Tendances actuelles de la recherche en histoire du livre en Europe centrale
Un panorama des publications des quinze dernières années
István MONOK
Au cours des dernières décennies, plusieurs entreprises importantes en histoire de livre ont été lancées dans les pays d’Europe centrale. Relevant de la recherche fondamentale, elles sont aussi en rapport avec l’adaptation des catalogues aux exigences du monde numérique. Les rétroconversions, fournissant sans doute quelques informations, paraissent à première vue plus utiles qu’elles ne le sont en vérité – cataloguer à nouveau demeure un procédé beaucoup plus efficace. L’exploration systématique des sources de l’histoire du livre et des bibliothèques, leur enregistrement et leur publication sous forme électronique constituent un impératif. Quelques initiatives de synthèse ont été prises au niveau européen (ISTC, CERL, etc.), et les perspectives qu’elles ont ouvertes ne manquent pas d’encourager les contributions et les usages.
On regrettera que les dirigeants de notre Europe commune aient parfois préféré accorder les subventions aux responsables technologiques du travail (donc aux entreprises) plutôt qu’aux établissements (de recherche ou de conservation) concernés. Il y a néanmoins de quoi être fier, puisqu’il existe partout des bibliothécaires, des chercheurs et des éditeurs engagés qui exercent une grande pression sur le décideurs en vue d’obtenir des subventions leur permettant de publier les résultats de leurs travaux.
Il y a quelques années (en 2001), j’ai présenté une partie de ces résultats, qui concernaient surtout l’histoire du livre dans le bassin des Carpates au début de l’âge moderne1. Depuis lors, j’ai publié plusieurs comptes-rendus, mais je pense qu’il n’est pas inutile de fournir une nouvelle synthèse des tendances qui se manifestent dans la recherche la plus récente (je ne renverrai que très rapidement aux livres déjà présentés).
SLOVAQUIE
Dans les dernières décennies, nos collègues de Slovaquie se sont engagés dans plusieurs opérations d’envergure, coordonnées par leur Bibliothèque nationale. L’une des plus importantes est la continuation de la bibliographie rétrospective slovaque. Les six volumes qui portent sur le XVIIIe siècle ont déjá vu le jour (Bibliografia územne slovacikálnych tlačí 18. storočia. Seria A. Knihy. Zväzok I-VI, Sost. Agáta Klimeková, Eva Augustínová, Janka Ondroušková, Martin, 2008, Slovenská národná knižnica). Les ouvrages ici décrits font aussi partie de la bibliographie rétrospective hongroise, la collaboration entre les deux équipes de recherche – slovaque et hongroise – étant en la matière exemplaire.
L’autre programme vise le catalogage uniforme des 27 000 imprimés du XVIe siècle conservés dans les bibliothèques publiques du pays, et la publication des catalogues par collections. Quatorze volumes ont été prévus, complétés par un quinzième comprenant un index général au format STC (short-title catalogue).
Le projet initial prévoyait de répartir le corpus de la Bibliothèque nationale de Slovaquie en plusieurs volumes, en séparant les livres provenant de la bibliothèque des Franciscains de ceux provenant des collections nobiliaires ; les livres de Presbourg (Pozsony, Pressburg, Bratislava) auraient constitué trois volumes (Bibliothèque Universitaire, collection du Lycée luthérien et autres bibliothèques) ; Késmárk (Käsmark, Kežmarok), Cassovie (Kassa, Kaschau, Košice), Eperjes (Eperiesch, Prešov) et Lőcse (Leutschau, Levoča) auraient bénéficié chacun d’un volume. Par la suite, les autres matériaux des bibliothèques de Slovaquie occidentale, centrale et orientale auraient constitué un volume pour chaque région. Ce projet original a en grande partie été réalisé, tandis que d’autres catalogues voyaient aussi le jour (de ces derniers nous avons rendu compte dans notre synthèse citée plus haut). On peut néanmoins observer un certain nombre de modifications structurales, que j’exposerai ici (en latin pour en faciliter la compréhension) :
Catalogus generalis operum impressorum saeculi XVI quaeI in Slovacia asservantur
Tomus I : quae in Bibliotheca nationali Slovaca societatis Matica slovenská Martini asservantur (1993)
Tomus II : quae in bibliothecis Ordinis Scholarum Piarum asservantur (1997) (Podolin, Privigye, Szentgyörgy et Nyitra)
Tomus III.a : quae in bibliothecis Ordinis Franciscanorum asservantur (2014)
Tomus III.b : quae in Bibliotheca Banikiana asservantur (2005)
Tomus IV (en préparation)
Tomus V.a : quae in Bibliothecis Neosolii asservantur (2012)
Tomus VI (en préparation)
Tomus VII (en préparation)
Tomus VIII (en préparation)
Tomus IX.a : quae in Bibliotheca Ordinis Scholarum Piarum Trenschiniensis asservantur (1996)
Tomus IX.b. : quae in Bibliothecis Tyrnaviae asservantur (1998)
Tomus IX.c : quae in Bibliotheca dioecesiana Nitriae asservantur (2000)
Tomus IX.d. : quae in bibliothecis regionis dioecesisque Nitrienses asservantur (2013)
Tomus X (en préparation)
Tomus XI.a : quae in Bibliotheca publica Litterarum ac Scientiarum Cassoviensi asservantur (2010)
Tomus XII.a : quae in Bibliotheca Collegii Lutherani et in Bibliotheca publica in Eperies asservantur (2003)
Ces volumes offrent une description standardisée des livres : les ouvrages et les éditions y sont non seulement identifiés, mais aussi dotés de numéros internationaux de référence. Les éditeurs publient toutes les notes manuscrites qui éclairent l’histoire des exemplaires, même celles relatives à des faits extérieurs aux frontières actuelles de la Slovaquie (ceci veut dire que les éditeurs ont rompu avec la pratique précédente, fondamentalement anhistorique, excluant les notes « étrangères »). Des index de très grande qualité facilitent l’orientation du lecteur (l’ordre des descriptions étant l’ordre alphabétique des auteurs) : index des collaborateurs figurant sur les pages de titre ; index des noms figurant dans les préfaces, dans les dédicaces et dans les poèmes occasionnels ; index topographique des imprimeurs et des imprimeries ; index nominal des imprimeurs et des éditeurs ; registre nominal des anciens propriétaires ; index chronologique et enfin index linguistique.
On trouvera en annexe la liste des volumes ayant vu le jour après 2001 ; quant aux volumes les plus récents, en voici une rapide présentation.
– Lívia Fábryová, Tlače 16. storočia v knižniciach nitrianskeho samossprávneho kraja a nitrianskej diecézy. Opera impressa saeculi XVI quae in bibliothecis regionis dioecesisque Nitriensis asservantur, Martin, Slovenská národná knižnica, 2013, 384 p. (Generálny katalóg tlačí 16. storočia zachovaných území slovenska.
– Catalogus generalis operum impressorum saeculi XVI quae in Slovacia asservantur, Tomus IX. d.)
Les 587 exemplaires signalés se répartissent en quatre bibliothèques : la bibliothèque diocésaine de Nyitra (Nitra, Diocézna knižnica) ; la collection de l’ordre des piaristes, dans la même ville (Nitra, Piaristická knižnica) ; le « Musée danubien » de Komárom (Komárno, Podunajské múzeum) ; et enfin, à Appony, la collection conservée dans le château restauré de la famille Apponyi (Oponice, Aponiovská knižnica). Il convient de préciser que, pour se familiariser avec les livres des piaristes de Nyitra, nous devons utiliser le deuxième volume de la collection conjointement avec le volume ici présenté. Le deuxième volume renferme les livres transportés à Túrócszentmárton (Martin), à la bibliothèque de la Matica Slovenská (actuelle Bibliothèque nationale de Slovaquie), tandis que les livres restés à Nyitra figurent dans notre catalogue.
Des imprimés du XVIe siècle sont conservés dans les bibliothèques de moindre importance. Parmi les établissements en question, on trouve la bibliothèque du Musée agricole de Nyitra (Nitra, Slovenské poľnohospodárske múzeum), les Archives municipales de la ville (Nitra, Štátny archív) et la paroisse catholique (Nitra, Rímskokatolicke fary). À Léva, ce sont le Musée du comitat de Bars, fondé par le maître des postes József Nécsey en 1927 (Levice, Tekovské múzeum) et les Archives municipales (Levica, Štátny archív). À Érsekújvár, le Musée municipal (Nové Zámky, Múzeum), à Trencsén, le Musée et les Archives municipales (Trenčín, Múzeum, Štátny archív). À Tapolcsány, le Musée des Monts Trebics (Topoľčany, Tribečské múzeum), à Szakolca, le Musée Hegyhát (Skalica, Záhorské múzeum), et le château des Pálffy à Bajmóc (Bojnice, Zámok). Comme les établissements en question ont été fondés aux XVIIIe et XIXe siècles, les chercheurs intéressés par l’histoire de la lecture au début de l’âge moderne trouveront peu d’éléments significatifs dans les notes des possesseurs. Par contre, les volumes conservés dans les collections majeures de Nyitra constituent des sources indispensables pour les recherches locales en histoire ecclésiastique.
– Klára Komorová, Helena Saktorová, Tlače 16. storočia vo františkánskych knižniciach. – Opera impressa saeculi XVI quae in bibliothecis Ordinis Franciscanorum asservantur, Martin, Slovenská národná knižnica, 2014, 706 p. (Generálny katalóg tlačí 16. storočia zachovaných území slovenska. Catalogus generalis operum impressorum saeculi XVI quae in Slovacia asservantur, Tomus III.)
L’ensemble des livres confisqués après la Seconde Guerre mondiale dans les maisons de l’ordre franciscain situées sur le territoire de la Slovaquie actuelle et conservés à la Bibliothèque nationale du pays, constitue une collection de 2 300 volumes. Ce n’est pas seulement le nombre important de livres anciens qui en fait une collection particulièrement intéressante : en général, les livres conservés dans les maisons franciscaines renferment beaucoup de notes manuscrites. Il y a deux raisons majeures à cela : premièrement, les Franciscains utilisent les livres, mais ne les possèdent pas (ad usum), ce qui veut dire que la plupart des livres circulent entre plusieurs maisons. Or, les lecteurs ne manquent pas de signaler le fait qu’ils s’en sont servi. Deuxièmement, contrairement aux Jésuites hongrois de la Provincia Austriaca, les Franciscains avaient plusieurs provinces à l’intérieur du royaume de Hongrie (Salvatoriens, Marianes et Ladislaites) et une province en Translyvanie (Province Saint-Étienne). Il s’ensuit qu’à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, les familles aristocratiques, mécontentes de la politique des Habsbourg à l’égard des Ottomans, se tournèrent vers les Franciscains. La raison principale de leur popularité est que l’ordre s’occupait systématiquement des fidèles, nobles ou roturiers. Les grandes familles ont pris l’habitude de donner à l’ordre les livres les plus anciens conservés dans leurs bibliothèques, ce qui fait que beaucoup de livres imprimés au XVIe, mais hors d’usage au XVIIIe siècle, ont été conservés chez les Franciscains.
Dans la table des provenances du catalogue, figurent plusieurs maisons des frères franciscains, ce qui permettra aux chercheurs – à condition d’utiliser conjointement les index des autres volumes – de reconstituer les lectures de plusieurs personnages d’importance. Les plus connus d’entre eux, auteurs d’ouvrages théologiques ou historiques, sont Bálint Nádasdy, Imre Újlaki Imre, Jakab Dúsi et Mihály Somlyai.
Des aristocrates, membres des familles Batthyány, Rákóczi, Révay, Forgách, Thurzó ou Czobor, apparaissent comme possesseurs dans beaucoup d’exemplaires. La présence de la petite ou moyenne noblesse – les Kecskés, les Bornemisza, les Kopcsányi, les Listi, les Apponyi ou les Telegdi – témoigne de la généralisation progressive de la culture nobiliaire. Puisque la plupart de ces familles ont appartenu au XVIe siècle à la confession réformée, on trouve dans leurs bibliothèques un nombre élevé de livres provenant des pasteurs (István Beythe István ou János Kanizsai Pálfi). La présence des érudits catholiques n’a rien de surprenant : pensons à quelques magnats et moines auteurs d’importants ouvrages : András Monoszlóy, Zakariás Mossóczy, Demeter Náprágyi, György Káldi, János Kitonich, János Kutasi ou István Hajnal, etc. On trouve dans la collection quelques volumes ayant appartenu à des personnages de renom international, tels Johannes Eck ou Johann Fabri.
Pour l’auteur de ces lignes, les monuments de l’humanisme relatifs au royaume de Hongrie conservés dans les bibliothèques franciscaines, sont au moins aussi intéressants que ceux déjà présentés. Prenons des exemples dans la première moitié du XVIe siècle : ce sont Johann Henckel, aumônier de Marie de Habsbourg, le chroniqueur Stephanus Brodaricius, et, enfin, Leonhard Stöckel, fondateur de l’école humaniste de Késmárk. Les notes de la main de Nicolaus Olahus, archévêque d’Esztergom et mécène, et de Nicolaus Ellebodius, philologue flamand établi en Hongrie, sont d’un intérêt particulier. On y trouve aussi quelques auteurs-possesseurs hongrois : Balázs Apponyi, le poète Bálint Balassa, l’historien Elias Berger, l’auto-biographe Ferenc Wathay, puis Mihály Vörösmarty (qui nous a légué l’histoire de sa conversion), l’imprimeur Lőrinc Ferenczffy et, enfin, le traducteur János Laskai.
N’oublions pas que, pris ensemble, ces livres constituent une source importante pour l’étude des bibliothèques des maisons franciscaines. Ils complètent donc de manière efficace les volumes publiés en Hongrie (dans la collection Adattár 16-18. századi szellemi mozgalmaink történetéhez) comprenant les catalogues franciscains des XVIe-XVIIe siècles : Katolikus intézményi könyvtárak Magyarországon : 1526-1726 : Jegyzékszerű források [Bibliothèques institutionnelles catholiques en Hongrie, 1526-1726. Sources et registres, éd. Edina Zvara, Szeged, 2001, 499 p. (Adattár, 19/1)] ; Katolikus intézményi könyvtárak Magyarországon : Ferences könyvtárak 1681-1750. Plébániák és más rendházak könyvtárai [Bibliothèques institutionnelles catholiques en Hongrie : bibliothèques franciscaines 1681-1750. Paroisses et maisons d’autres ordres], éd. Edina Zvara, Budapest, OSZK, 2008, 399 p. (Adattár, 19/3.)
Continuons avec deux ouvrages très utiles fournis par nos collègues de Slovaquie : il s’agit de deux albums illustrés. Le premier présente les livres d’emblèmes de la Bibliothèque universitaire de Presbourg : 224 titres en 259 éditions, par 99 auteurs et en 11 langues. Après une brève introduction, le lecteur y rencontrera beaucoup d’illustrations et quelques courtes biographies d’auteurs. Les photos sont de très grande qualité : les notes manuscrites étant lisibles, le volume pourra servir aux recherches de provenance. On peut regretter que, malgré la présence de notes manuscrites, l’auteur n’ait nullement étudié la manière dont les livres d’emblèmes ont été utilisés localement (Klára Mészárosová, Emblémové knihy Univerzitnej knižnice v Bratislave. Emblem Book’s in the University Library in Bratislava, Bratislava, 2011, 303 p., Univerzitná knižnica v Bratislave). L’autre album recense les 516 incunables conservés à la bibliothèque nationale de Túrócszentmárton (Martin, Turčiansky Svätý Martin). L’objectif de l’auteur a été de rendre compte de l’intérêt de la collection en question, et de fournir une présentation historique de l’art typographique au XVe siècle.
Ľubomír Jankovič, Inkunábuly. Umenie európskych knižných tvorcov 15. storočia v zbierke Slovenskej národnej knižnice, Martin, 2014, 358 p. (Slovenská národná knižnica).
Ce volume s’organise selon une logique empruntée à l’histoire de l’art. L’auteur présente en cinq chapitres les illustrations et la reliure des premiers livres imprimés. Il ouvre sa présentation par les exemplaires enluminés. Le troisième chapitre, consacré aux xylogravures, est le plus volumineux : cela ne saurait nous étonner, étant donné que la plupart des illustrations d’incunables sont gravées sur bois. Nous connaissons quelques rares exemples où les gravures sont peintes. Le plus connu des livres évoqués dans ce chapitre est la Chronica Mundi de Hartmann Schedel, mais il convient de noter aussi la Chronica Hungarorum (1488) de János Thúróczi. Le quatrième chapitre met en vedette un domaine quelque peu négligé dans la recherche : celui des marques d’éditeurs et d’imprimeurs. Enfin, le cinquième chapitre concerne l’histoire des ateliers majeurs de reliure, dont la production est aujourd’hui conservée à la Bibliothèque nationale de Slovaquie.
Je me permets d’évoquer rapidement deux monographies importantes concernant l’histoire slovaque des bibliothèques : je les ai présentées en détail dans mes comptes-rendus déjà parus (Komorová, Klára, Knižnica Zachariáša Mošovského. Martin, 2009, Slovenská národná knižnica ; compte-rendu dans HCL X, 2014, p. 467-469 ; Saktorová, Helena, Turzovské knižnice. Osobné knižné zbierky a knihy dedokované členom rodu Turzovcov. Martin, 2009, Slovenská národná knižnica ; compte-rendu dans HCL XI, 2015, p. 359-361.). Dans la plupart des cas, ce sont les disciples de ces deux auteurs qui continuent les travaux systématiques de catalogage, travaux dont les résultats paraissent soit dans la collection déjá évoquée, soit dans des publications locales dont la liste figure en annexe infra.
Ces dernières années, la revue Kniha a entrepris de publier les actes des colloques organisés par les bibliothécaires et les historiens du livre. L’éditeur de la revue – célébrant le 40e anniversaire de sa fondation – est la Bibliothèque nationale de Slovaquie, à Martin. Dans sa dernière parution (Kniha 2014, parue en 2015) on peut trouver une récapitulation de l’histoire de la revue, par Helena Saktorová. Accompagnés de quelques comptes rendus et de commémorations, les travaux du colloque de Presbourg (avril 2014) sur Les recherches en histoire du livre en Slovaquie et en Europe Centrale (Výskum dejín knižmej kultúry na Slovensku a v Stredœurópskom priestore) y sont aussi présentés. La participation de chercheurs slovaques, tchèques, slovènes, polonais et hongrois a permis de présenter plusieurs grands travaux en cours. La méthodologie de ces programmes est conforme aux procédures des grandes bases de données européennes et, comme les exemplaires conservés dans les maisons d’ordre ou dans les collections des grands seigneurs ont été dispersés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il est d’autant plus important de pouvoir reconstituer la situation ancienne : d’où l’intérêt des vastes programmes de catalogage.
Certes, le programme Provenio2 vise avant tout la reconstitution des lectures de personnages d’importance (Jaroslava Kašparová), mais il permet aussi – et c’est son intérêt collatéral – d’étudier les habitudes et les pratiques de lecture de quelques « inconnus ». De nombreux programmes de recherche semblables, ayant pour objectif l’étude des patriotica de telle ou telle nation, se déroulent actuellement entre Cracovie et le Bánát. Quel que soit leur objectif précis, ce n’est pas leur intitulé qui compte, mais le fait que les données qu’ils accumulent soient bientôt repérables via une interface commune de recherche. Le patrimoine culturel des nations du XXIe siècle n’est pas un patrimoine exclusivement national : ce que les Tchèques ou les Slovaques considèrent comme leur patrimoine culturel, l’est sans doute aussi pour un allemand, pour un hongrois et pour tant d’autres également. Nous ne voulons pas trop insister sur l’anachronisme de l’intitulé du projet de recherche en cours dans le Bánát (Livres anciens tchèques et slovaques au Bánát – Jaromír Linda, Zuzana Čižiková) : mais on ne saurait nier qu’il est anachronique d’affirmer que les livres parus à Nagyszombat en latin, en allemand ou en hongrois soient des livres « slovaques », tout comme les livres parus en slovaque à Buda. Ce qui importe vraiment, c’est que les fonds des bibliothèques encore jamais exploitées soient signalés dans une base de données accessible à tous les chercheurs, permettant ainsi la préparation d’une grande histoire des bibliothèques dans le bassin des Carpates.
Évoquons maintenant une étude de synthèse remarquable, en anglais, par Aleksandra Vranes : The history of the book culture in the Balkans and its relationship to Central Europe. Certes, on peut se demander si la Croatie ou la Slovénie appartiennent vraiment aux Balkans, mais cette remarque critique n’affecte en rien l’excellente opinion que nous avons de ce texte qui peut servir comme point de départ pour tous ceux qui veulent s’orienter dans les recherches en cours. Toutefois, au lieu de fondre ensemble des territoires assez divers du point de vue culturel, l’auteur aurait dû accorder une attention particulière aux résultats de l’histoire croate du livre (imprégnée d’une forte conscience nationale, mais nullement chauvine) : on verra par exemple l’exposition très réussie présentée à Berlin en 2002 (Drei Schriften – Drei Sprache. Kroatische Schriftdenkmäler und Drucke durch Jahrhunderte. Ausstellung in der Staatsbibliothek zu Berlin Preussischer Kulturbesitz. 26. April-8. Juni 2002, éd. Anca Nazor, Josip Bratulić, Mirko Tomasović, dir. Josip Stipanov, Zagreb, 2002, 232 p., Erasmus naklada ; compte-rendu dans HCL I, 2005, p. 352-357), ou encore l’excellent catalogue des livres du XVIe siècle conservés à la Bibliothèque archiépiscopale de Zagreb (Katalog kniga XVI. st. u Metropolitanskoj Knjižnici u Zagrebu, éd. Vladimir Magić, Zagreb, 2005, 719 p., Hrvatski državni archiv.)
Dans l’édition de 2014 de la revue Kniha, en dehors des travaux du colloque en question, on trouve quelques intéressantes études de cas, analysées du point de vue de l’histoire du livre, de l’édition, de l’illustration et de la lecture. La plupart des études ont paru en langue slovaque, mais quelques-unes sont en anglais. Ajoutons que la jeune génération des historiens slovaques du livre a lancé une nouvelle revue spécialisé : La Studia Bibliographica Posoniensia paraît annuellement depuis 2006, grâce aux soins de la bibliothèque universitaire de Presbourg (Univerzitná knižnica v Bratislave) ; elle est aussi accessible en ligne en open access3.
ROUMANIE
Les historiens du livre de Roumanie organisent une rencontre annuelle. En fonction de leurs possibilités financières, ils s’efforcent de publier (dans les revues spécialisées, comme la Revista română de istorie a cărţii 4 ou dans les annales de musées) les travaux de ces colloques, organisés sous l’égide de l’Association des bibliothécaires.
En Transylvanie, l’Association pour la littérature et la culture roumaines (Asociaţiunii transilvane pentru literatura română şi cultura poporului român, ASTRA), fondée en 1861, a lancé la revue Revista Transylvania. Le numéro 6-7 de l’année 2015 a été consacré á l’histoire du livre : les travaux du VIIIe Colloque d’histoire du livre (organisé à Gyulafehérvár-Alba Iulia en 2014) y sont publiés (Bibliologie şi Patrimoniu Cultural Naţional. Noi dimensiuni în cercetarea cărţilor româneşti vechi (1691-1830), Ediţia a VIII-a). Les rédacteurs de ce numéro spécial, Eva Mârza et Ana Maria Roman-Negoi, sont les organisteurs du colloque. Les seuls intervenants du colloque venus de l’étranger furent les chercheurs tchèques et slovaques qui analysèrent la description que Mátyás Bél (1684-1749) avait fournie du comitat de Nyitra.
Les conférenciers ont abordé le problème du patrimoine livresque sous plusieurs angles. Un intervenant a étudié la culture des étudiants originaires de la ville de Torda (Thorenburg, Turda) inscrits dans des universités étrangères entre 1700 et 1830 ; un autre a étudié les cours dispensés dans les écoles à la frontière hongroise (ungarische Grenzgebiet zum Osmanischen Reich) ; un troisième a consacré son intervention à l’étude des aspects culturels de la formation de l’identité nationale roumaine au XVIIIe siècle. Dans la dernière décennie, de nombreux chercheurs ont étudié l’histoire et la diffusion des livres écrits en roumain, de sorte qu’on ne saurait s’étonner de retrouver le thème dans notre volume. La première publication en langue roumaine consacrée au théâtre (Szeben, Hermannstadt, Sibiu, 1897) a bénéficié d’un traitement particulier, tout comme les illustrations et les gravures des premiers imprimés en roumain, sortis des ateliers de Buda et de Transylvanie. Les contacts culturels entre Grecs et Roumains constituent un sujet naturel des colloques organisés en Roumanie : deux études ont ainsi été consacrées à la place donnée à l’Empire des Habsbourg dans les ouvrages de Gheorghe Şincai et de William Coxe. Le corpus des bibliothèques subsistant aujourd’hui a été également analysé selon plusieurs critères : quelques pièces particulièrement intéressantes du Batthyaneum de Gyulafehérvár (Karlsburg, Alba Iulia), les acquisitions espagnoles d’Ignác Batthyány, des livres anciens provenant de Szászváros (Broos, Orăştie) et de Marosvásárhely (Neumarkt, Tîrgu Mureş) ont fait l’objet de présentations. L’étude la plus intéressante du point de vue hongrois est le texte d’Andrea Mârza sur Imre Dániel (1754-1804), le bibliothécaire d’Ignác Batthyány. On trouve enfin une petite biographie intellectuelle de l’humaniste français Étienne Pasquier (1529-1615), étude fondée sur les exemplaires de la bibliothèque universitaire de Kolozsvár (Elena Damian).
Une série de colloques internationaux consacrés à l’histoire du livre a été organisée par Florin Rotaru. L’objectif principal de ces efforts était d’assurer la présence des chercheurs roumains sur la scène internationale. Les travaux de ces rencontres à Bucarest, Sinaia et Mamaia sont publiés (à l’exception du dernier) par les soins de la Biblioteca Metropolitană Bucureşti (Lucrările simpozionului internaţional Cartea. România. Europa. Ediţia I-IV, 2009-2012.)
L’objectif principal et naturel des recherches menées par les historiens roumains actifs en Roumanie est l’étude des livres anciens en langue roumaine. Le recensement des exemplaires est en cours : de nouveaux catalogues voient régulièrement le jour. Les recherches les plus récentes sont élargies aux utilisateurs : un bel exemple de cette nouvelle tendance est l’analyse historique par Ioan Maria Oros de l’usage des livres à Szilágyság (Ţara Silvaniei) aux XVIIIe-XIXesiècles, étude fondée sur l’identification des utilisateurs par leurs notes manuscrites (Ioan Maria Oros, Eva Mârza, Dimensiuni ale culturii moderne în Ţara Silvaniei (secolele XVII-XIX). Cărţi şi proprietari, Cluj-Napoca–Zalău, 2010, Mega, Porolissum, 553 p., Bibliotheca Musei Porolissensis).
C’est le même Ioan Maria Oros qui a entrepris – sur les indications de Iacob Mârza, malheureusement décédé fin 2015 – de faire la synthèse des recherches antérieures à 1948 sur l’histoire des livre roumain de Transylvanie (Ioan Maria Oros, Iacob Mârza, Istoriografia cărţii româneşti vechi din Transilvania, de la începuturi până la 1948, Cluj-Napoca, Argonaut (Myrobiblion), 2011, 134 p.)
Le catalogage des livres anciens de certaines bibliothèques n’a pas été interompu : le jumelage entre Arad et Strasbourg a permis la parution de la description des livres imprimés à Strasbourg du XVIe au XVIIIe siècle et dont un exemplaire est conservé aujourd’hui à Arad (Florin Didilescu, Tipărituri de Strasbourg în colecţia de patrimoniu a Bibliotecii „A. D. Xenopol” Arad. Catalog secolele XV-XVIII = Livres strasbourgeois dans le fonds patrimonial de la Bibliothèque A. D. Xenopol d’Arad. Catalogue XVe-XVIIIe siècles, Arad, Nigredo, 2003 ; compte-rendu dans HCL, I, 2005, p. 372-374). Un événement encore plus marquant est la publication du catalogue collectif des incunables de Roumanie, dont on regrettera cependant que les éditeurs aient décidé de ne pas y inclure les notes manuscrites (Elena-Maria Schatz, Robertina Stoica, Catalogul colectiv al incunabuleleor din România, Bucureşti, CIMEC, 2007 ; compte-rendu dans HCL, VI (2010) p. 403-406.). Le catalogue des livres anciens de l’université de médecine de Bucarest a aussi vu le jour (Elena-Maria Schatz, Gheorghe Buluţă, Carte străină secolele XV-XVIII. Catalog. Universitatea de medicină şi farmacie „Carol Davila”, Bucarest, Biblioteca Centrală ; Editura Universitară, 2001, 424 p.), ainsi que le catalogue des 441 « raretés » de la Bibliothèque universitaire de Kolozsvár (Hotea Meda-Diana, Mária Kovács, Emilia-Mariana Soporan, Catalogul cărţii rare din colecţiile BCU „Lucian Blaga” (sec. XVI-XVIII), Cluj-Napoca, Argonaut (Myrobiblon), 2007, 418 p.) Le catalogage de quelques collections mineures a également été effectué : pensons à la parution du catalogue des livres des XVIe-XVIIe siècles de la bibliothèque départementale de Szatmár : le premier en 1998, le deuxième – en deux volumes – en 2005 (Marta Cordea, Paula Vasil-Marinescu, Carte veche străină sec. XVII. Catalog. Vol. I-II, Satu mare, Biblioteca Judeţeană Satu Mare, 2005, 359 p.)
Elena Dorobont, Carte veche în Biblioteca Judeteană Bistriţa-Năsăud. I : secolele XV-XVII. II : 1703-1785. III : 1786-1830, Cluj-Napoca, Eikon, 2005-2006, 3 vol. En général, les bibliothèques départementales n’ont pas beaucoup de livres anciens. Le premier volume décrit 168 exemplaires des XVIe-XVIIe siècles. Les siècles postérieurs constituent un corpus plus nombreux de 932 livres. L’intérêt principal de ces collections réside dans les notes de possesseurs. L’un des plus illustres est le grand érudit et mécène Martin Brenner († 1553), premier éditeur de l’histoire de Hongrie d’Antonio Bonfini, avec deux volumes grecs. On retrouve dans le livre les 15 pièces provenant de la bibliothèque Lajos Bethlen (1782-1867), incendiée par des paysans roumains qui protestaient contre l’insurrection anti-Habsbourg des Magyars. Quelques livres de Franz Joseph Zimmermann (1850-1936), chroniqueur saxon originaire de Beszterce, ont fini par arriver à la bibliothèque de sa ville de naissance. La bibliothèque départementale possède aussi beaucoup de livres anciens provenant du Magistrat et de la bibliothèque du Lycée luthérien. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les grandes bibliothèques de Budapest ont vendu leurs doubles : c’est ainsi que sont arrivés à Beszterce cinq pièces de la Bibliothèque Széchényi du Musée national de Hongrie, dont trois directement de la collection Jankovich (1772-1846). Cela illustre que les gouvernements successifs ont effectivement enrichi les collections publiques, au plus grand profit des vainqueurs de Trianon.
Florin Bogdan, Tipărituri transilvănene din colecţiile Muzeului Naţional al Unirii Alba Iulia, Alba Iulia, Altip, 2015, 91 p.
Quand on évoque la ville de Gyulafehérvár, la première collection qui nous vient à l’esprit est celle du magnifique Batthyanaeum. Elle n’est pourtant pas la seule à conserver des livres anciens : pensons à la bibliothèque du séminaire catholique romaine, à laquelle les prêtres ont intégré non seulement les petites collections paroissiales des environs, mais aussi la bibliothèque des Franciscains bulgarites d’Alvinc et celle des pauliens de Tövis. La bibliothèque du Musée national de Roumanie dispose elle aussi d’une belle collection. Certes, les directeurs sont surtout attentifs aux anciens imprimés roumains, mais on y trouve aussi quelques raretés hongroises (et même un unicum). L’établissement dispose d’un atelier de restauration dont les activités ont été présentées il y a une dizaine d’années : Sofia Ştirban, Alexandru Ştirban, Catalog de restaurare carte veche, Alba Iulia, Muzeul Naţional al Unirii Alba Iulia, 2003.
Dans le petit catalogue récemment donné par Florin Bogdan, on trouve une description détaillée de 78 exemplaires en latin, hongrois ou allemand (les publications en roumain sont traitées séparément) d’éditions parues en Transylvanie entre 1647 et 1800. Notes manuscrites et reliure sont décrites. Aucune surprise de taille parmi les notes de possesseurs. L’élément peut-être le plus remarquable est un fragment de l’Almanach und Prognosticon pour 1670, ouvrage paru en 1668 à Szeben (RMNy 3619), et constituant un défet de reliure d’un volume publié á Kolozsvár par Mihály Veresegyházi Szentyel (RMNy 3645). Ce fragment en complète plusieurs autres, conservés à la Bibliothèque nationale de Budapest, aux bibliothèques universitaires de Debrecen et de Budapest, et à la bibliothèque archiépiscopale d’Eger (pour autant le texte n’est toujours pas complet).
Le Musée national roumain organise des expositions. Ses activités mettent en valeur un passé culturel caractérisé par la collaboration étroite des communautés roumaines des trois pays, et par les rapports intenses qui ont débouché sur une culture roumaine unifiée. Dans les titres de leurs publications figure souvent le nom de « Roumanie ». Cette attitude est bien compréhensible : plusieurs communautés culturelles d’Europe occidentales agissent de cette manière – certaines récapitulations de l’histoire de l’Alsace par exemple ne mentionnent pas qu’avant 1681 le territoire ne faisait pas partie du royaume de France. De même, nous autres Hongrois utilisons souvent l’expression « Hongrie » pour « royaume de Hongrie ».
Le 500e anniversaire de l’imprimerie en « Roumanie » a été célébré par une exposition du Musée national (Gabriela Mircea, Doina Dreghiciu, Repere bibliofile din patrimoniul Muzeului Albaiulian. Sec. XVI-XIX. La 500 de ani de la introcucerea tiparului în România, Alba Iulia, ALTIP, 2008). Des rapports culturels étroits relient la « Roumanie » à d’autres territoires européens – ce qui donne parfois à sourire, comme dans l’introduction de Florin Didilescu au catalogue des livres strasbourgeois du XVIe siècle conservés à Arad (voir compte-rendu dans HCL, I, 2005, p. 372-374).
En 2010, le même Musée national roumain a organisé une belle exposition mettant en relief l’histoire des rapports culturels italo-roumains. Le catalogue permet d’avoir une vue globale sur les ressources de la bibliothèque du Musée : Gabriela Mircea, Carmen Stînnea, Diana Ciugudean, Alexandri Ştirban, Relaţii culturale Româno-Italiene oglindite în patrimoniul muzeului albaiulian (secolele al XVI. lea – al XXX-lea, Alba Iulia, Muzeul Naţional al Unirii Alba Iulia, 2010). Le catalogue se répartit en cinq chapitres : les ouvrages sur l’histoire des rapports culturels italo-roumains, les livres italiens anciens et modernes du Musée, les périodiques italiens conservés au Musée, les bibliographies et enfin les livres italiens anciens restaurés au Musée.
Une exposition a été organisée en 2016 pour commémorer Antimos de Iberia (Antim Ivireanul, 1650-1716) et pour présenter les documents le concernant. Il s’agissait également de mettre en relief la politique culturelle de Constantin Brâncovenau (1654-1714), voïvode de Valachie, qui a invité dans son pays ce moine de naissance géorgienne (Cărţi sfinte, sfinţii cărţilor, cărţile sfinţilor. Expoziţie ocazionată de Anul comemorativ al Sfântului Martir Antim Ivireanul şi al tipografilor bisericeşti. Muzeul Naţional al Unirii Alba Iulia, 30 septembrie-30 octombrie 2016, éd. Florin Bogdan, Armanis – Astra Museum (Museikon), 2016, 80 p.) Antim Ivireanul a ouvert une imprimerie à Snagov en 1696, avant de poursuivre ses activités à Bucarest, entre 1701 et 1705. L’exposition présente aussi les imprimés de ses prédécesseurs – Buzău, Szeben, Alba Iulia (Bălgrad), Venise –, ainsi que les ouvrages de la collection du boyard Constantin Cantacuzino (1639-1716). À l’occasion de cette belle exposition, l’École de théologie de Gyulafehérvár et la Bibliothèque Teleki de Marosvásárhely ont aussi prêté quelques livres rares. Un aspect particulièrement intéressant du cataloque est la mise en valeur des rapports entre les gravures sur bois et la peinture d’icônes. Le programme pédagogique – apparemment très apprécié – proposé par le Musée introduit les visiteurs intéressés aux arcanes de la peinture d’icônes, de l’écriture roumaine en lettres cyrilliques ou de la reliure de livres.
Florin Bogdan, Monica Avram, Cartea veche străină din colecţiile Biblotecii Judeţene Mureş (sec. XVI-XVII), préf. Iacob Mârza, Sibiu, Ed. Astra Museum, 2015, 95 p.
On pourrait penser qu’à Marosvásárhely (Neumarkt, Tîrgu Mureş), la Bibliothèque Teleki – une collection monumentale, regroupant la collection privée de Sámuel Teleki, les livres de plusieurs maisons franciscaines (Mikháza-Călugăreni et Kolozsvár-Cluj Napoca), et la bibliothèque du Collège Unitarien de Székelykeresztúr (Cristuru Secuiesc) – est la seule bibliothèque à conserver des livres anciens. Le catalogue des livres du XVIe siècle appartenant à cette collection a vu le jour en 2001 (Mihály Spielmann-Sebestyén, Lajos Balázs, Hedvig Ambrus, Ovidia Mesaroş, Catalogus librorum sedecimo saeculo impressorum Bibliothecae Teleki-Bolyai Novum Forum Siculorum, Târgu Mureş, Biblioteca Judeţeană Mureş, 2001, 2 vol.) N’oublions cependant pas que la Bibliothèque départementale et le Musée départemental du Maros disposent aussi d’une collection – certes mineure – de livres rares imprimés avant 1800. Dans le volume présenté ici, nous trouvons la description détaillée des 30 livres imprimés au XVIe siècle et des 78 livres imprimés au XVIIe conservés à la bibliothèque départementale. Les éléments les plus intéressants concernent les notes manuscrites figurant dans les imprimés : parmi elles, une note de János Kájoni, alors que l’on ne sait pratiquement rien de l’horizon culturel et des lectures de ce pionnier roumain de la culture catholique du chant.
Fondul de carte veche străină al bibliotecii Muzeului Judeţean Mureş, tipărit înainte de 1850. A Maros Megyei Múzeum könyvtárának 1850 előtti külföldi és régi magyarországi nyomtatványai. Catalog/Katalógus, éd. Gordán Edina, Rezi Botond, Târgu Mureş, Cluj Napoca, Ed. Mega, 2015, 220 p. (Bibliotheca Mvsei Marisiensis. Series Historica, I.)
La description des 532 volumes est conforme aux normes internationales. La partie prépondérante du corpus date des XVIIIe et XIXe siècles. Au total, on y trouve 6 imprimés du XVIe et 13 du XVIIe siècle. La collection a été créée en 1955, et le legs du premier directeur de la bibliothèque départementale de Maros, Gábor Molnár, en fait partie. C’est aussi par cette voie que les livres de la bibliothèque du notaire Károly Ercsey (1810-1856) entrèrent au Musée. Les connaisseurs de l’histoire des bibliothèques savent que la bibliothèque du Collège réformé de Márosvásárhely intégra la Bibliothèque Teleki au moment des grandes nationalisations (1948). Quant aux livres de József Koncz, professeur du lycée réformé (1829-1906), et aux deux volumes de la bibliothèque du couvent franciscain de Mikháza, ils finirent par rejoindre la bibliothèque du Musée départemental. On ne doit pas s’étonner d’y retrouver aussi 23 volumes ayant appartenu à la bibliothèque du château de Gernyeszeg, de la famille Teleki. Quelques noms illustres apparaissent dans la liste des pasteurs réformés du XVIIIe siècle, comme celui de János Borosnyai Lukács. La pièce la plus remarquable de la collection est le Phaedrus (no 370), paru à Londres en 1708 et acheté en 1741 à Leyde, par Péter Bod, personnage majeur de l’historiographie hongroise et auteur du premier dictionnaire biographique.
Repertoriul tipografilor, gravorilor, patronilor, editorilor, cărţilor româneşti (1508-1830). Ediţia a II-a, revizuită şi adăugită, éd. Eva Mârza, Florin Bogdan, Sibiu, Techno Media, Astra Museum, 2015, 305 p. (1re éd., Sibiu, Techno Media, 2008).
Les frontières de tous les pays européens ont subi des changements à l’époque moderne, ce qui explique que les diverses bibliographies nationales rétrospectives renferment des superpositions. Les éléments du passé sont précieux aux yeux des représentants de la collectivité culturelle qui les avait créés, mais dans un sens, il font aussi partie du patrimoine culturel de la collectivité vivant actuellement sur le territoire concerné. Voilà ce qui explique l’existence des Patriotica auctoriaux, linguistiques et territoriaux. Les monuments de l’imprimerie saxonne de Transylvanie font partie du patrimoine culturel allemand, mais aussi de la mémoire culturelle de la Roumanie et de la Hongrie. L’imprimerie polonaise active à Kolozsvár au début du XVIIIe siècle fait partie du patrimoine polonais, roumain et hongrois. En Europe centrale, ces remarques font souvent l’objet de discussions âpres, voire haineuses quand, ailleurs, les chercheurs les abordent avec plus de professionnalisme et moins de passion. On aura certes avantage à user d’un vocabulaire prudent : il est inutile de heurter les sentiments patriotiques. La bibliographie nationale hongroise s’intitule : Anciens imprimés de Hongrie. On y voit figurer la production des imprimeries transylvaines, même si entre 1541 et 1848 la principauté ne faisait pas partie du royaume de Hongrie (autre problème de taille : le royaume n’équivaut ni à la Hongrie proprement dite, ni à la Hungaria.) Il est très difficile de trouver des termes susceptibles d’exprimer une situation historique sans anachronisme. Ce n’est donc pas par hasard que le titre retenu n’a pas été Anciens imprimés hongrois, puisque la plus grande partie des imprimés de Hongrie n’est pas hongroise, mais latine, allemande, roumaine, slovaque, etc.
L’ouvrage ici présenté recense les imprimeurs, éditeurs, graveurs et mécènes « roumains », terme désignant des personnes ayant vécu sur le territoire actuel de la Roumanie. Le repertorium évoque donc toutes les personnes qui – actives dans les Partium Regni Hungariae, en Bánát, en Transylvanie, en Valachie ou en Moldavie – avaient partie liée avec le livre entre la première publication parue en 1508 (Macarie, Liturghier, Târgovişte) et 1830. Si les auteurs avaient remplacé româneşti par româniei, cela n’aurait nullement résolu le problème, puisque la Romania – un pays formé en 1862 – n’existait pas avant 1830. Les producteurs des imprimés de langue roumaine donnés par l’Imprimerie royale de Buda figurent d’ailleurs aussi dans le Repertorium.
Il est difficile d’admettre que des personnalités de Temesvár figurent dans un même volume que celles de Jaşi, parce qu’on pourrait en conclure qu’il s’agit d’un ensemble territorial et culturel, ce qui est faux (on se demande si les éditeurs voulaient effectivement faire passer ce message). Si nous considérions pareillement l’intitulé de la bibliographie nationale rétrospective hongroise, nous dirions que la « Hongrie » renvoie à un territoire culturellement et institutionnellement uni, ce qui justifierait le terme). Dans la période 1508-1830, les territoires évoqués dans le Repertorium étaient culturellement et politiquement très éloignés les uns des autres. La population roumaine vivant à l’intérieur des Carpates était d’une mentalité fondamentalement différente de celle de la population extérieure aux Carpates. Le rôle du livre dans la transmission des traditions culturelles est très différent dans les communautés de la chrétienté occidentale et orientale : or, la population roumaine de Transylvanie n’a rencontré de manière systématique les mécanismes culturels occidentaux qu’après la création de l’église uniate, puis, de manière plus intensive, après le milieu du XVIIIe siècle.
Ce qu’on doit apprécier le plus dans l’ouvrage d’Eva Mârza, c’est qu’il nous apporte beaucoup de renseignements nouveaux par rapport aux usuels hongrois, surtout dans les domaines où la connaissance approfondie de la culture et de la langue roumaines est indispensable. Née et formée en Slovaquie, l’auteur vit depuis longtemps en Transylvanie et voit par conséquent de l’intérieur les tendances qui caractérisent la culture roumaine. Ajoutons à cela qu’en vue de la préparation de ce Repertorium, elle a réussi à réunir une équipe composée de chercheurs roumains. La question de savoir à qui appartient tel ou tel patrimoine culturel est d’importance. Il est indispensable que les possesseurs actuels des collections considèrent leurs trésors comme les leurs propres, et qu’ils sachent comment les valoriser. Même en leur supposant la bonne volonté et l’ouverture d’esprit nécessaires, on peut parfois se demander s’ils sont vraiment préparés à assurer l’accessibilité de ce patrimoine : les archives saxonnes en Roumanie, mises sous la responsabilité d’un personnel non-germanophone, en constituent un contre-exemple. Le rapport des administrateurs à leurs trésors y est semblable à celui existant entre la population arabe actuelle d’Égypte et les pyramides. Par chance, nous assistons aujourd’hui à la formation d’une nouvelle génération de chercheurs germanophones, voire magyarophones, qui pourra exploiter l’héritage culturel allemand. Si les spécialistes – hongrois, roumains et allemands – de l’histoire culturelle de Transylvanie parlaient ces trois langues, ils éviteraient de devoir communiquer en anglais, langue peu compatible avec les sujets qui nous intéressent.
Ioan Chindriş, Niculina Iacob, Eva Mârza, Anca Elisabeta Tatay, Otilia Urs, Bogdan Crǎciun, Roxana Moldovan, Ana Maria Roman-Negoi, Cartea românească veche în Imperieul Habsburgic (1691-1830), Recuperarea unei indentităţi culturale – Old Roomanian Book in the Habsburg Empire (1691-1930), Recovery of a cultural identity, introd. Eva Mârza, Cluj-Napoca, Ed. MEGA, 2016, 1014 p.
Voici un livre monumental, qui marque une étape nouvelle sur le chemin conduisant à la naissance de la bibliographie rétrospective roumaine. L’Académie roumaine des Sciences – fondée sous le nom de Société littéraire, à la suite de la création de la Roumanie (la réunion de la Valachie et de la Moldavie a eu lieu en 1859), a décidé en 1895 l’établissement de la bibliographie des anciens livres roumains. Les deux termes de l’entreprise furent 1508 (date de la parution du premier livre imprimé en roumain, et 1830 (date de clôture traditionnelle de l’ancienne « litérature roumaine »). Le travail fut terminé un demi-siècle plus tard : Ioan Hodoş, Nerva Hodoş, Dan Simonescu, Bibliografia românească veche (1580-1830), Bucureşti, Academia Română, 1903-1944, 4 vol.
Le livre publié en 2016 est le fuit de recherches dirigées par Eva Mârza. Comme pour toute grande entreprise bibliographique qui se veut nationale, il est difficile de définir : (1) le titre, (2) les limites chronologiques, (3) et les critères de patrioticum. Commençons par le titre : quoique l’intitulé du VD16, Verzeichnis der im deutschen Sprachbereich erschienenen Drucke des 16. Jahrhunderts, évoque la géographie germanophone, ni la Silésie, ni la Transylvanie n’y figurent – il s’agit pourtant de territoires dont la langue officielle était bien l’allemand, et où la majorité des publications était de langue allemande. Le RMNy, recueil des Anciens imprimés de Hongrie, inclut la description des ouvrages parus en Transylvanie, nonobstant le fait que la Transylvanie ne faisait pas juridiquement partie du royaume de Hongrie et encore moins de la « Hongrie ». On pourrait continuer avec l’analyse des titres des bibliographies nationales rétrospectives. Les chercheurs roumains avaient du mal à déterminer le nom du territoire qui a vu paraître entre 1691 et 1830 les ouvrages en langue roumaine ou écrits par un auteur roumain. Entre ces dates, deux grandes restructurations diplomatiques ont eu lieu : la paix d’Utrecht (1713), qui clôt la guerre de succession d’Espagne, et le Congrès de Vienne (1815), qui réorganise le continent après les guerres napoléoniennes. Comme la carte publiée en annexe l’indique aussi, l’empire des Habsbourg proprement dit n’existe qu’après 1804/1806 – il serait pourtant très difficile, voire impossible, de trouver un autre intitulé au volume.
Déterminer le cadre chronologique constitue aussi une question délicate. L’historiographie rétrospective hongroise a pris comme point de départ l’année de parution du premier imprimé dans le royaume de Hongrie (1473), tandis que le terminus ad quem était l’année de la paix conclue après l’échec de la guerre d’indépendance (1711). La même année est paru le premier dictionnaires bio-bibliographique des auteurs du bassin des Carpates : David Czvittinger (1675-1743), Specimen Hungariae literatae, virorum eruditione clarorum, natione Hungarorum, Dalmatarum, Croatarum, Slavorum atque Transylvanorum, vitas, scripta, elogia et censuras ordine alphabetico exhibens. Accedit bibliotheca scriptorum qui extant de rebus Hungaricis, Francfort et Leipzig, Jobst Wilhelm Kohles, 1711. Nos collègues roumains ont choisi comme point de départ l’établissement du grand-duché de Transylvanie au sein de l’Empire germanique (1691), alors qu’une date majeure de l’histoire littéraire clôt la période (1830). Ce qui nous importe plus que les arguments avec lesquels on peut étayer ou contester ces choix, est l’affirmation du sous-titre du volume : c’est la période dans laquelle l’identité culturelle roumaine, appuyée sur un certain nombre d’institutions, s’est formée. Le rôle central que le livre imprimé a joué dans ce processus est indiscutable (même si personne ne veut contester l’importance des manuscrits, des images et de l’oralité).
Les éditeurs font figurer dans le volume tous les imprimés parus en langue roumaine ou écrits par un auteur de nationalité roumaine. Il s’agit donc de patriotica linguistiques ou auctoriaux. Or, déterminer la nationalité de tel ou tel auteur à l’époque est une tâche qui exige un important travail philologique, souvent inutile d’ailleurs, puisque – surtout dans la première partie de la période – l’appartenance ethnique ne préoccupait pas outre mesure les auteurs ici présentés. On notera le nombre élevé de traductions roumaines d’ouvrages hongrois ou allemands, et aussi des éditions de langue hongroise préparées par des roumanophones (par exemple les livres de cantiques catholiques imprimés à Csíksomlyó par les soins de moines roumains, tel János Kájoni alias Ioan Caian Valachus). La description des imprimés est minutieuse. L’édition offre aux lecteurs à la fois plus et moins que la bibliographie rétrospective hongroise : plus, puisque toutes les descriptions sont dotées d’une traduction anglaise ; moins, puisque l’histoire éditoriale des ouvrages est absente. En plus de la description exhaustive des titres – les lettres grecques et cyrilliques sont transcrites en caractères latins – il convient d’évoquer la très belle présentation du corpus des gravures et des illustrations. La présentation de chaque livre est complétée d’un abrégé de la littérature secondaire le concernant.
La composition du volume paraît quelque peu insolite pour une bibliographie nationale rétrospective. Les titres individuels n’étant pas numérotés, l’ordre chronologique recommence à chaque nouveau lieu d’impression (ces derniers étant organisés par ordre alphabétique selon leur appellation roumaine). Pourtant, une numérotation continue serait très utile, dans la mesure où elle donnerait le nombre des publications produites par lieu d’impression (la pagination nous en donne une vague idée). Il en ressortirait que la Transylvanie et la ville de Buda, sont les productrices principales du livre roumain. En regard, les Partes (Nagyvárad), mais aussi Arad, Temesvár, Kalocsa, Vienne, Venise ou Lemberg (Lvov) restent à des niveaux insignifiants. Le gros chapitre final (p. 939-992) traite des publications connues mais dont nous ne conservons aucun exemplaire.
La volumineuse préface (64 p.), en roumain et en anglais, est l’œuvre d’Eva Mârza. C’est une excellente histoire de l’édition en langue roumaine, une petite monographie qui avance selon l’ordre alphabétique des lieux de publication. La table des abréviations constitue une véritable bibliographie d’histoire du livre, permettant d’étudier en profondeur le passé de l’édition en langue roumaine. La préface se termine sur quelques pages consacrées au rôle que l’imprimé a joué, depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, dans la création et la consolidation de l’identité culturelle roumaine. La bibliographie, immense, ne possède qu’un index chronologique : il en ressort immédiatement que la période 1801-1830 a vu la multiplication des titres en roumain. Comment expliquer l’absence d’index de noms et de lieux ? Le mode d’emploi (quelques pages de la préface) n’en dit rien. Soit ces index seront publiés dans un volume à part (c’est peu probable), soit la bibliographie des ouvrages parus entre 1508 et 1690 est en cours, et les deux périodes seront couvertes par un index commun. Quoi qu’il soit, il ne faudrait pas oublier la concordance qui met en valeur le rapport de la bibliographie nationale rétrospective des pays voisins (Hongrie, Slovaquie et Autriche) avec les livres anciens roumains. L’établissement de cette concordance sera difficile, vu l’absence de numérotation des éditions. Le fait que les lieux ne figurent qu’en forme roumaine (sauf, bien entendu, dans la description des titres) ne facilite pas non plus l’usage du volume. On comprend Viena et Veneţia, mais, si Vienne est Viena et Venise Veneţia, alors pourquoi Сремски Карловци (Sremski Karlovci) en Serbie devient-elle Karlowitz ? Pourquoi Trnava ne devient-elle pas Sămbăta Mare ? L’un des chapitres a pour titre le nom historique romain de la ville de Gyulafehérvár (Bălgrad), mais la carte ne donne pour la même localité que le nom d’Alba Iulia. Ces problèmes pourraient être résolus par un index des lieux reprenant toutes les formes linguistiques nationales. Mes remarques critiques n’affectent nullement la très bonne opinion que j’ai de ce livre. La culture roumaine s’est enfin dotée d’une bibliographie nationale rétrospective de grande qualité, qui constitue un usuel pour la recherche internationale. Nous attendons avec impatience la bibliographie portant sur la période 1508-1690, avec, on l’espère, un système d’index couvrant la totalité de la période 1508-1830).
Samuel Bruckenthal (1721-1803), chancelier de Transylvanie n’est pas seulement une personnalité emblématique des Lumières, comme l’indique le titre de la sixième livraison sortie dans la collection Bibliotheca Brvkenthal (Daniela Dâmboiu, Iulia Mesea, Samuel von Brukenthal, Model Aufklärung, Sibiu, Alba Iulia, Altip, 2006), mais aussi le fondateur de la collection nationale (musée et bibliothèque) des Saxons de Transylvanie en 1803. Il a pris modèle sur les fondations des catholiques (à Gyulafehérvár/Alba Iulia, par l’évêque Ignác Batthyányi en 1798) et des réformés hongrois (à Marosvásárhely/Târgu Mureş, par le chancelier Samuel Teleki, en 1802). Le projet de créer des collections publiques n’est ainsi nullement la manifestation d’une philosophie éclairée ni un pas vers une culture publique bourgeoise, mais un effort patriotique en vue de la promotion de la culture de langue vernaculaire. C’est le même objectif qui motivera plus tard la création de l’association culturelle Astra par les Roumains de Transylvanie (à Nagyszeben/Sibiu en 1861).
Il serait donc très important que le corpus de la Bibliotheca Brukenthal soit systématiquement exploité, rendu accessible au public et présenté comme la collection des Saxons de Transylvanie. Les travaux avancent très lentement, mais une fois terminés, ils nourriront des études monographiques. Plusieurs catalogues de grande qualité ont vu le jour – je les ai déjà présentés (Cf. « Vingt ans de recherche… », art. cit.) La bibliothécaire hongroise Olga Şerbănescu, décédée tragiquement, avait entamé le catalogage et la description selon les normes internationales des imprimés parus au XVIe siècle. Les premiers résultats de ses efforts sont publiés (Olga Şerbănescu, Catalogul cărţii străine din secolul al XVI-lea. Volomul I-II. Litera A-B, Sibiu, Alba Iulia, Altip, 2007-2010, 2 vol., Bibliotheca Brvkenthal, XI, XLIX). Cette publication devrait être poursuivie sur la base des notes préparées par l’auteur. Les curiosités de la collection ont été présentées par la principale figure de l’histoire roumaine du livre, Constantin Ittu, dont le recueil regroupe les études consacrées aux livres d’alphabet : ’Revolutio alphabetaria’ în Biblioteca Brucenthal, Sibiu, Alba Iulia, Altip, 2007, 187 p. (Bibliotheca Brvkenthal, VIII). La même année a vu la parution d’un recueil dont les études analysent les notes manuscrites portant sur la généalogie des familles, et présentent des éditions rares, la collection des Emblemata, les Bibles rares et les revues et séries importantes de l’histoire de la culture roumaine, comme le Telegraful Român (Constantin Ittu, Tainele Bibliotechii Bruckenthal. Ediţia a II-a, revizuită şi augmentată de autor, Sibiu, Alba Iulia, Altip, 2007, 234 p., Bibliotheca Brvkenthal, X).
La bibliothèque de l’Académie roumaine des Sciences est sans aucun doute la plus riche du pays pour les livres anciens. Elle fut constituée à partir des confiscations des biens ecclésiastiques opérées à Cluj après la Seconde Guerre mondiale : il s’agit de trois bibliothèques d’institutions pédagogiques, le collège catholique romain, le collège réformé et le collège unitarien ; puis de la collection des Franciscains et, enfin, des livres de l’évêché catholique romain de Szatmár et de la bibliothèque centrale de l’archevêché catholique grec de Balázsfalva. Malgré la loi de restitution promulgée en 1990, l’État roumain n’a jamais rendu ces livres à leurs propriétaires légitimes. Le catalogue du corpus n’avance que lentement : au temps de Ceausescu, les livres étaient inaccessibles à tout chercheur étranger. Depuis 1990, faute de spécialistes et faute d’intérêt, les choses n’ont guère avancé. Par contre, le catalogue des incunables paraîtra bientôt, et il sera sans doute bien accueilli par le public professionnel.
Le catalogue des livres anciens hongrois (parus avant 1711 dans le royaume de Hongrie et en Transylvanie) a vu le jour, grâce aux soins de Gábor Sipos et de son équipe : A kolozsvári Akadémiai Könyvtár Régi Magyar Könyvtárgyűjteményeinek katalógusa. Catalogul colecţiilor Biblioteca Maghiară Veche a Bibliotecii Academiei Cluj-Napoca, introd. Gábor Sipos, éd. Mária Kovács et al., Kolozsvár, Scientia, Biblioteca Filialei Cluj-Napoca a Academiei Române, 2004, 617 p. (Sapientia könyvek. Társadalomtudomány, 28). Il s’agit de l’une des grandes collections hongroises de livres anciens (2 312 volumes). Si la description précise et détaillée des exemplaires nous paraît de première importance, c’est parce que les collections conservées aujourd’hui à l’Académie se sont formées localement, c’est-à-dire à Kolozsvár même. La plupart des exemplaires ont été déplacés aux XVIIIe-XIXe siècles, mais ils étaient utilisés à Kolozsvár dès l’origine, comme l’attestent les notes manuscrites. Les enseignants des écoles secondaires locales et les pasteurs des Églises ont souvent fait donation de leurs livres à leur alma mater, quand les veuves et les enfants choisissaient plutôt de vendre les livres du défunt à l’école en question. La description bibliographique a été faite à la fin du XIXe siècle, de sorte que, aujourd’hui, nous repérons aussi les exemplaires perdus. La description bibliographique étant achevée, il conviendrait d’entreprendre le catalogage minutieux des exemplaires des XVIe -XVIIe siècle conservés à la bibliothèque de l’Académie roumaine : ce travail permettrait enfin l’étude globale des lectures des savants d’une ville transylvaine, Kolozsvár, et des clercs appartenant à diverses églises. En étudiant les notes manuscrites des possesseurs, les chercheurs pourraient faire apparaître le corpus des titres non-hongrois, et le comparer avec les données provenant des répertoires des bibliothèques privées ou institutionnelles. Ces derniers ont été publiés à Szeged, dans la série Adattár, vol. 16/1-5 (Erdélyi könyvesházak, I-V, cf. annexe infra).
Parmi les chercheurs hongrois de Transylvanie, une nouvelle génération a récemment émergé. Les spécialistes d’histoire du livre sont pour la plupart les disciples de Gábor Sipos. C’est en partie à l’occasion de l’année Calvin que Sándor Előd Ősz, théologien et archiviste, a commencé son étude exemplaire consacrée aux éditions de Calvin des XVIe et XVIIe siècles localisées sur le territoire actuel de la Roumanie : Ősz Sándor Előd, Bibliotheca Calviniana Transylvanica. Kora újkori Kálvin-kiadások Erdélyben. Frühneuzeitliche Calvin-Ausgaben in Siebenbürgen, Kolozsvár, EME, 2014 (Erdélyi Református Egyháztörténeti Füzetek, 21). Le catalogue décrit 358 exemplaires, et il constitue un instrument de travail essentiel pour les travaux sur la réception de la pensée de Calvin à cette époque5. Les notes manuscrites figurant dans ces exemplaires sont publiées, ce qui permet de dépasser le stade des analyses statistiques et d’avoir une vue globale sur les divers usages que les possesseurs – appartenant à différentes confessions – font des ouvrages du grand réformateur (notes marginales, remarques positives ou négatives, etc.). L’éditeur a identifié pas moins de 700 possesseurs.
Dans sa riche introduction, l’auteur retrace l’histoire de la réception de la pensée de Calvin en Transylvanie (l’étude est traduite en allemand). À mes yeux, l’aspect le plus intéressant de cette analyse concerne la chronologie de la réception : il faut souligner la rapidité du parcours des commentaires de Calvin sur la Bible (46 % de ces exemplaires étaient déjà dans le bassin des Carpates au XVIe siècle, 20 % y sont arrivés au XVIIe siècle et 20 % au XVIIIe). En revanche, 25 % des écrits polémiques du réformateur sont en Transylvanie dans les années suivant leur parution, la majorité (45 %) après 50 à 80 ans et 25 % seulement au XVIIIe siècle. Quant aux Opera omnia de Calvin : 43 % des exemplaires sont arrivés au XVIe siècle, 16 % au XVIIe et 13 % au XVIIIe (l’entrée des exemplaires dans les bibliothèques est fixée d’après les premières notes manuscrites). On ne s’étonnera pas de ce que les établissements catholiques (ou luthériens) aient préféré acquérir les Opera omnia plutôt que les ouvrages mineurs de Calvin. Par contre, les érudits unitariens de Transylvanie s’intéressaient surtout aux commentaires et aux ouvrages polémiques (ces derniers furent également lus par les luthériens, comme en témoignent les notes manuscrites). L’auteur a aussi étudié les reliures de manière minutieuse : nombre d’entre elles proviennent des villes universitaires où les possesseurs poursuivaient leurs études. Cette découverte a permis, par comparaison avec les matricules et autres sources des universités concernées, d’identifier plusieurs personnalités qui n’avaient indiqué leur nom qu’en abrégé sur la reliure. Ces noms se retrouvent dès lors aussi dans d’autres catalogues.
Il convient d’accorder une attention particulière aux recherches sur Csíksomlyó. Le couvent franciscain, fondé au début du XVe siècle, desservait tout au long du XVIIe siècle, sous la domination de princes protestants, une population sicule fidèle à la foi catholique de ses ancêtres. Les moines ont exercé une importante activité missionnaire en Moldavie, au-delà des Carpates. Ils fondèrent une bibliothèque importante dont le corpus subsiste jusqu’à nos jours. Leur imprimerie a été établie en 1676 par János Kájoni, avec l’aide de Modestus a Roma. Entre cette date et 1726 (année de la fondation de l’imprimerie jésuite de Kolozsvár), cet atelier était la seule imprimerie catholique de Transylvanie. Immédiatement après sa fondation, l’atelier s’est fait remarquer par une publication de grand intérêt : il s’agit du chansonnier de János Kájoni (Cantionale catholicum, 1676), réimprimé à plusieurs reprises (1719, 1805, 1806). Au XVIIe siècle, 14 publications sont sorties de ces presses, et environ 80 au XVIIIe siècle. L’atelier a été transporté en 1910 à Kolozsvár, où une officine franciscaine était en fonction depuis 1906. En dehors de leurs contributions à la pratique religieuse quotidienne des fidèles, les deux officines ont aussi publié des manuels scolaires et des ouvrages de théologie populaire. Le niveau technique était au moins aussi élevé que dans la plupart des autres ateliers de Hongrie ou de Transylvanie, ce qui devrait inciter les chercheurs travaillant sur l’édition religieuse à s’intéresser aux livres de Csíksomlyó. La foire de Csíksomlyó a rendu la publication de titres (et de l’iconographie ?) de piété particulièrement rentable. Les Franciscains ont attaché une grande importance à leur imprimerie : en 1778, ils l’ont établie dans un bâtiment spécifique, qui sera détruit en 1924.
La reliure des livres a débuté à Csíksomlyó avant même l’imprimerie. L’atelier de reliure a fonctionné dès les années 1640. Comme il est logique, après la fondation de l’imprimerie, il a surtout travaillé avec la production de l’officine locale. Chercheuse infatiguable, Erzsébet Muckenhaupt a rendu compte dans ses livres et articles des résultats de ses travaux sur la presse, l’atelier de reliure et la bibliothèque. Dès 1980, elle a parcouru les collections du département de Hargita pour y répérer les livres imprimés à Csíksomlyó et organisé, dans une situation politique très difficile, de petites expositions consacrées à ce corpus. En 1945, pour éviter la nationalisation imposée par le régime communiste, les Franciscains ont enfermé leurs livres les plus précieux. Hélas, l’humidité a détruit la plus grande partie de la collection. Muckenhaupt a néanmoins réussi à identifier la plupart des titres (Erzsébet Muckenhaupt, A csíksomlyói ferences könyvtár kincsei. Könyvleletek 1980-1985, Budapest, Kolozsvár, Balassi Kiadó, Polis, 1999). En 2000, elle a organisé une exposition de Bibles, et publié un catalogue (Bibliák a Székelyföldön (XIV-XVII. század). Kiállítás a Csíki Székely Múzeumban. A kiállítást rendezte, a katalógust írta és szerkesztette Muckenhaupt Erzsébet, Csíkszereda, Tipographic, 2000). La première exposition consacrée à l’imprimerie et à l’atelier de reliure a eu lieu en 2001 (A csíksomlyói ferences nyomda és könyvkötő műhely 1676-2001. Emlékkiállítás a Csíki Székely Múzeumban. A kiállítást rendezte, és a katalógust írta Muckenhaupt Erzsébet, Csíkszereda, Csíki Székely Múzeum, 2001). Les matériaux de cette exposition ont été étendus à l’occasion d’une nouvelle édition : A csíksomlyói ferences nyomda és könyvkötő műhely. Kiállítási katalógus. A kiállítást rendezte, a katalógust szerkesztette Muckenhaupt Erzsébet, Csíkszereda, Csíki Székely Múzeum, 2007. Cette deuxième présentation était organisée en six ensembles : János Kájoni, le fondateur de l’imprimerie est présenté dans le premier chapitre, qui renferme aussi l’étude d’une peinture le représentant. La Vulgate personnelle de Kájoni est aussi conservée (édition de Cologne, 1647). La présentation détaillée des publications des XVIIe et XVIIIe siècles (regroupées thématiquement) est suivie de la description de sept plaques de relieur, puis de l’étude des reliures elles-mêmes. Soulignons que Erzsébet Muckenhaupt fait partie des rares spécialistes de l’histoire de la reliure, de sorte que sa description des instruments de reliure satisfait aux exigences professionnelles les plus élevées.
Erzsébet Muckenhaupt, A Csíki Székely Múzeum „Régi Magyar Könyvtár”-a. (Colecţia Biblioteca Maghiară Veche a Muzeului Secuiesc al Ciucului – Old Hungarian Library Collection of the Szekler Museum of Ciuc) I. 1498-1710. Katalógus, Csíkszerda, Csíki Székely Múzeum, 2009 (A Csíki Székely Múzeum gyűjteményei – Colecţiile Muzeului Secuiesc al Ciucului – Collections of the Szekler Museum of Ciuc, 1).
La tradition bibliographique hongroise regroupe les hungarica territoriaux (publiés dans le royaume de Hongrie), les hungarica linguistiques (publiés en hongrois) et les hungarica auctoriaux (publiés par des auteurs vivant dans le royaume de Hongrie) parus avant 1711, sous le titre d’« Ancienne bibliothèque hongroise ». De la bibliothèque ancienne des Franciscains de Csíksomlyó, 149 volumes ont subsisté jusqu’à nos jours, outre 52 fragments conservés au Musée Székely de Csík : il s’agit de 5 incunables, de 42 ouvrages du XVIe siècle, 84 ouvrages du XVIIe et 18 du XVIIIe. On trouve dans le volume la description de ces exemplaires, avec le détail des notes marginales et la présentation minutieuse d’une reliure. E. Muckenhaupt y a inséré en outre quelques documents récents (provenant des XIXe-XXe siècles) qui concernent l’histoire de la collection.
Les recherches hongroises s’inscrivent dans une tradition qui remonte à plusieurs décennies et qui couvre la publication de registres et de catalogues d’archives permettant l’étude de l’histoire de la lecture, et l’établissement de la bibliographie rétrospective nationale (cf. détail infra). Un nouveau programme de recherche prévoit une assistance aux travaux de catalogage en cours en Roumanie, en Serbie et en Slovaquie. Si les spécialistes des pays voisins travaillent sans difficulté sur les fonds des établissements d’État, ils auront besoin de l’aide hongroise pour aborder les collections des Églises hongroises. À partir des descriptions des exemplaires localisés, les chercheurs constituent une base de données cumulative couvrant le bassin des Carpates, soit une région qui forme un territoire culturellement homogène6. Quelques jeunes spécialistes hongrois aident les responsables à regrouper les collections localisées dans les petits villages vers les centres ecclésiastiques de la région : ils y assurent la conservation, le rangement et le catalogage des volumes. En Roumanie, ce travail a été achevé dans les diocèses de Nagyvárad (Grosswardein, Oradea) et de Szatmár (Sathmar, Satu Mare) : les résultats sont publiés dans la nouvelle série des Livres anciens des bibliothèques hongroises du bassin des Carpates. Bien sûr, les responsables n’exclueront pas de la série les catalogues de quelques bibliothèques mineures situées sur le territoire actuel de la Hongrie, en Slovaquie (Fülek, Filekovo) ou en Serbie (Zombor, Sombor). Les grandes bibliothèques hongroises publient leurs catalogues dans d’autres séries éditoriales (cf. infra).
L’exploration des livres de l’église arménienne de Transylvanie a été inaugurée dans le cadre d’un programme de recherche animé par le Geisteswissenschaftliches Zentrum Geschichte und Kultur Ostmitteleuropas (GWZO) de Leipzig et l’Université Károly Eszterházy de Eger. Il s’agit de quatre collections (Erzsébetváros, Eppeschdorf-Elisabethstadt, Csíkszépvíz, Frumoasa, Dumbrăveni ; Szamosújvár, Neuschloss-Armenienstadt, Gherla ; Gyergyószentmiklós, Niklasmarkt, Gheorgheni) : le catalogue des deux premières a déjà paru.
Récemment, Éva Knapp, en collaboration avec un libraire d’antiquariat, Lajos Borda, a entreprise la tâche la plus difficile, la description bibliographique minutieuse des livres de prières. Elle traite aussi des éditions dont aucun exemplaire ne subsiste aujourd’hui, mais dont l’existence est attestée : Éva Knapp, Martin von Cochem Magyarországon, Zebegény, Borda Antikvárium, 2014, 2 vol. (Régi magyarországi vallásos nyomtatványok, 1-2).
RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
Passons maintenant en République tchèque, un pays où l’on trouve plusieurs équipes actives dans le domaine de l’histoire du livre. Dans la dernière décennie, le chercheur ayant obtenu les résultats les plus remarquables est sans doute Petr Voit, qui a publié une encyclopédie d’histoire du livre, le catalogue des incunables de Strahov, et un volume sur la réception du patrimoine antique dans la culture tchéque et morave au XVIe siècle.
– Encyklopedie knihy. Stráší knihtisk a příbuzné obory mezi polovinou 15. a poátkem 19 ; papír, písmo a písmolijectví khihtisk a jiné grafické techniky tiskaři, nakladatelé, knihkupci ilustrátoři a kartografové literární typologie, textové a výtvarné prvky knihy knižní vazba, knižní obchod, réd. Petr Voit, Prague, Libri. 2006, 1 350 p.
– Petr Voit, Český knihtisk mezi pozdní gotikou a renesancí. I. Severinskofrederic Fredericé Frederic2kosořská dynastie 1488-$1557, Prague, Koniasch Latin Press, 2013, 463 p.
– Id., Katalog prvotisku Strahovske knihovny v Praze. Preklad uvodnich casti : Jitka Jendruchova, Prague, Marion Nejedla, 2015 (Kralovska kanonie premonstratu na Strahove).
– The reception of antiquity in Bohemian book culture from the beginning of printing until 1547, éd. Kamil Boldan, Bořek Neškudla, Petr Voit, Turnhout, Brepols, 2014 (Europa humanistica, 12).
Au cours des vingt derniers années, les équipes de recherche actives en République tchèque n’ont pas ménagé leurs efforts pour présenter la culture de la cour des grands-seigneurs tchèques et moraves du début de l’âge moderne. Les recherches fondamentales terminées, ils ont lancé plusieurs collections de grande valeur. Jitka Radimska et son équipe ont étudié les sources portant sur les bibliothèques de cour. Les travaux des colloques qu’ils ont organisés sont régulièrement publiés par l’Université de České Budějovice, dans la série des Opera Romanica Universitatis Bohemiae meridionalis.
La thèse de doctorat de l’historienne française vivant à Prague, Claire Madl, est la dernière parution tchèque qui mérite une attention particulière. La thèse, soutenue à l’École pratique des hautes études (Paris), a été publiée dans la collections dirigée par cet institut : Claire Madl, « Tous les goûts à la fois ». Les engagements d’un aristocrate éclairé de Bohême, Genève, Droz, 2013, 467 p. (Histoire et civilisation du livre, 33). L’auteur étudie l’horizon intellectuel qui se manifeste à travers les ouvrages parus ou restés manuscrit rédigés par l’aristocrate Franz Anton Hartig (1758-1797), en complétant l’analyse par l’examen du corpus de la bibliothèque familiale (surtout les livres que Hartig en personne avait acquis). La famille, dont l’histoire est ici succinctement résumée, avait donné à l’Empire plusieurs diplomates : le père de Franz Anton, ambassadeur en Bavière, a légué une collection importante à son fils. Ce dernier réorganise le classement thématique de la bibliothèque : à cet égard, les tableaux récapitulatifs des ouvrages que Hartig s’est procurés aux différentes périodes de sa vie sont particulièrement instructifs. Ce travail repose non seulement sur les catalogues contemporains, mais aussi sur une documentation détaillée concernant les acquisitions. Claire Madl démontre ainsi comment, dans le dernier tiers du siècle, cet aristocrate éclairé se tourne de plus en plus vers les sciences naturelles. L’auteur ne s’est pas contenté de récapituler la bio-bibliographie de Franz Anton Hartig, mais a aussi analysé ses connaissances acquises au cours des différentes périodes de sa vie. Familiarisé avec la théologie et la philosophie, il s’est aussi intéressé aux belles-lettres contemporaines, françaises et allemandes. C’est pour poursuivre sa carrière diplomatique, qu’il accumule en outre de profondes connaissances en géographie, en histoire et en théorie politique. Enfin, dans la seconde moitié de sa vie, il s’oriente vers l’agriculture, l’agronomie et les sciences naturelles. Les livres qu’il a publiés et les manuscrits qui subsistent de lui traitent, pour la plupart, de ces derniers thèmes : par exemple, dans ses lettres de voyage, il expose ce qu’il a appris concernant les variations de la qualité de l’air en fonction de l’altitude. Il publie en outre quelques idylles, des poésies et des traités de philosophie morale, tandis qu’un manuscrit sur la situation des femmes atteste sa sensibilité sur ce sujet central de la modernité.
Claire Madl présente ainsi un itinéraire individuel susceptible d’orienter ses lecteurs dans l’histoire sociale des intellectuels de l’époque. La méthode qu’elle a adoptée est extrêmement complexe : déployer l’histoire – les transformations thématiques – de la collection des livres, puis l’articuler avec le contenu des ouvrages composés par Hartig, constitue un exercice d’autant plus difficile que Claire Madl ne manque pas de le situer dans le contexte de l’histoire culturelle de l’Empire et de la Bohème. Elle suit ainsi le vieux précepte « Pro captu lectoris habent sua fata libelli ».
L’aspect du livre le plus intéressant réside dans le fait qu’une chercheuse française, formée en France mais vivant en République tchèque, s’emploie à présenter comme tchèque un personnage ayant écrit en francais et en allemand. Sa culture peut être située au carrefour allemand/français. En d’autre termes, c’est une culture européenne : l’esprit créateur « à la francaise » y croise le monde systématique et pragmatique « à l’allemande ». En même temps, la culture de Franz Anton Hartig est fondée sur les bases de l’Antiquité et du christianisme. On pourrait tout simplement la qualifier d’universelle, mais il serait peut-être plus juste d’évoquer un terme allemand : cette personnalité s’intégrait pleinement à l’europäische Kulturheimat, au moment précis précédant sa disparition.
GÉOGRAPHIE DU SAINT-EMPIRE
La bibliographie annotée d’un autre pays germanique appartenant au Saint-Empire, la Silésie, a vu le jour en 2010 (Detlef Haberland, Weronika Karlak, Bernhard Kwoka, Kommentierte Bibliographie zum Buch- und Bibliothekswesen in Schlesien bis 1800, Munich, Oldenbourg Verlag, 2010 (Schriften des Bundesinstituts für Kultur und Geschichte der Deutschen im östlichen Europa, 39) ; compte-rendu dans HCL, XI, 2015, p. 350-352).
Un autre chapitre de cette longue histoire est proposé par le livre récent de Richard Šipek, Die Jauerer Schlossbibliothek Ottos des Jüngeren von Nostitz, Francfort, Peter Lang Verlag, 2014, 2 vol. Otto der Jüngere von Nostitz a vécu entre 1608 et 1665. Ce noble silésien a fait ses études à Löwenberg (Lwówek Ślaşki), puis à Görlitz, selon le programme de l’humanisme tardif. Le livre de Šipek présente ses livres scolaires : les auteurs classiques (littéraires et philosophiques), la dialectique de Philippe Melanchthon et une forte culture historique. Au début de la guerre de Trente ans, la Silésie est encore imprégnée de l’esprit de la Réforme helvétique. Nostitz poursuit ses études universitaires (surtout droit et histoire) à Leipzig, avant d’entreprendre son grand tour à travers l’Empire, et jusqu’à Genève. À en croire son journal de voyage, en dehors des monuments historiques, il s’intéressa surtout aux arsenaux.
Son oncle était titulaire d’un office impérial à Prague, c’est donc dans cette ville que le jeune homme entame sa carrière, avant de visiter l’Italie. À son retour, il s’installe à Breslau (Wrocław), avant d’être nommé « Landeshauptmann de Schweidnitz et Jauer » deux localités des environs de Breslau. La collection de Jauer fut fondée par lui en 1651, lorsqu’il y réunit les livres que lui avait légués sa famille. Il joua un rôle important dans la réorganisation de la vie sociale et culturelle après la Guerre de Trente ans (1648). Pour reprendre le terme de Richard Šipek, le château et la bibliothèque de Jauer relèvent du monde du « baroque » (Barockwelt).
Le legs de Nostitz fut inventorié en 1666, et le catalogue de sa bibliothèque nous permet de connaître son ordre et sa composition thématique. On ne trouve que peu d’ouvrages de théologie, mais le droit et la théorie politique occupent une place centrale dans l’ordo librorum. L’art militaire et les ouvrages consacrés à l’élevage des chevaux constituent une section à part, ainsi que les titres d’économie (à la même époque, les bibliothèques de grands seigneurs en Hongrie voient la naissance des sections d’oeconomia.) La séparation des recueils de discours et des recueils d’épîtres n’était pas chose habituelle dans les bibliothèques du temps : il est probable qu’elle facilitait la pratique juridique de Nostitz, lequel disposait en outre d’une collection de gravures et d’un petit cabinet de curiosités. La section la plus riche est celle de l’histoire, avec dix-huit sous-sections (Theologici, Iuridici, Politici, Medici, Philosophici, Mathematici, Astronomici, Architectura militaris, Equestriae, Oeconomici, Humanistae, Oratores, Epistolares, Poetae, Musicalia, Lexica Latina, Linguistae, Kupfer, Libri Historici).
Le corpus permet aussi l’étude des acquisitions de Nostitz. Son partenaire principal a été Theodor Moretus (1602-1667), le savant actif à Prague, décédé à Breslau et apparenté à la famille des imprimeurs anversois, qui a également surveillé – à en croire certaines sources – l’imprimerie jésuite du Klementinum de Prague. Évoquons encore le libraire de Breslau Johann Lischkét, qui fournit un nombre très élevé de livres.
Après la Seconde Guerre mondiale, la bibliothèque Nostitz est nationalisée par l’État tchécoslovaque. Ses collections se trouvent aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de Prague, au Bureau du Patrimoine et à la Bibliothèque universitaire de la même ville. L’un des programmes majeurs de recherche en cours concerne la construction progressive d’une base de donnée de provenance, déjà citée (provenio, http://www.provenio.net). Il s’agit de la reconstitution des bibliothèques d’aristocrates, de grands bourgeois et de savants, à partir des notes manuscrites et des ex-libris. Presque 3 000 volumes de Nostitz figurent dans cette base, et ils présentent des notes provenant de quelque cinq cents personnes différentes. La bibliothèque de ce grand seigneur donne ainsi comme un reflet, même partiel, du monde du livre en Silésie au XVIe siècle : on y retrouve par exemple une partie de la collection de Johannes Cato von Krafftheim (1519-1585), mais Andreas Duditius n’apparaît pas dans les listes des anciens possesseurs.
Les éditeurs du livre ont choisi une forme très particulière de présentation, dans la mesure ou ils ne fournissent pas la description des livres (elle figure en annexe sur un CD-ROM, et en ligne dans la base provenio), mais présentent seulement les notes manuscrites.
L’élément central des recherches futures en histoire du livre concernera la collaboration internationale des jeunes chercheurs : c’est ce qui fait toute l’importance du séminaire de Wrocław, auquel ont participé les historiens du livre d’Europe centrale. À titre personnel, je ne suis pas convaincu par l’idée de réunir dans un même volume des études consacrées aux territoires relevant des chrétientés occidentale et orientale. Il me semble que nous ne pouvons pas considérer l’histoire des cultures ukrainienne et silésienne comme constituant un ensemble presque homogène, même s’il existe des personnalités de culture occidentale qui se sont fixées comme objectif de publier des livres dans le monde oriental. Ils sont d’ailleurs considérés comme des « héros culturels » au sein de plusieurs nations.
Early modern print culture in Central Europe. Proceedings of the young scholars section of the Wrocław seminars September 2013, éd. Stefan Kiedroń, Anna-Maria Romm, Patrycja Poniatowska, Wrocław, Wydawnictwo Uniwersytetu Wrocławskiego, 2014, 204 p.
Ce volume illustre à merveille les récentes tendances de la recherche, avec l’attention accordée à l’illustration des livres, au rapport entre texte et image, aux aspects livresques des réseaux interpersonnels de communication, aux phénomènes liés au livre et accompagnant l’émergence de la conscience nationale et, enfin, à l’histoire sociale du livre (patronat et mécénat). Les études peuvent être réparties selon les pays qu’elles concernent : la plupart traitent du royaume de Hongrie, de la Silésie, de la Tchéquie, de la Pologne et du grand-duché de Lithuanie.
La première étude est due à Farkas Gábor Farkas, qui analyse l’histoire des exemplaires aujourd’hui disponibles de la Chronica Hungarorum (Buda, 1473), en consacrant une attention particulière aux possesseurs et lecteurs contemporains du livre (« The First Printed Book in Hungary »). L’arrière-plan humaniste de l’écriture et de la publication constitue un phénomène qu’on ne peut étudier que sur la base d’un nombre élevé d’exemplaires : on peut se demander si les dix exemplaires qui subsistent de la Chronica Hungarorum suffisent pour tirer des conclusions, mais l’auteur s’appuie sur une intéressante argumentation méthodologique pour justifier sa démarche.
L’étude des réseaux personnels, érudits ou scientifiques est possible si, et seulement si, le nom de tous les participants (auteur, éditeur, imprimeur, dédicataires, etc) ayant collaboré à un volume est enregistré par les bibliothécaires des grands catalogues électroniques : quelle illusion, que de croire que le support numérique permet de travailler avec moins de professionnels bibliothécaires ! Lorsque les catalogues fournissent aussi le nom de ceux et de celles apparaissant dans les notes manuscrites (e.g. donateur, etc.), on peut conduire des études comme celle consacrée par Tobias Budke aux livres donnés et dédiés à Mikołaj Radziwiłł « Czarny » (« A Network and its Book Gifts : Mikołaj Radziwiłł Czarny »). L’auteur présente le réseau du grand seigneur, où figurent quelques personnages majeurs de la Réforme helvétique (Heinrich Bullinger, Jean Calvin) et des personnalités locales (tel Jan Łaski). Voilà une contribution réellement exemplaire à l’histoire de la Réforme dans le royaume de Pologne.
Agnieszka Patał décrit une sodalité humaniste, celle réunissant Andreas Duditius, Thomas Rehdiger, Jacob Monau, et Johannes Crato von Krafftheim, en s’appuyant sur un autre critère : elle étudie les rapports qui ont existé au XVIe siècle entre les membres de la respublica litteraria de Breslau et l’Officina Plantiniana d’Anvers, avec notamment l’usage que faisaient les premiers des livres imprimés par cet atelier (« Officina Plantiniana and Breslau in the 16th Century : The Aquisition of Books »).
L’étude des notes manuscrites présentes dans les exemplaires permet d’avoir une vue globale sur la circulation livresque entre les différentes régions européennes. Elle contribue ainsi à une meilleure compréhension de leur enchevêtrement culturel. Les rapports entre la Bohème et la Silésie sont présentés par Vojtěch Šícha, sur la base des imprimés tchèques localisés dans la bibliothèque luthérienne portant le nom de Gottlieb Rudolf Tschammer (1711-1787) à Teschen (Cieszyn, Český Těšín) (« 16th Century Bohemian Old Prints in the Tschammer Library in Cieszyn »).
L’usage des images dans les livres scientifiques – une innovation majeure – n’obéit pas à la seule logique commerciale, puisque la représentation la plus élémentaire du savoir est inconcevable sans images. Du coup, la qualité des illustrations s’impose comme une question de première importance. Les auteurs d’ouvrages de botanique mobilisent l’illustration non seulement pour présenter les plantes des territoires récemment découverts, mais aussi pour traiter de la flore européenne. Dominic Olariu nous propose une excellente étude sur l’histoire des illustrations dans les herbaria du XVIe siècle (« The Misfortune of Philippus de Lignamine’s Herbal, or New Research Perspectives in Herbal Illustrations from an Iconological Point of View »). Quant à l’étude de Karolina Mroziewicz, elle est consacrée à l’analyse des livres d’histoire illustrés hongrois. L’auteur interprète ces imprimés – de la Chronica Hungarorum de János Thúróczy (1488) jusqu’au Trophaeum… Domus Estorasianae – comme des marqueurs précoces de l’identité culturelle hongroise en formation (« Illustrated Books on History and Their Role in the Identity-Building Processes : The Case of Hungary, 1488-1700 »).
On trouve dans le volume quelques contributions relevant de l’histoire de la communication, qui constitue un domaine de recherche très à la mode. Il s’agit des études de Krisztina Péter et de Christine Watson. La chercheuse hongroise étudie les comptes rendus consacrés à l’attentat commis contre Henri IV, roi de France, en 1598, en s’appuyant sur plusieurs types de publications, études historiques et gazettes contemporaines (« The News-Writer and the Chronicler »). Quant à Christine Watson, elle rapproche les traductions polonaise, allemande, latine et anglaise de la lettre que Jean III Sobieski a adressée à sa femme lors du siège de Vienne, des comptes rendus que les gazettes de Cologne ont faits du même événement (« A Letter from the King of Poland to His Queen : News about the Siege on Vienna in 1683 »).
Deux études sont consacrées à la problématique du mécénat, mais les approches que leurs auteurs proposent ne sont pas identiques. Jan Ivanega examine les soutiens matériels que la famille des Schwarzenberg a accordés, dans le dernier tiers du XVIIe siècle, à la publication d’ouvrages consacrés à la vie des villes d’eaux en Tchéquie (« Hydrautica Nova, Hydrautica Recusa and Ursprung des Lebens : On the History of the Schwarzenberg Book Patronage »). Mariana Čentéšová se penche quant à elle sur les restes de la bibliothèque de la famille Szirmay conservés au lycée luthérien d’Eperjes : les Szirmay ont en effet exercé une sorte de mécénat en enrichissant cette collection, notamment en accordant un don très important en 1833. C’est alors que plusieurs titres conçus dans l’esprit des Lumières sont intégrés à celle-ci, même si tardivement (« Selected 17th-Century Prints in the Szirmay Library Preserved int he Fund of the Collegiate Historical Library in Prešov »).
Continuons notre présentation avec deux études consacrées aux premiers imprimés cyrilliques, à l’histoire du livre imprimé dans les terres de la chrétienté orientale, ainsi qu’aux activités d’Ivan Fedorov et de Franciscus/ Francysk/Francišak Skaryna/Skoryna. Riches d’enseignements, elles s’inscrivent dans une problématique de recherche très intéressante : il s’agit en effet de mieux comprendre les rapports existant entre l’histoire du livre ukrainien, biélorusse, lithuanien et polonais, et la conscience nationale de ces différentes communautés culturelles. L’intitulé de l’article de Giuseppe Perri (« Print Culture in Early Modern Ukraine and Its Ukranian Historiography ») reflète bien son contenu : il s’agit de l’histoire du livre écrite du point de vue national ukrainien. Raman Voranau soumet à l’analyse la figure et l’activité de Skaryna – personnage disputé entre les différentes collectivités nationales – ainsi que sa présence dans l’historiographie lithuanienne, ukrainienne, polonaise, biélorusse et russe (« The Belorusian Printing Pioneer Františak Skaryna : The Early modern Hero in the Later National Interpretations »).
Les spécialistes russes du livre ancien se demandent souvent pourquoi les livres transportés dans leur pays sont les seuls à faire l’objet de demandes de restitution. Lors de la Seconde Guerre mondiale (mais aussi au cours des guerres précédentes) les États-Unis d’Amérique se sont enrichis d’autant d’objets de valeur que l’Union soviétique, mais personne ne demande leur restitution. Si les bibliothécaires avaient le choix, les livres transportés en Union Soviétique seraient aujourd’hui disponibles à la recherche et les spécialistes des pays intéressés pourraient les étudier dans un esprit de proche collaboration. Les livres du collège réformé de Sárospatak furent restitués depuis Nizhny Novgorod en 2006. Un recueil d’études leur a été consacré, publié en deux langues (russe et hongroise) : Translatio librorum. Tanulmányok az Oroszországból Sárospatakra visszaszolgáltatott könyvek kapcsán, éd. Jekatyerina Jurjevna Genyijeva, Kiss Ilona, István Monok, Budapest, OSZK, 2007, 146 p. ; Sarospatakszkaja kollekcija i isztorija ee vozvrasenija v Vengriju. Szbornyik sztatyej, Moscou, Rosszpen, 2008, 149 p.
La bibliothèque Rodomino a organisé plusieurs expositions consacrées aux collections restituées, et a publié les catalogues imprimés des livres déplacés en 1945 du château Esterházy d’Eisenstadt (Kismarton) et de la bibliothèque de l’ancien ambassadeur allemand à Moscou, Friedrich-Werner comte von der Schulenburg (1875-1944), qui participa à la conspiration de juillet 1944 contre Hitler :
– Knyigi iz szobranyia knyazej Esztergazi v moszkovszkih bibliotekah. Bücher aus der Sammlung der Fürsten Esterházy in Moskauer Bibliotheken. Katalog, éd. Karina A. Dmitrijeva, Nikolaj N. Subkov, et alii, Moscou, Rudomino, 2007, 350 p.
– Knyigi iz csasztnovo szobranyija grafa Fridricha Vernera fon der Sulenburga v Moszkovszkih bibliotekah. Bücher aus der Privatsammlung des Grafen Friedrich Werner von der Schulenburg in Moskauer Bibliotheken. Katalog, dir. Jekatyerina Jurievna Genyijeva, réd. Karina A. Dmitrijeva, Nikolaj N. Subkov et alii, Moscou, Rudomino, 2009, 186 p.
La restitution des livres de la famille Esterházya eut lieu en 2014. Hélas, leur retour n’a en rien favorisé les chercheurs, qui n’y ont toujours pas accès. Espérons qu’un jour les propriétaires changeront d’avis et autoriseront les spécialistes à consulter cette collection très importante du point de vue de notre patrimoine commun.
PAYS BALTES
Le 20 août 1991, le peuple estonien a repris en main son destin. Depuis ce grand moment, plusieurs expositions consacrées à l’histoire du livre ont été organisées. La plus importante a été consacrée à la présentation du plus ancien livre estonien : Eesti vanimad raamatud Talinnas. Die ältesten estnische Bücher in Tallinn (Reval). Näitus ja kataloog (Austellung und Katalog), réd. Lea Köiv, Mare Luuk, Larissa Petina, Tiiu Reimo, Urve Sildre, Tallinn, Tulvi-Hanneli Turo, 2000 (compte rendu dans HCL, I, 2005, p. 320-323). En 2002, un moment très important de l’histoire de la bibliothèque de la ville de Tallin a été célébré par un excellent volume : Bibliotheca Revaliensis ad D. Olai. Tallinn Oleviste Raamatukogu. Revaler Bibliothek zu St. Olai. Näitus ja kataloog (Ausstellung und Katalog), réd. Lea Köiv, Mare Luuk, Tiiu Reimo, Tallinn, 2002. 192 p. (compte rendu dans HCL, III, 2007, p. 430-432.).
L’historiographie lithuanienne a aussi célébré le 400e anniversaire de la publication d’une Bible en langue nationale : Lietuviškai Biblijai. 400 metų. Biblijos vertėjas Jonas Bretkūnas. Tarptautinės parodos katalogas. 400 Jahre litauische Bibel. Bibelübersetzer Johannes Bretke. Katalogs der internationalen Ausstellung, éd. Ona Aleknaviienė, Jolanta Zabarskaitė. Vilnius, Lietuvos dailės muziejus, 2002, 158 p. (compte rendu dans HCL, III, 2007, p. 388-390.). Les historiens du livre actifs dans le pays peuvent en outre se prévaloir des résultats obtenus par le catalogage des litvanica des XVIe-XVIIe siècles : XVI-XVII a. lituanika. Lietuvos mokslų akademijos bibliotekoje. Katalogas. Lithuanica saeculi sexti decimi et septimi decimi ex Bibliotheca Academiae Scientiarum Lithuaniae. Catalogus, éd. Daiva Narbutiené, Violeta Radviliené, Dalia Rauckyté-Bikauskiené, Vilnius, Lietuvos mokslų akademijos biblioteka, 2007 (Cf. HCL, VIII, 2012, p. 383-385). Un catalogue de grand intérêt a récemment fourni l’occasion de rendre brièvement compte de l’histoire lettonienne du livre : Album amicorum, Piemiņas albumu kolekcija (16.-19. gs.) Latvija Universitātes Akadēmiskajā bibliotēkā, Rokrakstu katalogs. Die Stammbücher der Akademischen Bibliothek der Universität Lettlands (16.-19. Jh.), Handschriftenkatalog, éd. Sastādījusi, Aija Taimiņa, Riga, LU Akadēmiskais apgāds, 2013 (Cf. HCL, XI, 2015, p. 335-338).
Je dois en même temps déclarer que l’exposition la plus intéressante des quinze dernières années sur l’histoire du livre en Europe centrale eut lieu à la Bibliothèque nationale de Riga, en 2014-2015, et dont témoigne un catalogue : Mans atas, mans laiks. My Books, My Time, 1514. Catalogue of the exhibition 1514. Book, 2014. National Library of Latvia, Riga, 1. 7. 2014-31. 3. 2015, éd. Andris Levāns, Gustav Strenga, Riga, Latvijas Nacionālā bibliotēka, 2015, 319 p. L’initiateur de l’exposition était Andris Vilks, directeur de la Bibliothèque nationale. C’est en 2015 que celle-ci s’est installée dans son nouveau bâtiment, lequel a aussi abrité les événements liés au programme « Riga capitale culturelle européenne ». Le 500e anniversaire du premier livre en langue lettone se déroulait parallèllement à l’inauguration du nouvel établissement. L’excellente idée de Vilks fut d’organiser une exposition uniquement composée de livres parus en 1514. Le résultat : une image transversale de l’Europe de l’époque. Les études introduisant les catalogues orientent le lecteur dans ce monde caractérisé par ses multiples livres. Jānis Krēstiņš souligne l’importance de l’étude de la vie quotidienne et le fait que le regard jeté sur les livres parus dans une seule et même année contribue à une meilleure compréhension de l’homme de la Renaissance (« Ongoingness 1514 : Extending a Moment Beyond the Limits of Time »). Son optimisme s’appuie sur la victoire sur les Maures et sur les découvertes géographiques. Plein de confiance, il ne s’est pas encore rendu compte de l’ampleur de son ignorance, et il ne sait pas encore que le déchiffrement des mystères d’un monde qu’il conçoit créé par Dieu est encore très loin. Plaçons-nous maintenant au moment initial de l’histoire du livre imprimé, avec Ejal Poteg, chercheur britannique, dont l’étude reprend le chemin parcouru par ce produit très particulier de l’intelligence et de la technique humaines (« There and Back Again : The Transformations of the Late Medieval and Early Modern Bible »). L’une des figures éminentes et en même temps typiques de cette période intermédiaire est l’abbé Tritheim, qui, tout en glorifiant les scribes et les scriptoria, organise des commémorations consacrées à l’inventeur de l’imprimerie. La figure et l’horizon culturel de Tritheim, ainsi que ses efforts scientifiques, sont évoqués dans l’étude de Klaus Arnold (« Johannes Trithemius (1462-1516) und seine Bücher »).
L’époque est celle de la philosophie chrétienne, le temps d’Érasme – le christianisme a été le ciment de l’unité européenne, la religion qui a « européanisé », au moment de l’effondrement de l’Empire romain, les peuples qui venaient d’arriver, les migrants de l’époque adoptant ainsi les coutumes « européennes ». La religion chrétienne a réuni en son sein les éléments de plusieurs cultes anciens, et les réinterprétations christianisées des auteurs antiques contribuèrent à la transmission des textes. Voilà ce qui explique le choix de Jost Eickmeyer de consacrer son étude au catalogue « christianisé » des vertus établi par Helius Eobanus Hessus (1488-1540), dont l’objectif a été de faire d’Ovide un classique des écoles (« Heilige Heldinnen. Ovid-Rezeption, Christianisierung und rinascimentale Poetologie in Eobanus Hessus’ Heroidum Christianorum Epistolae (1514) »). Ces différentes études sont suivies de descriptions d’objets d’art mettant en valeur les segments de la vie du début du XVIe siècle. Il s’agit d’un véritable énumération de valeurs : la Bible, le temps de Dieu, la Piété, la Vie, la Mort, la Langue, les Amis, les Ancêtres, l’Érudition, Altérité (citādais – otherness : juifs, arabes, hussites, hérétiques – des habitants d’autres continents apparaissent aussi, seul anachronisme de l’exposition), l’Histoire, la République, la Vie quotidienne, le Livre, la Découverte.
Cet excellent catalogue achève notre parcours des dernières recherches en histoire du livre d’Europe centrale.
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1 István Monok, « Vingt ans de recherche sur la culture du livre dans le bassin des Carpates », Revue française d’histoire du livre [désormais RFHL], 2001, p. 199-222.
2 http://www.provenio.net/index.php/en/provenio-the-book-provenance-database.
3 http://www.ulib.sk/sk/publikacie-ukb/studia-bibliographica-posoniensia/.
4 http://www.bibnat.ro/Revista-Romana-de-Istorie-a-Cartii-s249-ro.htm.
5 Les catalogues et registres contemporains, également utiles pour cet objet, sont publiés dans la collection Adattár XVI-XVIII. századi szellemi mozgalmaink történetéhez (16/1-5). Cf. « Vingt ans de recherche… », art. cit.
6 http://koraujkor.ek.szte.hu.