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Die Macht des Wortes. Reformation und Medienwandel [Exposition. Badische Landesbibliothek Karlsruhe]

Éd. Annika Stellon, préf. Udo Wennemuth. Regensburg : Schnell & Steiner, 2016. 199 p., ill., ISBN 978-3-7954-3148-8

Frédéric BARBIER

De Constance au confluent du Main, la rive droite du Rhin est de longue date une véritable mosaïque de multiples pouvoirs, qu’il s’agisse de domaines religieux, de seigneuries et de principautés féodales, ou de villes libres d’Empire. Les deux margraviats de Bade (Baden-Baden et Baden-Durlach) comptent parmi les acteurs les plus notables, mais ce sont des principautés d’importance très moyenne au niveau du Saint-Empire. Cet ensemble inextricable est réorganisé par le traité de Paris (1806), lequel réunit toutes sortes de territoires aux statuts différents dans le cadre du nouveau grand-duché de Bade.

La bibliothèque d’État de Karlsruhe (Badische Landesbibliothek, BLB) est l’héritière de la bibliothèque grand-ducale, et possède à ce titre une collection ancienne de première importance. Les premières traces d’une bibliothèque réunie par les margraves remontent au règne de Christophe Ier († 1527). Le souverain est alors établi à Pforzheim : Pforzheim est la ville de naissance de Reuchlin, et ce dernier lui léguera sa bibliothèque à son décès. Les livres de Reuchlin sont intégrés dans la collection du prince, avec laquelle ils sont transférés dans un premier temps dans la nouvelle résidence de Durlach, et plus tard à Karlsruhe. Rien de surprenant, par conséquent, si l’institution badoise a participé au concert de manifestations organisées pour le cinquième centenaire de la Réforme luthérienne. Le choix des organisateurs ayant été d’orienter tout particulièrement leur exposition sur le thème du changement du système des médias (Medienwandel) lui donne un intérêt tout particulier pour l’historien du livre.

Le catalogue présente un ensemble de soixante-pièces, chacune somptueusement illustrée, l’ensemble étant organisé en neuf sections introduites par de courtes préfaces. Les auteurs manifestent un grand souci de la vulgarisation : il faut s’adresser à des visiteurs dont la majorité ne sait pas grand chose de l’histoire de la Réforme, et encore moins de l’histoire du livre. Une bibliographie détaillée est proposée en fin de volume.

Le choix a été, sauf pour un tout petit nombre d’exceptions, de privilégier les pièces conservées sur place, ce qui permettait effectivement de démontrer la richesse des collections. On regrettera d’autant plus que les notices ne disent pratiquement tien des particularités d’exemplaires, notamment quant à leurs provenances. Pourtant, certaines de ces pièces sont réellement exceptionnelles, pour lesquelles le lecteur informé peut se reporter aux catalogues en ligne : il n’y avait donc pas à engager de travail supplémentaire pour disposer d’éléments significatifs sur la diffusion et la tradition de la Réforme en Allemagne du Sud-Ouest, de même que sur les pratiques des premiers lecteurs19. Quelques lignes auraient pu attirer l’attention sur une problématique que les visiteurs ignorent la plupart du temps complètement.

La première section traite de la période ayant précédé 1517, et insiste brièvement sur le problème récurrent de la réforme de l’Église, sur les crises ayant marqué la fin du Moyen Âge, et sur l’essor des nouvelles formes de piété (la devotio moderna) : après le Novum Instrumentum d’Érasme (1516), nous découvrons un glossaire hébraïque manuscrit ayant appartenu à Reuchlin, et une réédition rarissime de la Grammaire latine de Mélanchthon donnée à Strasbourg en 1535, dans un exemplaire de l’ancienne bibliothèque des princes de Furstenberg à Donaueschingen aujourd’hui passé en mains privées20. L’exemplaire de Porchetus, Victoria (…) adversus impios Hebraeos (Paris, 1520), est réellement exceptionnel, puisqu’il porte une mention de provenance de Luther lui-même : il a été acquis à la suite de la vente de la bibliothèque de Hermann von der Hardt au milieu du xviiie siècle (1746).

La deuxième section présente les débuts de la Réforme, avec des exemplaires des grands traités de Luther et de certains de ses partisans ou adversaires (Johann Eck, Thomas Murner). Parmi les provenances remarquables, nous notons celle du traité de Luther « sur la liberté du chrétien » (notice n° 11) : celui-ci appartenait en effet aux cisterciens de Salem, dont la bibliothèque est acquise en bloc pour la bibliothèque de l’université de Heidelberg en 1826 (soit quelque 60 000 volumes, pour la somme considérable de 20 000 florins). Puis le catalogue présente plusieurs titres illustrant la « Réforme radicale et les groupes marginaux », avec Ulrich von Hutten, Karlstadt, Mélanchthon (à propos de la Révolte des paysans), etc.

La section concernant les traductions de la Bible propose sept éditions, introduites par un texte d’Elmar Mittler, ancien directeur des bibliothèques de Heidelberg, puis de Göttingen. Le Nouveau Testament de décembre 1522 (VD16 : B4319) est présenté dans l’exemplaire de la Bibliothèque de Lippe à Detmold, tandis que la fin de l’Ancien Testament (Wittenberg, 1524 : VD16 : B2908) vient de l’extraordinaire bibliothèque de la collégiale Sainte-Marie de Wertheim : la collection fondée en 1448 conserve aujourd’hui encore près de 900 incunables et post-incunables. Le titre gravé de la Bible donnée par Quentel à Cologne en 1534 est une véritable mise en scène de l’Église romaine en terres allemandes : en haut de la composition, l’archevêque électeur, Albert de Brandebourg, est entouré des quatre plus hauts dignitaires de l’Empire, et a à ses pieds la série des armoiries de ses évêchés suffragants. L’exemplaire vient de Bohême (monastère de Teplen / Tepl / Teplá). La série se referme avec la Bible de Henri ii Estienne (Genève, 1565), et ses somptueuses illustrations.

Nous abordons ensuite l’organisation des différentes Églises, et des livres qui leur sont liés, à commencer par les catéchismes de Luther – mais nous trouvons aussi, sous le n° 40, un exemplaire de l’Institution de Calvin en latin (Heidelberg, 1572). Les trois sections suivantes traitent des controverses autour de la Sainte-Cène, puis de l’« Ordre et la liturgie » (ordonnances ecclésiastiques relatives à différentes principautés, Psautiers, etc.), pour finir sur la « confessionnalisation catholique » – les débuts de la Réforme catholiques. L’exposition se concluait avec quelques pièces illustrant les prolongements de la Réforme, dont l’Histoire du luthéranisme de Veit Ludwig von Seckendorff (Leipzig, 1714).

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19 Les notices ne donnent aucune référence aux répertoires les plus usuels (nous pensons, selon la période, soit à l’ISTC, soit au VD16). Dans un cas (notice n° 7), l’édition elle-même n’est pas indiquée : l’exemplaire est remarquable par l’importance des annotations qu’il porte (il est d’ailleurs classé dans les fonds de manuscrits, Cod. Karlsruhe 487), mais l’édition ne l’est pas moins. Il s’agit en effet de la première édition de Mélanchthon (Wittenberg, Melchior Lotter der Junge, 1521, VD16 : B5016), ce qui est vérifié par la notice du catalogue des manuscrits de Karlsruhe, lequel donne d’importants éléments d’informations. Les vérifications dans les catalogues en ligne font parfois apparaître d’autres erreurs. La provenance de l’exemplaire du Sermon de Luther sur les indulgences (VD16 : L6268) est précisée par le ZVDD (Zentrale Verzeichnis Digitalisierter Drucke) : « Est Michaelis Rothi de Vigershum », mais la photo du catalogue montre qu’il faut lire Vigersheim, ce qui peut correspondre à un certain nombre de localisations dans la région du Rhin supérieur, dont Wickersheim, en Alsace.

20 On voit par ce simple fragment de liste qu’il semble au moins difficile de classer certains des ouvrages présentés sous la rubrique générale « Avant la Réforme » (Vor der Reformation). Le C initial (Cum) de l’épître de Kilian Goldstein présente la figure d’un petit fou.