires donné dans leurs interrogatoires par Hucherot et par Joly de Bévy concorde.

24 Joly de Bévy dira ne pas se souvenir de cette allégation dans son interrogatoire du 26 mars 1762.

25 Le conseiller était informé de la rédaction des remontrances qui devaient être rendues publiques début janvier 1762 (voir note 69).

26 Ce que Joly de Bévy confirmera.

27 Un fait que démentira Joly de Bévy, affirmant avoir confié le manuscrit dans son entier à Hucherot.

28 Cour d’Époisses, aujourd’hui petite rue du Prieuré.

29 Interrogatoire de Joly de Bévy, 9 avril 1762.

30 Dans son interrogatoire du 16 février 1762, Duchesne demande à Hucherot si cette allégation, probablement issue d’un témoignage aujourd’hui perdu, est vraie. On voit que la production et la distribution des remontrances parlementaires ne suscitaient pas de crainte particulière à Dijon.

31 Place Bossuet actuelle.

32 Un exemplaire manuscrit du Parlement outragé (BMD, Ms 912), porte en note : « On le jetta furtivement pendant la nuit dans les cours et dans les allées des maisons. On dit même qu’il en fut jeté quatorze exemplaires dans la cour du sieur Varenne ».

33 G. Dumay, extraits du Mercure dijonnois publiés dans les Mémoires de l’académie de Dijon, 3e série, tome 9, 1885-1886, p. 128.

34 BMD, Ms 912, note sur un exemplaire manuscrit du Parlement outragé.

35 Ibid.

36 ArchivesdumuséeCondé,Chantilly(désormaisAMC),registresdugouvernementde Bourgogne, 2 GB 36, page 43.

37 Selon le Mercure dijonnois (p. 128), « presque tous les soupçons » se portaient sur lui.

38 Mercure dijonnois, p. 130, et lettre du 18 janvier 1762 du commissaire Chénon à d’Hémery in Archives de la Bastille, documents inédits recueillis par François Ravaisson-Mollien, Paris, Pedone, 1903, p. 169-170.

39 Mercure dijonnois, p. 128. S. Pannekoucke précise dans son article sur l’affaire Varenne (cit. note1)quelesparlementairesrendirentfinalement« unarrêtordonnantsimplementla suppression de l’écrit litigieux ».

40 De La Cuisine, dans Le Parlement de Bourgogne, 2eédition, tome 3, p. 231, indique que le pamphlet « fut dénoncé à Varenne par Boileau […]. Varenne à son tour en rendit compte au chancelier ».

41 Interrogatoire du 11 février 1762.

42 Les questions posées par l’inspecteur Duchesne à Hucherot reviennent en détail sur la scène impliquant Boillod, confirmant que sa déposition, que nous n’avons pas retrouvée, a été décisive.

43 AMC, 2 GB 36, pages 43-44, lettre du prince de Condé au comte de Saint-Florentin : « Je ne vois pas de meilleur moyen […] que de faire arrêter Hucherot et de le faire conduire à la Bastille où étant interrogé […], il sera forcé de déclarer tout ce qui s’est passé à ce sujet, ce qu’il ne feroit pas si on le mettoit au château de Dijon, où il pourroit être endoctriné […]. Je vous prie, Monsieur, d’en demander l’ordre au Roi […] ».

44 La saisie des caractères paraît avoir été une rumeur.

45 Mercure dijonnois, p. 130.

46 Le soutien déclaré du prince de Condé à Varenne et aux Élus a pu aiguillonner le lieutenant général de police. Par ailleurs, le discrédit jeté sur les Élus pouvait peser non seulement sur la sûreté ultérieure des engagements pris dans le cadre fiscal, mais aussi sur le crédit de la province, qui était fort, les emprunts faits par celle-ci pour répondre aux sollicitations du Trésor étant généralement considérés comme un placement de confiance.

47 Le mot est de Sartine, dans la lettre au commissaire Duchesne du 15 février 1762.

48 Il était incarcéré dans « la première [cellule] du puits » selon la lettre écrite par Chevalier lors de l’entrée du prisonnier (Archives de la Bastille…, op. cit., p. 170). La tour du Puits était la tour d’angle nord-ouest de la forteresse.

49 Hucherot nous apprend incidemment qu’il utilisait toujours les caractères de l’imprimerie de son beau-père et n’avait acheté que 10 à 12 ans auparavant un caractère de cicero.

50 De fait, nous n’avons pas trace de comparaison établie entre les mémoires imprimés par Hucherot et le libelle…

51 Non retrouvé ; on peut supposer qu’il synthétisait les premiers témoignages, notamment celui de Boillod.

52 Intitulé Correctif à ma lettre du 12 may 1756, il se serait agi d’un document imprimé pour l’abbé Picardet, sans aucun rapport avec l’affaire. L’absence de nom d’imprimeur et d’auteur était illicite ; c’est ce qui attira l’œil du policier.

53 Le contrat, au principal de 2 000 livres, aurait pu être une forme de placement d’une somme reçue en paiement de l’impression illicite. Hucherot répondit qu’il avait reçu cet argent légalement, dans le cadre de son échevinat.

54 Hucherot se défendra toujours d’avoir eu recours à de telles pratiques, qui auraient prouvé l’intention délictueuse, et réaffirmera qu’il ne percevait pas le Parlement outragé comme un ouvrage prohibé.

55 Sartine a adressé à Duchesne un « nouveau mémoire » qui devait rapporter les éléments obtenus lors des dépositions des compagnons de l’imprimerie. Je n’ai pas retrouvé de copie de ce document à ce jour.

56 Dans l’affaire où Desventes avait été impliqué en 1753, Robert Machuel, avait ainsi perdu son titre d’imprimeur à Rouen en raison des contrefaçons qu’il avait imprimées. La réglementation en vigueur était celle de 1723, véritable « code de la Librairie », initialement mise en place à Paris et étendue à tout le royaume en 1744. Hucherot contrevenait à l’article ix du titre II pour avoir imprimé un texte anonymement et à l’article xcix du titre xiv pour avoir produit un libelle diffamatoire.

57 Même si elle n’était jamais appliquée dans ce contexte, l’évocation de la question pouvait être un puissant motif de réflexion.

58 François Desventes n’avait-il pas été embastillé et condamné à 500 livres d’amende en 1753, sans perdre son droit d’exercer son métier (BnF, collection Anisson-Duperron, ms. fr. 22075) ?

59 Le Mercure dijonnois indique que « le 24 [mars], on eut nouvelles certaines que le Sieur Hucherot étoit dehors de la Bastille depuis le 19, sans aucune condition, et quelques personnes présument qu’on luy avoit promis sa grâce s’il avouoit l’autheur du mémoire » (Mercure dijonnois, p. 134 et 135).

60 Après s’être retiré des affaires, Hucherot terminera sa vie le 3 juin 1791.

61 Mercure dijonnois, p. 131.

62 Note manuscrite à la suite de l’exemplaire du Parlement outragé cité en note 12.

63 Mercure dijonnois, p. 131. On appréciera la puissance de la rumeur.

64 Le procès-verbal est connu par plusieurs sources ; il est cité dans Archives de la Bastille, op. cit., p. 170-171.

65 Dans son ouvrage sur le parlement, de La Cuisine indique que le conseiller Louis Maleteste savait que Joly avait connaissance des « preuves acquises contre lui quand il était venu s’avouer l’auteur du libelle » (Histoire du parlement, tome 3, p. 231).

66 Il affirma notamment « qu’il est vray qu’[…] il luy a dit que cet ouvrage n’estoit point contre les mœurs, le Roy, l’Etat ny la religion, qu’il ne concernoit qu’un particulier contre les entreprises duquel le Parlement feroit des remontrances ». Il nia toutefois avoir donné le manuscrit par feuilles et avoir promis une décharge.

67 Ce n’est que le 9 avril 1762, confronté aux témoignages citant le nom du copiste, qu’il donnera des détails sur son implication.

68 Lettre écrite par Joly à Sartine le 24 février 1764 indiquant qu’il pouvait reprendre ses fonctions (Archives de la Bastille, op. cit., p. 182). Joly de Bévy devint président au parlement de Bourgogne en 1777.

69 Dans les remontrances du 7 juillet 1762, les parlementaires devaient déplorer le fait que le nom du comte de Vienne apparaisse « à côté du nom d’un subalterne ».

70 Les Lettres historiques sur les fonctions essentielles du parlement, sur le droit des pairs et sur les loix fondamentales du royaume, où l’avocat Le Paige développait ces principes, avaient paru en 1753-1754.

71 Rappelons qu’il traitait Varenne, dont la noblesse était récente, de « subalterne ».

72 AN, H147, Récit de ce qui s’est passé dans la journée du 24 9bre 1787 (pièce n° 79).

73 Varenne prétend dans son mémoire justificatif (AN, K709, n° 5) que le libelle fut distribué en dehors de Dijon : « La Franche Comté en fut innondée [sic], de même que les principales villes du duché de Bourgogne. » Joly de Bévy ne parle pas d’une distribution en dehors de Dijon.

74 Le fait que l’orfèvre Liégeard en ait possédé un exemplaire le prouve.

75 Mercure dijonnois, p. 127.

76 Ibid., p. 127.

77 Julian Swann,« Power andprovincial politicsin Eighteenth-centuryFrance : theVarenne affair », French Historical Studies, 1998, 21, p. 462-466.

78 AMC, 2 GB 36, lettre du prince de Condé à monsieur de Chanrenault, 22 janvier 1762.

79 Ibid., lettre de monsieur de Chanrenault au prince de Condé, 21 janvier 1762, et ordres à la suite.

80 AN, K 709, n° 5 et ADCO, C 3349.

81 Le grand concours de peuple qui accompagnera l’exécution de la condamnation au feu de son mémoire pour les Élus quelques mois plus tard rend tout à fait vraisemblable son témoignage.

82 Gilles-Germain Richard de Ruffey (1706-1794) était président de la chambre des comptes.

83 Voltaire, Correspondance, vol. vi, lettre 7002, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade. Les Élus avaient offert au roi, au nom des États, le financement d’un vaisseau de ligne.

84 Ibid., vol. vi, lettre 7155.

85 Ibid., lettre 7156.

86 Jane McLeod, Licensing loyalty, printers, patrons and the state in early modern France, The Pennsylvania University Press, 2011, p. 16-18.

87 Thierry Rigogne, Between state and market : printing and bookselling in eighteenth-century France, Oxford, Voltaire Foundation, 2007, p. 65-66. L’auteur montre que le rôle des parlements dans le contrôle des métiers du livre apparaît marginal si l’on s’en tient à l’enquête de 1764.

88 Thierry Rigogne, Between State…, op. cit. p. 65-66.

89 Jean-Dominique Mellot, L’Édition rouennaise et ses marchés (vers 1600 – vers 1730), Paris, École des chartes, 1998, p. 599-608.

90 ADCO, C 380.

91 AMD, G 47, Mémoire pour Causse, imprimeur du Parlement de Dijon. La ville, l’intendance, l’évêché, les État,… se choisissaient chacun un imprimeur particulier.

92 Jane McLeod, Licensing…, op. cit., p. 200-202.

93 Arrêts du Conseil des 5 janvier 1772 et 25 juillet 1775.

94 AN, K 709, n° 5. Dans son mémoire justificatif, Varenne montre que la position des États a été maintenue sur presque tous les points. Le parlement n’obtint gain de cause que sur la promesse du gouvernement que l’on ne ferait pas de traité d’abonnement avant l’enregistrement des édits.

95 Varenne de Beost, qui occupait également un poste de secrétaire des États.

96 Ibid. La cour des aides prononça notamment un décret d’ajournement personnel, puis de prise de corps contre Varenne. À Dijon, le parlement condamna le mémoire au feu en juin 1762.

97 Ibid. Une négociation avait été entreprise entre la cour des aides et Varenne par l’entremise d’un « négociateur » qu’il ne cite pas nommément.

98 Des lettres de rémission ou de grâce supposaient qu’un crime avait été commis et qu’il était pardonné par le roi. Les lettres d’assoupissement ou d’abolition de la procédure ne jugeaient pas quant au fond.

99 ADCO, C 3354, correspondance entre les Élus et le comte de Saint-Florentin, lettres des 22 septembre, 6 et 29 décembre 1764.

100 Dans son mémoire justificatif (AN, K 709, n° 5), Varenne indique que le roi accorda « l’agrément des charges de receveur général des finances en Bretagne » dès le 11 septembre 1763.