Book Title

Libreria publica :
 la bibliothèque de Saint-Jean de Strasbourg 
au berceau de l’humanisme rhénan

Georges BISCHOFF

Université de Strasbourg

Quel rapport entre Gutenberg et Gottfried de Strasbourg ? L’invention du premier triomphe au fronton de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, et le profil du second orne un des vingt-huit médaillons des vedettes de l’esprit qui la parrainent1. L’un et l’autre ont été Strasbourgeois et l’un et l’autre ont éveillé des passions nouvelles, l’amour des livres ou l’amour fou – ce qui s’impose dans une ville où avaient résonné simultanément, pour la première fois de l’histoire, le mot roman Amur et son équivalent allemand, Minne, lors des fameux serments de Strasbourg du 14 février 842.

L’improbable rencontre de l’inventeur des caractères mobiles et du poète de Tristan et Isolde s’était faite sur les rayons d’une même bibliothèque, et dans le même élan de découverte savante. Elle avait eu lieu au milieu du xviiie siècle, avec la parution de l’édition princeps de l’œuvre de Gottfried, réveillée par Johann-Jacob Bodmer (1698-1783) à partir d’un manuscrit de la Commanderie de Saint-Jean de Strasbourg2, au moment même où Jean-Daniel Schoepflin (1697-1770) et ses émules tentaient de faire la lumière sur les toutes premières impressions strasbourgeoises conservées dans la même bibliothèque de Saint-Jean de Strasbourg3.

Intégré dans l’ensemble du Temple neuf à la Révolution française, le fonds de l’ordre de Malte a disparu dans le bombardement du 24 août 1870, mais ce qu’on en sait suffit à arracher des torrents de larmes. En effet, son importance avait été reconnue d’une manière assez précoce et s’était traduite par la publication, conjointe, en 1749, du catalogue monumental de ses livres imprimés, par le bouillant jésuite Jean-Nicolas Weislinger4 et de celui des codices manuscrits par Jean-Jacques Witter, professeur à l’Université luthérienne de la ville5. L’ouvrage de l’érudit catholique s’articule en deux volets. L’analyse des livres publiés avant la bible de Luther (1522 pour le Nouveau Testament) recouvre près de 900 pages et suit l’ordre chronologique des parutions, en consacrant de longs développements à l’exposé des erreurs des réformateurs. Elle est accompagnée d’un second catalogue, plus sommaire, de l’ensemble de la bibliothèque, reprenant l’ordre alphabétique des auteurs et des titres des anonymes (262 p.). Celui de son collègue protestant comprend 915 numéros. À en croire Rodolphe Reuss6, c’est un total de 2 000 incunables et 1 200 manuscrits qui formaient alors le noyau de cette bibliothèque transférée de l’ancien site de la commanderie à l’actuel quai Saint-Jean en 1689, avant d’être relocalisée dans l’ancien chœur des Dominicains. Elle était l’une de ces « librairies » que vante Jacques Wimpheling dans son éloge de Strasbourg7 et on la considérait comme une des attractions de la ville, apparaissant à ce titre dans les tout premiers guides proposés aux visiteurs des xviie et xviiie siècles8.

Illustration n° 1 : Vue de la commanderie d’après P. Helyot, Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires, t. iii, Paris, 1715, p. 117. Cette gravure reprend deux dessins antérieurs à la destruction des bâtiments en 1633. Au xviiie siècle, elle sert d’ex-libris aux religieux.

Cette ressource était bien connue des savants avant d’être réduite en cendres par les obus prussiens – « la bibliothèque de la commanderie est précieuse par la quantité de ses manuscrits et de ses livres de la première impression »9 –, mais son histoire peut être reprise, dans la foulée des excellents travaux de Charles Schmidt10, qui l’a vécue « de l’intérieur » dès ses toutes premières recherches, et de l’historiographie actuelle11.

UN BANQUIER MYSTIQUE ET SES INVESTISSEMENTS D’AVENIR

La maison des hospitaliers de Saint-Jean occupe une place singulière dans le paysage religieux de Strasbourg et de sa région. On peut y voir une sorte d’incubateur de la réforme catholique de sa ville, à l’instar des chartreux du faubourg de Koenigshoffen ou de ceux de Bâle. Sa fondation a lieu à une date étonnamment tardive si on s’en tient à la chronologie des commanderies de l’ordre, qui sont indissociables des croisades et servent de base logistique aux chevaliers présents en Terre sainte jusqu’en 1291, avant qu’ils ne s’installent à Rhodes puis à Malte. En effet, la vaste emprise de l’Île verte (Grünenwoerth), qui se trouve sur la rive gauche de l’Ill, à l’entrée sud de Strasbourg, ne l’accueille qu’en 1371, cent cinquante ans après l’implantation des johannites dans les diocèses du Rhin supérieur12. Le choix de la règle adoptée par Raymond du Puy en 1123 en combinant les prescriptions de saint Augustin et celles de saint Benoît résulte des inclinations de son fondateur, le banquier Rulmann Merswin (1318-1382)13, qui a pu choisir Saint-Jean pour son volet spirituel plus que pour sa dimension militaire tout en bénéficiant de l’aura de celle-ci.

La formule retenue est celle d’une communauté de prêtres, c’est-à-dire d’un prieuré d’une quinzaine de membres qui ne compte pas de chevalier dans ses rangs. Le caractère hospitalier est présent de deux façons : on accueille des hôtes et on assure la tutelle d’un hospice destiné à des veuves ou des femmes âgées « béguines », à partir de 1383, un système qui continue à fonctionner jusqu’à la Réforme14. Lorsque Strasbourg adopte celle-ci, Saint-Jean se recroqueville, perd une bonne partie de son enclos, remplacé par un bastion, mais résiste aux autorités protestantes jusqu’à son expulsion, immédiatement suivie de la destruction de l’église et des maisons attenantes, en 1633. Dispersés dans la ville, mais tolérés, les religieux sont rétablis par le roi de France dans de nouveaux locaux, l’ancien couvent dominicain de Saint-Marc, le long du canal des faux remparts, 500 mètres plus au nord (1687). Le site originel fait place à la Maison de force et de correction connue sous le nom de Sainte-Marguerite, du nom des dominicaines qui occupaient le terrain mitoyen, au milieu du xviiie siècle (des bâtiments qui hébergent l’ENA depuis son transfert à Strasbourg en 1991). Il ne subsiste qu’un seul vestige de la commanderie, à savoir sa porterie, initialement dévolue à l’hospice. Les fouilles archéologiques réalisées lors du réaménagement de l’ensemble15 ont principalement porté sur les abords ; elles ont montré la qualité des infrastructures (revêtement des berges, drainage, etc.)

Les archives conservées16 sont particulièrement riches pour ce qui concerne le temporel de l’établissement mais elles permettent également de saisir son environnement spirituel. Si elles ont fait l’objet d’un certain nombre d’études partielles17, leur matériau suffirait encore à nourrir plusieurs thèses. De fait, devenue un îlot de résistance catholique dans l’un des principaux foyers de la Réforme, Saint-Jean n’a cessé d’entretenir la mémoire de sa grandeur.

Ainsi le P. Helyot rappelle-t-il, en 1715, que la commanderie strasbourgeoise se distingue de toutes ses semblables par le fait que « le commandeur a droit de porter la mitre, la crosse et tous les ornemens pontificaux » et qu’elle se targue de remonter à une fondation antérieure de deux siècles, celle du monastère de la Trinité, dont elle revendique la succession18. Son patrimoine et ses richesses la placent au tout premier rang du prieuré d’Allemagne – et son chef y occupe la position hiérarchique la plus élevée après le grand prieur de cette « langue ».

Le recrutement des religieux se fait dans la région, sur les deux rives du Rhin. Sur les 64 noms connus entre 1380 et 1450, 29 appartiennent à des familles patriciennes de la cité. Entre 1450 et 1525, Francis Rapp en a relevé 92, mais seulement 7 qui sont issus de cette élite19, ce qui ne paraît pas avoir d’incidence sur son prestige. L’Île verte entretient des rapports très étroits avec les dirigeants de la ville. Elle est coiffée par un comité de patronage composé de trois pfleger laïcs issus de la noblesse, souvent un Merswin, descendant du fondateur – la famille s’éteint dans le premier quart du xvie siècle – et deux autres gentilshommes comme Gaspard Zorn de Bulach, qui a pris part au pèlerinage de Terre Sainte dont Bernhard de Breydenbach a publié le célèbre récit, en 1483.

En 1495, à la quinzaine de prêtres présents dans la maison s’ajoutent un minimum de 4 écoliers logés sur place, une domesticité forte d’une dizaine de serviteurs, et, dans un espace attenant, les 20 sorores, dont certaines peuvent avoir un train de vie important, à l’instar de Marguerite Spet, admise en 1463 avec sa dame de compagnie20. Des hôtes s’y arrêtent plus ou moins longtemps – on mentionne un hospitalier de Francia, Jean Dumi, en 1461, ou un homme de guerre de Anglia onze ans plus tard, et il est également question de pauvres auxquels on offre des repas, sinon le gîte. L’effectif permanent de Saint-Jean est de 46 personnes en 1495, pour un coût d’entretien estimé à 472 livres21.

La personnalité et la longévité des commandeurs ne sont pas étrangères au rayonnement de la commanderie strasbourgeoise. L’œuvre de Rulmann Merswin a bénéficié, dès le départ, de l’appui du grand prieur d’Allemagne, Conrad de Brunsberg, et de l’énergie du premier commandeur Henri de Wolfach (1372-1404). Les successeurs de ce dernier sont à peine une demi-douzaine jusqu’à la Réforme, Ehrart Tome (1404-1426), Johannes von Ehenheim (1426-1439), Amand Smalriem (1439-1467), Nicolas Rauch de Baden (1468-1504), Erhart Künig (1504-1511), Balthasar Gerhard (1511-1532), et sont, pour autant qu’on puisse le dire, des hommes actifs ou bien épaulés par leurs adjoints, le prieur et le custos22. Leur proximité du pouvoir leur vaut l’appui de la papauté et la sollicitude des autorités civiles : sous Nicolas de Baden et Erhart Künig23, la commanderie des bords de l’Ill héberge l’empereur Maximilien à sept reprises ainsi que sa fille l’archiduchesse Marguerite, ou le cardinal Raymond Péraud, légat du pape en Allemagne.

Cette présence est à l’échelle des moyens dont disposent les hospitaliers : leur patrimoine repose sur près de 200 actes de donation, 84 avant la fin du xive siècle, 56 dans la première moitié du xve, 57 dans la seconde24, des chiffres qu’on se garderait d’interpréter comme un essoufflement dans la mesure où ils produisent un effet cumulatif et sont confortés par une gestion efficace : des rentes en nature et en argent, une exploitation directe pour quelques domaines plus importants – vignes et vergers à Westhoffen, forêt sur la rive droite –, des immeubles de rapport à Strasbourg, et des opérations de « croissance externe » dont la première est l’incorporation de l’ancienne commanderie de Rhinau, tombée en déshérence, dès 1373, la plus importante étant la réunion de la commanderie de Sélestat, confiée à un prieur et à des chapelains, et de son annexe, l’ancienne maison du Temple de Bergheim, en 1399. Les bénéfices sont placés dans d’autres affaires, comme le prêt de 3 000 florins à l’évêque de Strasbourg en 1501 moyennant une rente annuelle de 120 florins (soit 4 % du capital)25, ou affectés à de gros investissements – travaux de construction, achats divers, livres y compris. La trentaine de cahiers de comptes, improprement intitulés « colligendes », conservés entre 1462 et 1525 et d’autres documents d’archives permettent de se faire une idée de leur importance : doublant la nef de la Trinité, l’église conventuelle et son cloître forment le noyau d’un ensemble de bâtiments qui bordent la rivière, à l’est, en dégageant une vaste superficie vouée à des jardins d’agrément ou aux activités agricoles. Les locaux de la communauté se caractérisent par leur confort – on aménage une maison d’été (summerhus) en 1461, c’est-à-dire une salle de séjour munie de grandes baies orientées du côté du soleil –, on installe un poêle en fer dans la conventstube en 1492, ce qui est le comble de la modernité et coûte la somme fabuleuse de 202 florins. Les dépenses de bouche sont au diapason, mais on observe scrupuleusement le jeûne et l’abstinence : pas de viandes et d’œufs pendant le carême, pas davantage au cours de l’avent (sauf pour la domesticité laïque), conformément à la règle26.

Illustration n° 2 : Vue de la commanderie avant sa destruction (dessin à la plume, AD Bas-Rhin, H 1414). L’oriel débordant au-dessus de l’Ill peut correspondre à l’appartement de l’empereur.

Les vœux de chasteté, d’obéissance et de pauvreté ne sont pas incompatibles avec la prospérité dont jouit la commanderie. À la veille de la Réforme, en 1521, Jérôme Gebwiler fait l’éloge de la plus grande tempérance et des autres vertus qui caractérisent le mode de vie « severissime » des religieux de l’Île verte27. Il n’y a pas de relâchement, même si en 1495, ces derniers s’étaient plaints de la discipline de fer qu’y faisait régner le commandeur Nicolas de Baden, en demandant l’autorisation de pouvoir se promener dans les jardins au moins une fois par semaine, de recevoir des visites ou des cadeaux, de porter des fourrures, etc. et en proposant d’afficher la règle dans le lieu le plus fréquenté de leur maison, à savoir sa bibliothèque, libreria publica28.

On leur avait donné raison, puisque les statuts de l’ordre leur avaient alors été communiqués en vue de cet affichage.

« WIE GOTT IN STRASSBURG » : EN ATTENDANT THÉLÈME

Le livre est à l’origine même de la commanderie de l’Île verte. Ses archives conservent quelques manuscrits distraits du fonds de la bibliothèque en raison de leur valeur probatoire29. Il en va ainsi du recueil intitulé Dis ist das briefe büchlein, dans lequel l’un des premiers conventuels, le disciple de Rulman Merswin Nicolas de Loeffene (de Louvain ?) a rassemblé les lettres reçues de son maître30. Les traités de spiritualité de celui-ci avaient été écrits une vingtaine d’années plus tôt, en 1352 et en 1356, sous l’influence de l’« Ami de Dieu de l’Oberland », alias Nicolas de Bâle, un visionnaire aux lisières de la mystique et de l’hérésie31. Le courant dont ils se réclamaient accordait la plus grande importance à la lecture et à la méditation personnelles. Rappelons que le plus beau manuscrit de Merswin a été miraculeusement conservé à la BNUS sous la désignation de « Mémorial de la commanderie de Saint-Jean »32 et date des années 1380. Bien évidemment, le fonds originel de Saint-Jean ne se réduit pas à ces textes : à côté des ouvrages liturgiques habituels, on peut imaginer qu’on y trouve les références incontournables du courant spirituel dont Merswin est l’inspirateur, à commencer par Eckhart ou Tauler, son confesseur.

L’étape décisive est franchie en 1386, lorsque Henri de Wolfach fait don à l’Île verte de sa propre bibliothèque, qui comprend alors une Bible, des recueils de sermons (Berthold de Ratisbonne, Jacques de Voragine), les Quaestiones de Thomas d’Aquin, plusieurs traités, soit au total une bonne vingtaine de manuscrits33. Cet acte fondateur constitue le noyau de la librairie de l’Île verte.

Le répertoire des manuscrits compilé par Witter permet de retrouver ce fonds resté intact jusqu’en 1870. On y perçoit une véritable politique d’acquisition et, corrélativement, de copie d’ouvrages empruntés à d’autres institutions. En 1395, par exemple, Saint-Jean rachète les deux volumes des Moralia in Job de Grégoire le Grand de la petite abbaye de Baumgarten, pour la somme de 10 £. L’année suivante, ce sont huit manuscrits que ces mêmes cisterciens, appauvris, vendent aux religieux strasbourgeois, pour le prix dérisoire de 3 livres : là encore, ces octo volumina librorum in pergamento conscripta sont des classiques, le commentaire de Grégoire sur Ezéchiel, cinquante homélies de Bède le Vénérable, des sermons du pape Léon, un texte de saint Bernard sur le cantique, un traité sur le Lévitique, les Hiérarchies de Denys l’Aréopagite, la pastorale de Grégoire, le livre De Occupationibus34. Ces transactions rendent compte d’une véritable collecte de titres nouveaux. On en a un bel exemple à propos des quatre volumes du Speculum historiale de Vincent de Beauvais : comme cet ouvrage ne figure pas dans leur bibliothèque, les Johannites s’entendent avec les cisterciens de Neubourg, également en déclin, pour leur prêter la somme de 41 florins moyennant le dépôt de ces manuscrits, qui sont considérés comme un gage. Le contrat conclu devant l’officialité prévoit leur restitution lorsque le capital leur aura été remboursé, mais on a de bonnes raisons de croire que la chose n’a jamais eu lieu : en 1746, Witter signale encore trois des quatre livres. À cette date, Saint-Jean possède encore l’édition incunable de Mentelin (1473)35, ainsi qu’une version postérieure.

Tableau récapitulatif des « premières acquisitions » de Saint-Jean

ProvenanceDésignationRemarques
Legs Henri de Wolfach 1386Tota Biblia in uno volumineWitter, p. 2, A 50
Legs Henri de Wolfach 1386Sermones Socii in tribus voluminibusAbsent de Witter sous cette forme, mais présent 
dans des recueils
Legs Henri de Wolfach 1386Duae partes questionum S. Thomae videlicet prima, secunda et ultimaWitter, p .1, A 22.
Legs Henri de Wolfach 1386Tractatus de profectu vitae religiosae de David d’Augsbourg cum sermonibus Rusticiani in uno volumineWitter, p. 5, A. 113
Décrit par Schmidt, 
sous la même cote, Profectus religiosorum et fratris Bertholdi sermones rusticani
Legs Henri de Wolfach 1386Tractatus de doctrina cordisWitter, p. 5, A. 113, inclus dans le vol. précédent
Legs Henri de Wolfach 1386Richardus de patriarchis 
qui intitulatur BenjaminWitter, p. 5, A 115
Legs Henri de Wolfach 1386Sermones dominicales Jacobi de VoragineWitter, p. 5, A 115
Legs Henri de Wolfach 1386Quidam alii minoris valorisNon repérés
Achat Baumgarten 1395Duo volumina moralia b. Gregorii papae super librum Job totaliter et perfecte continentia in pergameno conscriptaWitter, p. 5, A. 117
Achat Baumgarten 1396Octo distincta volumina librorum in pergameno conscriptaNon repérés
Achat Baumgarten 1396Gregorius super EzechylemWitter, p. 1, A 31
Achat Baumgarten 1396Quinquaginta omeliae venerabilis Bedae perscripta in uno volumineWitter, p. 1, A 30
Achat Baumgarten 1396Sermons Leonis papaeWitter p. 1, A 19
Achat Baumgarten 1396Secunda pars sancti Bernhardi super canticaWitter, p. 11, B 39
Achat Baumgarten 1396Tractatus Orionis super LeviticumAbsent de Witter
Achat Baumgarten 1396Dionysius super IherarchyasWitter, p. 5, A 121
Achat Baumgarten 1396Pastorale b. Gregorii papaeWitter, p. 7, A 184
Achat Baumgarten 1396Liber occupationumAbsent de Witter ?
Hypothèque NeubourgQuatuor partes seu volumina speculi historialis Vincentii in pergamentoVincentii Bellovacensis speculi historialis vol. i, iii, iv
Witter, p. 1, A.14, 15, 16

Le caractère succinct du catalogue des manuscrits subsistant au milieu du xviiie siècle donne peu d’indications sur la traçabilité de ceux-ci. C’est une nomenclature de titres et d’auteurs, sans la moindre description bibliographique si ce n’est la fréquence des abréviations « M. f. » ou « ch. f. », qui précise l’utilisation du parchemin (membrana) ou du papier (charta) et, parfois, quelques dates précédées du participe scripti accordé à libri, ou scripta à pars. En collationnant ces repères chronologiques, on remarque que le fonds compte 120 pièces datées, ce qui peut suggérer un rapport à l’actualité – publication, copie, achat – en même temps qu’un terminus, le remplacement de la plume par l’imprimerie. Le corpus de Nicolas de Lyre (1270-1339) sur les épitres de saint Paul transcrit en 1475 est très probablement le livre intitulé Glossa in epistulas Pauli dont l’Île verte possède une impression nurembergeoise de Koberger en 1485 ou l’édition bâloise de Petri et Froben de 1498 à laquelle a été associé Sébastien Brant. À la date de 1475, cette œuvre de Nicolas de Lyre n’avait pas encore été livrée à la presse, ce qui explique que les johannites strasbourgeois aient eu recours à une version manuscrite.

La vitesse stupéfiante avec laquelle le livre imprimé se substitue aux anciens codices est facile à mesurer, du moins, si les sources le permettent. Elle peut s’exprimer sous la forme d’un graphique en se fondant sur le catalogue chronologique de Weislinger, mais cette méthode exige un certain nombre de précautions : les 498 incunables retenus par le bibliographe avant 1500 (et non 1501) n’ont pas été analysés suivant les normes scientifiques modernes. En effet, c’est le contenu théologique qui l’intéresse, et non les questions de forme ou de provenance. En d’autres termes, impossible de savoir si ces livres portent un ex-libris ou comportent des annotations et s’ils ont été acquis à leur parution. Sur ce dernier point, on peut admettre l’hypothèse d’une collection cohérente, constituée par Saint-Jean en fonction des nouveautés disponibles36. Par ailleurs, le catalogus n’est pas vraiment exhaustif : il fait l’impasse sur les recueils factices (y compris ceux qui juxtaposent des manuscrits et des imprimés) et, à l’exception d’une bulle de Sixte iv datée de 1462, sur les placards ou les libelles ce circonstance. Enfin, quid des ephemera, comme des almanachs dont on a au moins un exemplaire réutilisé dans un cartonnage en 1493 ?

Date de parution des incunables conservés à la bibliothèque de Saint-Jean au milieu du xviiie siècle.

Dernier point : après 1500, rien ne s’arrête, mais l’enquête doit être développée. L’Île verte poursuit ses acquisitions, peut-être même à un rythme plus soutenu, et le jésuite Weislinger le comprend parfaitement, lui qui traque les écrits des premiers réformateurs. La preuve de cette appétence ? La librairie de Saint-Jean accumule les meilleures impressions strasbourgeoises, la Cosmographie de Ptolémée dans son édition illustrée par Waldseemuller (1513) ou l’Ackerbau de Pierre de Crescens.

L’enrichissement de la bibliothèque des hospitaliers pose le problème de sa gestion au jour le jour. Qui est le bibliothécaire responsable des achats ? Les cahiers de comptes disponibles sont, curieusement, muets sur ce point, si l’on exclut quelques indications très ténues, le plus souvent sous la forme de feuilles volantes, ou plutôt de billets. Une exception : en 1472, on apprend qu’on a dépensé 4½ florins et un quart de denier (ort) pour l’achat d’un livre nommé pharetro doctorum vel auctoritatem doctorum (4½ gulden i ort fur ein buch genant pharetro doctorum vel auctoritatem doctorum)37. Il s’agit, à coup sûr, de la Pharetra doctorum et philosophorum (« Le carquois des docteurs et des philosophes ») publié par Mentelin en novembre 147238, un recueil de citations d’auteurs païens ou chrétiens utilisé, entre autres, par les prédicateurs et les professeurs des débuts de l’humanisme. Weislinger ne le cite pas dans ses répertoires. Cette même année, l’intendant mentionne 2½ florins pour l’achat de 18 cahiers des douces (?) Fleurs de saint Bernard (Item iij gulden fur xviii querternen viez flores beati Bernhardi), 11 sous pour un Confessionale du frère Jean Nider et pour la Lepra moralis de ce même dominicain. Ces trois ouvrages sont toujours sur les rayons de la commanderie au milieu du xviiie siècle, mais l’Armentarium des incunables ne les retient pas comme tels. La première édition des Fleurs de Bernard de Claivaux est celle de Johann Sensenschmidt, à Nuremberg, en 1470. Comme la suivante paraît dix ans plus tard, il est hautement vraisemblable que c’est d’elle qu’il est question ici. Le confessionale de Jean Nider est bien connu sous le nom de Manuale confessorum et il en existe une impression strasbourgeoise au monogramme CW légèrement antérieure à 1472, à l’instar de la Lepra moralis qui lui est fréquemment associée.

Si ces dépenses ont été portées dans le registre annuel des recettes et des dépenses tenues par l’intendant laïc (schaffner) de la commanderie à partir du 24 juin 1472, tout porte à croire qu’elles ont été faites à l’attention du custos, ce qui est dit, explicitement, pour les ouvrages de saint Bernard et de Jean Nider (ußgeben von des custerß wegen von Johannis lxxij). On en conclut que c’est ce personnage, le troisième après le commandeur et le prieur, qui s’occupe de la bibliothèque en tenant sa propre comptabilité. Grâce à l’archiviste de la fin du xviie siècle qui avait tenté de faire le bilan des investissements immobiliers de Saint-Jean en se servant des documents en sa possession, on sait qu’il y avait deux séries de comptes distincts, ceux du schaffner, exclusivement chargé des affaires temporelles, et ceux du custos, dont relevait l’entretien de l’église et du spirituel. Ces derniers ont, malheureusement, été perdus depuis.

UNE BIBLIOTHÈQUE IDÉALE

On le regrette d’autant plus que la bibliothèque de la commanderie fait l’objet des plus grands soins. Le 25 mars 1495, les visiteurs de l’ordre la décrivent comme « exceptionnellement belle, entièrement voûtée, et ornée de sculptures en pierre artistiquement préparées »39.

Illustration n°3 : Les bâtiments conventuels et leurs dépendances vues de l’est 
d’après la gravure de P. Hélyot (1715) « qui représente cette commanderie dans toute sa grandeur telle qu’elle étoit avant sa destruction & que nous avons fait graver ici pour en conserver la mémoire dans l’ordre », p. 117. Cette vue cavalière reproduit vraisemblablement un original antérieur. La bibliothèque occupe le 1er étage du bâtiment encadré ; l’angle sud-ouest donne sur la schreibstube (scriptorium) au-dessus du bureau 
de l’intendant. Le chœur de l’église conventuelle renferme également 
un certain nombre d’ouvrages liturgiques40.

Elle se trouve au-dessus du four à pain41 attenant au bâtiment conventuel surmonté d’un petit clocheton, ce qui lui garantit une certaine chaleur, et sa toiture est recouverte de plomb (en 1501). D’après les comptes du custos – qui ne sont pas conservés, rappelons-le – celui-ci aurait dépensé 500 florins en 1519 et 1520 pour des travaux de réfection ou de reconstruction, et on aurait alors placé dans les voûtes quatre « images »42, des clés sculptées, peut-être à l’effigie des évangélistes, d’une valeur de 14 florins.

Quelques fragments d’archives évoquent les soins apportés à la conservation des ouvrages. En 1468, par exemple43, le custos achète un buchsack, une sacoche destinée à protéger un livre contre les intempéries, ce qui est évidemment plus utile pour un voyageur que pour un lecteur sédentaire, et convient davantage à un bréviaire ou un missel. L’achat ou la fabrication de reliures constitue un autre aspect de la question : le compte de 1478 signale expressément l’achat pour 6 sous, « d’une peau de taurillon [à mettre] sur le Lyre et d’autres livres de la librairie » (Item vj ß fur j jung stierß hutt uber den liren und ander bucher in die libery)44 ce qui se rapporte à une œuvre de Nicolas de Lyre, peut-être bien l’exemplaire manuscrit du commentaire de Paul dont il était question plus haut. En 1487, l’intendant réclame au custos une somme de 16 sous pour l’achat (?) de la Kronica Antonini et pour avoir rubriqué et relié le registre relatif à cet ouvrage ou à la Somme théologique du même auteur dont Weislinger signale un exemplaire paru à Spire cette même année (item xvj ß von Kronica Anthonini und ein register sup[er] summa[rum] Anthonini zu rubriciere[n] und corp[er]ie[n])45. L’édition princeps du Chronicon avait paru chez Koberger, à Nuremberg, en 1484, et c’est incontestablement celle-ci qu’a achetée le custos46. Antonin de Florence (1389-1459) était l’un des champions de l’observance dominicaine.

Ces indices sont éloquents. Il n’y a qu’un pas entre la bibliothèque et la schreibstube qui la flanque et l’existence d’un véritable atelier de traitement du livre. Faut-il considérer saint Jean comme le centre de diffusion des œuvres de son fondateur, Rulman Merswin ? Ou mieux, comme un laboratoire de la mystique rhénane et, corrélativement, de la réforme catholique ? Si on admet que les manuscrits datés en proviennent, on constatera qu’ils portent quasiment tous sur des sujets théologiques « d’avant-garde » – et non sur la copie du tout-venant.

Au total, Witter relève 915 manuscrits en 5 grandes sections désignées par les lettres A à E, qui ne sont que des repères topographiques, sans qu’on puisse discerner l’amorce d’un classement, sinon pour les plus anciens, cotés A. Les rares reliures conservées n’ont plus d’étiquette visible, ni d’ex-libris, si l’on excepte le Buchlein conservé aux Archives départementales du Bas-Rhin et, dans un genre différent, le Liber sententiarum dont le titre est noté sur la tranche inférieure47.

manuscrits datés (par décennie)

Ce graphique est loin de rendre compte de l’activité du scriptorium strasbourgeois. D’autres datations peuvent être proposées en partant de la chronologie des auteurs et des œuvres. Ainsi, la quinzaine de manuscrits de Gerson (1363-1429), la dizaine de Thomas a Kempis (v. 1380-v.1470), des écrits de Felix Haemmerlin (1390-1457), de Sylvestre de Passau (Meditatio Passionis Christi), de Pierre d’Andlau (2e moitié du siècle) remontent incontestablement aux deux premiers tiers du xve siècle. En outre, beaucoup de ces volumes sont des recueils d’actualité, réalisés (ou reliés) à un moment donné. Certains peuvent même inclure des feuillets incunables (par exemple les Contra falsas Francorum literas pro defensione honoris sereniss. Romanor. Regis semper augustus de 1492, un des libelles diffusés à l’époque du « rapt d’Anne de Bretagne » par Charles viii) mais l’inverse est également possible, puisqu’on trouve des copies manuscrites d’imprimés (la Stifftung des closters Schonbuch im Wirtenbergischen durch graf Eberhard 1492 abgeschrieben von dem exemplar so gedruckt worden zu Ulm 149348). On peut affirmer, sans risque d’erreur, que l’essentiel du fonds manuscrit s’échelonne de la fondation de l’Île verte à la montée en puissance de l’imprimerie, soit entre 1370 et 1470, mais il reste à déterminer la part qui revient aux hospitaliers eux-mêmes, et à leur scriptorium. Faute de réponse argumentée, on admettra qu’elle n’est pas négligeable dans la mesure où des membres de la commanderie sont eux-mêmes les rédacteurs ou les traducteurs de certains ouvrages, à l’instar d’Henri de Lauffenberg (1390-1460), l’ancien doyen de Fribourg-en-Brisgau retiré à l’Île verte, qui traduit le Liber musicalium de Philippe de Vitry et adapte le Speculum humanae salvationis49. Les initiatives des religieux sont réelles : en 1473, par exemple, c’est à la demande du commandeur Jean d’Ehenheim qu’Henri Collator transcrit le Catholicum du dominicain Jean de Gênes (+ 1298), et c’est à la même date que le prieur Jean Kobel écrit les Lectiones Brevarii secundum morem & consuetudinem Domus viridis insulae argent[inensis]50. En 1511 encore, un frère nommé Sébastian Winzier réalise un bréviaire in-quarto.

À de rares exceptions près – et cela reste globalement le cas avec les imprimés –, cette bibliothèque est presque exclusivement latine, même si l’on signale quelques glossaires bilingues et si les œuvres du fondateur sont rédigées dans sa langue maternelle, le moyen haut allemand. La dimension théologique l’emporte sur tous les autres sujets. On remarque cependant qu’elle reste ouverte à des thèmes profanes – l’hygiène, les voyages (Mandeville est présent), un peu d’histoire (Koenigshoffen s’impose à Strasbourg), la littérature, illustrée par quelques auteurs antiques (Cicéron, Pline), y compris des poètes de langue latine (18 manuscrits) ou allemande (8 items, dont Gottfried, dans le manuscrit évoqué plus haut, et Conrad de Wurtzbourg51.

Le relais pris par le livre imprimé fait apparaître les mêmes thèmes, en même temps qu’une diversification dans d’autres domaines dont la typologie reste à faire. On constatera sans surprise que les lieux d’impression de ces « nouvelles acquisitions » se confondent avec l’Allemagne du sud, au berceau de Gutenberg, et l’Italie septentrionale, équipée plus précocement que la France.

Illustration n° 4 : Provenance des incunables de la bibliothèque de Saint-Jean (1463-1499) à partir de 427 ouvrages localisés (cartographie de Jean-Marie Holderbach).

Cela dit, cette révolution vaut autant sur le plan qualitatif que quantitatif : en 1500, les livres présents sur les rayonnages de l’Île verte sont au moins trois fois plus nombreux qu’un siècle plus tôt. Le papier et l’imprimé ont supplanté le manuscrit de parchemin, mais sont sans doute plus exposés que lui à l’usure du temps. À Saint-Jean, ces nouveaux usages de l’écrit éphémère s’observent à travers un certain nombre d’exemples qui donnent à réfléchir.

D’abord, le recours à des imprimés de circonstance, éphémères ou recyclables. Louis Schlaefli52 a mis au jour un certain nombre de placards anopistographes dans les archives de la commanderie strasbourgeoise, à savoir six ou sept lettres d’indulgences en rapport avec la défense de Rhodes assiégée par les Turcs en 1480-82 ; la bulle originelle de Sixte iv, peut-être issue d’une presse romaine, et ses modalités d’application sur le Rhin supérieur. En 1481, c’est le commandeur Nicolas de Baden qui est chargé de collecter les fonds et d’accorder les remises de peine correspondantes dans les diocèses de Bâle et de Strasbourg. On peut imaginer que toutes les paroisses concernées reçoivent un exemplaire de cette circulaire dont on conserve quelques échantillons justificatifs, ainsi qu’un certain nombre d’exemplaires réutilisés comme support d’écriture ou remployés dans des cartonnages Un tirage de mille exemplaires n’est pas impossible – c’est le nombre de lieux de culte concernés – , mais il reste du « bouillon », et l’on constate qu’on continue à s’en servir un quart de siècle plus tard, en 1505, pour couvrir des registres comptables53. En toute logique, le stock avait dû être fabriqué par un imprimeur strasbourgeois – ce qu’un examen plus attentif de la typographie ou des filigranes pourrait éventuellement confirmer. Trouvaille exceptionnelle, s’il en est : Louis Schlaefli a mis au jour une planche de billets de confession liés à cette indulgence54 en remarquant que leur typographie différait d’une attestation à l’autre, comme s’ils avaient été composés par des mains différentes avant d’être mis en page sur deux colonnes. La feuille était pratiquement intacte : un seul billet en avait été découpé.

La conservation de ces documents mérite d’être abordée du point de vue de leur usage. Elle peut être volontaire ou fortuite. Une des découvertes les plus spectaculaires est celle d’un fragment de calendrier de 1493 utilisé pour renforcer la reliure d’un recueil de statuts et de règlements des hospitaliers s’échelonnant entre 1366 et 1492, et réalisé en 149455. Cette planche de 41,2 cm de hauteur associe des prévisions astrologiques et des préceptes d’hygiène à des gravures de la vie de la Vierge (annonciation, visitation, nativité). Comme son contenu avait cessé d’être actuel au bout d’un an, elle avait dû perdre tout intérêt malgré ses belles images. Une étude plus attentive reste à faire.

Le corpus de ces réemplois peut être complété par trois autres découvertes.

La première se trouve dans un carnet de comptes relatif aux maisons de Strasbourg et de Sélestat tenu de 1477 à 148156. Le cartonnage qui le recouvre est constitué de deux pages contrecollées empruntées à l’édition monumentale du Décret de Gratien réalisée par Henri Eggesheim en 1472, plus précisément à sa iie partie, iie cause, viie question. Comme on le constate sur les photos qui suivent, le travail complémentaire du rubricateur n’a pas eu lieu ; les capitales des débuts de paragraphes n’ont pas été tracées. Les deux feuillets ne se suivent pas ; dans le volume complet, ils sont séparés par quatre feuillets. On en conclut qu’ils ont probablement été prélevés sur un exemplaire inachevé ou défectueux et qu’ils ont été mis au rebut avant d’être réutilisés, cinq ans plus tard, par l’intendant de Saint-Jean.

Au milieu du xviiie siècle, la bibliothèque de la Commanderie possédait les deux parties du Decretum Gratiani una cum apparatu Bartolomei Brixiensis dans la version princeps publiée à Strasbourg en 1471 ainsi que quatre autres exemplaires incunables, les impressions bâloises de Rihel (1476) et Wenssler (1486), celle de Jean de Cologne parue à Venise en 1479 et celle de Koberger, à Nuremberg (1493)57. On peut difficilement imaginer que les religieux de l’Île verte aient fait l’acquisition de l’édition du Décret publiée par Eggesheim en 1472 un an après la parution de sa première version ou, s’ils l’ont fait, qu’ils aient choisi de la sacrifier à l’arrivée du volume imprimé par Rihel quatre ans plus tard. En effet, pour autant qu’on puisse le dire, les différents imprimeurs se livraient à une véritable course de vitesse pour gagner le marché des institutions religieuses et des spécialistes du droit canonique. Le Gratien de Schoeffer était alors sur le point de paraître. Par sa mise en page du texte et de son commentaire par Barthélemy de Brescia, l’édition proposée par Eggesheim en 1471 est un modèle du genre, mais elle reste fortement tributaire des scribes qui en calligraphient les titres et les intertitres à l’encre rouge. Il en reste une quarantaine d’exemplaires. Cette performance industrielle est encore plus spectaculaire l’année suivante puisque l’ouvrage est entièrement recomposé et que les rubriques sont dorénavant imprimées, ce qui nécessite deux passages sous la presse au lieu d’un seul.

La deuxième se rapporte aux colligendes de l’exercice 1487-148858, dont la couverture contrecollée, d’un format 47,5 cm x 31 cm, est empruntée à l’œuvre de Nicolas de Lyre déjà citée, imprimée recto-verso en deux colonnes, comme le prouve le titre Incipit prohemium fratris nicolai de lire ordi(ni)s fratrum minorum in epsitolas pauli. Comme l’édition princeps de cet ouvrage est datée de 1485, on imagine assez mal qu’un exemplaire fraîchement acquis ait été démonté deux ou trois ans plus tard pour renforcer le registre en question. Aussi peut-on envisager l’hypothèse d’une épreuve d’impression, strasbourgeoise ou non, recyclée par le relieur.

Illustration n° 5 (a, b, c, d) : Fragments du Décret de Gratien d’Eggesheim (AD Bas-Rhin H 1980).

La troisième concerne le registre H 1678 de 1509 qui a une couverture de parchemin dont l’intérieur est constitué par un folio imprimé provenant d’un ouvrage de droit qui n’a probablement jamais été relié. Cette fois, il s’agit d’un index en deux colonnes dont les items s’échelonnent de Fideicomissus à Inopia, sur la page 1 et de Lingosia à Nomen sur la page symétrique, théoriquement la page 4. Le côté collé sur le parchemin devrait, en principe, embrasser des entrées correspondantes, soit de In- à Li, ce qui est possible compte tenu du mot lex et de ses dérivés. Comme l’emplacement des lettrines est resté vierge, de manière à permettre à un scribe de les tracer à l’encre rouge ou de les enjoliver, on en conclut que le livre est resté inachevé, ou même qu’il ne s’agit que d’une épreuve d’imprimerie antérieure à 1509, et on peut donc risquer l’hypothèse d’une impression strasbourgeoise peut-être incunable. Mieux encore, les cahiers constituant le registre sont cousus sur deux charnières provenant d’un même parchemin et sont jointives. Le texte qui s’y trouve peut être clairement identifié comme le § 8 de la 26e homélie de saint Grégoire, dont on connaît d’innombrables manuscrits, l’un d’eux étant encore présent à Saint-Jean au milieu du xviiie siècle (aux côtés d’une dizaine de compilations). En général, les relieurs se servent plus volontiers de vieilles chartes ou d’ouvrages endommagés, ce qui ne semble pas le cas ici. En effet, le verso de ce feuillet des homélies était vierge, ou avait été effacé, et on y a imprimé la circulaire de 1481 de Nicolas de Baden, elle aussi très facile à reconnaître.

Illustration n° 6a : Dernier cahier du registre de compte de 1509 (AD Bas-Rhin, H 1678) : les charnières sont faites d’un feuillet de parchemin provenant d’un manuscrit de saint Grégoire.

Illustration n° 6b : Le verso des charnières, resté vierge a été imprimé en 1481 (Bulle de Sixte iv : indulgence accordée aux fidèles qui se mobilisent en faveur de Saint-Jean de Rhodes).

Que tirer de ces observations ? D’abord, qu’il a pu y avoir des chutes de manuscrits (si le parchemin des charnières provient d’un codex inachevé), et ensuite, qu’on a pu les imprimer à titre expérimental. En d’autres termes, que la commanderie de Saint-Jean disposait de sa propre imprimerie vers 1481 ou qu’elle avait des relations très étroites avec l’un des premiers imprimeurs strasbourgeois, peut-être Adolph Rusch, Georg Husner, Martin Flach, Heinrich Knoblochtzer, Johann Prüss ou Martin Schott.

Les pratiques de recyclage du parchemin, du papier, voire des reliures usagées sont connues. On en retrouve parfois des traces inattendues – ainsi, en 1603, pour façonner un globe céleste, un artisan strasbourgeois connu sous les initiales FKB s’est servi des pages d’un manuel de droit incunable mis en forme sur deux demi-sphères59.

Pour rouvrir le débat sur les origines strasbourgeoises de la typographie, on rappellera que le hameau de Saint-Arbogast, où demeurait Gutenberg lors de ses premières expériences se trouvait à un quart de lieue de la commanderie et que celle-ci y exerçait certains droits. Que cette proximité topographique coïncide avec le moment où l’Île verte abrite un scriptorium plutôt actif et sert de base arrière aux pères conciliaires réunis à Bâle n’a peut-être rien de fortuit. Et encore, le fait que le milieu patricien qui gravite autour d’elle ait pu contribuer au financement des recherches du Mayençais n’est pas davantage invraisemblable. Nous reviendrons ailleurs sur la convergence d’indices qui suggèrent une relation plus précise entre l’inventeur de l’imprimerie et la communauté de Saint-Jean. Pour l’heure, on se contentera de rappeler que le prieur contemporain de Gutenberg, Amand Smalriem, est le parent d’un des financiers de son association avec Hans Riff, Andreas Heilmann et Andreas Dritzehn, Werner Smalriem qui témoigne en sa faveur lors du procès de 1439, et qu’il est lui-même issu d’une famille, les Gurtler ou Gurteler alias Smalriem qui a la haute main sur la monnaie de Strasbourg – comme Friele Gensfleisch sur celle de Mayence. Enfin, on pourra réfléchir au sens véritable des mots « aventur und kunst » qui désignent l’objet des recherches de Mayençais, sachant que le premier ne signifie pas seulement « entreprise hasardeuse » comme on le croit généralement, mais désigne également le négoce et le travail des métaux – une acception rare, attestée chez les orfèvres strasbourgeois, et que la commanderie compte alors parmi ses proches un certain Johannes Ofentürer ou Affentürer, qui peut relever de cette activité60.

UN CENTRE INTELLECTUEL DE PREMIER PLAN

À la fin du xive siècle et tout au long du xve siècle, l’Île verte est un foyer de la rénovation de l’Église. Les commandeurs sont en première ligne jusqu’à l’entrée en scène de Luther. La dimension mystique impulsée par Rulmann Merswin se double d’une volonté réformatrice dont Henri de Wolfach et ses successeurs sont les champions. Cela s’observe par le rôle qu’ils jouent dans le maintien ou le retour de l’observance dans les couvents strasbourgeois – Francis Rapp souligne l’action du commandeur Smalriem dans ce domaine en 144861, cela se traduit par l’éloge qu’en font les autorités strasbourgeoises en 147862, et plus largement, cela s’inscrit dans une politique de présence « sur le terrain ». Les johannites assurent l’encadrement d’autres établissements, notamment celui des dominicaines de sainte Marguerite dont la prieure est Anne Schott63, la sœur du chanoine Pierre Schott, la cousine de l’imprimeur qui porte le même prénom, la tante de Jacques Sturm. Ils mettent en place des fraternités de prière avec d’autres établissements en pointe, comme les franciscains observants (1454) ou le vaste réseau de Windesheim (1470)64 ; on ne s’étonnera pas de trouver Thomas a Kempis sur les rayons de leur bibliothèque ainsi que des ouvrages imprimés à Deventer.

Sur place, répétons-le, l’esprit du fondateur se maintient jusqu’à la Réforme sous le contrôle attentif des trois pfleger laïcs : ces derniers ne surveillent pas seulement la bonne marche de la maison, mais sont aussi les garants de la tradition spirituelle. Ainsi, ils ont la garde du manuscrit des Neuf rochers de Merswin, qu’ils mettent à la disposition des visiteurs, et représentent l’Île verte à l’extérieur. Les comptes de Saint-Jean fourmillent d’informations sur ce réseau d’amis utiles auxquels on offre des cadeaux à Noël ou d’autres occasions, et qu’on accueille parfois pour des séjours prolongés. En 1487, ils signalent le passage du comte Nicolas de Moers-Sarrewerden et le séjour de Johannes von Greiffenstein, chanoine (et futur doyen) de la collégiale Saint-Barthélemy de Francfort, qui demeure à la commanderie pendant neuf semaines.

Ce rôle d’accueil ne s’explique pas uniquement par le confort ou la situation privilégiée de Saint-Jean : il tient d’abord à son offre intellectuelle. Son école gagnerait à être mieux connue : le Schulmeister qui s’en occupe reste un anonyme jusqu’au début du xvie siècle : un certain Jean Choor est cité en 1505, Gaspard Morgenstern vingt ans plus tard. Dans l’intervalle, vers 1514, c’est le poète et musicien Othmar Nachtgall qui exerce cette fonction, et c’est donc un bon représentant de l’humanisme rhénan, helléniste de surcroît65. Dans l’état actuel des recherches, cependant, on ne sait rien des écoliers concernés, sinon qu’ils sont quatre à loger sur place et qu’ils disposent probablement de l’outillage habituel, Donat, Isidore de Séville, etc.

La présence de pensionnaires venus finir leurs jours chez les hospitaliers est attestée depuis Merswin, qui s’y retire dès leur arrivée, contemporaine de la mort de sa femme, en 1371 – le grand prieur Conrad de Brunsberg lui emboîtant le pas en 1390. Ce mouvement se poursuit avec d’autres célébrités comme Henri de Lauffenberg en 1441, qui a pu y croiser Nicolas Kempf (1458), l’une des grandes figures de l’ordre des chartreux, ou le célèbre marchand d’Augsbourg Sigismond Gossenbrot66.

Retiré de ses affaires en 1461, ce précurseur de l’humanisme s’est installé dans une maison située à l’extérieur de l’enceinte de la commanderie, mais à proximité immédiate de celle-ci. Il y a vécu jusqu’à sa mort le 31 janvier 1493 sans qu’on puisse mesurer son influence réelle. Dans sa ville natale, il avait disposé d’une bibliothèque exceptionnelle et de collaborateurs remarquables comme le bénédictin Sigismond Meisterlin, qu’on retrouve justement en Alsace, en qualité de bibliothécaire de l’abbaye de Murbach en 1462-1464. Sa passion de bibliophile ne cesse pas à son arrivée à Strasbourg, bien au contraire. Adressée à Louis Dringenberg, « orthodoxe fidei viro venerabili et perperito ma[gi]stro Ludovico Dringenberg scholarum rectori in Schletzstat frugifero », sa lettre du 11 août 1466, peut être considérée comme un manifeste de l’humanisme naissant et de la redécouverte de la culture antique. Celle-ci n’est-elle pas parfaitement compatible avec la spiritualité chrétienne ? « Selon moi, en vérité, celui qui n’a pas appris les poètes est bègue et manchot dans le domaine des lettres67 ». La familiarité des écrits de Gerson, l’amitié qu’il porte au prédicateur Geiler de Kaysersberg, qui officie à la cathédrale de Strasbourg à partir de 1478 (et à son entourage) et ses relations avec le milieu savant de sa ville natale68 font de Sigismond Gossenbrot un médiateur entre la mystique et les humanités. Sa fille Agathe est dominicaine à Colmar, au couvent d’Unterlinden. N’est-ce pas, là encore, un des hauts-lieux de la réforme de l’ordre des prêcheurs et de la spiritualité née dans les couvents de celui-ci ?

Sa retraite strasbourgeoise est loin d’être fortuite. Elle illustre la période la plus féconde du scriptorium de Saint-Jean et les débuts du livre imprimé, dans la foulée du Concile qui s’était réuni à Bâle entre 1431 et 1448. Ne faut-il pas trouver ici l’une des clés du rayonnement des disciples de Rulmann Merswin, en prise directe avec la réforme de l’Église à un moment crucial ? Il est hors de doute que Strasbourg bénéficie très largement de l’assemblée des pères conciliaires. Dans sa Germania, le futur Pie ii, Eneas Silvius Piccolomini, ne tarit pas d’éloges sur les établissements religieux de la ville et, devenu pape, sur la stricte observance qui règne à la commanderie de Saint-Jean69.

En 1438, le patriarche d’Aquilée Louis de Teck et l’évêque de Palerme s’y installent à demeure – et c’est du premier que l’appartement dit « de Wurtemberg » tire son nom ; de même, l’année suivante, on y signale le décès de l’évêque d’Évreux, inhumé dans l’église conventuelle. Mais c’est surtout l’homme fort du Concile, le cardinal Louis Aleman, archevêque d’Arles (v. 1390-1450), qui apparaît comme sa grande vedette, ne se contentant pas d’y faire étape comme en témoigne un manuscrit – inédit – de l’auteur du Champion des Dames, Martin Le Franc (1410-1461), qui entretient vivement sa mémoire sous le titre Duellum inter quosdam de sanctitate cardinalis Arelatensis. À la mort du prélat, qui avait fait élire Amédée viii de Savoie, devenu l’antipape Félix v en 1439, des miracles se produisent sur sa tombe et provoquent de longs débats comme cette joute oratoire qui associe l’auteur, chanoine de Lausanne depuis 1443, son ami Pierre Héronchel, précepteur des enfants de Savoie, et Jean Bertonneau en charge de l’hôpital des Antonins d’Issenheim à partir de 143970. Tous trois étaient d’origine française et avaient participé aux sessions du Concile où ils avaient pu rencontrer Piccolomini ou Nicolas de Cues dont ils connaissaient bien les œuvres. Le troisième, dont le nom avait été italianisé « à l’allemande », suivant un usage courant dans la vallée du Rhin, s’était éteint en 1459, laissant sa bibliothèque personnelle dans la filiale strasbourgeoise de son ordre, une soixantaine de livres parmi lesquels Francis Rapp a pu identifier la deuxième édition de la Bible de Gutenberg71.

Pour autant qu’on puisse le dire, la commanderie de Saint-Jean fait d’un approfondissement de la foi le préalable de la réforme des institutions de l’Église. Elle possède des correspondants dans la région et bien au-delà. Par Gossenbrot, elle entretient des relations privilégiées avec le diocèse d’Augsbourg, alors dirigé par le cardinal Pierre de Schaumberg (1424-1469) puis par l’ancien doyen du chapitre de Strasbourg, Frédéric de Zollern (1486-1505). C’est dans cette ville qu’officie le chanoine Jean Gossolt, vicaire général entre 1471 et 1485, un juriste formé à Heidelberg, lui-même en relation avec le docteur Aristote Loewenbeck, official de Constance, encore un familier de l’Île verte à qui avaient été confiées les clés de la bibliothèque de Fribourg en 147272.

Ces relations pourraient être cartographiées : on constaterait alors que l’espace concerné s’étend de Francfort, Mayence et Spire à la vallée du Danube, en se focalisant sur les villes universitaires de la région. Dans ces conditions, il paraît tout naturel de placer Geiler de Kaysersberg à la tête des amis de Saint-Jean73 ; à sa mort, en 1510, il lègue les œuvres complètes de saint Bernard, et c’est dans l’église conventuelle que l’on place son épitaphe (transférée à la cathédrale en 1633). Le commandeur Erhart Kunig le salue comme « intimus amicus et promotor et pater huius domus viridis insule », ce qui donne tout son sens à une trentaine d’années de compagnonnage74. De fait, tout porte à croire qu’il a été l’un des grands utilisateurs de la bibliothèque dans laquelle il était à même de trouver une bonne quarantaine d’exemplaires de Gerson, dont une dizaine d’incunables et les manuscrits déjà cités, et tout ce dont il pouvait avoir besoin.

Se pose alors la question de son rapport à l’humanisme auquel le rattache son entourage, Jacques Wimpheling, grand thuriféraire du Grünenwoerth, ou Sébastien Brant, dont les œuvres sont présentes, mais, curieusement, pas toutes – il manque le Catalogue des évêques de l’un et le Narrenschiff de l’autre. Les belles-lettres antiques ont leur place, avec neuf Cicéron incunables, Pline, Virgile, Térence et Plaute, mais apparemment, pas de grec, et un unique Platon en latin de 1491. C’est peu. Les auteurs contemporains qui se réclament de leur héritage sont peu nombreux – mais Léon Baptista Alberti est bien là, Pic de la Mirandole aussi, et du côté allemand, Trithème ou Reuchlin, Beatus Rhenanus n’ayant droit qu’à sa Vita Geileri de 1510. La résurrection de Tacite est ignorée dans sa version originale. En 1525, la Grammaire de l’hébreu de Sébastien Münster annonce peut-être quelque chose de neuf.

On en déduira que les préoccupations des religieux de Saint-Jean et de leurs proches sont plutôt éloignées de la modernité, mais il faudrait corriger cette assertion, en insistant sur l’omniprésence d’Érasme, dont on relève 62 titres antérieurs à 1525, sur un total de 90, mais c’est d’abord un auteur chrétien.

Une chronologie fine des acquisitions, ou du moins, des dates de parution postérieures à 1510 semble indiquer une certaine diversification, mais cela reste à vérifier. À partir de la Guerre des Paysans, et plus encore, au milieu du xvie siècle, la collection se banalise, mais la commanderie a perdu son ressort. Sous la direction de Jean Hool75, présent en 1538, et commandeur de 1562 à 1567, on assiste à de nouvelles campagnes de travaux – surtout à Sélestat, dont la maison est reconstruite – et on peut réellement parler d’une stabilisation. Est-ce de ce moment que vient la Kunstkammer citée en 1633 ? Toujours est-il que l’Île verte avait été un foyer artistique de tout premier plan à la charnière du xve et du xvie siècles, avec l’intervention du maître verrier Pierre Hemmel d’Andlau, du peintre Hans Baldung Grien, dont le retable de Saint-Jean, démembré, fait la richesse de musées prestigieux, ou même d’un des membres de la communauté, Guillaume ou Wilhelm Stetter, le peintre à la croix de Malte, formé à Saint-Jean en 150976.

Mais quelle est la singularité de l’Île verte dans le paysage intellectuel strasbourgeois de la veille de la Renaissance ? S’il ne procède que des sources qui permettent de le saisir, son bilan est exceptionnel, mais son horizon est plus restreint qu’on peut le croire. D’autres établissements religieux – Saint-Thomas, les Dominicains ou la Chartreuse – ont vraisemblablement le même profil77. La différence réside peut-être davantage dans l’existence de connexions plus larges, notamment du côté des laïcs, ce que pourraient révéler d’autres études.

Paru en 1785, le premier guide touristique de Strasbourg, celui de Charles d’Hautemer, revient sur « cette bibliothèque curieuse remplie de manuscrits & de livres rares » en rappelant, une dernière fois avant la Révolution, quel avait été son rôle trois siècles plus tôt, entre Gutenberg et Luther : « c’étoit dans la maison de MM. de St Jean & dans l’emplacement de cette bibliothèque que s’assembloient au xvie siècle une sorte d’Académiciens, formant je crois la plus ancienne société littéraire qu’on puisse citer, laquelle florissoit au renouvellement des lettres, elle étoit composée de B. Rhenanus, de Wimpheling &c & comptoit le fameux Erasme pour associé »78.

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1 Christophe Didier, « Science et politique. Le message de pierre de la bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg », La Revue de la BNU, n° 1, p. 8-15.

2 Dirigée par Jérémie-Jacques Oberlin, la thèse de Johannes Heinricus Prox, De pœtis Alsatiae eroticis medii aevi vulgo von den elsaessischen Minnesingern…, Strasbourg, Lorenz et Schuler, 1786, p. 13-14, se fonde notamment sur l’analyse de ce manuscrit du xive siècle, signalé par Johannes Jacobus Witter, Catalogus librorum impressorum in bibliotheca eminentissimi ordinis Sancti Johannis Hierosolymitani asservatorum Argentorati, Strasbourg, S. Kuersner, 1749, p. 4, A. 94 sous le titre Meister Gotfrid von Strazburg Mere von Minne, rythmice.

3 Jean Daniel Schoepflin, Vindiciae typographicae. Documenta typographicarum originum ex argentinensibus tabulariis ex bibliothecis. Nunc primum edita, Strasbourg, Bauer, 1760, où sont reproduits des exemples « Ex bibl. Commend. Ord. Scti Joh. Hieros. Argen. » (pl. 4-5-67). Cf. Pierre-Simon Fournier, Observations sur un ouvrage intitulé : « Vindiciae typographicae » pour servir de suite au Traité de l’origine et des productions de l’imprimerie primitive en taille de bois, Paris, 1760, qui met en cause la qualité des fac-similés de l’ouvrage et expose ses propres observations à partir des originaux.

4 Johannes Nicolaus Weislinger, Armamentarium catholicum perantiquae, rarissimae ac pretiosissimae bibliothecae, quae asservatur Argentorati in celeberrima commenda eminentissimi ordinis Melitensis Sancti Johannis Hierosolymitani, Strasbourg, S. Kuersner, 1749, 884 p., suivi du Catalogus librorum impressorum in bibliotheca eminentissimi, etc., Strasbourg, S. Kuersner, 1749. Né à Puttelange (Moselle) en 1691, décédé dans sa cure de Kappelrodeck (Ortenau) en 1755, Weislinger est connu pour son talent de polémiste. La préface s’adresse à Jean-Baptiste Kentzinger, commandeur de Strasbourg ; un portrait de Weislinger gravé par A. Danneger est placé en regard de la page de titre.

5 D’origine strasbourgeoise, Witter (1694-1747) était professeur de logique et de métaphysique à l’Université depuis 1727. Son répertoire s’ouvre sur une préface (datée de 1746) également dédiée au supérieur de la Maison de Saint-Jean, Jean-Baptiste Kentzinger. Il est fréquemment relié à la suite des ouvrages de Weislinger (BNUS, M.13248 et M. 37846).

6 « Lettre de Rodolphe Reuss sur les bibliothèques publiques de Strasbourg », Bibliothèque de l’École des chartes, 32, 1871, p. 151-178, ici, p. 155. Cf. aussi Jean Rott, « Sources et grandes lignes de l’histoire des bibliothèques publiques de Strasbourg détruites en 1870 », Cahiers alsaciens d’Archéologie, d’Art et d’Histoire, 1971, p. 145-180.

7 Emil von Borries, Wimpfeling und Murner im Kampf um die ältere Geschichte des Elsasses : ein Beitrag zur Charakteristik des deutschen Frühhumanismus, Heidelberg, 1926, qui donne une édition de la Germania de Wimpheling, où se trouve le passage intitulé : Excellentia urbis Argentinae, p. 146-147 : « urbs vestra plurimum excellere videtur et prae ceteris abundari templis, sacellis, reliquiis, xenodochiis, monasteriis, illustrissima cathedrali ecclesia et praeclaris collegiis, bibliothecis, viri in omni facultate doctissimi, fratrum mendicantium gymnasiis… ».

8 Louis Coulon, Le fidèle conducteur pour le voyage d’Allemagne, montrant exactement les raretez et les choses remarquables qui se trouvent en chaque ville, Troyes, Nicolas Oudot, 1654, p. 55-57 ; Johann Hermann Diethelm, Denkwürdiger und nützlicher Rheinischer Antiquarius, Francfort/Main, Stör et Schilling, 2e éd., 1744, p. 326 : « Imgleichen verdienen allda gesehen zu werden, der Saal der maltheser Ritter, die Kunstkammer im barfüsser Kloster, wie auch die beyden Münzkabinetter Herren Spors und Herren Brankofers und das Raritätencabinet des herren von Rathsamhausen ».

9 Philippe-André Grandidier, Nouvelles œuvres inédites de Grandidier, Ordres militaires et mélanges historiques, éd. A.M. P. Ingold, t. v, Colmar, 1900, p. 25-68.

10 Charles Schmidt, « Livres et bibliothèques à Strasbourg au Moyen Âge », Revue d’Alsace, 1876, p. 417 et suiv. et 1877, p. 59. Sa première publication concerne un manuscrit de Saint-Jean, Plaintes d’un laïque allemand du xive siècle sur la décadence de la Chrétienté, Strasbourg, 1840, qu’il attribue à l’Ami de Dieu de l’Oberland, initiateur d’un courant mystique dont Rulman Merswin, fondateur de Saint-Jean, est un proche.

11 Histoire des bibliothèques françaises. Les bibliothèques médiévales du viie siècle à 1530, dir. André Vernet, Paris, Promodis, 1989 ; Frédéric Barbier, Histoire des bibliothèques, d’Alexandrie aux bibliothèques virtuelles, Paris, Armand Colin, 2013. Sur l’Alsace, voir la notice « Bibliothèques » de François Igersheim dans le Dictionnaire historique des institutions de l’Alsace, Strasbourg, Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie, 2010, t. 2, p. 201-208. Voir aussi Georges Bischoff, « Un printemps du livre. Strasbourg et le Rhin supérieur, du Concile de Bâle à Sébastien Brant », Histoire et civilisation du livre, 10, 2014, p. 13-26. Sur la bibliothèque de l’Île verte, cf. Barbara Fleith, « Remotus a tumultu civitatis ? Die Johanniterkommende zum Grünen Wörth im 15. Jahrhundert », dans Schreiben und Lesen in der Stadt. Literaturbetrieb im spätmittelalterlichen Strassburg, dir. Stephen Mossman, Nigel F. Palmer et Felix Heintzer, Berlin, De Gruyter, 2012, p. 411-468.

12 Nicolas Buchheit, Les commanderies hospitalières : réseaux et territoires en Basse-Alsace (xiiie-xive siècles), Paris, CTHS, 2014.

13 Sur Rulmann Merswin, outre le classique Charles Schmidt, « Rulmann Merswin, le fondateur de la Maison de Saint-Jean de Strasbourg », Revue d’Alsace, 1856, p. 145 et suiv., cf. Encyclopédie des mystiques rhénans, dir. Anne-Marie Vannier, Paris, Éditions du Cerf, 2011. Cf. aussi B. Fleith, « Remotus a tumultu civitatis?… », art. cit. [note 11] et Rémy Valléjo, Au fil du Rhin mystique. Lumières rhénanes de sainte Odile à Edith Stein, Strasbourg, Centre Emmanuel Mounier, 2017, p. 172 et suiv.

14 Charles Schmidt, Les béguines de Strasbourg, 1890, 80 +9 p., inédit (BNUS ms 3872).

15 Les fouilles ont eu lieu en 1989-1991 et 1993. Cf. Jean Maire, Marie-Dominique Waton, « Un extraordinaire lot de céramiques à décor polychrome découvert à l’ENA », Cahiers alsaciens d’archéologie d’art et d’histoire, 1995, p. 121-149. D’autres établissements religieux se trouvaient à la périphérie, notamment une maison de l’ordre teutonique et l’hospice Sainte-Barbe.

16 Le fonds est décrit dans l’Inventaire sommaire des archives départementales du Bas-Rhin, t. iv, Strasbourg, 1872, H 1349-2239, à partir du catalogue manuscrit de l’archiviste Louis Spach, plus détaillé (et disponible en ligne depuis l’automne 2015). 68 % des cotes se rapportent à la gestion économique courante (colligendes, etc.), 13 % à l’administration des biens, 12 % concernent les titres de propriété, 7 % seulement rendent compte de l’institution proprement dite. Les documents antérieurs à 1525 représentent un peu plus du quart de l’ensemble. Voir aussi Louis Spach, Lettres sur les archives départementales du Bas-Rhin, Strasbourg, 1862.

17 La thèse d’École des chartes de Marguerite Jouanny, Les hospitaliers en Basse-Alsace de 1217 à 1529 (1931) dont le manuscrit se trouve aux AM Strasbourg sous la cote ms 777, se contente de survoler le sujet, son intérêt majeur étant la transcription du nécrologe de Saint-Jean (ms. 752). Voir Jean Rott, « La commanderie Saint-Jean en l’Île verte à Strasbourg et ses trésors artistiques avant 1633 », Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire, 1989, p. 239-256, et Christian Heck, « Baldung Grien’s Grünen Wörth Altarpiece and Devotion to the two St. Johns », Metropolitan Museum Journal, 27, 1992, p. 85-99.

18 Pierre Helyot, Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires, t. iii, Paris, 1715, p. 115-119. À l’origine, en 1366, Merswin avait reçu l’autorisation d’y installer des prêtres séculiers. Son projet s’était infléchi à la suite de l’arrivée de chapelains de Saint-Jean, en 1368-70.

19 Francis Rapp, Réformes et réformation à Strasbourg, Strasbourg, PU, 1974, p. 283.

20 AD Bas-Rhin, H 1522/6.

21 Walter Gerd Rödel, Das Großpriorat Deutschland des Johanniter-Orden im Übergang vom Mittelalter zur Reformation anhand der Generalvisitationsberichte von 1494-1495 und 1540-1541, Cologne, 1966, p. 181 et suiv.

22 P.-A. Grandidier, Nouvelles œuvres inédites…, op. cit. [note 9], p. 42-44.

23 Cf. le beau travail de Dominique Fritsch, Le journal du commandeur Erhart Kunig (1504-1511), édition et traduction du texte allemand, Mémoire de maîtrise dactylographié, Strasbourg, 1996, qui présente un récit très vivant de ces visites officielles. Un diplôme du 3 juillet 1495 leur accorde la protection de l’Empire.

24 F. Rapp, Réformes…, op. cit. [note 19], p. 68.

25 AD Bas-Rhin G1473.

26 Première approche du sujet à l’intention du grand public, Georges Bischoff, « Dans les assiettes de l’ENA », Les Saisons d’Alsace, 67 (printemps 2016), p. 99-105.

27 P.-A. Grandidier, Nouvelles œuvres inédites…, op. cit. [note 9], p. 33-34.

28 AD Bas-Rhin, H 1376/7.

29 AD Bas-Rhin, H 2184 (Von den nun felsen de Merswin, xive s, 50 f.), 2185 (Das briefe buchelin, xive s., 82 f.), 2186 (Statut des hospitaliers, xve s., 140 f.), 2187 (Liber apum de Thomas de Cantimpré, xive-xve s., 156 f.), 2188 (Liber sententiarum, xve s., 340 f.), 2189 (Recueil de pièces diverses dont le Duellum inter quosdam de sanctitate cardinalis Arelatensis de Martin Le Franc, xve s., 271 f.), 2190 (Recueil contenant entre autres une histoire de la commanderie, Ursprung und Fundation des hauses zum grünen woerth, xvie s., 121 f.).

30 AD Bas-Rhin, H 2185. Ms de 82 f. renfermant les lettres adressées (fictivement ?) par l’« Ami de Dieu Nicolas de Bâle », à Merswin, Wolfach et d’autres correspondants. Ce manuscrit panaché de parchemin et de papier est considéré comme le trésor de la communauté et donc comme une pièce d’archives.

31 Rulman Merswin, Neun-Felsen-Buch – Le livre des neuf rochers, traduit du moyen haut-allemand et présenté par Jean Moncelon et Éliane Bouchery, préface de Francis Rapp, Paris ; Orbey, Arfuyen, 2011.

32 Mémorial de la commanderie de Saint-Jean et ouvrages de théologie mystique de Rulmann Merswin et de son compagnon d’Ami de Dieu de l’Oberland, BNUS, ms 739. On peut également citer une œuvre de Suso de même provenance, toujours à la BNUS sous le ms 292. Cf. aussi Karl Rieder, Der Gottesfreund vom Oberland: Eine Erfindung des Strassburger Johanniterbruders Nikolaus von Löwen, Innsbruck, 1905.

33 AD Bas-Rhin, H 1369/6.

34 AD Bas-Rhin, H 1369/7 : l’acte de vente scellé par l’abbé de Baumgarten porte, au verso, la mention contemporaine « item ein brieff als wir acht bücher kofft habent umb abbet von Bomgarten videlicet pastorale beati Gregorii papae, item Gregorii papae Ezechielem, pastorale gregori, liber occupationum et plures alios libros », ce qui suggère l’acquisition d’un ensemble d’œuvres de saint Grégoire.

35 Cf. J. N. Weislinger, Catalogus…, op. cit. [note 4], p. 21 et Armamentarium…, op. cit. [note 4], p. 30-31, qui profite de sa notice pour citer l’épitaphe de Mentelin à la cathédrale de Strasbourg.

36 D’après les archives, il n’y a pas eu de don ou d’achat de bibliothèques préexistantes après 1500, à l’exception des opuscula de saint Bernard légués par Geiler.

37 AD Bas-Rhin, H1363/2.

38 Françoise Zehnacker, Catalogues régionaux des incunables des bibliothèques publiques de France, Paris, Vol. xiii, t. 2, Paris, Klincksieck, 1997, n° 1856. Ann Moss, Les recueils de lieux communs. Apprendre à penser à la Renaissance, Genève, Droz, 2002.

39 AD Bas-Rhin, H. 1408.

40 Ibid., H 1441, rapport des visiteurs de l’ordre.

41 Ibid., H. 1408, n° 1, p. 33 : après leur expropriation en 1633, les johannites exigent des dommages et intérêts et récapitulent les dépenses de construction faites depuis 1371. Leur relevé se fonde sur leurs archives, notamment sur des documents disparus depuis. Cf. J. Rott, « La Commanderie… », art. cit. [note 17].

42 H. 1408: « 4 bilder in dem gewölb der bibliothek» et « dem steinmetzen von 4 bilden in dz gewölb zu hauen ». Ces sculptures sont déposées en 1633 et placées au Luxhof, bâtiment dans lequel des Strasbourgeois entreposent leurs trophées et d’autres objets précieux.

43 AD Bas-Rhin, H 1662/1, p. 65v°.

44 Ibid., H1664/1. J. N. Weislinger, Armamentarium…, op. cit. [note 4], p. 409 et Catalogus…, op. cit. [note 4], p. 8.

45 AD Bas-Rhin H 1668.

46 Gesamtkatalog der Wiegendrucke, ii, Leipzig, Hiersemann, 1926, n° 2072.

47 AD Bas-Rhin, H 2188.

48 J. J. Witter, Catalogus…, op. cit. [note 2], p. 17.

49 Ibid., p. 3, A 80 et p. 42, D 13 ; Martin Vogeleis, Quellen und Bausteine zu einer Geschichte der Musik und des Theaters im Elsass (500-1800), Strasbourg, 1911.

50 J. J. Witter, Catalogus…, op. cit. [note 2], p. 1, A1.

51 Ibid., p. 4, A 94 et A 100.

52 Louis Schlaefli, « Des placards imprimés incunables découverts dans les fonds d’archives de la commanderie de Saint-Jean de Strasbourg », Annuaire des amis du Vieux-Strasbourg, 2010, p. 15-28.

53 AD Bas-Rhin, H 1677 : le cartonnage comprend au moins trois exemplaires du placard de 1481.

54 Ibid., H 1361/1.

55 Ibid., H 1363. L. Schlaefli, « Des placards imprimés incunables… », art. cit. [note 52], p. 24.

56 Ibid., H 1980.

57 J. N. Weislinger, Armamentarium, op. cit. [note 4], p. 96.

58 AD Bas-Rhin H 1668. Les charnières sont faites à partir d’une charte relative à un religieux de Munster, Johannes Dörr qui est vraisemblablement le même personnage que Johannes Dürr ou Doerr, curé de Saint-Alban (de Bâle ?), dont Saint-Jean possède deux textes manuscrits (J. J. Witter, Catalogus…, op. cit. [note 2], p. 5 et 25).

59 Musée de Haguenau. Ces fragments ont été mis au jour lors de la restauration de ce globe.

60 Ces éléments feront l’objet d’une publication prochaine.

61 F. Rapp, Réformes…, op. cit. [note 19], p. 328-329.

62 P. Hélyot, Histoire des ordres…, op. cit. [note 18], p. 115.

63 Francis Rapp, « La piété d’Anne Schott, une dominicaine de Strasbourg (vers 1470 – vers 1510) », dans Une germanistique sans rivages. Mélanges en l’honneur de Frédéric Hartweg, dir. Emmanuel Béhague et Denis Goeldel, Strasbourg, PUS, 2009.

64 F. Rapp, Réformes…, op. cit. [note 19], p. 148.

65 Il a été formé par Guillaume Budé. On lui doit des Collectanea sacrosancta, graece discere cupientibus non aspernanda, Strasbourg, J. Schott, 1515, contenant la version grecque et la version latine des prières les plus courantes et de quelques textes sacrés, ainsi que des extraits de la grammaire grecque de Chrysoloras, les Progymnasmata graecae litterae (J. Knobloch, 1516).

66 Georges Bischoff, Le siècle de Gutenberg. Strasbourg et la révolution du livre, Strasbourg, Nuée bleue, 2018, chap. v. Cf. B. Fleith, « Remotus a tumultu civitatis?… », art. cit. [note 11]. À Augsbourg, vers 1440, Gossenbrot est le commanditaire d’une version manuscrite du Chant des Nibelungen : voir Michaela Eser, Augsburger Nibelungenlied und – klage : Edition und Untersuchung, Ratisbonne, Pustet, 2016, p. 95 et suiv.

67 « Me quidem sententia blesus et mancus est is qui poetas non didicit ». Ce document a été publié par Wilhelm Wattenbach, « Sigismund Gossembrot als Vorgänger der Humanisten und seine Gegner », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, xxv (1873), p. 38-69, ici, p. 58-66. Il est resté inconnu des historiens alsaciens.

68 B. Fleith, « Remotus a tumultu civitatis?… », art. cit. [note 11], p. 450.

69 AD Bas-Rhin, H 1349, bref de 1462.

70 Ibid., H 2189, fol. 191-126/. Cf. Sandrine Legendre, Un texte inédit de Martin Le Franc : le Dialogus inter quosdam de sanctitate cardinalis Arelatensis, Mémoire de DEA, Université de Strasbourg, 2002.

71 Francis Rapp, « La bibliothèque de Jean Bertonelli, précepteur d’Issenheim et de Strasbourg », dans Refugium animae bibliotheca, dir. E. van der Vekene, Mélanges A. Kolb, Wiesbaden, 1969, p. 334-344. Original AM Strasbourg, ii 22a/1.

72 J. Rest, « Die älteste Geschichte der Freiburger Universitätsbibliothek », Zentralblatt für Bibliothekswesen, 32, 1922, p. 7-25, ici, p. 13. Loewenbeck apparaît à plusieurs reprises dans les comptes de Saint-Jean. En 1493, il fonde une messe à l’église de la commanderie (AD Bas-Rhin, H 1389).

73 Francis Rapp, « Jean Geiler de Kaysersberg (1445-1510). Le prédicateur de la Cathédrale de Strasbourg », Grandes figures de l’humanisme alsacien. Courants, milieux, destins, dir. F. Rapp et G. Livet, Strasbourg, 1978, p. 21-32.

74 D. Fritsch, Le journal du commandeur Erhart Kunig…, op. cit. [note 23], t. 2, f. 26.

75 Heinrich Pantaleon, Teutscher Nation Heldenbuch, Bâle, 1578, p. 499.

76 Jean Rott, « Le maître W. S. à la croix de Malte, Wilhelm Stetter », Revue d’Alsace, 91 (1952), p. 112-119.

77 Cf. Charles Schmidt, Histoire littéraire de l’Alsace à la fin du xve et au commencement du xvie siècle, Paris, Sandoz et Fischbacher, 1879, et Bücher und Bibliotheken zu Strassburg im Mittelalter, s.l.n.d., qui publie le catalogue de Saint Thomas par Koenigshoffen au début du xve (p. 49-64), celui des chartreux, celui du chanoine de Saint Thomas Paul Munthart, en 1480 (une vingtaine d’incunables) et l’inventaire du doyen de S. Pierre le Vieux en 1499.

78 Charles d’Hautemer, Description historique et topographique de la ville de Strasbourg et de tout ce qu’elle contient de plus remarquable en faveur des voyageurs, Strasbourg, 1785. Ces propos constituent une extrapolation. Pour Wimpheling (Germania, version 1508), c’est la dimension spirituelle qui importe, et non son caractère de « bibliothèque humaniste » : « Locus amoenus et regum romanorum apostolicaeque sedis legatorum habitatione dignus. Religio in ea hodie floret, humanae fragilitati consentanea, nec ulli molesta, Dominum Deum magis quam seipsam aut momentaneas voluptates amans; et sicut Dominus Deus in ipsa pie colitur, primumque regnum Dei illic et justitia ejus quaeritur, ita et juxta ejusdem Salvatoris nostri promissum temporalia ei non desunt, sed adjiciuntur » (« C’est un lieu de vie agréable et digne que viennent habiter les envoyés [?] des rois romains ainsi que du siège apostolique. La religion est maintenant florissante dans cette [Île Verte], en accord avec la fragilité humaine, sans être pénible à quiconque, aimant davantage le Seigneur Dieu qu’elle-même ou les plaisirs passagers ; et, de même que le Seigneur Dieu est adoré dans cette [Île] elle-même avec piété, de même qu’à cet endroit l’on recherche d’abord le règne de Dieu et sa justice, de la même manière, et selon la promesse de notre Sauveur qui est le même Dieu, les biens temporels ne lui font pas défaut, mais lui sont donnés de surcroît » trad. Martine Hiebel).