Le graveur Louis Simonneau et ses plagiaires : Gantrel, Cars, Malbouré, et Limousin
Véronique MEYER
Université de Poitiers
Avec la participation d’Anne NADEAU
NdA : Que soient remerciés chaleureusement, Nicole Garnier, Annalisa Pezzo, Henriette Pommier, Maxime Préaud, Vanessa Selbach et Jean-Gérald Castex qui il y a déjà fort longtemps nous avait signalé le factum.
Il serait téméraire en quelques pages de retracer l’histoire du plagiat en gravure, même en s’en tenant à la France d’Ancien Régime. Quelques études ayant déjà paru sur cette question1, et un livre entier devant voir bientôt le jour2, il a semblé préférable d’y renvoyer le lecteur et de n’aborder ce problème qu’à partir d’un exemple concret, connu par un factum qui, bien que déjà mentionné3, n’a encore fait l’objet d’aucune étude exhaustive. Ce texte exemplaire par les informations qu’il contient mérite d’être entièrement retranscrit et analysé. La confrontation avec d’autres cas similaires permettra d’éclairer en partie les difficultés que soulève la contrefaçon au début du XVIIIe siècle, d’approcher la réalité du monde de l’estampe et les relations entre peintres, graveurs, éditeurs, imprimeurs, dédicataires, ainsi que la complexité de la diffusion des estampes.
Comme l’indique son titre, Mémoire pour Louis Simonneau, Graveur, de l’Académie Royale de Peinture & Sculpture, Demandeur en saisie & confiscation d’Estampes contrefaites au préjudice de son Privilège du grand Sceau, suivant l’Arrest du Conseil du 4 May 1711. Contre Jean-François Cars, Claude Malbouré, Antoine Herisset, graveurs, & Joseph Limousin Vitrier, Défendeurs, ce factum fait état de plaintes portées par Louis Simonneau (1654-1727) contre des graveurs et éditeurs d’estampes parisiens à propos de copies gravées à son insu ; les gravures contrefaites, Marthe et Madeleine [sic] aux pieds du Seigneur4 (ill. 1) et Suzanne entre les deux vieillards5 (ill. 2) ont été exécutées par ses soins d’après des tableaux d’Antoine Coypel (1661-1722), peintre de la maison du duc d’Orléans, membre de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture et de l’Académie royale des inscriptions et médailles6. Louis Simonneau, qui compte parmi les bons burinistes de son temps, ce dont attestent ces deux gravures qu’il considère à juste titre comme ses œuvres les plus abouties, était académicien7 et depuis 1682 graveur du roi8. Moins réputé mais tout aussi talentueux, voire davantage que son frère Charles (1645-1728)9, et d’un caractère moins sociable, il lui devait probablement cette commande, car ce dernier était l’élève de Noël Coypel, le père d’Antoine et son graveur attitré. Mais Louis était aussi l’élève de Guillaume Chasteau, le beau-frère de Noël. Il est probable que les deux frères rencontrèrent Antoine dans l’atelier de son père ou dans celui de Chasteau et que là naquirent leur amitié et leur collaboration10.
Trois affaires sont à l’origine de ce factum. La première, réglée au moment où il demande à son avocat de résumer les faits, lui sert à montrer l’importance du préjudice qu’il subit, car, malgré plusieurs années de procédures, il ne parvient toujours pas à faire respecter ses droits. Le choix de Pierre-Jean-Baptiste Lauthier, avocat au conseil et secrétaire du roi, qui était intervenu dans plusieurs cas de contrefaçons de livres et d’estampes n’est sans doute pas fortuit. De 1704 à 1707 il avait été en charge du procès qui opposa l’éditeur d’estampes Jean-Baptiste Nolin (1657-1708) à Guillaume Delisle (1675-1726), célèbre géographe, membre de l’Académie des sciences, au sujet d’une carte du globe terrestre11.
Le mémoire qui nous occupe n’est pas daté, mais doit avoir été rédigé peu après le 18 février 1712, puisqu’il est précisé que le tableau de Marthe et Madeleine appartenait à « feu Monseigneur le Duc de Bourgogne » lorsque Simonneau l’a gravé. Il fait suite à l’arrêt du conseil prononcé le 4 mai 1711 en faveur de Simonneau, dont on ignore les attendus qui amenèrent les parties adverses à déposer un recours. Lauthier juge leur attitude révoltante : tous se sont retournés contre lui « après l’avoir détroussé, ils sont assez osés pour demander des dépens, dommages & interest contre luy ». Simonneau le chargea donc de sa défense, et se saisit de la diffusion de ce texte pour faire connaître au plus grand nombre les plagiats dont il est victime, avant que la justice ne décide de la suite à donner aux événements, et souhaite ainsi disposer l’opinion en sa faveur.
Précisons brièvement les faits. Avant que Simonneau n’ait eu le temps de terminer son interprétation de Marthe et Madeleine, Gantrel en fit paraître une copie. Peu après Cars en édita une seconde version puis ce fut le tour de Malbouré. Quant à Hérisset, il exécuta une copie d’une autre gravure de Simonneau d’après Coypel, Suzanne entre les deux Vieillards, dont Limousin vendit les épreuves.
LES BELLIGÉRANTS
Étienne Gantrel (1645-1706)12, que Lauthier nomme à tort Ganterel – ce qui explique qu’il n’a pas été identifié jusqu’ici –, est à l’origine du premier plagiat de Marthe et Madeleine, mais il était mort depuis six ans lors de la parution du factum. S’il était en effet éditeur de thèses, c’était alors le plus important en France, et sa production n’est pas aussi médiocre que l’affirme l’avocat. Bien qu’il n’égale pas les meilleurs, Gantrel était aussi un graveur de qualité. Ce n’est plus avec lui que Simonneau à maille à partir, mais avec Jean-François Cars (1661-1738). Comme Gantrel auquel il succéda indirectement, Cars était spécialisé dans l’édition des illustrations de thèses13. Originaire de Lyon, il s’est s’installé à Paris en 1700. Graveur à ses débuts, il ne manie plus qu’occasionnellement le burin et se consacre avant tout au commerce de l’estampe ; à partir des années 1705-1710, il entretient un atelier dans lequel il fait tourner six presses à taille douce14. Le second éditeur dont Simonneau dénonce les agissements, Antoine Malbouré (après 1679-1761), est également spécialisé dans l’illustration des thèses15 mais il vend aussi des gravures d’actualité16. Cette implication de Gantrel, Cars et Malbouré dans le commerce des gravures de thèses n’est pas pour étonner : à partir des années 1680, ce marché connaît un développement considérable et pour répondre aux besoins des étudiants, des collèges et des universités, les éditeurs font graver des sujets susceptibles de convenir à l’illustration des positions de leurs thèses en placard, qu’ils cherchent dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, prenant pour modèles les œuvres des peintres célèbres et les interprétations qui en ont déjà été gravées, qu’ils font parfois copier par leurs collaborateurs.
Contrairement aux autres adversaires de Simonneau, Antoine Hérisset (1685-1769) est un jeune graveur. C’est probablement pour le compte de Joseph Limosin (av. 1700-v. 1746)17 qu’il copia Suzanne et les vieillards. Lauthier présente Limosin comme un simple vitrier18 ; aujourd’hui peu connu par rapport aux autres personnes incriminées, il est en réalité maître et exerce aussi le métier d’éditeur d’estampes : c’est à lui que Lauthier s’en prend plus qu’à Hérisset. Sans doute est-ce à dessein, pour échapper aux poursuites et minimiser son rôle, qu’Hérisset n’a pas fait graver son nom sur le cuivre de la gravure19, la seule des quatre copies incriminées dont on connaisse aujourd’hui une épreuve (ill. 3)20. Cet opuscule révèle donc son implication, que rien ne laissait par ailleurs supposer.
LES DIFFÉRENDS
Alors qu’il avait choisi de graver deux œuvres d’Antoine Coypel, un des peintres les plus importants et les plus recherchés de son temps, Simonneau mit près de 16 ans à achever ses gravures. Le risque était grand de voir un autre que lui interpréter les mêmes œuvres, ou qu’on subtilise une épreuve de sa gravure et qu’on en fasse une copie ; dans les deux cas, il semble que c’est ce qui arriva. On sait que de tout temps, craignant d’être devancés, les graveurs gardaient le plus grand secret sur leurs travaux tant qu’ils n’étaient pas achevés. Ainsi le 5 août 1696, La Teullière, directeur de l’Académie de France à Rome, répondait à Colbert de Villacerf, surintendant des bâtiments du roi, qui souhaitait de nouveau acquérir des épreuves des Lucerne antiche e sepulcro di Nasoni de Pietro Santi Barloli (1635-1700) avant que la suite ne soit mise sur le marché : « Je ne sçay si je pourrais obtenir cette grâce, que les graveurs n’accordent guère avant d’avoir exposé leurs ouvrages au public, par crainte qu’ils ont d’estre prévenus par d’autres, qui pourraient les coppier [sic] et les produire les premiers, comme il arrive quelque fois21. » De plus, graveurs et éditeurs se méfiaient des imprimeurs qui subtilisaient parfois des épreuves et les vendaient pour leur compte22. C’est ce qui arriva à Simonneau qui affirme que Gantrel a « estorqué » de son « Imprimeur une des premieres épreuves de Marthe & Madeleine. »
Cette lenteur à terminer ces deux grandes planches s’explique probablement par un souci de perfection. On sait qu’il reprit son travail à plusieurs reprises et on connaît plusieurs états de Marthe et Madeleine, l’un avant le rideau, un autre avant la dédicace et les armes du dédicataire23, qui pourraient correspondre à une de ces épreuves dont se servit Gantrel pour exécuter ou faire exécuter sa copie, à moins qu’il ne s’agisse d’un des essais que Simonneau dut faire tirer pour juger de l’avancement de son travail. Cette lenteur s’explique aussi par le fait qu’il était alors occupé à d’autres entreprises, notamment par les illustrations de la Description des Arts et Métiers, quelque 200 grandes planches, qu’il gravait pour Louis XIV, comme il le rappelle lui-même, se saisissant de l’occasion pour souligner la reconnaissance officielle dont il jouissait et le soin qu’il apportait à son travail : « Il a esté choisi pour dessiner & graver le Recueil qui se fait par ordre du Roy, pour tous les Arts et Mestiers, où il y a déjà un très grand nombre de Planches faites avec tous les soins imaginables24. »
CONTREFAIRE ET CONTREFAIT, COPIER ET COPIE, PLAGIAIRE
Sous la plume de Lauthier, Simonneau s’insurge contre ces estampes « contrefaites » et ceux qui les ont fait « contrefaire ». Par neuf fois, et dès le titre, il utilise ces deux termes. Il précise ainsi que Gantrel a « contrefait trait pour trait » sa gravure de Marthe et Madeleine, et que la Suzanne a été « contrefaite » par Hérisset, puis il fait savoir que Malbouré et Cars « ont tous Contrefait » eux aussi sa Suzanne. Il revient sur le fait que ses détracteurs nient que « Ganterel aurait contrefait la Madeleine ». Il précise que les « Parties adverses n’auraient pu ni du contrefaire la mesme Estampe sans contrevenir à son privilège » et que Limousin « vend et fait contrefaire des estampes dont il y a Privilège ». Il demande donc « la confiscation des Estampes contrefaites »… Le choix du vocabulaire est précis puisque Furetière, dans son Dictionnaire universel indique en 169025, « Contrefaire en terme d’imprimerie, c’est imprimer un Livre, une image, un dessein, pour frustrer l’Auteur du droit du privilège qu’il a obtenu de le faire imprimer seul », et ajoute que « Contrefait » se dit de ce qui est « imité, falsifié ». Une fois au moins, Lauthier emploie le mot « plagiaires » pour dénoncer les actions de Cars, Malbouré et Limousin « qui pillent hardiment & impunément les ouvrages d’un homme au milieu des rues de Paris26 ». L’accusation peut sembler dure, mais Furetière précise que le terme plagiaire « est l’epithète qu’on donne aux Autheurs qui prennent effrontement ouvrages d’autruy pour se les appliquer, & s’en attribuer la gloire27 ».
Lauthier s’attache d’abord à démontrer que la gravure de Gantrel est une « copie » de celle de Simonneau, ce que les autres s’évertuent à nier. Aussi ce terme apparaît-il quatre fois sous sa plume. Pour mettre en évidence cette réalité, à trois reprises en quelques lignes il utilise l’expression « pour trait » : Gantrel « s’est donné la liberté de la copier pour trait, de la mesme grandeur & d’y mettre son nom au bas » ; il l’a « contrefaite trait pour trait sur celle du Suppliant », elle a été « contrefaite trait pour trait sur celle du Sieur Simonneau ». Pour preuve qu’il s’agit d’une copie, il précise, qu’elle est venue « du costé contraire à celle du Demandeur28 ». Précisons que selon Furetière le terme copier « signifie aussi, Imiter, & quelquefois, Dérober l’invention, le livre, le travail d’autruy », ce qui prouve l’importance du phénomène, et il ajoute, « La plupart des Auteurs ne se font que copier les uns les autres29 ».
VOL, PILLAGE, RECEL ET CONTRAVENTION
Pour dénoncer les agissements des adversaires de Simonneau, Lauthier parle d’« iniquité », d’« effronterie sans exemple », « d’abus » et de « mensonge », de pillage30 et à trois reprises de « vol » : « pur vol […] pour tromper le public » ; « ce vol regardait encore plus personnellement le Demandeur […] parce qu’on luy enlevait injustement […] le fruit de ses travaux ». Il qualifie Limousin de « receleur du vol », lui chez qui ont été trouvées les épreuves de la gravure de Hérisset ; il estime qu’il mérite une punition exemplaire, car « il en fait graver d’autres [que la Suzanne] où il fait mettre au bas qu’il y a Privilege, quoiqu’il n’en ait obtenu aucun ».
Lauthier affirme, quoi qu’en disent les adversaires de Simonneau, que ces contrefaçons étaient « une contravention à ses droits » : ils ont tous « contrevenus » à son privilège. Comme ces propos et les précédents en attestent, sans l’obtention préalable d’un privilège, cette affaire, comme alors toute affaire de contrefaçon, n’aurait pu être jugée ; c’est donc à dessein que par neuf fois il utilise ce vocable.
LES PRIVILÈGES
Soucieux de montrer que Simonneau est respectueux des règles, Lauthier précise qu’il a pris deux privilèges successifs pour chacune des deux planches31, et qu’il a fait enregistrer ces privilèges par la communauté des libraires « suivant les règlemens ». Le premier avait été obtenu le 3 octobre 1706 mais comme les gravures n’étaient pas achevées, il en prit un second le 14 avril 1709.
Lauthier indique que Simonneau a mis la mention du privilège au bas des planches, et il y apparaît en effet, même deux fois, dans la lettre du Christ chez Marthe et Madeleine32 : « Lud[dovicus] Simonneau sculp[sit]. C[um]. P[rivilegio]. R[egis] » ; et plus bas, « Se vend chez L. Simonneau rue des Bernardins chez Mr. Gosset C[um] P[rivilegio] Regis ». On ne le trouve qu’une fois dans celle de Suzanne surprise par les vieillards, avec la date 169533. Fait inhabituel, ce millésime correspond au moment où Simonneau a commencé sa gravure, comme on le déduit du commentaire de Lauthier. Accolée à la mention « CPR », la présence de cette date est ambiguë, puisqu’elle peut être interprétée comme la date de l’obtention du privilège. Cependant, alors que la lettre de l’estampe va évoluer entre le 1er et le 4e état, mais que la mention du privilège demeure inchangée34, la date au 3e état est modifiée35 : Simonneau la remplace par celle de 169636. Ces deux planches formant pendant, la présence de la date sur au moins une des deux gravures était essentielle puisqu’il fallait prouver que contrairement à ce qu’affirmaient ses adversaires, Simonneau avait déjà obtenu son privilège au moment où Gantrel fit paraître sa gravure et que celui-ci avait donc commis une contravention.
Simonneau se trompe-t-il ou est-il de mauvaise foi lorsqu’il accuse Gantrel d’avoir gravé cette planche après qu’il ait obtenu le privilège de Marthe et Madeleine ? En effet, ce dernier étant mort le 1er novembre 1706, soit un mois et deux jours après l’obtention de cette première protection, il semble impossible qu’en si peu de temps il ait pu exécuter cette copie, d’autant que depuis 1700 il avait beaucoup réduit son activité, et que neuf mois avant sa mort, en avril 1705 donc, il avait même vendu ses quatre presses à l’imprimeur Jacques Boutté. La façon d’agir de Gantrel envers Simonneau était indélicate, mais il ne commettait aucun acte délictueux. Découvrant la supercherie, Simonneau dut se pourvoir d’un privilège, mais les délais étaient longs : il fallait compter au moins quatre mois, et plus souvent huit, entre la demande de privilège et son obtention définitive37. Pour obtenir le sien le 3 octobre 1706, il dut commencer ses démarches en juillet 1705 au plus tôt.
Que Cars et Malbouré aient ou non copié l’estampe de Simonneau, Lauthier affirme qu’ils « n’auraient pû ni dû contrefaire la mesme estampe [celle de Gantrel], sans contrevenir à son [deuxième] privilège, [celui] du 14 avril 1709 ». La défense des deux éditeurs, qui montre que sans privilège tout est licite, consiste à affirmer qu’ils ont copié l’estampe de Gantrel qui n’était pas protégée par un quelconque privilège, et qu’ils en avaient le droit. Néanmoins Lauthier soutient que le privilège interdit toute interprétation du tableau de Coypel. Ainsi cette précision quant à la date du second privilège est essentielle. Simonneau aurait perdu tous ses droits, si le temps du privilège s’était avéré éteint : cette clause étant irrévocable38. Souvent avancée, elle était décisive. Il en avait été ainsi pendant un temps, en 1635 dans le procès qui à Paris opposa Rubens au graveur Jacques Honervogt (v. 1583-v. 1663), lequel argua pour sa défense que le privilège était expiré et pas encore renouvelé39. Aussi, pour faire barrage à toute contestation, Lauthier précise que Simonneau a respecté les règlements. Une des clauses qu’il évoque ou qu’il sous-entend concerne le dépôt des épreuves dans la bibliothèque du Roi. Obligatoire, mais trop irrégulièrement respecté, ce dépôt était de huit estampes depuis 1704, mais fut réduit à trois en 1707 : or, seule la remise de l’attestation par le garde de la Bibliothèque rendait le privilège effectif 40. Pour le premier privilège, on ignore ce qu’il en fut du dépôt des huit exemplaires à fournir mais le second fut effectivement enregistré à la bibliothèque du roi en février 1709, comme en atteste le registre des Estampes de privilège ou provenant des dépôts conservé au département des Estampes de la BnF41. Entre la date donnée par Lauthier et celle qui figure sur le registre, il faut sans doute voir le délai entre le moment du dépôt des épreuves par le graveur et l’inscription de ce dépôt dans le registre. En août 1703, il avait été décidé que l’enregistrement devait se faire dans les trois mois à compter de l’obtention du privilège, Simonneau avait donc respecté de justesse la procédure.
Le propos de Simonneau qui fait référence à une copie éventuelle de la gravure de Gantrel et non de la sienne par Cars et Malbouré, ainsi qu’à un changement de format, prouve que le seul fait de copier le tableau suffit pour empêcher la diffusion de la gravure. On voit donc que le privilège n’avait qu’une raison d’être commerciale, celle de lui réserver l’exclusivité de la publication de sa gravure, de le protéger contre le « vol » des profits de son travail, et contre la privation de ses revenus : il ne s’agissait nullement d’une quelconque protection d’un droit d’auteur.
L’IMPLICATION DU PEINTRE ET LE DROIT DE GRAVER
Comme Lauthier le précise, Coypel a donné un certificat à Simonneau attestant qu’il lui a « confié le tableau original ». Cette mention, qui permet de connaître l’implication du peintre dans l’interprétation de son tableau, vaut d’être soulignée, car on ne possède que peu d’exemples de telles démarches de la part des peintres face à l’interprétation de leurs œuvres, et en général la lettre des gravures n’en dit rien. On apprend ainsi que Coypel a donné son accord à Simonneau pour qu’il grave la Suzanne et Marthe et Madeleine et que depuis il « n’a donné aucun [autre] pouvoir ny consentement pour ce faire ». Coypel n’était donc pas à l’origine de la commande : en atteste la présence des cuivres dans l’inventaire après décès de Louis Simonneau. Lauthier insiste également sur le fait que le vol s’exerçait contre le peintre et contre le propriétaire des tableaux. Coypel était-il en droit d’attendre quelque revenu de la vente de la gravure ? En allait-il de même du possesseur des tableaux ? Le factum ne permet pas d’en juger, mais on peut supposer que non. En général, il semble que les peintres vendaient au préalable leur droit et qu’ensuite ils n’étaient plus intéressés directement à la vente, mais cette question reste à approfondir. Le préjudice n’était donc pas financier mais « artistique ». En copiant sans autorisation Marthe et Madeleine et la Suzanne, les contrefacteurs allaient contre la volonté de Coypel « qui avoit interest qu’il n’y eut que de belles Estampes de son Tableau ». Ce réquisitoire en faveur de la qualité de l’interprétation rappelle la plainte portée par Rubens contre Jacques Honervogt et aussi la teneur du privilège pris par Le Brun le 8 mai 1656, dans l’intention de « pouvoir éviter les mauvaises copies que l’on tire de ses plus excellents ouvrages42 ». Il annonce également l’arrêt du Conseil d’État du 28 juin 1714, quelques temps après notre affaire, qui portait « Privilège à l’Académie Royale de peinture et de sculpture, & aux Académiciens, de faire imprimer & graver leurs Ouvrages », interdisant à quiconque de graver les demeures et collections royales de quelque nature qu’elles soient sans en avoir obtenu au préalable l’autorisation du surintendant des bâtiments, afin que la qualité de l’interprétation soit pleinement assurée, et cela « avec défenses à tous Imprimeurs, graveurs ou autres personnes, excepté celui qui aura été choisi par l’Académie, d’imprimer, graver, ou contrefaire, vendre des Exemplaires contrefaits, à peine de trois mille livres d’amende, confiscation de tous les Exemplaires contrefaits, Presses, Caractères, Planches gravées et autres Ustensiles qui auront servi à les imprimer43 ». Or Lauthier affirme que la contrefaçon de Marthe et Madeleine est due à Gantrel, « médiocre graveur de thèses », et déclare implicitement que les autres copies ne sont pas meilleures. L’édit de 1714 indiquait qu’une des raisons de ce privilège était de s’assurer de la qualité de l’interprétation des œuvres appartenant au roi et à la famille royale, qui ne devaient pas être dénaturées par de mauvaises gravures. Il n’est pas indifférent de remarquer que Lauthier précise que le duc de Bourgogne (1682-1712) « avoit interest qu’il n’y eût que de belles Estampes de son Tableau44 ».
Le factum indique que les tableaux ont été peints avant 1696 et non entre 1700 et 1712 comme on le croyait, mais il ne précise ni pour qui fut peinte Suzanne, ni à qui appartenait le tableau45. Comme pour Marthe et Madeleine, Simonneau a dédié sa gravure à « Jérôme Phelypeau [sic] Comte de Maurepas, Conseiller du Roy en tous ses conseils, Secrétaire d’Estat et des Commandements de sa Majesté46 » mais n’indique pas dans la lettre de sa gravure le propriétaire de l’œuvre. Le choix de Phélypeaux de Ponchartrain pour la dédicace s’explique sans doute par les liens entre le peintre et le ministre. Vers 1695, il avait été à l’origine de sa nomination au poste de dessinateur de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Coypel étant alors chargé de reprendre les dessins de Sébastien Leclerc à qui il succéda pour mener à bien le projet de l’Histoire du roi en médailles, dont Louis Simonneau ainsi que son frère à partir de 1696, gravèrent les planches et le frontispice47. Grâce à Ponchartrain48 Coypel put prendre part aux séances de l’Académie où il avait été reçu en 1701. Il est probable qu’il a introduit Simonneau auprès de celui-ci, auquel le graveur souhaita témoigner sa reconnaissance par la dédicace de ces deux estampes, d’autant que le 9 février 1701, le ministre avait écrit à Marc-René d’Argenson pour qu’il oblige les artisans récalcitrants à lui montrer les outils qu’il était chargé de graver pour la Description des Arts et Métiers49.
SOLUTIONS ET COMPROMIS
Comme les privilèges n’étaient pas toujours efficaces pour venir à bout des conflits, les parties étaient parfois amenées à chercher des ententes à l’amiable. Il en fut ainsi le 8 novembre 1653 pour Alexandre Boudan, imprimeur ordinaire du roi pour les tailles douces, qui malgré un privilège obtenu deux an plus tôt50, dut signer un compromis pour mettre fin au procès qui l’opposait au graveur François Langot, qui avait copié deux de ses gravures, un Christ et une Vierge51. Il semble qu’en définitive Simonneau dut composer lui aussi avec certains de ses adversaires. À l’en croire, Gantrel aurait chargé ses héritiers de lui remettre la planche contrefaite. Ce dernier souhaitait-il ainsi mettre fin au procès ? Il est difficile de l’affirmer, car on ne trouve aucune trace de ce souhait ou de ce transfert dans son testament52 ou son inventaire après décès53. Si en effet Simonneau semble être entré en possession du cuivre, car, outre la planche originale de Marthe et Madeleine, une copie figure dans son inventaire après décès54, rien ne prouve qu’il n’ait pas acquis le cuivre en question de Madeleine Boudan (1641-1709), veuve de Gantrel, après le décès de son fils Alexandre-Louis Lenfant survenu le 13 avril 1708.
Le factum ne dit rien de l’issue du procès, mais on sait que Simonneau demanda des dépens et que toutes les estampes contrefaites soient saisies, et sans doute espérait-il aussi la saisie et la destruction des cuivres. Suivant la durée du privilège qui variait le plus souvent de 5 à 12 ans, l’amende pouvait varier, par graveur poursuivi, de 1 500 à 3 000 livres55, auxquelles s’ajoutaient les frais du procès.
On ignore comment l’affaire se termina mais il semble que Simonneau perdit contre Limosin. C’est ce que laisse entendre un extrait des registres du conseil d’État du Roy en date du 9 juillet 1731, concernant un autre procès pour contrefaçon que lui intentait le peintre Nicolas Lancret56 où il est fait mention de l’affaire qui l’avait opposée jadis à Simonneau. On y apprend que le 18 décembre 1714 un arrêt du conseil avait été rendu en sa faveur en raison de lettres de privilèges qui lui avaient été accordées par S.M. le 25 juin 171357. Ainsi une partie du conflit semblait réglée, mais qu’en était-il de celui qui opposait Simonneau à Cars et à Malbouré ? On l’ignore. Simonneau eut-il plus de chance que Lancret ? Le peintre se croyait protégé par son privilège qui
interdisait de graver, vendre, débiter ny contrefaire lesditz ouvrages […] en tout ny en partie, n’y d’en faire aucuns extraits, sous quelque prétexte que ce soit d’augmentation, correction, changement de titre, mesme en feuilles séparées ou autrement, sans la permission expresse et par écrit dud. Sieur exposant […] à peine de confiscation des planches que des épreuves contrefaits et des ustancilles [sic] qui auront servy à ladite contrefaçon, [moyennant] six mille livres d’amende contre chacun des contrevenans.
Or, malgré l’arrêt du conseil privé du roi rendu en sa faveur le 17 mars 1732, ses opposants reconnus coupables de plagiat n’eurent à lui verser que 3 livres de réparation chacun, à l’exception du graveur, Antoine Radigues, qui fut condamné à 20 livres ; on était loin des 3 000 livres demandées par Lancret puisque seul un tiers des 6 000 livres devaient lui revenir ; ses opposants eurent également à charge les 120 livres corresponds aux frais du procès.
Les privilèges étaient-ils efficaces ? Le cas de Simonneau, celui de Boudan et de Lancret, ainsi que les plaintes fréquentes de ceux qui en étaient détenteurs, et cela quelque soit l’époque concernée58, de même que le nombre considérable des copies qui circulent en font douter. Malgré cela, le fait que certains graveurs et éditeurs, parmi lesquels Gantrel59, y aient recouru de façon systématique montre que cette protection devait être une mise en garde suffisamment efficace pour retenir bon nombre de plagiaires. Cependant, pour en juger il faudrait pousser plus avant la recherche et, entre autres démarches, notamment à partir de données statistiques, chercher à évaluer la proportion de gravures avec privilèges qui firent l’objet de contrefaçons par rapport à celles qui en étaient dépourvues ; alors peut-être sera-t-il possible de juger de l’efficacité réelle des privilèges.
Mémoire pour louis simonneau, Graveur, & de l’Académie Royale de Peinture & Sculpture, Demandeur en saisie & confiscation d’Estampes contrefaites au préjudice de son Privilège du grand Sceau, suivant l’Arrest du Conseil du 4 May 1711.
Contre Jean-François Cars, Claude Malbouré, Antoine Herisset, graveurs, & Joseph Limousin Vitrier, Défendeurs.
Signé : Lauthier, sl. Paris imp. de C. Huguier, sd., 3 p. : Tolbiac, FOL-FM-15775
L’affaire qui se présente est tres importante au Demandeur, il s’est attaché dès sa premiere jeunesse à la belle graveure des Estampes, il n’a travaillé toute sa vie qu’après d’excellent Maistres, & il a esté choisi pour dessiner & graver le Recueil qui se fait par ordre du Roy, pour tous les Arts et Mestiers, où il y a déjà un tres grand nombre de Planches faites avec tous les soins imaginables. Il y a environ seize ans que le Demandeur commença de graver deux beaux Tableaux du Sieur Coypel Peintre ordinaire de sa Majesté : l’un qui estoit à feu Monseigneur le Duc de Bourgogne, representoit Marthe & Madeleine aux pieds du Seigneur ; & l’autre la Suzanne entre les deux Vieillards : le nommé Ganterel mediocre Graveur de Theses ayant extorqués de l’Imprimeur de Simonneau une des premieres épreuves de Marthe & Madeleine, il se donna la liberté de la copier pour trait, de la mesme grandeur, & d’y mettre son nom au bas ; Cars l’a gravée de mesme en petit, & y a mis son nom ; Malbouré l’a pareillement gravée, & y a mis encore son nom.
Quant à l’Estampe de la Suzanne, Herisset l’a contrefaite, & y a mis son nom, & s’est accomodé avec Limousin Vitrier, sur qui la saisie d’un grand nombre d’epreuves a esté faite.
C’est ce qui fait le sujet & la matiere de l’Instance dont il s’agit, en laquelle voici comment ces cinq adversaires se défendent.
1°, Ils supposent que Ganterel a gravé sa Thèse de la Madeleine d’après l’original du Tableau de la Madeleine du Sieur Coypel ; ce qui est visiblement contre la vérité, puisqu’il est manifestement justifié qu’elle avoit été contrefaite trait pour trait sur celle du Suppliant ; & la preuve convainquante de ce fait essentiel est qu’elle est venue du costé contraire à celle du Demandeur.
2°, le Sieur Coypel a donné son Certificat, qui a esté produit, par lequel il atteste avoit confié son Tableau original qu’au sieur Simonneau, dans le temps où aucune copie n’en avoit esté faite, et que d’ailleurs l’estampe de Ganterel avoit esté contrefaite trait pour trait sur celle du Sieur Simonneau : ce qui est si vray qu’elle venoit de l’autre costé ; & ce qui en doit mieux convaincre les adversaires, c’est qu’après la mort de Ganterel ses heritiers et Executeurs testamentaires ont remis au sieur Simonneau la planche en question, ce qui doit estre regardé comme une restitution en execution d’une dernière volonté.
3°, les Défendeurs ont tâché de faire entendre qu’ils ne savoient laquelle des estampes de la Madeleine estoit la mieux faite, & avoit paru la premiere ; si celle de Simonneau ou celle de Ganterel, qu’ils avoient copié cette dernière, sur laquelle il n’y avoit pas de Privilege. Mais outre que cette élusion est de tres mauvaise foy, qu’elle a esté détruite à fond au Procés, la seule inspection des Estampes produites découvre le mystère d’iniquité des Défendeurs, qui ont tous contrefait l’Estampe de Simonneau, comme la preuve en est très sensible.
4°, Ils supposent que quand Ganterel publia sa These de la Madeleine, Simonneau n’avoit pas encore obtenu son Privilege pour la sienne, qu’ainsi ils ont commis aucune contravention ; voilà sur quoy ils fondent leur injuste prétention, laquelle n’a rien de solide : la verité est, ainsi que la justification en a esté faite en l’Instance, que le sieur Simonneau avoit obtenu un premier Privilege desdites deux Planches dont est question, le 3 octobre 1706. Comme ces planches n’estoient pas encore lors en état d’estre publiées, parce qu’elles n’estoient pas dans leur derniere perfection, le Demandeur n’en obtint son second privilege que le 14 avril 1709, qui fut enregistré à la Communauté des Libraires, suivant les Reglemens.
5°, le Demandeur a ponctuellement executé ces Reglemens, en ce que il n’a fait paroistre ses Estampes qu’après avoir obtenu le Privilège en 1709, & l’avoir marqué au bas de ses Planches. Quand il seroit vray, (ce qui n’est pas,) que Ganterel aurait contrefait la Madeleine avant que le Privilège du Sieur Simonneau eut esté accordé en 1709, de quel droit avait-il pû copier cette Planche ? Le Sieur Coypel auteur de l’original du Tableau ne luy avoit donné aucun pouvoir ny consentement pour ce faire ; c’estoit donc un pur vol qu’il avoit fait pour tromper le public, non seulement contre le Sieur Coypel, qui avoit fait l’original du Tableau, & contre l’intention de feu Monseigneur le Duc de Bourgogne, qui en estant le proprietaire, avoit interest qu’il n’y eût que de belles Estampes de son Tableau, mais ce vol regardoit encore plus personnellement le Demandeur, parce qu’on luy enlevait injustement par cette multiplication d’Estampes faites sur les siennes, le fruit de ses travaux depuis plus de quinze ou seize ans.
6°, C’est là le veritable sujet de ses justes plaintes ; & quand il serait vray, (ce qui n’est pas,) que Ganterel n’auroit pas copié l’Estampe du Demandeur, les Parties adverses n’auroient pû ni dû contrefaire la mesme Estampe, sans contrevenir à son Privilège du 14 Avril 1709, puisque ce n’est que depuis ce Privilège qu’ils ont copié & vendu leurs Estampes contrefaites.
7°, Ainsi les Défenseurs ne doivent pas estre regardez en ce Procès, que comme des plagiaires, qui pillent hardiment & impunément les ouvrages d’un homme au milieu des ruës de Paris ; ils sont plus, car après l’avoir détroussé, ils sont assez osés pour demander des dépens, dommages & interests contre luy, ce qui passe toute imagination, & paroist estre d’une effronterie sans exemple.
8°, Quant à Limousin Vitrier, il n’est pas moins coupable que les quatre Graveurs autres Parties adverses ; car outre qu’il est receleur du vol qui a esté fait au Demandeur, il y a encore cette observation particuliere à faire, sur ce qu’estant simple Vitrier il vend et fait contrefaire des Estampes dont il y a Privilège, & il en fait graver d’autres où il fait mettre au bas qu’il y a Privilege, quoiqu’il n’en ait obtenu aucun ; ce qui est un abus & un mensonge public, contre les droits du grand Sceau, qui meriteroit une punition exemplaire.
Par toutes ces raisons & considerations, le Demandeur persiste à la confiscation des Estampes contrefaites au préjudice de son Privilege, suivant les fins & conclusions qu’il a prises en l’Instance, et requert dépens.
Monsieur Barillon de Morangis, Rapporteur.
Maistre Lauthier, Avocat.
De l’Imprimerie Charles Huguier, ruë de la Huchette, à la Sagesse
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1 H. Pommier, « Estampes et privilèges sous l’Ancien Régime », 43 pages, dans Privilèges de librairie en France et en Europe (XVIe-XVIIe siècles), dir. E. Keller-Rahbé, Paris, Garnier-Flammarion, 2017, p. 219-288. M. Grivel, « Privilèges et dépôt légal de l’estampe sous l’ancien régime », dans Copyright/copywrong, Actes du colloque Le Mans, Nantes, Saint-Nazaire, février 2000, Nantes, Éditions MeMo, 2003, p. 95-100, notes p. 240-242. K. Scott, « Authorship, the Académie, and the Market in Early Modern France », Oxford Art Journal, 1998, p. 27-41. Le faux dans l’estampe, numéro spécial des Nouvelles de l’estampe, n° 173-174, déc. 2000-févr. 2001. On se reportera également à l’étude d’I. Andreoli (« Heu tu insidiator » Dürer entre copie et contrefaçon », dans Copier et contrefaire. Faux et usages de faux, Actes du colloque organisé par la R.H.LR et la S.F.D.E.S, octobre 2009, dir. P. Mounier et C. Nativel, Paris, Champion, 2014, p. 383-432), qui fait le point bibliographique sur la question du plagiat en Europe.
2 Par K. Scott.
3 H. Pommier, « Estampes et privilèges… », art. cit., et K. Scott, « The Académie, and the Market in Early Modern France », Art Journal, vol. 21, n° 1, 1998, p. 29-41 ; V. Meyer, « Les theses des collèges et des universités à Poitiers aux XVIIe et XVIIIe siècles », Usages de l’image, Revue historique du centre-Ouest, t. IV, 1er semestre 2005, p. 7-160, notamment « Réutilisations et copies », p. 49-55.
4 BnF, Est., Db 8, fol. f° 33.
5 BnF, Est., Db 8, fol. f° 35. Le mémoire est publié à la fin de la présente étude, infra p. 111-113.
6 Il sera directeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1714, puis recteur et premier peintre du roi en 1716. Voir Nicole Garnier, Antoine Coypel 1661-1722, Paris, Arthena, 1989.
7 Il avait été agréé le 28 juin 1698, le même jour que son aîné, mais n’ayant rendu son morceau de réception que cinq ans plus tard il ne fut reçu que le 29 mai 1703.
8 Il est dit graveur du roi en 1682 dans le contrat de mariage d’une de ses cousines : Archives nationales (désormais AN), ET|LVIII|148, 10 mai 1682.
9 Anne Nadeau prépare la publication des catalogues de Charles et Louis Simonneau pour l’édition du Hollstein France.
10 A une date indéterminée, mais avant 1683 date de la mort de Chasteau, éditeur de la gravure, Louis avait exécuté L’Agneau divin immolé symbole du saint sacrement de l’Eucharistie adoré par des anges d’après Antoine Coypel (Albertina, HB 112.1).
11 Voir notamment M. Pastoureau, « Contrefaçon et plagiat des cartes de géographie et des atlas français de la fin du XVIe s. et du début du XVIIIe s », dans Les presses grises : la contrefaçon du Livre, XVIe-XIXe siècle, textes réunis par F. Moureau, Paris, Aux amateurs de livres, 1988, p. 275-302. Vers 1714, il eut à débattre dans une affaire de privilège pour les almanachs qui opposait Gérard Jollain, marchand mercier, imager et graveur à Paris, […] à la veuve de Gabriel Barrême, demanderesse (BnF, Fol-FM-7862) et, à une date indéterminée, il intervînt en faveur de Denis Mariette contre Jean-Baptiste Coignard, son associé, à propos de leur privilège (BnF, Fol-FM-10685).
12 V. Meyer, L’illustration des thèses à Paris dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Peintres, graveurs, éditeurs, Paris, Paris Musées, 2002 (2e partie consacrée à Étienne Gantrel graveur et éditeur de thèses). M. Préaud, « D’Alexandre Boudan à Étienne Gantrel : heurs et malheurs d’une dynastie de graveurs et d’éditeurs », dans Condition sociale de l’artiste, Colloque du groupe des chercheurs en histoire moderne et contemporaine, CNRS, octobre 1985, Saint-Étienne, Presses de l’Université, 1987, p. 29-35. R.-A. Weigert, Inventaire du fonds français, Graveurs du XVIIe siècle, t. IV (Ecman-Giffart), Paris, Bibliothèque nationale, 1961 (désormais abrégé en IFF).
13 IFF, t. II, 1951. Cars édite et grave lui-même des portraits dont beaucoup servirent à illustrer des thèses.
14 AN, AD XI-19, pièce 2, Mémoire de la Communauté des imprimeurs en taille-douce contre les graveurs. Cité par C. Le Bitouzé, M. Préaud et al., Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Promodis, 1987.
15 V. Meyer, « Le commerce des illustrations de thèses dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Quelques documents inédits », Nouvelles de l’estampe, mai 1994, n° 134, p. 40-49.
16 Dictionnaire des éditeurs…, op. cit.
17 Ibid.
18 Il est mentionné le 11 novembre 1738 dans un arrêt du conseil d’État du roi à propos des verres blancs en table « propres à mettre sur des Estampes & peintures en pastel » et des droits d’entrée dans le royaume, sur le pied de trente livres du cent pesant, conformément aux Arrêts du Conseil des 29 mai 1688 et 7 septembre 1727 (Recueil des édits, déclarations, arrêts et règlemens postérieurs au tarif de 1664, Rouen, 1758, t. 2, p. 322).
19 BnF, Est., AA3 Hérisset ; IFF, t. V, 1968, n° 97.
20 Ces gravures ne sont mentionnées par aucune autre source. Cependant la planche de Cars pourrait être une de celles qui est évoquée sans nom de peintre dans le Catalogue des sujets de thèses formant le fonds général de Feu M. Cars, graveur du Roi acquis par Babuty libraire, Paris, 1771, p. 1, IV 54, V 22, 23, et 24 (Notre seigneur chez Marthe et Marie ; Marthe et Marie aux pieds de Notre Seigneur) ; d’autres apparaissent encore sous différents formats, p. 14, (sic, n° 6, XII, 26, 27). On remarquera que Cars possédait également la Chaste Suzanne d’après Coypel (f. 1v°). Précisons que beaucoup de gravures de thèses sont devenues extrêmement rares.
21 A. de Montaiglon, Correspondance des directeurs de l’académie de France à Rome, Paris, Charavay frères, 1887, t. 2 (1694-1699), p. 247.
22 M. Grivel, Le commerce de l’estampe à Paris au XVIIe siècle, Genève, Droz, 1986, p. 83-122.
23 État avant le rideau et avant toute lettre signalé par Benard en 1810, dans le cabinet de Paignon Dijonval avec un état avant la lettre mais avec le rideau (Cabinet de M. Paignon Dijonval […] rédigé par M. Bénard, Paris, De l’imprimerie de Madame Huzar, 1810, p. 268, n° 768). Le British Museum possède également une épreuve de l’état avant toute lettre et les armoiries (Londres, British Museum, 1917,1208.1552).
24 Il avait commencé en 1694 à dessiner et graver les planches en question et il y travailla jusqu’en 1719. Madeleine Pinault-Sorensen, Dessin et sciences, XVII e-XVIII e s., Paris, RMN, 1984.
25 Dictionnaire universel, La Haye, Arnout et Reinier Leers, 1690, t. 1, non paginé. Remarquons que le mot plagiat n’y figure pas.
26 La Haye, 1690, t. 1, p. 642.
27 Ibid., t. 3, non paginé.
28 La copie est très souvent inversée, car le copiste travaille en général son cuivre sans procéder à l’inversion de la composition originale, l’épreuve, au moment du tirage, venant de ce fait à l’envers de ce qui est gravé sur la planche.
29 Rappelons cependant que l’apprentissage de la gravure comme celui du dessin ou de la peinture, passe par la copie ; que de la copie naît l’émulation et l’invention, et donc que toute copie n’est pas frauduleuse.
30 Lauthier emploie le verbe piller : « ceux qui pillent hardiment & impunément. »
31 Sur la question des privilèges, P. Fuhring, « The print Privilege in eighteenth-century France I », Print Quarterly, vol. III, n° 1, march 1986, p. 19-34 et « The print Privilege in eighteenth-century France II », Ibid., vol. II, n° 3, sept. 1985, p. 175-193.
32 N. Garnier, Antoine Coypel…, op. cit, [note 6], cat. 105, n° 299 ; l’original est perdu.
33 « Louis Simonneau qui les vend à Paris rüe St.-Victor devant le Collège du Cardinal le moine Avec Privilege du roy. 1695 » (BnF, Est., Db 8, fol. f° 35).
34 La dédicace disparaît dans le 4e état (Albertina, HB 112.1, n° 10, p. 42). Puis c’est l’adresse qui est modifiée dans l’état suivant : « gravé par Louis Simonneau, qui les vend à Paris ruë des Bernardins chez Mr. Gosset […] » (BnF, Est., Db 8 fol. 33) chez qui Louis, qui ne possède pas de boutique vend ses gravures. Dans le 5e état, le nom et l’adresse de « Mr Favier » remplacent ceux de Gosset (BnF, Est., Ra 8 fol. t. 7) ; au 6e état l’éditeur a de nouveau changé « A Paris chés Roguié rue St. Jacques au Boisseau d’Or. C.P.R. », BnF, Est., AA3 Simonneau.
35 Albertina, HB 112.1, n° 10 p. 41.
36 Précisons que Pierre Roguié (v.1713-apr. 1753), graveur sur bois, marchand et éditeur d’estampes, qui acquit probablement le cuivre de Philippe Simonneau (1685-ap. 1753), neveu et héritier de Louis, au 6e état supprima la date mais conserva la mention du privilège (BnF, Est. AA3 Simonneau). En avait-il pris un nouveau ou conserva-t-il abusivement l’ancienne mention ? Le fait de supprimer la date ne permettait-il pas de masquer en partie la supercherie ? Le 20 janvier 1720, le cuivre avait été évalué 250 lt dans l’inventaire après décès de Marie-Geneviève Galland, l’épouse de Louis Simonneau (AN, MC ET/XXXVI/374, fol. 7).
37 M. Grivel, « Privilège… », art. cit. [note 1], p. 98.
38 Lorsque le privilège était éteint les éditeurs et les graveurs pouvaient donc s’emparer de la composition en toute légalité, et c’est ce que fit Jacques Chéreau qui, à Paris vers 1740-1760, édita une interprétation anonyme, en hauteur mais dans le même sens, de Suzanne et les vieillards (Voir, Pascale Cugy, Georgina Letourmy, Vanessa Selbach, « Les estampes habillées », acteurs, pratiques et publics en France aux XVIe et XVIIe siècles », Perspective, Actualité en histoire de l’art, 1/2016, p. 162-170 ; pl. 2). Le privilège, qui ne concernait que la France n’était d’aucune utilité lorsque les copies paraissaient à l’étranger. Simonneau eut-il vent de celle inversée de Marthe et Marie gravée par William Faithorne le jeune, éditée à Londres chez Edward Cooper entre 1690 et 1703 (British Museum 1881,0611.255) ? Preuve du succès et de la diffusion de Suzanne et les viellards, en 1719 au plus tard, à Amsterdam, Pieter Schenk (1660-1718/19) grava lui-même et édita avec privilège, une version en hauteur, et dans le même sens mais en manière noire, de la gravure de Simonneau en omettant cependant le nom du peintre (British Museum, 1876,1014.172).
39 A. Tuetey, « Un procès de Rubens à Paris contre le graveur allemand Jacques Honervogt », Bulletin de la Société histoire de l’art français, 1915-1917, p. 34-41.
40 Code de la librairie et Imprimerie de Paris ; ou conférences du Règlement Arrêté au Conseil du Roy, le 28 février 1723 Et rendu commun pour tout le Royaume, par Arrêt du Conseil d’Etat du 24 Mars 1744… Paris, C.-M. Saugrain, 1744, p. 414 ; l’arrêt du 17 oct. 1704 reprenait en partie celui du 11 sept. 1703.
41 Estampes de privilège ou provenantes des dépôts faits en exécution des loix concernant les auteurs desposées par maîtres suivant l’ordre alphabétique, BnF, Est., rés Ye-9-Pet. fol.
42 P. Furhing, « The Market for Prints under Louis XIV : Charles Le Brun », Print Quarterly, 2002, vol. 19, n° 1, p. 3-11, p. 4.
43 Code de la librairie…, op. cit., [note 35], p. 462 ; il venait rappeler l’arrêt du conseil du roi du 22 décembre 1667 qui interdisait à quiconque de graver les plans et élévations des maisons royales et biens de la couronne sans l’accord préalable de Colbert.
44 La lettre de la gravure indique que « Le Tableau est à Versailles dans le / grand Cabinet de Monseigneur le Duc de Bourgogne ». Rappelons que le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, fut le père du futur Louis XV.
45 N. Garnier, Antoine Coypel…, op. cit, [note 6], fig. 299.
46 Découvert après la rédaction du catalogue de l’œuvre de Coypel par Nicole Garnier-Pelle (ibid., n° 54), le tableau est conservé à la Résidence de Munich (Poussin, Watteau, Chardin, David, La peinture française dans les collections allemandes XVIe-XVIIIIe siècle, dir. P. Rosenberg, Paris, Grand Palais, 18 avril-31 juill. 2005, n° 29, p. 205, ill.). L’œuvre connaissait un vif succès. En 1695, l’abbé Ménard de Tiffauges lui consacra un « Poeme pour le tableau Suzanne accusée » dédié au cardinal d’Estrées, où il mentionnait que le duc de Chartres et M. de Pontchartrain ont été le voir ; ce poème fut cité en janvier 1697, et en septembre 1722 dans le Mercure de France (p. 266-270, 23-30). La gravure de Simonneau est en contrepartie.
47 Ils travaillent ensemble à cet ouvrage avec Benoît Audran, qui grava surtout d’après les dessins de Leclerc, et Gérard Edelinck qui exécuta les portraits du roi. Charles et Louis en réalisent près de la moitié, soit 141 sur les 286 médailles de la première édition, majoritairement d’après les dessins d’Antoine Coypel. Ils fournissent le premier essai le 11 novembre 1696. Ils y travaillent encore en 1722 pour la seconde édition parue en 1723. Louis ne grava que 30 médailles pour la première édition mais il fut chargé de graver les culs-de-lampes et les cadres d’après Jean Berain. Quant à Charles, il réalise le frontispice d’après Antoine Coypel. Josèphe Jacquiot, Médailles et jetons de Louis XIV d’après le manuscrit de Londres, Paris, Imprimerie Nationale, 1968.
48 Il est difficile de décider qui de Jérôme ou de son père Louis II (1643-1727) est le protecteur de Coypel, car tous deux ont été responsables de l’Académie des inscriptions et belles lettres et se sont tous deux retirés des affaires en 1714. Le père avait fondé l’Académie des inscriptions mais il en avait confié la responsabilité à son fils jusqu’en 1697 (voir Histoire de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles Lettres, Paris, Imprimerie Royale, 1717, p. 7 ; C. Frostin, Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV, Rennes, PUR, 2006).
49 C. Frostin, Les Pontchartrain…, op. cit., p. 341.
50 AN, MC/ET/XI/159. Le privilège avait été pris en décembre. Cité par Simon Lhopiteau, Pierre Daret, étude monographique et catalogue de son œuvre, thèse, Université Paris IV, 2005, t. II, p. 499.
51 Boudan avait fait saisir les planches contrefaites ; on avait nommé des arbitres : Bosse et Lasne pour Boudan, Le Blond et Moncornet pour Langot, et les parties devaient s’en remettre à l’avis qui devait être donné dans les quinze jours, mais on ignore quelle fut la décision finale. Notons avec R.-A. Weigert que Langot s’était fait une spécialité de reproduire « des travaux exécutés par des burinistes notoires, étrangers ou français » (IFF, t. VI, 1973, p. 421).
52 Archives de la Seine, Dc6-209 (Gantrel, f. 286 ; sa veuve, f. 197).
53 AN, MC/ET/XLIII 264. On trouve au moins deux cuivres sur ce thème, sans qu’il soit possible de préciser lequel correspond à la gravure incriminée, car aucun nom de peintre n’est mentionné. Figurent ainsi une « Marthe » estimée 50 livres tournois parmi les « Pièces à trente cinq », et une autre « estimée 30 livres » parmi les pièces à seize (f. 22).
54 AN, MC/ET/XLIX/520, 18 février 1727.
55 Selon le règlement, un tiers lui serait revenu et les deux autres tiers au roi et à l’hôpital général.
56 Avec d’autres éditeurs, Sirois, Gautrot et Radigue, il avait du se défendre contre une plainte déposée par le peintre Nicolas Lancret pour avoir copié sans son autorisation la gravure de la Camargot, sans doute celle de Laurent Cars, alors qu’il avait obtenu le 6 août 1730 un privilège de six ans pour l’interprétation de 25 de ses tableaux.
57 Mentionné dans J. Guiffrey, « l’Éloge de Lancret, peintre du Roy par Ballot de Sovot », Bulletin de la Société d’histoire de l’art Français, 1874, p. 74-76.
58 Voir V. Meyer, Les tribulations du graveur hollandais Simon Frisius chez les calligraphes parisiens. In Bulletin du Bibliophile 2006/2, p. 245-313, et « Heurs et malheurs d’un interprète de Gérard : le peintre et graveur Jean Godefroy », Bulletin de l’AHAI, n° 11, 2005, p. 80-110.
59 Voir dans le registre des Estampes de privilège ou provenantes…, op. cit. [note 41] les f. 42-45 qui concernent les seules gravures éditées par Gantrel, qui réapparaît encore à propos de gravures d’après Nicolas Poussin (f. 115-118), d’après Le Sueur (f. 139), et à propos de portraits (f. 355).